L’Edda de Sæmund-le-Sage/Le Poème sur Helge, le vainqueur de Hating

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anonyme
Traduction par Mlle  Rosalie du Puget.
Les EddasLibrairie de l’Association pour la propagation et la publication des bons livres (p. 283-294).

II

LE POÈME SUR HELGE

LE VAINQUEUR DE HATING




Hjœrvard était le nom d’un roi qui avait quatre femmes : l’une d’elles s’appelait Alfhild, et son fils Hejdinn, la seconde Sjœrejd, et son fils Humlung, la troisième Simjod, et son fils Hymling. Le roi Hjœrvard avait fait le serment de posséder la femme qui lui paraîtrait la plus belle. Il apprit que le roi Svafner avait une fille appelée Sigurlinn, dont la beauté surpassait celle de toutes les femmes. Le Jarl de Hjœrvard se nommait Idmund ; Atle, son fils, envoyé vers Svafner pour lui demander Sigurlin, passa un hiver chez ce roi. Franmar était Jarl du royaume de Svafner et père nourricier de Sigurlinn ; sa fille se nommait Alof. Ce Jarl donna le conseil de refuser la demande d’Atle, qui retourna vers son père.

Atle était un jour auprès d’un bosquet. Un oiseau, perché sur les branches au-dessus de lui, ayant en­tendu les hommes qui l’entouraient dire que les fem­mes du roi Hjœrvard étaient les plus belles, se mit à gazouiller, et Alte l’écouta.

1. As-tu vu Sigurlinn, la plus belle fille de la terre ? Cependant les femmes de Hjœrvard paraissent jolies aux hommes du bosquet de Glasis.

atle.

2. Savant oiseau, veux-tu causer encore avec Atle-Imundsson ?

l’oiseau.

J’y consens, si le roi m’offre un sacrifice et me laisse choisir ce que je voudrai dans les demeures royales.

atle.

3. Ne prends pas Hjœrvard ni ses fils, ni les jolies suivantes des princesses, ni les femmes du roi ; négo­cions comme il convient à des amis.

l’oiseau.

4. Je choisis les nombreux autels et le bétail à cor­nes d’or qui se trouvent dans les domaines du roi, et Sigurlinn dormira dans ses bras ; elle suivra ce prince sans contrainte.

(Ceci se passa avant la mission d’Atle. Le roi l’interrogea à son retour.)

atle chanta.

5. Nous avons eu beaucoup de peine et pas de succès. Les chevaux se sont fatigués dans la longue chaîne de montagnes, et nous avons été obligés de passer le Sæmorn à gué. Puis la fille de Svafner, couverte d’or, nous a été refusée.

(Le roi les engagea à recommencer le voyage, et le fit avec eux. Arrivés au sommet d’une montagne, ils virent le Svavaland[1] ravagé par le feu ; le pas des chevaux soulevait une poussière épaisse. Le roi descendit la montagne à cheval, pénétra dans le pays, et s’établit pour la nuit auprès d’une rivière. Atle fit sentinelle, et, traversant la rivière, il vit sur l’autre bord une maison. Un grand oiseau, chargé de la garder, s’était endormi ; Atle le tua avec sa lance ; mais il trouva dans la maison Sigurlinn, la fille du roi, et Alof, la fille du Jarl. Il les emmena avec lui. Le Jarl Franmar, recourant à la magie, les avait cachées à l’armée et pris sa forme d’aigle. Un roi, appelé Hrodmar, avait demandé la main de Sigurlinn ; ayant éprouvé un refus, il tua le roi de Svava, dévasta le pays avec le fer et le feu. Sigurlinn devint la femme du roi Hjœrvard, Atle eut Alof. Le roi et Sigurlinn eurent un fils vigoureux et beau, mais silencieux, qui ne répondait à aucun nom. Étant assis sur une colline, il vit neuf Valkyries ; la plus remarquable d’entre elles chanta.)

une valkyrie.

6. Helge, puissant général, tu régneras tard sur les anneaux et les pays, si tu te tais éternellement, quoi que tu aies un cœur courageux comme celui d’un prince.

lui.

7. Quel surnom accompagnera le nom de Helge que tu m’ordonnes de porter, brillante vierge ? En y réfléchissant, je ne veux rien de ce que tu m’offres si je ne puis te posséder.

elle.

8. Il y a des glaives dans l’îlot de Sigar, quatre petits et cinquante autres ; l’un d’eux est le meilleur ; il porte malheur aux boucliers ; il est encadré d’or.

9. Un anneau est à la poignée, le courage au milieu, et l’effroi à la pointe, pour celui qui le trouvera ; un serpent couleur de sang longe le fil, sa queue entoure la poignée.

(Un roi appelé Eylime avait une fille nommée Svava ; elle était Valkyrie et chevauchait à travers l’espace et les mers. Elle protégea souvent Helge dans les batailles.)

helge à Hjœrvard.

10. Tu n’es pas un prince aux bons conseils, Hjœrvard, ni un puissant général, malgré ta célébrité. Tu as fait détruire par le feu le pays des princes qui ne t’avaient suscité aucun mal.

11. Mais Hrodmar possède les trésors qui ont appartenu à nos pères : ce chef, pour soutenir sa vie, ne regarde guère autour de lui et pense qu’on le laissera jouir de l’héritage des exterminés.

(Hjœrvard répond qu’il donnera des guerriers à Helge s’il veut se charger de venger la mort de son aïeul paternel. Helge se met à la recherche du glaive indiqué par Svava ; l’ayant trouvé, il part avec Atle, bat Hrodmar, se distingue par de nombreux exploits héroïques, tue le géant Hate, assis sur une montagne. Helge et Atle se tenaient avec leurs navires dans le golfe de Hate, et Alte fit sentinelle pendant la première partie de la nuit.)

hrimgerd, fille de Hate, chanta.

12. Qui sont-ils, ces héros réunis dans le golfe de Hate ? Les tentes sont faites sur vos navires avec des boucliers. Vous vous comportez dignement et paraissez peu accessibles à la crainte. Dites-moi le nom de votre roi.

atle chanta.

13. Il se nomme Helge, mais tu ne pourras jamais lui faire du mal ; des cercles de fer cernent notre flotte, et les démons ne peuvent nous détruire.

hrimgerd chanta.

14. Comment te nommes-tu, homme puissant ? Quel nom le peuple te donne-t-il ? Le roi a confiance en toi, puisqu’il te laisse le soin de garder son joli vaisseau.

atle.

15. Mon nom est Atle, et jè serai dur envers toi. Je déteste les démons, et j’ai souvent défendu le navire humide contre les artifices.

16. Comment te nommes-tu, géante affamée de chair morte ? Dis-moi le nom de ton père. Tu devrais être à neuf haltes dans la terre, avec un arbre croissant sur ton sein.

hrimgerd.

17. Je m’appelle Hrimgerd, et mon père se nommait Hate : pas un géant ne l’égalait en puissance. Il enleva bien des fiancées de leurs demeures avant d’être tué par Helge.

atle.

18. C’est toi, hideuse sorcière, qui étais couchée en travers du vaisseau de Helge à l’embouchure du golfe, et devant les guerriers du roi, que tu aurais donnés à Hel si la proue ne t’avait point heurtée.

hrimgerd.

19. Tu es troublé, Atle ! Je crois que tu rêves ; tu abaisses le sourcil. C’est ma mère qui était devant les vaisseaux du roi. J’ai plongé dans l’Océan les fils de Hlœdve.

20. Tu devrais hennir maintenant, si tu n’étais pas châtré. Je crois, Atle, que ton cœur est fixé à ton dos, quoique ta voix soit claire encore.

atle.

21. Je te paraîtrais vigoureux si tu éprouvais ma force et si je pouvais descendre à terre. Tu serais déjà anéantie si ma colère s’était allumée.

hrimgerd.

22. Atle, puisque tu as confiance en ta force, viens à terre ; joignons-nous dans la baie de Varin. Comme tes côtes seront redressées, guerrier, si tu tombes entre mes griffes !

atle.

23. Je ne puis m’éloigner tant que nos gens ne seront pas réveillés pour garder le roi ; je ne suis pas certain du moment où un démon passera en dessous de nos navires.

24. Éveille-toi, Helge, et donne une composition à Hrimgerd, pour Hate que tu as tué. Qu’elle dorme une nuit avec le roi, et elle sera indemnisée du dommage éprouvé.

helge.

25. Il se nomme Velu, celui qui doit te posséder, horreur des hommes. Le géant de l’île de Toll, cent fois savant et le plus pervers des habitants des cavernes, est le mari qui te convient.

hrimgerd.

26. Tu préférerais, Helge, posséder celle qui gardait le port et tes gens la dernière nuit. La jeune fille parée d’or me sembla forte ; c’est ici qu’elle a pris terre en sortant de l’Océan, au moment où elle amarra tes navires ; elle m’ôte la force de tuer les gens du roi.

helge.

27. Écoute, Hrimgerd ! si tu veux une indemnité pour le dommage que tu as éprouvé, réponds avec exactitude : était-elle seule ou accompagnée de plusieurs, la femme qui a préservé ma flotte ?

hrimgerd.

28. Elles étaient trois bandes de neuf chacune, mais une vierge chevauchait à leur tête ; elle était blanche sous le casque. Les chevaux secouèrent leur crinière, la rosée tomba dans les vallées profondes, et la grêle sur les arbres élevés ; il viendra ensuite de bonnes années sur la terre. Tout ce que je vis alors est repoussant pour moi.

atle.

29. Regarde à l’orient, Hrimgerd, car Helge t’a frappé à mort par son discours : la flotte du roi est protégée sur mer et du côté de terre ; il en est de même pour les hommes de son armée.

30. Il fait jour maintenant, Hrimgerd ; Atle t’a retenu pour te faire perdre ton temps ; de singuliers indices de port se montrent dans la pierre sur laquelle tu te tiens.

(Le roi Helge était un grand général. Il alla trouver le roi Eylime et lui demanda sa fille. Helge et Svava firent échange de promesse et s’aimèrent admirablement. Svava était chez son père et Helge à l’armée ; Svava continua à être une valkyrie. Hedinn habitait chez son père le roi Ujœrvard, en Norwége. Il revint, une veille de Noël, en voiture et seul de la forêt ; il rencontra une sorcière à cheval sur un loup, avec des aigles pour brides. Elle offrit à Hedinn de lui tenir compagnie. Non, répondit-il. — Tu me payeras ce refus, lors des santés de Brage, reprit la sorcière. Les promesses eurent lieu le soir. Le cochon de lait du sacrifice fut amené, les hommes posèrent les mains dessus et firent des promesses en tenant les coupes de Brage pleines. Hedinn jura de posséder Svava, fille du roi Eylime et la bien-aimée de son frère. Il éprouva un si grand repentir d’avoir fait cette promesse, qu’il partit, se dirigea vers les pays du sud et rejoignit son frère.)

helge chanta.

31. Sois le bienvenu, Hedinn ; donne-nous des nouvelles de la Norwége. D’où vient que tu as été chassé du pays, et que tu arrives seul ici ?

hedinn.

32. Un plus grand malheur encore m’est survenu. Mon choix s’est arrêté, tandis que je tenais la coupe de Brage, sur la jeune fille royale ta fiancée.

helge.

33. Ne t’accuse point, Hedinn ! les promesse faites en buvant s’accompliront à notre égard. Le chef m’a défié dans la plaine au bout de trois nuits. Je m’y rendrai, mais mon retour est incertain ; profite de ce qui pourra arriver.

hedinn.

34. Tu as dit, Helge, que Hedinn méritait de ta part du bien et de grands présents ; il serait plus convenable pour toi de teindre ton glaive dans le sang que de donner la paix à ton ennemi.

(Helge chanta ainsi, car il pressentait sa mort, et que les esprits, ses compagnons, avaient fait visite à Hedinn en voyant la sorcière chevaucher sur le loup.

Ali, fils du roi Hrodmar, avait provoqué Helge à une bataille à Sigarsvall trois jours après, et Helge chanta.)

35. Lorsque la nuit fut venue, une femme montée sur un loup demanda à Helge la permission de le suivre ; elle savait que le fils de Sigurlinn succomberait à Sigarsvall.

(Il y eut une grande bataille, où Helge fut blessé mortellement.)

36. Helge envoya Sigar à cheval vers la fille unique d’Eylime, pour la prier de se hâter, si elle voulait trouver le roi en vie.

sigard.

37. Helge m’envoie te parler en personne, Svava. Le prince dit qu’il veut te voir avant de rendre l’esprit.

svava.

38. Qu’est-il arrivé à Helge, le fils de Hjœrvard ? Un chagrin affreux est venu m’assaillir ! La mer l’ aurait-elle trahi, ou bien un glaive l’aurait-il atteint ? Je le vengerai.

sigar.

39. Helge est tombé ce matin auprès de la pierre de Freka ; c’était le meilleur roi qui fût sous le soleil. Alf pourra disposer maintenant de la victoire ; cependant elle lui sera moins nécessaire cette fois.

helge à Svava.

40. Honneur à toi, Svava ! calme ton chagrin ; cette rencontre est probablement la dernière que nous aurons dans ce monde. On demande si la plaie du roi saigne ; le glaive s’est un peu trop approché de mon cœur. 41. Je t’en prie, Svava, ma fiancée…… ne pleure pas si tu veux entendre mes paroles : prépare le lit nuptial pour Hedinn, et donne ton amour à ce jeune prince.

svava.

42. J’avais promis mon amour dans un temps meilleur et lorsque Helge choisissait des anneaux près de moi. Après la mort de mon prince, ce ne sera pas sans violence qu’un roi inconnu me pressera dans ses bras.

helge.

43. Embrasse-moi, Svava !

svava.

Je ne reviendrai pas dans le pays troublé, ni sur les remparts de Rœdul, que je n’aie vengé le fils de Hjoervard, le meilleur roi qui fût sous le soleil.

On dit que Helge et Svava naquirent une seconde fois. Voyez la fin du cinquième chant.


  1. La Souabe. (Tr.)