L’Encyclopédie/1re édition/NOM

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NOM, s. m. (Métaph. Gram.) ce mot nous vient, sans contredit, du latin nomen ; & celui-ci réduit à sa juste valeur, conformément aux principes établis à l’article Formation, veut dire men quod notat, signe qui fait connoître, ou notans men, & par syncope notamen, puis nomen. S. Isidore de Séville indique assez clairement cette étymologie dans ses origines, & en donne tout-à-la-fois une excellente raison : nomen dictum quasi notamen, quòd nobis vocabulo suo notas efficiat ; nisi enim nomen scieris, cognitio rerum perit, lib. I. cap. vj. Cette définition du mot est d’autant plus recevable, qu’elle est plus approchante de celle de la chose : car les noms sont des des mots qui présentent à l’esprit des êtres déterminés par l’idée précise de leur nature ; ce qui est effectivement donner la connoissance des êtres. Voyez Mot, art. 1.

On distingue les noms, ou par rapport à la nature même des objets qu’ils désignent, ou par rapport à la maniere dont l’esprit envisage cette nature des êtres.

1. Par rapport à la nature même des objets désignés, on distingue les noms en substantifs & abstractifs.

Les noms substantifs sont ceux qui désignent des êtres qui ont ou qui peuvent avoir une existence propre & indépendante de tout sujet, & que les Philosophes appellent des substances, comme Dieu, ange, ame, animal, homme, César, plante, arbre, cerisier, maison, ville, eau, riviere, mer, sable, pierre, montagne, terre, &c. Voyez Substance.

Les noms abstractifs sont ceux qui désignent des êtres dont l’existence est dépendante de celle d’un sujet en qui ils existent, & que l’esprit n’envisage en soi, & comme jouissant d’une existence propre, qu’au moyen de l’abstraction ; ce qui fait que les Philosophes les appellent des êtres abstraits ; comme tems, éternité, mort, vertu, prudence, courage, combat, victoire, couleur, figure, pensée, &c. Voyez Abstraction.

La premiere & la plus ordinaire division des noms est celle des substantifs & des adjectifs. Mais j’ai déja dit un mot (art. Genre) sur la méprise des Grammairiens à cet égard ; & j’avois promis de discuter ici plus profondement cette question. Il me semble cependant que ce seroit ici une véritable disgression, & qu’il est plus convenable de renvoyer cet examen au mot Substantif, où il sera placé naturellement.

II. Par rapport à la maniere dont l’esprit envisage la nature des êtres, on distingue les noms en appellatifs & en propres.

Les noms appellatifs sont ceux qui présentent à l’esprit des êtres déterminés par l’idée d’une nature commune à plusieurs : tels sont homme, brute, animal, dont le premier convient à chacun des individus de l’espece humaine ; le second, à chacun des individus de l’espece des brutes ; & le troisieme, à chacun des individus de ces deux especes.

Les noms propres sont ceux qui présentent à l’esprit des êtres déterminés par l’idée d’une nature individuelle : tels sont Louis, Paris, Meuse, dont le premier désigne la nature individuelle d’un seul homme ; le second, celle d’une seule ville ; & le troisieme, celle d’une seule riviere.

§. I. Il est essentiel de remarquer deux choses dans les noms appellatifs ; je veux dire la compréhension de l’idée, & l’étendue de la signification.

Par la compréhension de l’idée, il faut entendre la totalité des idées partielles, qui constituent l’idée entiere de la nature commune indiquée par les noms appellatifs : par exemple, l’idée entiere de la nature humaine, qui est indiquée par le nom appellatif homme, comprend les idées partielles de corps vivant & d’ame raisonnable ; celles ci en renferment d’autres qui leur sont subordonnées, par exemple, l’idée d’ame raisonnable suppose les idées de substance, d’unité, d’intelligence, de volonté, &c. La totalité de ces idées partielles, paralleles ou subordonnées les unes aux autres, est la compréhension de l’idée de la nature commune exprimée par le nom appellatif homme.

Par l’étendue de la signification, on entend la totalité des individus en qui se trouve la nature commune indiquée par les noms appellatifs : par exemple, l’étendue de la signification du nom appellatif homme, comprend tous & chacun des individus de l’espece humaine, possibles ou réels, nés ou à naître ; Adam, Eve, Assuérus, Esther, César, Calpurnie, Louis, Therese, Daphnis, Chloé, &c.

Sur quoi il faut observer qu’il n’existe réellement dans l’univers que des individus ; que chaque individu a sa nature propre & incommunicable ; & conséquemment qu’il n’existe point en effet de nature commune, telle qu’on l’envisage dans les noms appellatifs. C’est une idée factice que l’esprit humain compose en quelque sorte de toutes les idées des attributs semblables qu’il distingue par abstraction dans les individus. Moins il entre d’idées partielles dans celle de cette nature factice & abstraite, plus il y a d’individus auxquels elle peut convenir ; & plus au contraire il y entre d’idées partielles, moins il y a d’individus auxquels la totalité puisse convenir. Par exemple, l’idée de figure convient a un plus grand nombre d’individus que celle de triangle, de quadrilatere, de pentagone, d’exagone, &c. parce que cette idée ne renferme que les idées partielles d’espace, de bornes, de côtés, & d’angles, qui se retrouvent dans toutes les especes que l’on vient de nommer ; au lieu que celle de triangle, qui renferme les mêmes idées partielles, comprend encore l’idée précise de trois côtés & de trois angles : l’idée de quadrilatere, outre les mêmes idées partielles, renferme de plus celle de quatre côtés & de quatre angles, &c. d’où il suit d’une maniere très-évidente que l’étendue & la compréhension des noms appellatifs sont, si je puis le dire, en raison inverse l’une de l’autre, & que tout changement dans l’une suppose dans l’autre un changement contraire. D’où il suit encore que les noms propres, déterminant les êtres par une nature individuelle, & ne pouvant convenir qu’à un seul individu, ont l’étendue la plus restrainte qu’il soit possible de concevoir, & conséquemment la compréhension la plus complexe & la plus grande.

Ici se présente bien naturellement une objection, dont la solution peut répandre un grand jour sur la matiere dont il s’agit. Comme il n’existe que des êtres individuels & singuliers, & que les noms doivent présenter à l’esprit des êtres déterminés par l’idée de leur nature ; il semble qu’il ne devroit y avoir dans les langues que des noms propres, pour déterminer les êtres par l’idée de leur nature individuelle : & nous voyons cependant qu’il y a au contraire plus de noms appellatifs que de propres. D’où vient cette contradiction ? Est-elle réelle ? N’est-elle qu’apparente ?

1°. S’il falloit un nom propre à chacun des individus réels ou abstraits qui composent l’univers physique ou intellectuel ; aucune intelligence créée ne seroit capable, je ne dirai pas d’imaginer, mais seulement de retenir la totalité des noms qui entreroient dans cette nomenclature. Il ne faut qu’ouvrir les yeux pour concevoir qu’il s’agit d’une infinité réelle, qui ne peut être connue en detail que par celui qui numerat multitudinem stellarum, & omnibus eis nomina vocat. Ps. cxivj. 4. D’ailleurs la voix humaine ne peut fournir qu’un nombre assez borné de sons & d’articulations simples ; & elle ne pourroit fournir à l’infinie nomenclature des individus qu’en multipliant à l’infini les combinaisons de ces élemens simples : or, sans entrer fort avant dans les profondeurs de l’infini, imaginons seulement quelques milliers de noms composés de cent mille syllabes, & voyons ce qu’il faut penser d’un langage qui de quatorze ou quinze de ces noms rempliroit un volume semblable à celui que le lecteur a actuellement sous les yeux.

2°. L’usage des noms propres suppose déja une connoissance des individus, sinon détaillée & approfondie, du moins très-positive, très-précise, & à la portée de ceux qui parlent, & de ceux à qui l’on parle. C’est pour cela que les individus que la société a intérêt de connoître, & qu’elle connoît plus particulierement, y sont communément désignés par des noms propres, comme les empires, les royaumes, les provinces, les régions, certaines montagnes, les rivieres, les hommes, &c. Si la distinction précise des individus est indifférente, on se contente de les désigner par des noms appellatifs ; ainsi chaque grain de sable est un grain de sable, chaque perdrix est un perdrix, chaque étoile est une étoile, chaque cheval est un cheval, &c. voilà l’usage de la société nationale, parce que son intérêt ne va pas plus loin. Mais chaque société particuliere comprise dans la nationale a ses intérêts plus marqués & plus détaillés ; la connoissance des individus d’une certaine espece y est plus nécessaire ; ils ont leurs noms propres dans le langage de cette société particuliere : montez à l’observatoire ; chaque étoile n’y est plus une étoile tout simplement, c’est l’étoile β du capricorne, c’est le γ du centaure, c’est le ζ de la grande ourse, &c. entrez dans un manege, chaque cheval y a son nom propre, le brillant, le lutin, le fougueux, &c. chaque particulier établit de même dans son écurie une nomenclature propre ; mais il ne s’en sert que dans son domestique, parce que l’intérêt & le moyen de connoître individuellement n’existent plus hors de cette sphere. Si l’on ne vouloit donc admettre dans les langues que des noms propres, il faudroit admettre autant de langues différentes que de sociétés particulieres ; chaque langue seroit bien pauvre, parce que la somme des connoissances individuelles de chaque petite société n’est qu’un infiniment petit de la somme des connoissances individuelles possibles ; & une langue n’auroit avec une autre aucun moyen de communication, parce que les individus connus d’une part ne seroient pas connus de l’autre.

3°. Quoique nos véritables connoissances soient essentiellement fondées sur des idées particulieres & individuelles, elles supposent pourtant essentiellement des vûes générales. Qu’est-ce que généraliser une idée C’est la séparer par la pensée de toutes les autres avec lesquelles elle se trouve associée dans tel & tel individu, pour la considérer à part & l’approfondir mieux (voyez Abstraction) ; & ce sont des idées ainsi abstraites que nous marquons par les mots appellatifs. Voyez Appellatif. Ces idées abstraites étant l’ouvrage de l’entendement humain sont aisément saisies par tous les esprits ; & en les rapprochant les unes des autres, nous parvenons, par la voie de la synthèse, à composer en quelque sorte les idées moins générales ou même individuelles qui sont l’objet de nos connoissances, & à les transmettre aux autres au moyen des signes généraux & appellatifs combinés entre eux comme les idées simples dont ils sont les signes. Voyez Générique. Ainsi l’abstraction analyse en quelque maniere nos idées individuelles en les réduisant à des idées élémentaires que l’on peut appeller simples par rapport à nous ; le nombre n’en est pas à beaucoup près si prodigieux que celui des diverses combinaisons qui en résultent & qui caractérisent les individus, & par-là elles peuvent devenir l’objet d’une nomenclature qui soit à la portée de tous les hommes. S’agit-il ensuite de communiquer ses pensées, le langage a recours à la synthèse, & combine les signes des idées élémentaires comme les idées mêmes doivent être combinées ; le discours devient ainsi l’image exacte des idées complexes & individuelles, & l’étendue vague des noms appellatifs se détermine plus ou moins, même jusqu’à l’individualité, selon les moyens de détermination que l’on juge à propos ou que l’on a besoin d’employer.

Or il y a deux moyens généraux de déterminer ainsi l’étendue de la signification des noms appellatifs.

Le premier de ces moyens porte sur ce qui a été dit plus haut, que la compréhension & l’étendue sont en raison inverse l’une de l’autre, & que l’étendue individuelle, la plus restrainte de toutes, suppose la compréhension la plus grande & la plus complexe. Il consiste donc à joindre avec l’idée générale du nom appellatif, une ou plusieurs autres idées, qui devenant avec celle-là parties élémentaires d’une nouvelle idée plus complexe, présenteront à l’esprit un concept d’une compréhension plus grande, & conséquemment d’une étendue plus petite.

Cette addition peut se faire, 1°. par un adjectif physique, comme, un homme savant, des hommes pieux, où l’on voit un sens plus restraint que si l’on disoit simplement un homme, des hommes : 2°. par une proposition incidente qui énonce un attribut sociable avec la nature commune énoncée par le nom appellatif ; par exemple, un homme que l’ambition dévore, ou dévoré par l’ambition, des hommes que la patrie doit chérir.

Le second moyen ne regarde aucunement la compréhension de l’idée genérale, il consiste seulement à restraindre l’étendue de la signification du nom appellatif, par l’indication de quelque point de vûe qui ne peut convenir qu’à une partie des individus.

Cette indication peut se faire, 1°. par un adjectif métaphysique partitif qui désigneroit une partie indéterminée des individus, quelques hommes, certains hommes, plusieurs hommes : 2°. par un adjectif numérique qui désigneroit une quotité précise d’individus, un homme, deux hommes, mille hommes : 3°. par un adjectif possessif qui caractériseroit les individus par un rapport de dependance, meus ensis, tuus ensis, Evandrius ensis : 4°. par un adjectif démonstratif qui fixeroit les individus par un rapport d’indication précise, ce livre, cette femme, ces hommes : 5°. par un adjectif ordinal qui spécifieroit les individus par un rapport d’ordre, le second tome, chaque troisieme année : 6°. par l’addition d’un autre nom ou d’un pronom qui seroit le terme de quelque rapport, & qui seroit annoncé comme tel par les signes autorisés dans la syntaxe de chaque langue, la loi de Moïse en françois, lex Mosis en latin, thorath Mosché en hébreu, comme si l’on disoit en latin legis Moïses ; chaque langue a ses idiotismes : 7°. par une proposition incidente, qui sous une forme plus développée rendroit quelqu’un de ces points de vûe, l’homme ou les hommes dont je vous ai parlé, l’épée que vous avez reçue du roi, le volume qui m’appartient, &c.

On peut même, pour déterminer entierement un nom appellatif, réunir plusieurs des moyens que l’on vient d’indiquer. Que l’on dise, par exemple, j’ai lû deux excellens ouvrages de Grammaire composés par M. du Marsais ; le nom appellatif ouvrages est déterminé par l’adjectif numérique deux, par l’adjectif physique excellens, par la relation objective que désignent ces deux mots, de Grammaire, & par la relation causative indiquée par ces autres mots, composés par M. du Marsais. C’est qu’il est possible qu’une premiere idée déterminante, en restraignant la signification du nom appellatif, la laisse encore dans un état de généralité, quoique l’étendue n’en soit plus si grande. Ainsi excellens ouvrages, cette expression présente une idée moins générale qu’ouvrages, puisque les médiocres & les mauvais sont exclus ; mais cette idée est encore dans un état de généralité susceptible de restriction : excellens ouvrages de Grammaire, voilà une idée plus restrainte, puisque l’exclusion est donnée aux ouvrages de Théologie, de Jurisprudence, de Morale, de Mathématique, &c. deux excellens ouvrages de Grammaire ; cette idée totale est encore plus déterminée, mais elle est encore générale, malgré la précision numérique, qui ne fixe que la quantité des individus sans en fixer le choix ; deux excellens ouvrages de Grammaire composés par M. du Marsais, voici une plus grande détermination, qui exclut ceux de Lancelot, de Sanctius, de Scioppius, de Vossius, de l’abbé Girard, de l’abbé d’Olivet, &c. La détermination pourroit devenir plus grande, & même individuelle, en ajoutant quelque autre idée à la compréhension, ou en restraignant l’idée à quelque autre point de vûe.

C’est par de pareilles déterminations que les noms appellatifs devenant moins généraux par degrés, se soudivisent en génériques & en spécifiques, & sont envisagés quelquefois sous l’un de ces aspects, & quelquefois sous l’autre, selon que l’on fait attention à la totalité des individus auxquels ils conviennent, ou à une totalité plus grande dont ceux-ci ne sont qu’une partie distinguée par l’addition déterminative. Voyez Appellatif & Générique.

§ 2. Pour ce qui est des noms propres, c’est en vertu d’un usage postérieur qu’ils acquierent une signification individuelle ; car on peut regarder comme un principe général, que le sens étymologique de ces mots est constamment appellatif. Peut-être en trouveroit-on plusieurs sur lesquels on ne pourroit vérifier ce principe, parce qu’il seroit impossible d’en assigner la premiere origine ; mais pour la même raison on ne pourroit pas prouver le contraire : au-lieu qu’il n’y a pas un seul nom propre dont on puisse assigner l’origine, dans quelque langue que ce soit, que l’on n’y retrouve une signification appellative & générale.

Tout le monde sait qu’en hébreu tous les noms propres de l’ancien Testament sont dans ce cas : on peut en voir la preuve dans une table qui se trouve à la fin de toutes les éditions de la Bible vulgate, dans laquelle entre autres exemples on trouve que Jacob signifie supplantator ; mais il faut prendre garde de s’imaginer que ce patriarche fut ainsi nommé, parce qu’il surprit à son frere son droit d’aînesse, la maniere dont il vint au monde en est l’unique fondement ; il tenoit son frere par le talon, il avoit la main sub plantâ, & le nom de Jacob ne signifie rien autre chose. Oter à quelqu’un par finesse la possession d’une chose, ou l’empêcher de l’obtenir, c’est agir comme celui qui naquit ayant la main sous la plante du pié de son frere ; de-là le verbe supplanter, en dérivant ce mot des deux racines latines subplantâ, qui répondent aux racines hébraïques du nom de Jacob, parce que Jacob trompa ainsi son frere : il pouvoit arriver que nous allassions puiser jusques-la ; & dans ce cas nous aurions dit jacober ou jacobiser, aulieu de supplanter, ce qui auroit signifié de même tromper, comme Jacob trompa Esaü.

C’étoit la même chose en grec : Alexandre, Ἀλέξανδρος, fortis auxiliator ; Aristote, Ἀριστότελης, ad optimum finem, d’ἄριστος, optimus, & de τέλος, finis ; Νικόλαος, victor populi, de νικάω, vinco, & de λαός, populus ; Philippe, Φιλιππος, amator equorum, de φιλέω, amo, & de ἵππος, equus ; Achéron (fleuve d’enfer), fluvius doloris, de ἄχος, dolor, & de ῥόος, fluvius ; Afrique, sine frigore, d’α privatif, & de φρίκη, frigus ; Ethiopie (région très-chaude en Afrique), d’αἴθω, uro, & de ὤψ, vultus ; Naples, Νεάπολις, nova urbs, de νεος, novus, & de πόλις, urbs, &c.

Les noms propres des Latins étoient encore dans le même cas : Lucius vouloit dire cum luce natus, au point-du-jour ; Tiberius, né près du Tibre ; Servius, né esclave ; Quintus, Sextus, Octavius, Nonnius, Decimus, sont évidemment des adjectifs ordinaux, employés à caractériser les individus d’une même famille par l’ordre de leur naissance, &c.

Il y a tant de noms de famille dans notre langue qui ont une signification appellative, que l’on ne peut douter que ce ne soit la même chose dans tous les idiomes, & une suggestion de la nature : le Noir, le Blanc, le Rouge, le Maître, Desormeaux, Sauvage, Moreau, Potier, Portail, Chrétien, Hardi, Marchand, Maréchal, Coutelier, &c. & c’est encore la même chose chez nos voisins : on trouve des allemands qui s’appellent Wolf, le Loup ; Schwartz, le Noir ; Meïer, le Maire ; Fiend, l’Ennemi, &c.

Cette généralité de la signification primitive des noms propres pouvoit quelquefois faire obstacle à la distinction individuelle qui étoit l’objet principal de cette espece de nomenclature, & l’on a cherché par-tout à y remédier. Les Grecs individualisoient le nom propre par le génitif de celui du pere ; Ἀλέξανδρος ὁ Φιλίππου, en sous-entendant υἱός, Alexander Philippi, suppl. filius, Alexandre fils de Philippe. Nos ancêtres produisoient le même effet par l’addition du nom du lieu de la naissance ou de l’habitation, Antoine de Pade ou de Padoue, Thomas d’Aquin ; ou par l’adjectif qui désignoit la province, Lyonnois, Picard, le Normand, le Lorrain, &c. ou par le nom appellatif de la profession, Drapier, Teinturier. Marchand, Maréchal, Lavocat, &c. ou par un sobriquet qui désignoit quelque chose de remarquable dans le sujet, le Grand, le Petit, le Roux, le Fort, Voisin, Ronfleur, le Nain, le Bossu, le Camus, &c. & c’est l’origine la plus probable des noms qui distinguent aujourd’hui les familles.

Les Romains, dans la même intention, accumuloient jusqu’à trois ou quatre dénominations, qu’ils distinguoient en nomen, prænomen, cognomen, & agnomen.

Le nom proprement dit étoit commun à tous les descendans d’une même maison, gentis, & à toutes ses branches ; Julii, Antonii, &c. c’étoit probablement le nom propre du premier auteur de la maison, puisque les Jules descendoient d’Iulus, fils d’Enée, ou le prétendoient.

Le surnom étoit destiné à caractériser une branche particuliere de la maison, familiam ; ainsi les Scipions, les Lentulus, les Dolabella, les Sylla, les Cinna, étoient autant de branches de la maison des Corneilles, Cornelii. On distinguoit deux sortes de surnoms, l’un appellé cognomen, & l’autre agnomen. Le cognomen distinguoit une branche d’une autre branche parallele de la même maison ; l’agnomen caractérisoit une soudivision d’une branche : l’un & l’autre étoit pris ordinairement de quelque évenement remarquable qui distinguoit le chef de la division ou de la soudivision. Scipio étoit un surnom, cognomen, d’une branche cornélienne ; Africanus fut un surnom, agnomen, du vainqueur de Carthage, & seroit devenu l’agnomen de sa descendance, qui auroit été distinguée ainsi de celle de son frere, qui auroit porté le nom d’Asiaticus.

Pour ce qui est du prénom, c’étoit le nom individuel de chaque enfant d’une même famille : ainsi les deux freres Scipions dont je viens de parler, avant qu’on les distinguât par l’agnomen honorable que la voix du peuple accorda à chacun d’eux, étoient distingués par les prénoms de Publius & de Lucius ; Publius fut surnommé l’Afriquain, Lucius fut surnommé l’Asiatique. La dénomination de prænomen vient de ce qu’il se mettoit à la tête des autres, immédiatement avant le nom, qui étoit suivi du cognomen, & ensuite de l’agnomen. P. Cornelius Scipio Africanus ; L. Cornelius Scipio Asiaticus. Les adoptions, & dans la suite des tems la volonté des empereurs, occasionnerent quelques changemens dans ce système qui est celui de la république. Voyez la Méthode latine de P. R. sur cette matiere, au chap. j. des Observations particulieres.

§ 3. Pour ne rien laisser à desirer sur ce qui peut intéresser la Philosophie à l’égard des noms appellatifs & des noms propres, il faut nous arrêter un moment sur ce qui regarde l’ordre de la génération de ces deux especes.

« Il y a toute apparence, dit l’abbé Girard (Princ. tom. I. disc. v. pag. 219.) que le premier but qu’on a eu dans l’établissement des substantifs, a été de distinguer les sortes ou les especes dans la variété que l’univers présente, & que ce n’a été qu’au second pas qu’on a cherché à distinguer dans la multitude les êtres particuliers que l’espece renferme ».

M. Rousseau de Genève, dans son Discours sur l’origine & les fondemens de l’inégalité parmi les hommes (partie prem.) adopte un système tout opposé. « Chaque objet, dit-il, reçut d’abord un nom particulier, sans égard aux genres & aux especes, que ces premiers instituteurs n’étoient pas en état de distinguer ; & tous les individus se présenterent isolés à leur esprit comme ils le sont dans le tableau de la nature. Si un chêne s’appelloit A, un autre s’appelloit B… Les premiers substantifs n’ont pû jamais être que des noms propres ». L’auteur de la Lettre sur les sourds & muets est de même avis (pag. 4.) & Scaliger long-tems auparavant s’en étoit expliqué ainsi : Qui nomen imposuit rebus, individua nota priùs habuit quàm species. De caus. L. L. lib. IV. cap. xcj.

On ne doit pas être surpris que cette question ait fixé l’attention des Philosophes : la nomenclature est la base de tout langage ; les noms & les verbes en sont les principales parties. Cependant il me semble que les tentatives de la Philosophie ont eu à cet égard bien peu de succès, & que ni l’un ni l’autre des deux systèmes opposés ne résout la question d’une maniere satisfaisante.

Ce que l’on vient de remarquer sur l’étymologie des noms propres dans tous les idiomes connus, où il est constant qu’ils sont tous tirés de notions générales adaptées par accident à des individus, paroît confirmer la pensée de l’abbé Girard, que le premier objet de la nomenclature fut de distinguer les sortes ou les especes, & que ce ne fut qu’au second pas que l’on pensa à distinguer les individus compris sous chaque espece. Mais, comme le remarque très-bien M. Rousseau (loc. cit.) « pour ranger les êtres sous des dénominations communes & génériques, il en falloit connoître les propriétés & les différences ; il falloit des observations & des définitions, c’est-à-dire, de l’histoire naturelle & de la métaphysique, beaucoup plus que des hommes de ce tems-là n’en pouvoient avoir ».

Toute réelle & toute solide que cette difficulté peut être contre l’assertion de l’académicien, elle ne peut pas établir l’opinion du philosophe génevois. Il est lui-même obligé de convenir qu’il ne conçoit pas les moyens par lesquels les premiers nomenclateurs commencerent à étendre leurs idées & à généraliser leurs mots. C’est qu’en effet quelque système de formation qu’on imagine en supposant l’homme né muet, on ne peut qu’y rencontrer des difficultés insurmontables, & se convaincre de l’impossibilité que les langues ayent pû naître & s’établir par des moyens purement humains.

Le seul système qui puisse prévenir les objections de toute espece, est celui que j’ai établi au mot Langue (article j.) que Dieu donna tout-à-la-fois à nos premiers peres la faculté de parler & une langue toute faite. D’où il suit qu’il n’y a aucune priorité d’existence entre les deux especes de noms, quoique quelques appellatifs ayent cette priorité à l’égard de plusieurs noms propres : cependant il est certain que l’espece des noms propres doit avoir la priorité de nature à l’égard des appellatifs, parce que nos connoissances naturelles étant toutes expérimentales doivent commencer par les individus, qu’ils sont même les seuls objets réels de nos connoissances, & que les généralités, les abstractions ne sont pour ainsi dire que le méchanisme de notre raisonnement, & un artifice pour tirer partie de notre mémoire. Mais autre est notre maniere de penser, & autre la maniere de communiquer nos pensées. Pour abréger la communication, nous partons du point où nous sommes arrivés par degrés, & nous retournons de l’idée la plus simple à la plus composée par des additions successives qui ménagent la vûe de l’esprit ; c’est la méthode de synthèse : pour acquérir ces notions, avant que de les communiquer, il nous a fallu décomposer les idées complexes pour parvenir aux plus simples qui sont & les plus générales & les plus faciles à saisir ; c’est la méthode d’analyse. Voyez Générique.

Ainsi, les mots qui ont la priorité dans l’ordre analytique, sont postérieurs dans l’ordre synthétique. Mais comme ces deux ordres sont inséparables, parce que parler & penser sont liés de la même maniere ; que parler c’est, pour ainsi dire, penser extérieurement, & que penser c’est parler intérieurement ; le Créateur en formant les hommes raisonnables, leur donna ensemble les deux instrumens de la raison, penser & parler : & si l’on sépare ce que le Créateur a uni si étroitement, on tombe dans des erreurs opposées, selon que l’on s’occupe de l’un des deux exclusivement à l’autre.

Les noms, de quelque espece qu’ils soient, sont susceptibles de genres, de nombres, de cas, & conséquemment soumis à la déclinaison : il suffit ici d’en faire la remarque, & de renvoyer aux articles qui traitent chacun de ces points grammaticaux.

(B. E. R. M.)

Nom, (Hist. génér.) appellation distinctive d’une race, d’une famille, & des individus de l’un & de l’autre sexe dans chaque famille.

On distingue en général deux sortes de noms parmi nous, le nom propre, & le nom de famille. Le nom propre, ou le nom de baptême, est celui que l’on met devant le surnom ou le nom de famille : comme Jean, Pierre, Louis, pour les hommes : Susanne, Thérese, Elisabeth, pour les femmes. Voyez Nom de baptême.

Le nom de famille est le nom qui appartient à toute la race, à toute la famille, qui se continue de pere en fils, & passe à toutes les branches ; tel est le nom de Bourbon. Il répond au patronymique des Grecs ; par exemple les descendans d’Eaque se nommoient Eacides. Les Romains appelloient ces noms généraux qui se donnent à toute la race, gentilitia.

Nous n’avons que des connoissances incertaines sur l’origine des noms & des surnoms ; & l’ouvrage de M. Gilles-André de la Roque, imprimé à Paris en 1681, in-12. n’a point débrouillé ce cahos par des exemples précis tirés de l’Histoire. Son livre est d’ailleurs d’une sécheresse ennuyeuse.

Dans les titres au dessus de l’an 1000, on ne trouve guere les personnes désignées autrement que par leur nom propre ou de baptême ; c’est de-là peut-être que les prélats ont retenu l’usage de ne signer que leur nom propre avec celui de leur évêché, parce que durant les siecles précédens on ne voyoit point d’autres souscriptions dans les conciles. Le commun peuple d’Angleterre n’avoit point de nom de famille ou de surnom avant le regne d’Edouard I. qui monta sur le trône en 975. Plusieurs familles n’en ont point encore dans le Holstein & dans quelques autres pays, où l’on n’est distingué que par le nom de baptême & par celui de son pere : Jacques, fils de Jean ; Pierre, fils de Paul.

On croit que les surnoms ou noms de famille ont commencé de n’être en usage en France que vers l’an 987, sur la fin de la lignée des Carlovingiens, où les nobles de France prirent des surnoms de leurs principaux fiefs, ou bien imposerent leurs noms à leurs fiefs, & même avec un usage fort confus. Les bourgeois & les serfs qui n’étoient pas capables de fief, prirent leurs surnoms du ministere auquel ils étoient employés, des lieux, des métairies qu’ils habitoient, des métiers qu’ils exerçoient, &c.

Matthieu, historiographe, prétend que les plus grandes familles ont oublié leurs premiers noms & surnoms, pour continuer ceux de leur partage, apanages & successions, c’est-à-dire, que leurs noms n’ont pas été d’abord héréditaires. M. le Laboureur, parlant du tems que les noms & les armes commencerent à être héréditaires, prétend qu’il y en a peu qui puissent prouver leur descendance au-delà de cinq cens ans, parce que les noms & les armes étoient seulement attachés aux fiefs qu’on habitoit. Ainsi Robert de Beaumont, fils de Roger sire de Beaumont & d’Adeline de Meulan, prit le nom & les armes de Meulan, & quitta le surnom de Beaumont. On remarque même que les fils de France en se mariant avec des héritieres qui avoient des terres d’un grand état, en prenoient les noms & les armes, comme Pierre de France en épousant Isabelle de Courtenay.

Mézerai prétend que ce fut sur la fin du regne de Philippe II. dit Auguste, que les familles commencerent à avoir des noms fixes & héréditaires ; & que les seigneurs & gentilshommes les prenoient le plus souvent des terres qu’ils possedoient. Quant à l’origine des surnoms de la roture, le même historien la tire de la couleur, des qualités ou des défauts, de la profession, du métier, de la province, du lieu de la naissance, & d’autres causes semblables & arbitraires, impossibles à découvrir.

On s’est encore servi de sobriquets pour faire des distinctions dans les familles. Les souverains mêmes n’en ont pas été exceptés, comme Pépin dit le Bref, Charles le Simple, Hugues Capet, & autres. Mais il faut remarquer que ces sobriquets se prenoient indifféremment des qualités bonnes ou mauvaises de l’esprit & du corps.

Personne n’ignore que les papes changent de nom lors de leur pontificat ; mais ce changement de nom paroît un peu plus ancien que l’élection de Sergius IV. l’an 1009 : car Jean XV. s’appelloit Cicho avant son élevation au pontificat, & Jean XVI. son successeur en l’an 995, se nommoit Fasanus ; mais alors ce n’étoit pas les papes élus qui changeoient leur nom comme ils font aujourd’hui, c’étoient leurs électeurs qui leur imposoient d’autres noms.

Les grands d’Espagne multiplient leurs noms tant par adoption, qu’en considération de leurs alliances avec de riches héritieres. Les François multiplient aussi leurs noms, mais par pure vanité, ou bien ils les changent par le même principe. Certaines gens, dit la Bruyere, portent trois noms de peur d’en manquer ; d’autres ont un seul nom dissyllabe qu’ils annoblissent par des particules, dès que leur fortune devient meilleure. Celui-ci, par la suppression d’une syllabe, fait de son nom obscur un nom illustre ; celui-là, par le changement d’une lettre en une autre, se travestit, & de Syrus devient Cyrus. Plusieurs suppriment leurs noms qu’ils pourroient conserver sans honte, pour en adopter de plus beaux où ils n’ont qu’à perdre, par la comparaison que l’on fait toûjours d’eux qui les portent avec les grands hommes qui les ont portés. Il s’en trouve enfin, qui nés à l’ombre des clochers de Paris, veulent être flamands ou italiens, comme si la roture n’étoit pas de tout pays ; ils alongent leurs noms françois d’une terminaison étrangere, & croient que venir de bon lieu c’est venir de loin. (D. J.)

Noms des Romains, (Antiquit. rom.) Les Romains avoient plusieurs noms, ordinairement trois, & quelquefois quatre. Le premier étoit le prénom qui servoit à distinguer chaque personne : le second étoit le nom propre qui désignoit la race d’où l’on sortoit : le troisieme étoit le surnom qui marquoit la famille d’où l’on étoit : enfin, le quatrieme étoit un autre surnom qui se donnoit, ou à cause de l’adoption, ou pour quelque grande action, ou même pour quelque défaut. Entrons dans les détails pour nous mieux expliquer.

La coutume de prendre deux noms n’a pas été tellement propre aux Romains, qu’ils en aient introduit l’usage, quoiqu’Appien Alexandrin dise le contraire dans sa préface. Il est constant qu’avant la fondation de Rome, les Albains portoient deux noms. La mere de Romulus s’appelloit Rhéa Sylvia ; son ayeul, Numitor Sylvius ; son oncle, Amulius Sylvius. Les chefs des Sabins qui vivoient à-peu-près dans le même tems en avoient aussi deux, Titus Tatius, Metius Suffetius : Romulus & Remus qui semblent n’en avoir eu qu’un, en avoient deux en effet, Romulus & Remus étoient des prénoms, & leur nom propre étoit Sylvius.

La multiplicité des noms, dit Varron, fut établie pour distinguer les familles qui tiroient leur origine d’une même souche, & pour ne point confondre les personnes d’une même famille. Les Cornelius, par exemple, étoient une race illustre d’où plusieurs familles étoient sorties, comme autant de branches d’une même tige, savoir les Scipions, les Lentulus, les Cethegus, les Dolabella, les Cinna, les Sylla. La ressemblance des noms dans les freres, comme dans les deux Scipions, qui eût empêché de les distinguer l’un de l’autre, fit admettre un troisieme nom : l’un s’appella Publius Cornelius Scipio, l’autre, Lucius Cornelius Scipio ; ainsi le nom de Scipio les distinguoit des autres familles qui portoient le nom de Cornelius, & les noms de Publius & de Lucius mettoient la différence entre les deux freres.

Mais quoiqu’on se contentât du nom de sa famille particuliere, sans y joindre celui de sa race, ou parce qu’on étoit le premier qui fît souche ou parce qu’on n’étoit point d’une origine qui fît honneur, les Romains ne laisserent pas dans la suite de porter trois noms, & quelquefois quatre. 1°. Le nom de famille s’appelloit proprement le nom, nomen. 2°. Le nom qui distinguoit les personnes d’une même famille, prænomen, le prénom. 3°. Le troisieme, qui étoit pour quelques-uns un titre honorable, ou un terme significatif des vices ou des perfections propres de ceux qui le portoient, étoit le cognomen, le surnom. 4°. Le quatrieme, quand il y en avoit, s’appelloit agnomen, autre espece de surnom.

Le prænomen tenoit le premier lieu ; le nomen, le second ; le cognomen, le troisieme ; l’agnomen, le quatrieme.

Les prénoms qui distinguoient les personnes d’une même famille, tiroient leur signification de quelques circonstances particulieres. Varron fait un long catalogue des prénoms qui étoient en usage parmi les Romains, & il en rapporte l’étymologie ; je me contenterai d’en citer quelques-uns qui feront juger des autres. Lucius, c’est-à-dire, qui tiroit son origine des Lucumons d’Etrurie ; Quintus, qui étoit né le cinquieme de plusieurs enfans ; Sextus, le sixieme ; Decimus, le dixieme ; Martius, qui étoit venu au monde dans le mois de Mars ; Manius, qui étoit né le matin ; Posthumius, après la mort de son pere, &c.

Le cognomen, surnom, étoit fondé 1°. sur les qualités de l’ame, dans lesquelles étoient renfermées les vertus, les mœurs, les Sciences, les belles actions. Ainsi Sophus marquoit la sagesse ; Pius, la piété ; Frugi, les bonnes mœurs ; Népos, Gurges, les mauvaises ; Publicola, l’amour du peuple ; Lépidus, Atticus, les agrémens de la parole ; Coriolanus, la prise de Coriole, &c. 2°. Sur les différentes parties du corps dont les imperfections étoient désignées par les surnoms. Crassus signifioit l’embonpoint ; Macer, la maigreur ; Cicero, Piso, le signe en forme de pois chiches qu’on portoit sur le visage.

L’usage des surnoms ne fut pas ordinaire dans les premiers tems de Rome, aucun des rois n’en eut de son vivant. Le surnom de Superbus que porta le dernier Tarquin, ne lui fut donné que par le peuple mécontent de son gouvernement.

Le surnom de Coriolan fut donné à Caius Martius comme une marque de reconnoissance du service qu’il avoit rendu a l’état, marque d’autant plus distinguée que ce fut le premier qui en fut honoré ; & on ne trouve point qu’on l’ait accordé depuis à d’autre qu’à Scipion, surnommé l’Africain, à cause des conquêtes qu’il avoit faites en Afrique : ce fut a son imitation que l’usage en devint commun par la suite, & que cette distinction fut fort ambitionnée. Rien en effet ne pouvoit être plus glorieux pour un homme qui avoit commandé les armées, que d’être surnommé du nom de la province qu’il avoit conquise ; mais on ne le pouvoit pas prendre de son chef, il falloit l’aveu du senat ou du peuple : les empereurs même ne furent pas moins sensibles à cet honneur que le sénat leur a souvent prodigué par flatterie, sans qu’ils l’eussent mérité.

Les freres étoient ordinairement distingués par le prénom, comme Publius Scipion & Lucius Scipion, dont le premier fut appelé l’Africain & le second l’Asiatique. Le fils de l’Africain ayant une santé fort délicate, & étant sans enfans, adopta son cousin germain, le fils de L. Emillus Paulus, celui qui vainquit Persée, roi de Macédoine. Celui-ci fut appellé dans la suite P. Cornel. Scipio Africanus, Æmilianus & Africanus minor, par la plûpart des historiens. Cependant ce nom ne lui fut point donné de son vivant, mais après sa mort, pour le distinguer de l’ancien Scipion l’Africain. Nous en avons encore un autre exemple dans Q. Fabius Maximus qui est désigné par trois surnoms : étant enfant, on l’appella ovicula, c’est-à dire, petite brebis à cause de sa douceur. On l’appella ensuite verrucosus, par rapport à une verrue qui lui étoit survenue sur la levre. Puis on l’appella cunctator, c’est-à dire, temporiseur, à cause de sa conduite prudente à l’égard d’Annibal.

Pendant quelque tems, les femmes porterent aussi un nom propre particulier, qui se mettoit par des lettres renversées ; par exemple, C & M renversées, signifioient Caia & Marcia : c’étoit une maniere de désigner le genre féminin, mais cette coutume se perdit dans la suite. Si les filles étoient uniques, on se contentoit de leur donner simplement le nom de leur maison ; quelquefois on l’adoucissoit par un diminutif, au lieu de Tullia, on disoit Tulliola. Si elles étoient deux, on les distinguoit par les noms d’aînée & de cadette ; si elles étoient en plus grand nombre, on disoit la premiere, la seconde, la troisieme : par exemple, l’amée des sœurs de Brutus s’appelloit Junia major ; la seconde, Junia minor ; & la tromeme, Junia tertia. On faisoit aussi de ces noms un diminutif, par exemple, secundilla, deuxieme. quartilla, quatrieme.

On donnoit le nom aux enfans le jour de leur purification qui étoit le huitieme après leur naissance, pour les filles ; & le neuvieme, pour les garçons. On donnoit le prénom aux garçons, lorsqu’ils prenoient la robe virile ; & aux filles, quand elles se marioient.

A l’égard des esclaves, ils n’eurent d’abord d’autre nom que le prénom de leur maître un peu changé, comme lucipores, marcipores pour Lucii, Marci pueri, c’est-à dire, esclaves de Lucius ou de Marcus ; car puer se disoit pour servus, sans avoir égard à l’âge. Dans la suite, on leur donna des noms grecs ou latins suivant la volonté de leur maître, ou bien on leur donna un nom tiré de leur nation & de leur pays, ou finalement un nom tiré de quelque évenement. Dans les comédies de Terence, on les nomme syrus, geta, &c. & dans Ciceron, tiro, laurea, dardanus. Lorsqu’on les affranchissoit, ils prenoient le nom propre de leur maître, mais non pas son surnom, & ils y ajoutoient pour surnom celui qu’ils portoient avant leur liberté. Ainsi lorsque Tiro, esclave de Ciceron, fut affranchi, il s’appella Marcus Tullius Tiro. (D. J.)

Nom, nomen, (Critiq. sacrée.) Ce mot, pris absolument, signifie quelquefois le nom ineffable de Dieu : cumque blasphemasset nomen, « ayant blasphémé le nom saint » ; Lév. xxiv. 11. Il marque aussi la puissance, la majesté : vocabo in nomine Domini, « je ferai éclater devant vous mon nom » ; Exod. xxxiij. 19. est nomen meum in eo, « ma majesté & mon autorité résident en lui » ; Exod. xxiij. 21. Il se prend pour une dignité éminente : donavit illi nomen quod est super omne nomen ; Phil. ij. 9. oleum effusum nomen tuum ; Cant. j. 2. « votre réputation est comme un parfum ». Prendre le nom de Dieu en vain, c’est jurer faussement : imposer le nom, est une marque d’autorité. Novite ex nomine ; Exod. xxxiij. 12. connoître quelqu’un par son nom, signifie une distinction, une amitié, une familiarité particuliere. Susciter le nom d’un mort, se dit du frere d’un homme decédé sans enfans, lorsque le frere du mort épouse la veuve, & en a des enfans qui font revivre son nom en Israël ; Deut. xxv. 5.

Dans un sens contraire, effacer le nom de quelqu’un, c’est en exterminer la mémoire, détruire ses enfans, & tout ce qui pourroit faire vivre son nom sur la terre : nomen eorum delevisti in æternum ; Ps. iij. 6. fornicata est in nomine meo, « le Seigneur se plaint que Juda a souillé son sacré nom ; » Ezech. xvj. 15. Habes pauca nomina in Sardis, qui non inquinaverunt vestimenta sua : il se prend dans ce dernier passage pour des personnes ; Apocal. iij. 4. (D. J.)

Nom de baptême, (Hist. des usages.) sorte de prénom que les chrétiens mettent devant le nom de famille, & que le parrain & la marraine donnent à un enfant quand on le baptise. On tire ordinairement ces sortes de noms de l’Ecriture ; mais tout le monde ne s’en tient pas là. C’est déja trop, dit la Bruyere, d’avoir avec le peuple une même religion & un même Dieu ; quel moyen encore de s’appeller Pierre, Jean, Jacques, comme le marchand ou le laboureur ? Evitons d’avoir rien de commun avec la multitude ; affectons au contraire toutes les distinctions qui nous en séparent : qu’elle s’approprie les douze apôtres, leurs disciples, les premiers martyrs (tels gens, tels patrons) : qu’elle voie avec plaisir revenir toutes les années ce jour particulier que chacun célebre comme sa fête ; pour nous autres grands, ayons recours aux noms profanes ; faisons-nous baptiser sous ceux d’Annibal, de César ou de Pompée, c’étoit de grands hommes ; sous celui de Lucrece, c’étoit une illustre romaine ; sous ceux de Renaud, de Roger, d’Olivier, de Tancrede, c’étoient des Paladins, & le roman n’a point de héros plus merveilleux ; sous ceux d’Hector, d’Achille, d’Hercule, tous demi-dieux ; sous ceux même de Phœbus & de Diane : & qui nous empêchera de nous faire nommer Jupiter, Mercure, Vénus ou Adonis ! (D. J.)

Nom social, (Commerce.) se dit dans une société générale & collective, du nom que les associés doivent signer suivant la raison de la société ; ensorte que suppose que la raison de la société fût sous les noms de Jacques, Philippe & Nicolas pour le commerce qu’ils veulent faire ensemble, toutes les lettres missives, lettres de change, billets payables à ordre ou au porteur, quittances, factures, procurations, comptes & autres actes concernant cette société, doivent être signés par l’un ou l’autre des associés, & sous les noms de Jacques, Philippe & Nicolas en compagnie, qui est le nom social.