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L’Encyclopédie/1re édition/ANAGRAMME

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 397-398).
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* ANAGRAMME, s. f. (Belles-Lettres.) transposition des lettres d’un nom avec un arrangement ou combinaison de ces mêmes lettres, d’où il résulte un sens avantageux ou desavantageux à la personne à qui appartient ce nom. Voyez Nom.

Ce mot est formé du grec ἀνὰ, en arriere, & de γράμμα, lettre, c’est-à-dire, lettre transposée ou prise à rebours.

Ainsi l’anagramme de logica est caligo, celle de Lorraine, alérion, & l’on dit que c’est pour cela que la Maison de Lorraine porte des alérions dans ses armes. Calvin à la tête de ses Institutions imprimées à Strasbourg en 1539, prit le nom d’Alcuinus, qui est l’anagramme de Calvinus, & le nom d’Alcuin, cet Anglois qui se rendit si célebre en France par sa doctrine sous le regne de Charlemagne.

Ceux qui s’attachent scrupuleusement aux regles dans l’anagramme, prétendent qu’il n’est pas permis de changer une lettre en une autre, & n’en exceptent que la lettre aspirée h. D’autres moins timides prennent plus de licence, & croyent qu’on peut quelquefois employer e pour œ, v pour w, s pour z, c pour k, & réciproquement ; enfin qu’il est permis d’omettre ou de changer une ou deux lettres en d’autres à volonté : & l’on sent qu’avec tous ces adoucissemens on peut trouver dans un mot tout ce qu’on veut.

L’anagramme n’est pas fort ancienne chez les Modernes ; on prétend que Daurat poëte françois, du tems de Charles IX, en fut l’inventeur : mais comme on vient de le dire, Calvin l’avoit précédé à cet égard ; & l’on trouve dans Rabelais, qui écrivoit sous François I. & sous Henri II, plusieurs anagrammes. On croit aussi que les Anciens s’appliquoient peu à ces bagatelles ; cependant Lycophron qui vivoit du tems de Ptolomée Philadelphe, environ 280 ans avant la naissance de Jesus-Christ, avoit fait preuve de ses talens à cet égard, en trouvant dans le nom de Ptolomée Πτολέμαιος, ces mots ἀπὸ μελίτος, du miel, pour marquer la douceur du caractere de ce Prince ; & dans celui de la Reine Arsinoé, Αρσινοὴ, ceux-ci ἴον ἡρᾶς, violette de Junon. Ces découvertes étoient bien dignes de l’auteur le plus obscur & le plus entortillé de toute l’antiquité.

Les Cabalistes, parmi les Juifs, font aussi usage de l’anagramme : la troisieme partie de leur art qu’ils appellent themura, c’est-à-dire, changement, n’est que l’art de faire des anagrammes, & de trouver par-là dans les noms des sens cachés & mystérieux. Ce qu’ils exécutent en changeant, transportant ou combinant différemment les lettres de ces noms. Ainsi, de נח qui sont les lettres du nom de Noé, ils font חנ qui signifie grace, & dans משיח, le Messie, ils trouvent ces mots ישמח, il se réjoüira.

Il y a deux manieres principales de faire des anagrammes : la premiere consiste à diviser un simple mot en plusieurs ; ainsi sustineamus contient sus-tinea-mus. C’est ce qu’on appelle autrement rebus ou logogryphe. Voyez Logogryphe.

La seconde est de changer l’ordre & la situation des lettres, comme dans Roma, on trouve amor, mora & maro. Pour trouver toutes les anagrammes que chaque nom peut admettre par algebre, voyez l’article Combinaison.

On ne peut nier qu’il n’y ait des anagrammes heureuses & fort justes : mais elles sont extremement rares : telle est celle qu’on a mise en réponse à la question que fit Pilate à Jesus-Christ, Quid est veritas ? rendue lettre pour lettre par cette anagramme, Est vir qui adest, qui convenoit parfaitement à celui qui avoit dit de lui-même, ego sum via, veritas, &c. Telle est encore celle qu’on a imaginée sur le meurtrier d’Henri III, Frere Jacques Clement, & qui porte, c’est l’enfer qui m’a créé.

Outre les anciennes especes d’anagrammes, on en a inventé de nouvelles, comme l’anagramme mathématique imaginée en 1680, par laquelle l’Abbé Catelan trouva que les huit lettres de Louis XIV. faisoient vrai héros.

On a encore une espece d’anagramme numérale, nommée plus proprement chronogramme, où les lettres numérales, c’est-à-dire, celles qui dans l’arithmétique Romaine tenoient lieu de nombre, prises ensemble selon leur valeur numérale, expriment quelqu’époque : telle est ce distique de Godart sur la naissance de Louis XIV. en 1638, dans un jour où l’aigle se trouvoit en conjonction avec le cœur du lion.

EXorIens DeLphIn aqVILa CorDIsqVe LeonIs
CongressV gaLLos spe LatItIâqVe refeCIt,

dont toutes les lettres majuscules rassemblées forment en chiffre Romain, M DC XXXVIII ou 1638.