L’Encyclopédie/1re édition/BRACHMANES

La bibliothèque libre.
Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 391).
◄  BRACKLEY

* BRACHMANES, s. m. pl. (Hist. anc.) Gymnosophistes ou philosophes Indiens, dont il est souvent parlé dans les anciens. Ils en racontent des choses fort extraordinaires, comme de vivre couchés sur la terre ; de se tenir toûjours sur un pié ; de regarder le soleil d’un œil ferme & immobile depuis son lever jusqu’à son coucher ; d’avoir les bras élevés toute leur vie ; de se regarder sans cesse le bout du nez, & de se croire comblés de la faveur céleste la plus insigne, toutes les fois qu’ils y appercevoient une petite flamme bleue. Voilà des extravagances tout-à-fait incroyables ; & si ce fut ainsi que les brachmanes obtinrent le nom de sages, il n’y avoit que les peuples qui leur accorderent ce titre qui fussent plus fous qu’eux. On dit qu’ils vivoient dans les bois, & que les relâchés d’entre eux, ceux qui ne visoient pas à la contemplation béatifique de la flamme bleue, étudioient l’Astronomie, l’histoire de la nature, & la politique, & sortoient quelquefois de leurs deserts pour faire part de leurs contemplations aux princes & aux sujets. Ils veilloient de si bonne heure à l’instruction de leurs disciples, qu’ils envoyoient des directeurs à la mere, si-tôt qu’ils apprenoient qu’elle avoit conçû ; & sa docilité pour leurs leçons étoit d’un favorable augure pour l’enfant. On demeuroit trente-sept ans à leur école, sans parler, tousser, ni cracher ; au bout de ce tems, on avoit la liberté de mettre une chemise, de manger des animaux, & d’épouser plusieurs femmes ; mais à condition qu’on ne leur révéleroit rien des préceptes sublimes de la gymnosophie. Les brachmanes prétendoient que la vie est un état de conception, & la mort le moment de la naissance ; que l’ame du philosophe détenue dans son corps, est dans l’état d’une chrysalide, & qu’elle se débarrasse à l’instant du trépas, comme un papillon qui perce sa coque & prend son essor. Les évenemens de la vie n’étoient selon eux ni bons ni mauvais ; puisque ce qui déplaît à l’un plait à l’autre, & qu’une même chose est agréable & desagréable à la même personne en différens tems : voilà l’abregé de leur morale. Quant à leur physique, c’étoit un autre amas informe de préjugés : cependant ils donnoient au monde un commencement & une fin ; admettoient un Dieu créateur, qui le gouvernoit & le pénétroit ; croyoient l’univers formé d’élémens différens ; regardoient les cieux comme le résultat d’une quintessence particuliere ; soûtenoient l’immortalité de l’ame ; & supposoient des tribunaux aux enfers, &c. Clément d’Alexandrie en fait l’une des deux especes de gymnosophistes. Voyez Philosophie des Indiens & Gymnosophistes. Quand ils étoient las de vivre, ils se brûloient ; ils dressoient eux-mêmes leur bûcher, l’allumoient de leurs mains, & y entroient d’un pas grave & majestueux.

Tels étoient ces sages que les philosophes Grecs allerent consulter tant de fois : on prétend que c’est d’eux que Pythagore reçut le dogme de la métempsycose. On lit dans Suidas qu’ils furent appellés Brachmanes, du roi Brachman leur fondateur. Cette secte subsiste encore dans l’orient, sous le nom de Bramenes ou Bramines. Voyez Bramines.