L’Encyclopédie/1re édition/BON

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 317-320).
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BON, adj. (Métaph.) S’il est difficile de fixer l’origine du beau, il ne l’est pas moins de rechercher celle du bon. Il se fait aimer, ainsi que le beau se fait admirer, dans les ouvrages de la nature & dans les productions des arts. Mais quelle est son origine, & quelle est sa nature ? en a-t-on une notion précise, une véritable idée, une exacte définition ? Ce qui embarrasse le plus, ce sont les diverses acceptions qu’il reçoit, selon les diverses circonstances où on l’applique. Il signifie tantôt une bonté d’être, tantôt une bonté animale, tantôt une bonté raisonnée propre à l’être pensant. Essayons de developper ces divers sens.

La bonté d’être consiste dans une certaine convenance d’attributs qui constitue une chose ce qu’elle est. Tous les êtres en ce sens sont nécessairement bons, parce qu’ils ont ce qui les constitue tels qu’ils sont ; & il est même impossible qu’ils ne l’ayent pas. J’ajoûte que tous les êtres sont également bons de ce genre de bonté. Mais outre les rapports intérieurs, qui constituent leur bonté absolue, ils en ont encore d’extérieurs, d’où résulte leur bonté relative. La bonté relative consiste dans l’ordre, l’arrangement, les rapports, les proportions, & la symmétrie que les êtres ont les uns avec les autres. Ici commence cette variété infinie de bonté qui différencie si fort tous les êtres. Ils ne sont pas tous également nobles & parfaits : un corps organisé est sans doute préférable à une masse brute & grossiere. Par la même raison, un corps organisé & en même tems animé, l’emportera sur un corps organisé qui ne l’est pas ; & parmi les êtres animés, qui doute qu’il n’y en ait de plus parfaits les uns que les autres ? On diroit que la nature a ménagé, pour la perfection de cet univers, une espece de gradation qui nous fait monter à des êtres toûjours plus parfaits, à mesure qu’on s’avance dans la sphere qui les comprend tous. Ces nuances, il est vrai, ces passages imperceptibles n’ont plus lieu, quand il est question de passer du monde matériel au monde spirituel. De l’un à l’autre le trajet est immense : mais quand nous sommes une fois parvenus au monde spirituel, qui pourroit exprimer la distance qui sépare l’ame des bêtes, des sublimes intelligences celestes ? Les nuances qui distinguent les différentes especes d’esprits sont imperceptibles, & cependant très-réelles. Rien n’est plus mince que la barriere qui sépare l’instinct d’avec la raison, & cependant ils ne se confondent jamais. Voyez l’article Esprit, où nous avons eu soin d’en caractériser les différentes especes, & d’assigner, autant qu’il est possible, les limites qui séparent les unes des autres.

Tous les êtres qui entrent dans la composition de ce grand tout qu’on appelle l’univers, ne sont donc pas egalement bons, il est même nécessaire qu’ils ne le soient pas. C’est de l’imperfection plus ou moins grande des differens êtres, que résulte la perfection de cet univers. On conçoit qu’il seroit beaucoup moins parfait, s’il ne comprenoit dans sa totalité que des êtres de la même espece, ces êtres fussent-ils les plus nobles de tous ceux qui le composent. La trop grande uniformité déplait à la longue ; du moins elle ne tient pas lieu de la variété, qui compense ce qui manque aux êtres finis. Croit-on qu’un monde, qui ne seroit formé que de purs esprits, fût plus parfait qu’il ne l’est aujourd’hui ? qui ne voit que le monde matériel laisseroit par son absence un grand vuide dans cet univers ? On pourroit étendre cette reflexion jusqu’au mêlange de vertus & de vices, dont nous sommes ici bas le spectacle & les spectateurs tout à la fois. Un monde d’où seroient bannis tous les vices, ne seroit certainement pas si parfait qu’un monde qui les admet. La vertu prise en elle-même, est sans doute préférable au vice, de même que l’esprit est par sa nature plus noble que le corps : mais quand on considere les choses par rapport au grand tout, dont ils sont partie, on s’apperçoit aisément que pour une plus grande perfection, il étoit nécessaire qu’il y eût des imperfections dans le monde physique & dans le monde moral.

Si mala sustulerat, non erat ille bonus.


Voyez l’article Manichéisme, où ce raisonnement est développé dans toute sa force.

Rien n’est sans doute plus admirable que tous ces rapports, que la main du Créateur a ménagés entre les différens êtres. Ils sont plus ou moins immédiats, suivant le plus ou moins de variété de ces êtres. Il en est d’eux comme des vérités, qui tiennent toutes les unes aux autres, moyennant les vérités intermédiaires qui servent à les réunir. La bonté de cet univers consiste dans la gradation des différens êtres qui le composent. Ils ne sont séparés que par des nuances, comme nous l’avons déjà remarqué ; il ne se trouve aucun vuide dans le passage du regne minéral au regne végétal, ni dans le passage de celui-ci au regne animal ; autrement, pour me servir de la pensée de l’illustre Pope, il y auroit un vuide dans la création, où, un degré etant ôté, la grande échelle seroit détruite. Qu’un chaînon soit rompu, la chaine de la nature l’est, & l’est également, soit au dixieme, soit au dix-millieme chaînon. C’est alors qu’on verroit, pour continuer la pensée du poete Anglois, la terre perdre son équilibre & s’écarter de son orbite, les planetes & le soleil courir sans regle au-travers des cieux, un être s’abysmer sur un autre être, un monde sur un autre monde, toute la masse des cieux s’ébranler jusques dans son centre, la nature frémir jusqu’au throne de Dieu, en un mot tout l’ordre de cet univers se détruire & se confondre.

Il faudroit être stupide & insensible, pour ne pas appercevoir la dépendance & la subordination de tous les êtres qui entrent dans la composition de ce tout admirable : mais il faudroit être encore pis que tout cela pour l’attribuer à un hazard aveugle. Voyez Hasard & Épicuréisme. L’esprit ne peut être frappé sans admiration de cette multiplicité de rapports, de ces combinaisons infinies, de cet ordre, de cet arrangement qui lie toutes les parties de l’univers ; & l’on peut dire que plus il saisira de rapports, plus la bonté des êtres se manifestera à lui d’une maniere sensible & frappante. Dieu seul connoît toute la bonté qu’il a mise dans ses ouvrages, parce qu’il est lui seul capable de connoître parfaitement la justesse qui brille dans ses ouvrages, le rapport mutuel qui se trouve entr’eux, l’harmonie qui fait d’eux un tout régulier & sagement ordonné, en un met l’ordre établi pour les conserver. La chaine qui attire & réunit toutes les parties est entre les mains de Dieu, & non entre celles de l’homme. Petites parties de ce tout, comment pourrions-nous le comprendre ? « Tout ce que nous voyons du monde, dit dans son style énergique le sublime Paschal, n’est qu’un trait imperceptible dans l’ample sein de la nature : nulle idée n’approche de l’étendue de ses espaces : nous avons beau enfler nos conceptions, nous n’enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses : c’est un cercle infini, dont le centre est par-tout, la circonférence nulle part : enfin, c’est un des plus grands caracteres sensibles de la toute-puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée..... L’intelligence de l’homme tient, dans l’ordre des choses intelligibles, le même rang que son corps dans l’étendue de la nature : & tout ce qu’elle peut faire, est d’appercevoir quelqu’apparence du milieu des choses, dans un desespoir éternel d’en connoître ni le principe ni la fin. Toutes choses sont sorties du néant, & portées jusqu’à l’infini : qui peut suivre ces étonnantes démarches ? l’auteur de ces merveilles les comprend, nul autre ne le peut faire ». Pensées de Pasch. ch. xxij.

Nous sommes forcés de joindre le témoignage de notre raison, au témoignage aveugle des créatures inanimées & matérielles, dont la beauté, la disposition & l’économie annoncent si hautement la grandeur de celui qui les a faites. Un spectacle digne de Dieu, peut bien être digne de nous. Moyse rapporte que lorsque Dieu eut achévé l’ouvrage des six jours, il considera tous les êtres d’une seule vûe, & que les ayant comparés entr’eux & avec le modele éternel dont ils étoient l’expression, il en trouva la beauté & la perfection excellente. L’univers parut à ses yeux comme un tableau qu’il venoit de finir, & auquel il avoit donné la derniere main. Il trouva que chaque partie avoit son usage, chaque trait sa grace & sa beauté : que chaque figure étoit bien située & faisoit un bel effet : que chaque couleur étoit appliquée à propos, mais sur-tout que l’ensemble en étoit merveilleux : que les ombres mêmes donnoient du relief au reste : que le lointain en s’attendrissant faisoit paroître ce qui étoit plus proche avec une force nouvelle ; & que les objets les plus remarquables, recevoient une nouvelle beauté par le lointain, dont ils n’étoient séparés que par une diminution imperceptible de teintes & de couleurs. Qui considéreroit ce tableau de plus près, pourroit appercevoir dans le plan de la création celui de la rédemption. Si quelques défauts nous frappent dans cet immense tableau, souvenons-nous que ce sont des ombres que la main de l’éternel y a jettées exprès pour en faire sortir les figures ; que leur ordre & leur situation contribuent à lui donner une beauté qu’il n’auroit pas ; & que prendre occasion de ces defauts pour critiquer l’univers & son auteur, ce seroit ressembler à un ciron, dont les yeux seroient fixés sur les ombres d’un tableau, & qui prononceroit que ce tableau est défectueux, qu’il n’y reconnoît aucune ordonnance, ni le vrai ton des couleurs.

La bonté animale est une économie dans les passions, que toute créature sensible & bien constituée reçoit de la nature. C’est en ce sens qu’on dit d’un chien de chasse, qu’il est bon, lorsqu’il n’est ni lâche ni opiniâtre : c’est aussi en ce sens qu’on dit d’un homme, qu’il est bien constitué, lorsqu’il regne dans ses membres la proportion qui s’ajuste le mieux avec les fonctions auxquelles l’a destiné la providence. La bonté animale sera d’autant plus parfaite, que les membres bien proportionnés conspireront d’une façon plus avantageuse à l’accomplissement des fonctions animales. Par une suite des lois que Dieu a établies, il doit s’exciter dans l’ame telles ou telles sensations à l’occasion de telles ou telles impressions qui auront été faites sur les organes de nos sens. Si donc elles ne s’y excitoient pas, il y auroit alors un défaut d’œconomie animale. On en peut voir un exemple bien sensible dans les personnes paralytiques. Le défaut d’œconomie animale se trouve aussi dans ceux qui ont des mouvemens convulsifs, qu’ils ne peuvent arrêter ni suspendre. On peut dire la même chose de ceux qui sont fous & stupides. Les uns ont trop d’idées, & les autres n’en ont pas assez, par un défaut de conformation dans le cerveau. Il est des personnes qui sont nées sans aucun goût pour la Musique, & d’autres pour qui les vers les mieux faits ne sont qu’un vain bruit. Ce défaut d’organes dans ces sortes de personnes est, comme l’on voit, un défaut d’œconomie animale. On peut dire en général, que c’est là le grand défaut de ces esprits stupides & grossiers, dont la portée ne sauroit atteindre au raisonnement le plus simple. Les organes du corps, qui les voile & les enveloppe, sont si épais & si massifs, qu’il ne leur est presque pas possible de déployer leurs facultés ni de faire leurs opérations. Plus les organes sont delicats, plus les sensations qu’ils occasionnent sont vives. Il y a des animaux qui nous surpassent par la délicatesse de leurs organes : le lynx a la vûe plus perçante que nous ; l’aigle fixe le soleil qui nous ébloüit ; le chien a plus de sagacité que nous dans l’odorat ; le toucher de l’araignée est plus subtil que le nôtre, & le sentiment de l’abeille plus exquis & plus sûr que celui que nous éprouvons : mais n’envions point aux animaux l’avantage qu’ils ont sur nous en cette partie. Si nous avions l’œil microscopique du lynx, nous verrions le ciron : mais notre vûe ne pourroit s’etendre jusqu’aux cieux. Si le toucher étoit plus sensible & plus délicat, nous serions blessés par tous les corps environnans ; les douleurs & les maladies s’introduiroient par chaque pore. Si nous avions l’odorat plus vif, nous serions incommodés des parties volatiles d’une rose, & leur action sur le cerveau en ébranleroit trop violemment les fibres. Avec une oreille plus fine, la nature se feroit toûjours entendre à nous avec un bruit de tonnerre, & nous nous trouverions étourdis par le plus leger souffle de vent. Croyons que les organes, dont la nature nous a doüés, sont proportionnés au rang que nous tenons dans l’univers. S’ils étoient plus grossiers ou plus délicats, nous ne nous trouverions plus si propres aux fonctions animales, qui sont une suite de notre constitution. Après qu’on a pesé toutes les choses dans la balance de la raison, on est forcé de reconnoitre la bonté & la sagesse de la providence également & dans ce qu’elle donne & dans ce qu’elle refuse, & de convenir avec Pope, en dépit de l’orgueil & de la raison qui s’égare, de cette vérité évidente, que tout ce qui est, est bien. Nous nous regardons comme dégradés, parce qu’il a plû à l’auteur de notre être de nous assujettir aux organes d’un corps : mais il pourroit se trouver, en approfondissant la matiere, que cette influence de l’union de l’ame avec le corps, s’exerce peut-être plus au profit qu’aux dépens de nos facultés intellectuelles. Voyez les articles Esprit & Résurrection, où cette question est agitée.

La bonté raisonnée, qualité propre à l’être pensant, consiste dans les rapports des mœurs avec l’ordre essentiel, éternel, immuable, regle & modele de toutes les actions réfléchies : elle est la même que la vertu. Voyez cet article.

Jusqu’ici nous h’avons considéré le bon, que par les rapports qu’il a avec notre esprit. Pris en ce sens, il rentre dans l’idée du beau, qui n’est autre chose que la perception des rapports ; voyez cet article : mais il y a un autre bon, dont les rapports sont plus immédiats avec nous, parce qu’ils touchent notre cœur de plus près. La bonté qui résulte de ces rapports, est plus intimement liée avec notre être, plus proportionnée à nos intérêts : il n’y a qu’elle qui ait de l’ascendant sur notre cœur, & qui l’ouvre au sentiment. L’autre bonté nous est, pour ainsi dire, étrangere ; elle ne nous touche presque pas : si elle a des charmes, ce n’est que pour notre esprit. Nous admirons les êtres en qui paroît cette premiere bonté : mais nous n’aimons que ceux qui participent à cette autre bonté ; & l’amour que nous leur portons se mesure sur les différens degrés de cette bonté relative. Le bon, pris dans ce secord sens, se confond avec l’utile ; de sorte que tous les êtres qui nous sont utiles, renferment cette bonté qui intéresse le cœur, ainsi que cette autre bonté qui plaît à l’esprit, est l’apanage de tous les êtres qui sont beaux.

Le bon a donc deux branches, dont l’une est le bon qui est beau, & l’autre le bon qui est utile. Le premier ne plaît qu’à l’esprit, & le second intéresse le cœur : l’un n’obtient de nous que des sentimens d’estime & d’admiration, tandis que nous réservons pour l’autre toute notre tendresse. Un être qui ne seroit que beau pour nous, se feroit seulement estimer & admirer de nous. Dieu, tout Dieu qu’il est, auroit beau déployer à notre esprit toutes les perfections qui le rendent infini, il ne trouveroit jamais le chemin de notre cœur, s’il ne se montroit à nous comme bienfaisant. Sa bonté pour nous est le seul attribut qui puisse nous arracher l’hommage de notre cœur. Et que nous serviroit le spectacle de sa divinité, s’il ne nous rendoit heureux ?

On voit par-là combien s’abusent de pieux visionnaires, qui follement amoureux d’une perfection chimérique, s’imaginent qu’ils peuvent aimer dans Dieu autre chose que sa bonté bienfaisante. Quel désintéressement ! ils veulent que leur amour pour Dieu soit si pur, si généreux, si gratuit, si indépendant de toutes vûes intéressées, que même à l’égard de Dieu on se contente du plaisir de l’aimer, sans rien attendre & sans rien espérer de lui. Ce n’est pas ici le lieu de combattre ces excès impies, qui sont contraires à la loi naturelle, & qui deshonorent la Religion, sous la vaine apparence d’une perfection chimérique qui en détruit les fondemens. Voyez les articles Charité & Quiétisme, où sont refutées ces absurdités, aussi impies qu’insensées ; mais qui sont les suites nécessaires d’un desintéressement absolu.

Un être peut nous être utile de deux manieres ; ou par lui-même, ou par quelque chose qui soit distingué de lui. Ce qui ne nous est utile que comme moyen, nous ne l’aimons pas pour lui-même, mais seulement pour la chose à laquelle il nous fait parvenir : ainsi nous n’aimons pas les richesses pour elles-mêmes, mais bien pour les plaisirs que nous achetons à leurs dépens ; j’excepte pourtant les avares, pour qui la possession des richesses est un véritable bien : ceux-ci sont heureux par la vûe de l’or, & les autres ne le sont que par l’usage qu’ils en font. Mais un être nous est-il utile par lui-même ? c’est alors que nous l’aimons pour lui-même & que notre cœur s’y attache : ou cet être nous satisfait du côté de la conscience & de la raison, ce qui est un bien durable, solide, & qui n’est point sujet à de fâcheux revers ; & alors on lui donne le nom de bien honnête : ou bien cet être ne nous satisfait que du côté de la cupidité, & se trouve par conséquent exposé au dégoût & à l’inquiétude ; & alors on lui donne simplement le nom de bien agréable entant qu’opposé à l’honnêteté.

Après avoir considéré le bon dans les êtres naturels, il est naturel de l’examiner dans ceux qu’on appelle artificiels : ils ont été inventés sur le modele de la nature ; d’où je conclus que leur perfection dépend plus ou moins de leur imitation de la nature. Mais de même que dans les ouvrages de la nature il y a un bon & un beau, qui ne dépendent ni du hasard ni du caprice, ainsi dans les productions des arts il y a des lois immuables qui nous guident dans nos connoissances & dans nos goûts ; & on ne peut en aucune façon violer ces lois tracées avec tant d’éclat dans les ouvrages de la nature, que l’esprit & le goût n’en soient révoltés.

Il se trouve, avons-nous dit, dans les ouvrages de la nature deux sortes de bontés, l’une, qui rentre dans la même signification que la beauté, & qui pour cette raison ne flatte que l’esprit ; & l’autre, qui retient le nom de bonté, & qui intéresse notre cœur. Quand un objet réunit en soi ces deux genres de bonté, c’est-à-dire qu’il étend & perfectionne nos idées d’une part, & que de l’autre il nous présente des intérêts qui nous sont chers, qui tiennent à la conservation ou à la perfection de notre être, qui nous font sentir agréablement notre propre existence, nous prononçons que cet objet est bon ; & il l’est d’autant plus, qu’il possede ces avantages dans un plus haut degré. Pareillement une production de l’art, où le bon se réunissant avec le beau, renfermera toutes les qualités dont elle a besoin pour exercer & perfectionner à la fois notre esprit & notre cœur, sera d’autant plus parfaite, qu’elle attachera plus agréablement notre esprit, & qu’elle intéressera plus vivement notre cœur.

Parmi les ouvrages de la nature, il y en a qui ne sont que beaux, & qui ne plaisent qu’à l’esprit. La même chose se trouve dans les productions des arts : ainsi un théoreme de Géométrie, difficile, mais sans usage, n’est qu’un beau théoreme. Voyez Beau. Mais de même qu’il y a des ouvrages de la nature qui sont bons & beaux en même tems, parce qu’ils contiennent en soi de quoi réveiller des idées qui nous attachent & nous intéressent, il y en a aussi parmi les productions des arts qui produisent en nous le même effet, mais toûjours d’une maniere subordonnée à la nature, parce que la nature en tout surpasse l’art : in omni re procul dubio vincit imitationem veritas. Le cœur n’est touché des objets que selon le rapport qu’ils ont avec son avantage propre ; c’est ce qui regle son amour ou sa haine : or le cœur a plus d’avantage à attendre des objets naturels que des objets artificiels. Ce que l’art présente au cœur n’est qu’un phantôme, qu’une apparence ; & ainsi il ne peut lui apporter rien de réel. Ce qu’il y a de plus touchant pour nous, c’est l’image des passions & des actions des hommes, parce qu’elles sont comme des miroirs où nous voyons les autres, avec des rapports de différence ou de conformité. Il y auroit ici un beau problème à résoudre, savoir qui de Corneille ou de Racine a mieux peint les passions ; le premier, en nous élevant au-dessus de l’homme ; le second, en nous rendant à nos foiblesses naturelles. Voyez Tragédie. (X)

Bon, (en terme de Pratique.) est un terme par lequel on ratifie une promesse, une cellule ; faire bon, c’est promettre de payer pour soi ou pour autrui. (H)

* Bon, (Hist. mod.) c’est le nom d’une fête que les Japonois célebrent tous les ans en l’honneur des morts ; on allume ce jour-là à chaque porte grand nombre de lumieres, & chacun s’empresse de courir aux tombeaux de ceux qui leur ont autrefois appartenu, avec des mets bien choisis qui sont destinés à la nourriture des morts.

Bon, terme d’honneur dont on se sert dans le commerce pour désigner un marchand riche & solvable. Vous pouvez confier votre marchandise à M. N. je vous garantis qu’il est bon.

Bon d’aunage. Voyez Aunage, & Bénéfice d’aunage.