L’Encyclopédie/1re édition/BLONDE
BLONDE, s. f. (Commerce.) ouvrage de soie fait à l’oreiller par le moyen des fuseaux, de la même maniere que la dentelle, à laquelle il ressemble beaucoup ; la blonde travaillée n’en différant souvent que par la matiere. Voy. Blonde travaillée. La soie qui entre dans les blondes est de deux especes, par rapport à sa qualité : la premiere est la plus grosse, & s’employe dans les fonds. Voyez Fonds. La seconde est la plus fine, & sert à faire les grillages. Voyez Grillage. Celle-ci se double toûjours ; celle-là presque jamais, ou du moins qu’en deux fils. On employe quelquefois encore de la soie montée, qui n’est autre chose qu’une soie ou deux entortillées au roüet sur une autre, comme l’or & l’argent sur la soie. Cette opération se fait à Lyon : les Blondiers sont obligés d’y envoyer leur soie, ou d’en tirer toute montée. Jai dit quelquefois ; & c’est en effet tres rarement qu’on se sert de soie montée, parce que cordonnée comme elle est, les ouvrages qu’elle produiroit seroient lourds, cordonnés eux-mêmes, & n’auroient point d’œil : d’ailleurs, ces soies coûtant une pistole de plus que les autres, les ouvriers n’en mettent point en œuvre qu’on ne le leur commande. Il faut remarquer encore que les soies qui entrent dans la blonde sont d’une qualité bien inférieure à celles dont on fait les étoffes : celles-ci auroient le même inconvénient que les soies montées, toutefois dans un degré proportionnel à la nature particuliere de la soie.
Les Blondiers achetent leurs soies en moches (V. Moche), composées de trois parties égales, chacune desquelles l’est de cinq écales (Voy. Ecales), qui elles-mêmes ont encore leurs centaines, pour en faciliter la division ou découpure. Les moches séparées, chaque tiers en cinq parties, on met celles-ci sur des tournettes (Voyez Tournette) pour les découper. Cette opération est la plus difficile de tout l’apprêtage. Elle consiste à trouver les différentes centaines, qui sont à la vérité dans une écale, mais indistinctes, & sans ligature comme on en voit dans un écheveau de fil ou soie retordue. Le meilleur moyen d’y parvenir, c’est de prendre d’abord peu de soie, en la tournant autour des tournettes, d’aller toûjours en augmentant jusqu’à l’entiere division. On ne se fait point une peine de casser quelques brins de soie qui y feroient obstacle : cela ne porte point un grand préjudice, attendu que dans le dévidage on noue tous les bouts, & que les nœuds n’empêchent point de travailler la soie. Dès en commençant, on voit à la séparation plus ou moins nette qui se fait, si l’on a rencontré la centaine ; ce qui n’empêche pas qu’on ne soit quelquefois obligé de recommencer, quoique les premiers tours n’ayent eû que peu d’embarras. Les centaines enfin trouvées par cette découpure, on les lie chacune à part vers leur milieu, de peur qu’elles ne se mêlent, & on les couvre afin qu’elles ne s’éventent point : on les dévide ensuite autour des tournettes ou d’un dévidoir, au choix du fabriquant, sur des bobines montées sur un roüet à la main. Ceci n’a rien de difficile, & ne demande que de la patience. Un ouvrier, quand la soie est bonne, peut en dévider cinq onces, & gagner quarante sous par jour ; souvent aussi quand elle est bien pleine de morvolant (Voyez Morvolant), il ne gagne que huit sous. Cela fait, on double seulement celle qui est destinée à faire le toilé, en quatre, cinq, six ou sept brins, selon que la soie est plus ou moins fine. (Voyez Doubler.) Enfin le fabriquant la donne aux ouvriers qui en chargent leurs fuseaux (V. Charger), & exécutent les desseins qu’on leur a fournis, les uns sur un oreiller plat, les autres sur un oreiller à roue. (Voyez Oreiller à roue.) Les fuseaux chargés de filets sont plus gros, afin qu’on les reconnoisse plus aisément. (Voyez Filet.) Le reste de l’ouvrage s’acheve en fixant la soie aux angles, aux bords, & aux autres parties du dessein où il est nécessaire de la fixer, par des épingles jaunes. Cette couleur n’est pas essentielle à l’ouvrage, mais à l’ouvriere, qui paye ces sortes d’épingles moins cher que les autres. La texture & le jeu des fuseaux se font l’une & l’autre comme dans la dentelle de fil. (Voyez Dentelle.) On distingue dans la blonde trois parties ; le réseau, le grillage ou plein, & le toilé. Voyez ces mots à leurs articles. Dans tout cela on imite les différentes dentelles d’Angleterre, de Malines, de Valenciennes, &c. Les blondes sont parfaites & imparfaites en deux manieres ; parfaites, par une texture réguliere, fine, & qui a de l’éclat, & par la propreté & la blancheur qu’on a sû conserver à la soie ; imparfaites, par les deux contraires. Le défaut de propreté & de textures égales diminue la moitié du prix d’un ouvrage, parce qu’il n’en est pas des blondes comme des dentelles, qui se blanchissent. Il y a des blondes de fantaisie, & des blondes travaillées : les blondes de fantaisie en général, sont celles d’un moindre prix, & qui sont sujettes au caprice de la mode & des goûts : celles-ci se divisent encore en différentes branches particulieres, qui tantôt reçoivent leur dénomination de la ressemblance qu’elles ont avec certains objets naturels ou imités, plantes, animaux, ouvrages, &c. tantôt des évenemens & des saisons où elles paroissent ; tantôt enfin de la réputation & de la vogue seules que s’est acquis le fabriquant. Mais pour découvrir cette ressemblance, quand il y en a, il faut toûjours regarder le toilé ou les fleurs, dont elle dépend uniquement.
Nous en allons nommer quelques-unes qui serviront d’exemples.
Berg-op-zoom, ce sont des blondes dont le dessein commença à paroître dans le tems que cette ville fut prise ; & le bruit que fit ce succès de nos armes, suffit pour donner ce nom à une infinité de choses.
Chenille, est une blonde dont le principal toilé est environné d’un brin de chenille. Voyez Chenille.
Persil, est une blonde composée d’une infinité de petits toilés, assez approchans de la figure d’une feuille de persil.
Points à la reine, est une blonde qui forme plusieurs quadrilles pleins & vuides, dont les premiers sont composés de trois petites branches distinctes, & à plusieurs brins, qui montent & descendent obliquement en se traversant dessus & dessous vers leur milieu, & soûtenues en-haut & en-bas sur deux points transversaux qui regnent dans toute la piece.
Pouce du roi, est une blonde dont le grand toilé représente un éventail ouvert & fendu à la base par le milieu.
Privure, est un toilé continué qui serpente entre deux rangs de grillages ou de pleins : on l’appelle encore la couleuvre.
Enfin la blonde travaillée est celle dont le dessein correct & bien choisi, joint à une exécution délicate, forme une piece dont la beauté permanente est avoüée indépendamment du caprice, de la mode & des circonstances. Les blondes travaillées imitent fort les dentelles, & sont aussi cheres qu’estimées.
Quand toutes ces différentes sortes de blondes n’ont pas assez de lustre en sortant des mains de l’ouvriere, on les repasse avec une bouteille de verre semblable à celle dont se servent les blanchisseuses de bas de soie, en observant d’y aller fort légerement, trop de posanteur & de répétitions les rendant trop lisses & trop luisantes.
Nous finirons cet article par deux remarques : l’une concernant le dessein, surquoi nous dirons que celui qui a paru le plus agréable, même après en avoir fait des essais, fournit souvent des pieces bien moins belles que celles qu’on en attendoit ; aussi les marchands ont-ils soin de ne pas monter une grande quantité de pieces sur un dessein nouveau, avant que le goût du public ait confirmé & fixé le leur. La seconde remarque que nous ayons à faire, est que quoique les blondes soient ordinairement d’une seule couleur, c’est-à-dire blanches, on ne laisse pas d’en faire qui sont mêlées de noir, de rouge, &c. pour garnir des robbes de dames, &c. Voyez Dentelle.
Les marchands de modes employent beaucoup de blonde pour garnir les robbes, les coëffures, les manchettes, & les palatines des femmes.
Il y en a deux sortes relativement à la matiere ; la blonde de fil, qui ressemble beaucoup à la dentelle ; & la blonde de soie, qui n’est pas à beaucoup près si bonne à l’usé, mais qui sied beaucoup mieux.