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L’Encyclopédie/1re édition/BRASSERIE

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 400-406).
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* BRASSERIE, subst. f. attelier qui contient les cuves, chaudieres, moulins, & tous les autres instrumens, agrès & commodités nécessaires pour faire la bierre. La bierre est une boisson fort ancienne. V. Bierre. On peut dire en général, qu’elle se tire du grain : mais elle ne se tire pas du même grain, partout où l’on en fait. À Paris, & plus généralement on France, on n’y employe que l’orge. Quelques brasseurs seulement y mêlent, les uns un peu de blé, d’autres un peu d’avoine. Dans les provinces du nord de la France, telles que la Picardie, l’Artois, le Boulonois, la Flandre Françoise, elle ne se fait qu’avec le soucrillon, ou l’orge d’hyver, ou même avec l’espiotte, que nous appellons aussi l’escourgeon. Ce que nous nommons orge, s’appelle dans ces provinces pamele.

En Hollande, on brasse non-seulement avec l’orge soucrillon, mais encore avec le blé & l’avoine. Les brasseurs Hollandois, qui tirent de la bierre de chacun de ces trois grains, ont trois sortes différentes de bierre.

En Allemagne, où la bierre ne laisse pas que d’être fort commune, elle se fait aussi avec l’orge. On y employe quelquefois l’espiotte. L’espiotte est un grain, dont le noyau ressemble assez à celui du seigle, excepté qu’il est plus court & plus plat. La coque qui le renferme ne differe guere de celle du blé ; on a seulement beaucoup plus de peine à en faire sortir le grain, même en le battant à la maniere des autres grains ; aussi on se contente d’en briser les épis : on le fait germer & on le mout dans sa coque.

En Angleterre, où la bierre est très-commune, on la fait ainsi qu’ailleurs, avec l’orge, le blé & l’avoine.

Une brasserie est un bâtiment très-considérable ; le nombre des agrès ne l’est pas moins : les principaux sont le germoir, la touraille, le moulin, les cuves, les chaudieres, &c.

Pour brasser, suivant notre façon de Paris, il faut avoir de bon orge, que l’on met tremper dans de l’eau naturelle pendant l’espace de trente à quarante heures, plus ou moins, selon que les eaux sont plus ou moins dures & l’orge plus ou moins sec. Au reste en quelque tems que ce soit, & de quelque nature que soit l’orge, on jugera qu’il aura assez d’eau, quand en le serrant entre les doigts, il cédera facilement à la pression & s’écrasera sans peine sous l’ongle ; alors on le retirera de la cuve où on l’aura fait mouiller, & on le transportera dans le germoir.

Du germoir. Le germoir, ainsi que le nom l’indique assez, est un lieu où l’on met germer le grain mouillé qu’on destine à faire de la bierre. Il y en a de deux especes : les uns sont de grandes caves voutées, on les regarde comme les meilleurs ; les autres de grandes salles au rez-de-chaussée. Le grain reste au germoir, en tas ou en mottes, communément vingt-quatre heures. Au bout de ce tems, qu’on lui accorde pour reboire son eau, comme on dit dans les brasseries, on le met en couches, c’est-à-dire qu’on étend les mottes ou tas, & qu’on les réduit à la hauteur de 8 à 9 pouces d’épaisseur, plus ou moins, selon que le germoir est plus ou moins échauffé. On laisse le grain dans cet état jusqu’à ce que par la chaleur naturelle qu’il trouvera dans lui-même, le germe commence à en sortir. Quand on verra le germe pointer hors du corps du grain, pour lors il faudra rompre.

On appelle rompre une couche de grain, la remuer avec une pelle, jetter le grain d’une place dans une autre, le retourner, & le remettre en couche comme auparavant, observant seulement de donner à la couche moins de hauteur. A moins que le grain n’eut été rompu trop jeune, c’est-à-dire, avant que le germe en fût assez avancé, on laissera la nouvelle couche de grain dans cet état pendant douze ou quinze heures, plus même, sur-tout si l’air qui regne dans le germoir est froid ; car alors la germination se fera beaucoup plus lentement.

Au bout des douze ou quinze heures, le germe s’étant accru considérablement, & la chaleur s’étant beaucoup augmentée, on redonnera encore un coup de pelle au grain, observant de l’éventer plus que la premiere fois : cette manœuvre s’appelle donner le second coup de pelle. On finira le second coup de pelle, par remettre le grain en couche ; il y restera encore douze à quinze heures, ce tems lui suffira pour achever de pousser son germe au point qui convient pour être en état de passer sur la touraille.

De la touraille. La touraille est une des portions principales d’une brasserie. Sa partie supérieure ABCD, figure premiere, Brasserie, Planche premiere, a la forme d’une pyramide équilatérale, creuse, dont le sommet seroît tronqué, & la base en-haut. Le corps ou les faces en sont composées de pieces de bois assemblées & revêtues en-dedans d’une maçonnerie de brique, faite sur un lattis tel que celui des platfonds ; & pour préserver les bois d’un incendie presqu’inévitable, la maçonnerie de brique est enduite de bonnes couches de plâtre : x, y, z, sont trois faces intérieures de la pyramide ou tremie de la touraille. On a pratiqué à l’une de ces faces une porte pour pouvoir entrer dans le corps de la touraille, en cas de besoin.

La base de cette pyramide ou la superficie supérieure de cette tremie ABEF, est un plancher fait de tringles de bois de 3 pouces d’équarrissage. Chaques tringles laissent entr’elles le même intervalle, ensorte que la surface entiere ABEF, est tant pleine que vuide. Sur ces tringles de bois, qui sont communément de sapin, on étend une grande toile de crin, que l’on nomme la haire. La haire couvre tout le plancher ABEF de la touraille ; cet espace est environné & surmonté de madriers, au défaut de muraille. Sur ces madriers sont attachées des bandes de chêne, que l’on nomme costieres. Les costieres débordent, ou comme on dit, recouvrent sur l’aire du plancher, & empêchent le grain de s’échapper par les rebords, & de tomber dans le corps de la touraille.

Sous la tremie ABCD ou sous le corps de la touraille, en est une autre de maçonnerie CDGH, de la forme d’un parallelepipede. C’est dans l’intérieur de ce solide qu’est construit le fourneau de la touraille, dont on voit l’intérieur par la bouche I. Ce fourneau a communément vingt pouces de large, quatre piés & demi de long dans œuvre, non compris son embouchure, qui se trouvera plus ou moins longue, selon que les murs du fourneau auront plus ou moins de profondeur.

Pour construire solidement un fourneau de touraille, il faut que le pavé en soit fait de briques posées debout & de champ, & que le pié du mur en dedans du fourneau soit revêtu de fortes enclumes, capables de résister à l’action du feu ; autrement soit les briques, soit les tuiles dont on le construiroit, seroient bientôt calcinées. Comme la premiere portion du fourneau s’éleve en grand sur plomb, ainsi qu’on l’apperçoit dans la figure, il est nécessaire que les enclumes soient detenues par le haut, d’une forte barre de fer scellée d’un bout dans le mur du fond du fourneau, & de l’autre dans le mur de côté, près de l’embouchure, en sorte qu’elle s’étende de toute la longueur du fourneau ; & pour plus de solidité, on l’armera de gougeons de fer d’environ un pié de long, qui seront pareillement scellés dans le mur de côté, ainsi qu’on l’apperçoit dans les coupes du fourneau, fig. 2. & 3. même planche.

La premiere partie du fourneau étant ainsi élevée, on construira à plomb sur elle, celle du milieu ; on lui donnera environ un pié de hauteur. On élevera ensuite la derniere partie : sa forme sera la même qu’on voit à celle du milieu, mais dans une situation renversée ; ensorte que la partie du milieu du fourneau & sa partie supérieure, ressemblent assez à deux chaudieres opposées fond à fond & communiquant par une ouverture commune, avec cette seule condition que la chaudiere inférieure auroit plus de hauteur que la supérieure. Voyez fig. 1. 2. & 3. IGHKL, partie inférieure du fourneau. KLM bouche. NOPQ enclumes scellés. PQRS partie du milieu du fourneau. RSTV communication de la partie du milieu avec la partie supérieure. TVXY partie supérieure. La fig. 1. montre le fourneau en entier. La fig. 3. en est une coupe verticale par le milieu de la bouche. La fig. 2. en est une coupe verticale, & parallele à la bouche.

Sur cette construction on placera de bonnes & fortes briques, de champ, sur le mur de la partie supérieure, selon leur hauteur, & de distance en distance, comme on voit fig. 1. 2. 3. en o, o, o, o, &c. Ces briques ainsi disposées formeront des especes de carneaux. Sur ces briques on placera un chassis de fer plat, d’environ deux pouces d’équarrissage. Voy. fig. 4. ce chassis. On distribuera sur ce chassis de grandes & fortes tuiles qui serviront à porter la maçonnerie qu’il convient d’élever dessus ce chassis. On appelle communément cette maçonnerie la truite.

De la truite. La truite Pqrs, fig. 1. a la figure d’un comble de pavillon à quatre arrêtes ; c’est un égoût formé par des tuiles, & tel que seroit exactement celui d’un bâtiment. L’usage de la truite est d’arrêter l’action du feu qui tend naturellement à monter, de replier la flamme sur elle-même, de consumer le peu de fumée qui se fait dans le fourneau, de contraindre la flamme à s’échapper pure par les carneaux formés par les briques qui soûtiennent le chassis, & de distribuer par ce moyen une chaleur égale dans tout l’intérieur de la touraille, qui, sans cette précaution, ne seroit bien échauffée que dans le milieu. D’ailleurs elle empêche le germe qui tombe dans l’intérieur de la touraille, de passer dans le fourneau. C’est aussi par cette derniere raison qu’on lui a donné la figure d’un comble à quatre arrêtes.

La poussiere du grain & le germe, après avoir traversé la haire ou toile de crin dont le plancher de la touraille est couvert, ne restent point sur la truite ; ils descendent tout-au-tour, & se rendent au pourtour de la maçonnerie intérieure de la partie du milieu du fourneau, où l’on a pratiqué des canaux appellés ventouses, qui les reçoivent. Les ventouses, fig. 1. & 3. Z, Z, forment comme un petit fossé d’environ six à sept pouces de large tout-au-tour du fourneau, entre la maçonnerie intérieure & la maçonnerie extérieure.

Le grain, au sortir du germoir, se charge sur le plancher de la touraille. On l’y étend en forme de couche d’environ cinq à six pouces d’épaisseur : on fait du feu dans le fourneau jusqu’à ce qu’à ce qu’on s’apperçoive que la grande humidité que le grain a prise dans le mouillage, commence à sortir. Il y a pour cela un signe certain : alors on voit à la surface du grain une grande rosée, & cette rosée est coupée par bandes ; ou plûtôt toute la surface de la couche est divisée par bandes chargées & non chargées de rosée alternativement. Cette division est causée par les tringles de bois qui sont sous la haire, & qui empêchent que tout le grain ne soit atteint également par le feu. Celui qui correspond aux espaces vuides doit chauffer plus vîte que celui qui correspond aux espaces pleins.

Lorsqu’on apperçoit ces bandes, il est tems de remuer le grain. Pour cet effet, on jette celui qui est sur une moitié du plancher, sur l’autre moitié ; puis on rejette sur la partie vuide & le grain qui y étoit, & celui qui n’y étoit pas, mais mêlé & retourné. Cela fait, on étend le tout, & l’on en reforme une couche sur toute la superficie de la touraille. Dans cet état celui qui étoit à demi séché se trouve placé à côté de celui qui ne l’étoit point. Il se fait une répartition assez égale d’humidité, & un progrès assez uniforme de dessiccation. Cette premiere manœuvre s’appelle retourner la touraille pour la premiere fois.

Après que la touraille a été retournée, on ranime de nouveau le feu du fourneau, & on le continue jusqu’à ce qu’il soit tems de la retourner pour la seconde fois. Ce moment est indiqué par la suppression presqu’entiere de l’humidité dans tout le grain. Le plus voisin de la haire en est entierement privé ; on n’apperçoit plus de moiteur qu’à la superficie. C’est alors qu’il est tems de rebrouiller.

On appelle rebrouiller la touraille, mettre dessous le grain qui se trouve à la superficie de la couche, & dessus celui qui étoit dessous. Dans cette manœuvre, on ne jette point le grain l’un sur l’autre, comme quand on retourne ; on se contente de le prendre avec la pelle, & de le retourner sens dessus dessous, pelletée à pelletée.

On laissera la touraille rebrouillée quelques heures dans le même état & sans feu ; pour donner à la chaleur du fourneau le tems de dissiper le reste de l’humidité qui pourroit se trouver dans le grain. Après quoi on ôtera le grain de dessus la touraille pour faire place à d’autre ; & pour le cribler au crible de fer, afin d’en séparer la poussiere & les touraillons. On appelle touraillons, le germe séché.

Du moulin. On laisse reposer le grain pendant quelques jours ; la methode en est meilleure que de le porter au moulin tout au sortir de la touraille. Le moulin représenté Planche III. est un moulin à double tournure. Il a deux roüets & deux lanternes, sans compter le grand roüet. Les chevaux sont attelés par le moyen de patons aux queues ou leviers, ou aisseliers A du moulin ; ces aisseliers sont emmanchés dans l’arbre de bout B ; cet arbre fait tourner le grand roüet C : ce roüet est armé de dents qui engrainent dans les fuseaux de la grande lanterne D, dans laquelle passe l’arbre de couche E. Cet arbre porte à son autre extrémité, & parallelement à la grande lanterne, le petit roüet F qui tourne verticalement, & engraine dans la petite lanterne G fixée sur l’arbre de fer qui traverse la meule supérieure H. Cette meule s’appelle la meule courante ; elle est posée un peu au-dessus d’un autre qu’on appelle la meule gissante. Ces deux meules écrasent entr’elles le grain qui y est introduit par le moyen de la tremie K & de l’auget. Le grain réduit en farine, sort par l’anche, & tombe dans le sac I. L’endroit où sont les chevaux s’appelle le manege. On voit à gauche de la même figure les meules séparées, & à la distance qui convient pour la mouture, avec l’ouverture de l’anche ; car le grand roüet C produit des deux côtés le même effet, & fait marcher proprement deux moulins. Mais ce n’est pas tout : le même méchanisme pourroit servir à deux moulins à l’eau ; on en voit un à droite. L’eau est tirée du puits par une pompe à chapelet : on a pratiqué dans l’étage supérieur à celui du manege un trou au plancher à travers lequel passe le grand arbre debout B. Cet arbre porte à sa partie supérieure, comme on voit aussi à son inférieure, un grand roüet CC. Les dents de ce roüet engrainent dans la lanterne KK fixée sur l’arbre de couche L, au bout duquel est adaptée une étoile M garnie de ses cornichons, à l’aide desquels elle porte & tire la chaîne à chapelet, qui passant dans un tuyau de bois N qu’elle remplit exactement, monte l’eau dans le petit réservoir O, qui est au-dessus du puits. De ce réservoir on la conduit par des tuyaux de plomb partout où l’on en a besoin.

Il ne faut pas que la farine soit trop grosse, ni qu’elle soit trop fine ; l’un & l’autre excès a ses inconvéniens : trop grosse, le suc ne s’en tire pas facilement ; trop fine, on court risque de perdre entierement le brassin ; il s’en fait alors une liaison, un mortier que l’eau ne peut pénétrer lorsque la farine est dans la cuve.

De la cuve matiere. Lorsque la farine est faite, on la met dans la cuve appellée communément cuve matiere, Planche V. A. Cette cuve A est de bois ; ses douves ont environ deux pouces ou deux pouces & demi d’épaisseur sur quatre à cinq pouces de largeur ; sa profondeur est d’environ quatre piés & demi, elle est à deux fonds : celui d’en bas est plein, comme le sont ordinairement tous les fonds de cuve : mais il est surmonté d’un second que l’on appelle faux-fond. Ce faux-fond est composé de planches percées d’une multitude de petits trous faits en cone, ou plus ouverts à la partie inférieure de la planche, qu’à sa partie supérieure. La différence de diametre de ces ouvertures est grande ; car à la partie inférieure le trou peut avoir trois quarts de pouce ou environ, & il se trouve réduit à la partie supérieure à une ligne ou environ. Ces planches sont soûtenues au-dessus du premier fond par des patins qui sont attachés sur elles-mêmes ; ces patins ont environ deux pouces de hauteur, de façon qu’il se trouve deux pouces d’intervalle entre les deux fonds.

Le faux-fond est arrêté en-dessus par un cordon de bois, qui regne tout autour de la cuve. Ce cordon a environ trois petits pouces de large, & sert à retenir tous les bouts des planches du faux-fond, & à empêcher qu’elles ne se levent avec l’eau que l’on envoye dans la cuve. Dans un endroit de la cuve le plus commode, on place debout une espece de pompe ou tuyau de bois, qu’on appelle pompe à jetter trempe. Ce tuyau passe à-travers le faux-fond, & pose sur l’autre fond, mais ne s’y applique pas. On lui a pratiqué aux quatre angles quatre especes de piés, sur lesquels il est appuyé : l’espace évuidé qui est entre ces quatre piés, suffit pour donner passage à l’eau.

Sous la cuve-matiere, il y en a une autre plus petite que l’on nomme reverdoir, & dans laquelle est équipée une pompe à chapelet, qu’on appelle pompe à cabarer. Cette pompe sert à enlever ce qui sort de la cuve-matiere, & à le renvoyer, par le moyen d’une gouttiere qu’on lui applique, dans les chaudieres, sur le bord desquelles cette gouttiere est appuyée de l’autre bout. Voyez la Planche V. A cuve-matiere : B autre cuve-matiere ; car on peut en avoir plusieurs : C, C, pompes à cabarer, qui se rendent dans les cuves placées au-dessous des cuves matieres : E, E, gouttieres : D, D, chaudieres : F, F, bacs. On verra plus bas l’usage de tous les agrès, après que nous aurons expliqué ce qui concerne les chaudieres.

Des chaudieres. Les chaudieres dont on se sert, sont faites de grandes tables de cuivre, cloüées ensemble avec des clous de même métal. Leur figure est celle d’un demi-globe. Elles sont montées sur leurs fourneaux, qui doivent être construits de brique ou de tuileau. On y employe quelquefois la pierre : mais la difficulté de trouver des pierres qui résistent au feu, fait préférer les deux autres especes de matériaux.

Pour bien construire un fourneau, il faut d’abord faire un bon massif de moilon que l’on revêtira de bons murs. Voyez fig. 2. Pl. II. A, A, A, A, &c. Ces murs étant élevés à la hauteur de deux piés & demi ou environ, suivant la grandeur des chaudieres, on pavera le fond du fourneau B, B, B, B, &c. avec du gros pavé de grais, ou avec de la brique de champ, & debout : puis on posera l’embouchure C, C, C, C, &c. L’embouchure doit être construite de trois ou quatre barres de fer, fortes & larges de cinq à six pouces ; chacunes assemblées avec des entretoises de pareil fer. L’embouchure étant posée, on construira le mur intérieur du fourneau, qu’on voit même Planche, fig. 9. en D, D, D. Cette figure est une coupe verticale de la chaudiere & du fourneau, prise sur le milieu de l’embouchure qu’elle partage en deux selon sa longueur. Ce mur intérieur doit être de brique ou de tuileau. On l’élevera environ de quinze pouces à plomb. Sa forme, comme on voit, est concave. Après quoi on le continuera à grand fruit. Quant à la forme qu’on lui donnera, ce sera celle d’une calote sphérique concave, capable d’embrasser la chaudiere dans toute sa surface, excepté à l’endroit qui correspond au fourneau, où la chaudiere n’a aucune partie de construction qui s’y applique, & que par-tout ailleurs il y a entre la chaudiere & le mur en calote sphérique concave, cinq à six pouces de distance. Il n’y a rien qui corresponde au fond de la chaudiere E, comme on voit figure 9. L’espace du mur & de la chaudiere F, F, plus grand par en bas que par-tout ailleurs, va toûjours en diminuant à mesure qu’il s’éleve vers les bords de la chaudiere. Cette construction est très-raisonnable ; par ce moyen les parties de la chaudiere sont d’autant plus découvertes, qu’elles sont plus exposées à l’action du feu ; & la flamme resserrée à mesure qu’elle monte, se replie sur elle-même, & enveloppe toute la chaudiere, s’élevant jusqu’aux ventouses qui sont perpendiculairement au-dessus de l’embouchure, environ à cinq à six piés plus haut. Il n’est pas nécessaire d’avertir qu’il faut garnir & élever les murs de revêtissement, à mesure que l’on éleve ceux du fourneau qui doivent commander aux autres. Lorsqu’on a poussé la construction jusqu’en G, G, à quatre à cinq pouces des agraffes de la chaudiere, qui doivent être faites de cuivre pour plus grande solidité, on fermera tout-à-coup le fourneau ; ensorte que toutes les briques toucheront pour lors la chaudiere ; & l’on continuera de construire ainsi lors même qu’on sera au-dessus des agraffes, avec cette différence seulement, que les briques depuis le pié du mur jusqu’aux agraffes, seront unies avec de la terre à four ; & que depuis les agraffes jusqu’aux bords & au-dessus des bords, on les liera avec un mortier de chaux & un ciment d’eau-forte. On observera, lorsqu’on posera les briques avec le mortier de chaux & le ciment, de faire mouiller les briques, afin qu’elles soient plus disposées à faire corps avec le ciment.

Lorsqu’on a conduit la maçonnerie à la hauteur de la chaudiere, & qu’on aura construit les ventouses ; les cheminées R, R, fig. 1. les hottes S, S, on posera sur le devant de la chaudiere, c’est-à-dire à la partie opposée à l’embouchure du fourneau, une jante de bois d’orme de 4 à 5 pouces d’équarrissage, & dont la largeur couvre l’épaisseur du mur. On garnira & l’on arrasera cette jante tout autour de la chaudiere & des bords, avec des briques & du ciment. La maçonnerie ainsi arrasée, on posera les sommiers : ce sont deux pieces de bois de chêne d’environ neuf pouces de largeur, sur un pié de hauteur, qui doivent traverser la chaudiere dans toute sa largeur, laissant entr’elles un espace de vingt à vingt-deux pouces qui restera toûjours vuide, afin de pouvoir emplir & vuider les chaudieres. Ces deux pieces de bois étant aussi arrasées par la maçonnerie de brique & de ciment, on posera dessus des planches, comme on les voit en T, T, T, fig. 1. Planche II. ou fig. 1. Planche V. Ces planches seront attachées sur les sommiers, serviront de couvertures à la chaudiere, & porteront les bacs à jets, qui doivent toûjours être sur les chaudieres, & qu’on y voit fig. 1. Planche V. en F, F.

Des bacs. Les bacs sont des especes de réservoirs destinés à recevoir la bierre lorsqu’elle est faite. Il y en a de deux sortes, les bacs à jetter, & les bacs de décharge. Les bacs à jetter dont il s’agit ici, & qu’on voit en F, F, fig. 1. Pl. V. sont placés sur les chaudieres, & sont faits pour recevoir tout ce qui en sort, soit eau, soit bierre : mais les liqueurs ne font que passer dessus, & n’y restent jamais ; aussi sont-ils plus petits que les autres. Les bacs de décharge sont destinés à recevoir la bierre lorsqu’elle est faite, & qu’elle a cessé de cuire dans les chaudieres. On fait couler dessus ces bacs la bierre avec le houblon, par le moyen de gouttieres faites & disposées exprès. La bierre reste dessus jusqu’à ce qu’elle soit prête à mettre en levain dans la cuve guilloire, dont nous parlerons ci-après.

Nous avons suffisamment exposé ce qui concerne les agrès de la brasserie : nous allons maintenant retourner au grain moulu, que nous avons laissé dans la cuve-matiere, & continuer la fabrication de la bierre, ou l’art de brasser, qui ne commence proprement qu’en cet endroit.

Maniere de brasser. Après qu’on a tiré de l’eau du puits, & qu’on en a rempli les chaudieres, on fait du feu dans les fourneaux sur lesquels elles sont placées, jusqu’à ce que l’eau ait acquis le degré de chaleur convenable pour jetter trempe. Il faut bien prendre garde que l’eau ne soit ni trop chaude, ni trop froide. Cela est de la derniere conséquence pour la fabrication. Le trop de chaleur est cause que l’on ne peut ensuite faire fermenter la bierre, ni par conséquent la dépurer de tout ce qu’elle a de grossier. Le trop peu peut nuire encore davantage, une trempe trop douce ne manquant jamais de lier en quelque sorte la farine, de l’empêcher de filtrer, & d’occasionner la perte des brassins.

Il n’est pas facile de juger si l’eau est bonne ; c’est une affaire d’un tact expert à goûter les eaux : c’est le terme des Brasseurs. On goûte les eaux, en présentant le bout du doigt à leur surface. Si l’eau pique au premier abord, c’est un signe qu’elle est bonne. Cette détermination me paroît bien vague. Il me semble qu’il vaudroit beaucoup mieux s’en rapporter au thermometre : il ne s’agiroit que d’un nombre suffisant d’expériences faites avec cet instrument en différentes saisons.

On appelle jetter trempe, vuider l’eau de la chaudiere dans les bacs à jetter qu’on voit en F, F, sur les chaudieres. Cette manœuvre se fait à l’aide d’un instrument qu’on appelle un jet. Il est représenté Pl. II. fig. 4. C’est un grand chaudron de cuivre fait exprès, & emmanché d’un long morceau de bois, au bout duquel est un contrepoids de plomb qui allege le fardeau du jet & de l’eau qu’il contient, & facilite son mouvement. Le milieu du manche porte sur la jante de bois qui occupe l’intervalle des deux sommiers qui sont sur la chaudiere ; on laisse tomber la cuilliere du jet dans la chaudiere. Quand elle est pleine on applique la main vers le contrepoids ; la cuilliere s’éleve jusqu’à la hauteur du bac, dans lequel on renverse l’eau qu’elle contient, en lui donnant un tour de poignet.

Il faut observer que, tandis qu’on jette l’eau hors de la chaudiere, il faut tirer le feu de dessous ; sans quoi la chaudiere se vuidant & restant à sec, & le feu continuant dans le fourneau, la chaudiere risqueroit d’être brulée. L’eau est conduite des chaudieres par les bacs dans la cuve matiere, par le moyen d’une gouttiere qui porte d’un bout à l’endroit où le bac à jetter est percé, & de l’autre sur les bords de la cuve matiere. Mais la maniere dont elle est portée dans la cuve matiere est très-ingénieuse : la gouttiere, ou plûtôt son ouverture correspond à celle de la pompe à jetter dont nous avons parlé : l’eau, au sortir de la gouttiere, tombe dans la pompe à jetter ; la pompe à jetter la transmet jusqu’au fond-plein de la cuve matiere. L’intervalle compris entre le fond-plein & le faux-fond ou fond percé de trous coniques, se remplit d’eau ; quand il en est plein, alors l’eau des chaudieres qui continue de descendre par la pompe à jetter, force celle qui est contenue entre les deux fonds, à sortir par les trous du faux-fond : cet effort est considérable, comme le penseront bien ceux qui savent que les liqueurs agissent en tout sens, en raison de leur hauteur & de leur base. La farine qui couvre le faux-fond est enlevée du faux-fond par l’effort de l’eau jaillissante par les trous, jusqu’au niveau des bords de la cuve. Cinq ou six garçons brasseurs, armés chacun d’un fourquet, ou d’un instrument tel qu’on le voit fig. 7. Pl. II. (c’est une espece de pelle de fer ou de cuivre, percée dans son milieu de deux grands yeux longitudinaux) ; ces ouvriers, dis-je, font vis-à-vis d’eux, chacun un trou dans la farine, l’écartant avec leur fourquet jusqu’à ce qu’ils ayent atteint l’eau qui l’enleve en masse. Aussi-tôt qu’ils l’ont atteinte, ils agitent la farine ; ils travaillent à la méler à l’eau ; ils n’épargnent aucun moyen de la bien délayer, du moins en gros. A cette manœuvre, ils en font succéder une autre. Ils quittent le fourquet. Ils prennent la vague : c’est un long instrument de bois, terminé par trois fourchons, traversés tous trois horisontalement par trois ou quatre chevilles, ce qui divise l’espace total contenu entre les fourchons en plusieurs espaces plus petits. Voy. Pl. des outils de Brass. Ils plongent la vague dans la cuve, & agitent fortement l’eau & la farine avec cet instrument. Dès ce moment, le mêlange d’eau & de farine contenu dans la cuve-matiere, s’appelle le fardeau, & la derniere manœuvre s’appelle vaguer. On ne cesse de vaguer, que quand la farine est délayée le plus parfaitement qu’on peut.

Du fardeau. Le fardeau reste dans cet état une heure ou environ, pendant laquelle toute la farine se précipite & se repose sur le faux-fond. La liqueur que pour lors on nomme les métiers, demeure au-dessus ; au bout d’une heure, les métiers étant éclaircis, on donne avoi, en levant une tape de bois, qui traverse le faux-fond, & ferme un trou pratiqué dans le fond de la cuve. La tape de bois étant levée, la liqueur passe dans le reverdoir, petite cuve dont nous avons fait mention ci-dessus. Quand je dis la liqueur, j’entens celle qui est comprise entre les deux fonds. Pour celle qui est sur le fardeau ; lorsque l’espace compris entre le fond & le faux-fond est vuide, elle se filtre à travers le fardeau, & acheve de se charger du suc contenu dans cette farine.

Pendant que les métiers s’éclaircissent, comme on vient de le dire, on remplit une des chaudieres avec de l’eau nouvelle, jusqu’à une certaine hauteur ; on met sur cette eau une partie des premiers métiers, & l’on acheve de remplir la chaudiere pour la seconde trempe : on fait de nouveau feu dessous la chaudiere, & on l’entretient jusqu’à ce qu’elle commence à bouillir. Le reste des métiers est déposé dans une autre chaudiere.

Lorsque la matiere de la seconde trempe, ou l’eau mêlée avec les premiers métiers commence à bouillir, on jette cette seconde trempe comme la premiere, avec la gouttiere & par la pompe à jetter trempe ; on délaye avec le fourquet ; on agite avec la vague, & on laisse encore reposer le fardeau environ une heure. Au bout de cette heure, on donne avoi & on reçoit la liqueur dans le reverdoir, comme à la premiere fois ; on la fait passer du reverdoir dans les chaudieres, ainsi que nous l’avons dit plus haut, à l’occasion de ce vaisseau, à l’aide d’une pompe à chapelet ; c’est alors qu’on met la quantité convenable de houblon : on fait du feu sous la chaudiere, & le tout cuit ensemble.

La quantité de houblon varie, selon sa force & selon celle de la bierre, ou plûtôt la quantité de grain qu’on y a employée : on peut cependant assûrer qu’il en faut depuis trois jusqu’à quatre livres par piece ; & par conséquent une soixantaine de livres sur un brassin de treize à quatorze pieces. Il n’y a point de préparation à lui donner.

Mais le grain & le houblon ne sont pas les seuls ingrédiens qu’on fasse entrer dans la bierre ; il y en a qui y ajoûtent la coriandre, soit en grain soit moulue. Ceux qui l’employent en grain l’enferment dans un sac qu’ils suspendent dans la cuve guilloire : ceux qui la font moudre, ou l’enferment dans un sac qu’ils suspendent dans la cuve guilloire, comme si elle étoit en grain, ou en saupoudrent la bierre quand elle est sur les bacs à décharger. Au reste on fait très bien de la bierre sans coriandre : cependant on en peut mettre une chaudronnée de dix à douze pintes sur un brassin de treize à quatorze pieces ; & ce que nous avons dit, indique très-clairement le moment d’en faire usage.

De la cuisson. C’est alors que le travail de la bierre rouge & de la bierre blanche commence à devenir différent : car jusqu’ici, toute la façon a été la même pour l’une & pour l’autre, si ce n’est que l’on a fait beaucoup plus sécher le grain à la touraille pour la bierre rouge que pour la blanche.

La cuisson de la bierre rouge est beaucoup plus considérable que celle de la blanche. La cuisson de la bierre blanche se fait en trois ou quatre heures, suivant la capacité des chaudieres ; & celle de la rouge en demande jusqu’à trente & quarante. Il faut avoüer aussi que la bierre blanche se cuit à bien plus grand feu que la rouge ; au reste le plus ou le moins de cuisson, tant du grain sur la touraille, que de la bierre même dans les chaudieres, est la seule chose qui fasse la différence de la couleur des bierres.

Lorsque la bierre est suffisamment cuite, on vuide les chaudieres avec le jet, comme nous l’avons dit ailleurs, & cela s’appelle décharger : c’est pour lors que la bierre en sortant des bacs à jetter, qui sont sur les chaudieres, entre dans les grands bacs ou bacs de décharge, & y reste avec le houblon, jusqu’à ce qu’elle soit bonne à mettre en levain.

Du levain. On ne peut dire au juste à quel degré de tiédeur ou de chaleur il faut prendre la bierre pour la mettre en levain ; attendu que ce degré varie suivant les différentes températures de l’air, & qu’on est obligé de mettre en levain à un degré beaucoup plus chaud dans l’hyver que dans l’été. Il faut dans cette derniere saison que la bierre soit presque froide ; il n’y a qu’un long usage & une grande expérience qui puissent instruire là-dessus, ou les observations au thermometre : c’est assûrément ici une des occasions où cet instrument peut être très utile.

Lorsque la bierre est prête à être mise en levain, on en fait couler dans la cuve, qu’on appelle cuve guilloire, par le moyen des robinets qui sont aux bacs ; on en fait couler, dis-je, une certaine quantité, dans laquelle on jette de la levure de bierre, plus ou moins suivant la quantité de bierre qu’on a à mettre en levain. La levure est la cause & l’effet de la fermentation ; desorte que celle que l’on met dans la bierre y occasionnant la fermentation, engendre de nouvelle levure & ainsi successivement ; il faut environ la production de levure de quatre à cinq pieces, pour en mettre en levain la quantité de trente pieces.

La levure étant mise dans la quantité de bierre que l’on a fait passer des bacs à décharger dans la cuve guilloire ; on a ce qu’on appelle le pié de levain : on ferme les robinets, & on laisse le pié de levain environ une heure ou deux dans cet état ; pendant ce tems, le principe de la fermentation s’établit. On connoît que ce principe est suffisamment établi, aux crevasses qui se font à la mousse, en différens endroits de la surface de la cuve ; ces crevasses représentent assez au naturel une pate d’oie : pour lors il faut de nouveau faire couler de la bierre des bacs à décharger dans la cuve guilloire, afin d’entretenir la fermentation, observant néanmoins de ne pas lâcher les robinets d’abord à plein canal ; car on s’exposeroit à fatiguer, & peut-être à noyer le pié de levain : au lieu que si l’on modere les avois pendant quelques tems, la fermentation se conserve vigoureuse, & il vient un moment où l’on peut en sûreté ouvrir les robinets entierement.

Quand toute la bierre a passé des bacs à décharger dans la cuve guilloire, la fermentation continue ; elle augmente jusqu’à un certain point de force ou de maturité, auquel on peut entonner la bierre. On connoît que le levain est mûr, lorsque les rochers de mousse que la fermentation a engendrés commencent à s’affaisser & à fondre sous eux-mêmes, & ne se reproduisent plus ; & qu’on ne remarque plus à la superficie du levain qu’une grosse écume extrèmement dilatée : pour lors il faut frapper sur cette écume avec une longue perche, & la faire rentrer dans la liqueur ; & c’est ce qu’on appelle battre la guilloire.

Lorsque la guilloire est battue, on entonne la bierre dans des tonneaux rangés à côté les uns des autres sur des chantiers, sous lesquels sont des bacquets, ou moitiés de tonneau ; c’est dans ces vaisseaux que tombe la levure au sortir des tonneaux. L’endroit de la brasserie où sont rangés les tonneaux s’appelle l’entonnerie. Voyez Pl. V. de Brasserie, une entonnerie.

De la levure. La levure ne se forme pas aussi-tôt que la piece est entonnée, quoique la fermentation, selon toute apparence, n’ait pas cessé ; il ne sort d’abord que de la mousse qui se fond promptement en bierre : ce n’est guere qu’au bout de trois ou quatre heures, que la levure commence à se former. On distingue facilement le changement ; alors la mousse ne sort plus si promptement : elle devient plus grasse & plus épaisse ; mais bien-tôt après la fermentation se rallentit, pour lors on pure le bacquet, c’est-à-dire, qu’on en retire la bierre provenue de la fonte des mousses, & on en remplit les tonneaux. Mais comme le produit des bacquets ne suffit pas pour le remplissage, on a recours à de la bierre du même brassin mise en réserve pour cet effet.

Les tonneaux ainsi remplis recommencent à fermenter avec plus de vivacité que jamais, & jettent pour lors de la vraie levure. On a soin de soûtenir & de cultiver la fermentation, en remplissant de tems en tems les tonneaux ; c’est-à-dire que deux heures après qu’on a fait le premier remplissage, on en fait un second, mais sans purer les bacquets. Les bacquets ne se purent qu’une fois ; après deux autres heures, on fait un troisieme remplissage : au bout d’une heure le quatrieme, & à peu près à même distance de tems, le cinquieme & dernier.

Tous ces différens remplissages faits, on laisse la bierre tranquille sur les chantiers ; & ce n’est que vingt-quatre heures après le dernier remplissage qu’elle peut être bondonnée. Si on se hâtoit de bondonner, la fermentation n’étant pas achevée, on exposeroit les pieces à s’entrouvrir en quelqu’endroit.

Voilà donc la bierre faite, & en état d’être mise en cave : mais si l’on est pressé d’en faire usage, & que l’on n’ait pas le tems de la laisser éclaircir naturellement, ce qui ne s’éxécute pas trop promptement, on y remédie en la collant.

De la colle. On colle la bierre, ainsi que le vin, avec de la colle de poisson qui se prépare de la maniere suivante : prenez la colle de poisson, battez-la avec un marteau, afin de pouvoir la déchiqueter plus facilement ; mettez-la en pieces les plus petites qu’il est possible ; faites-la tremper dans de l’eau pendant vingt-quatre ou trente heures ; renouvellez l’eau, sur-tout dans les tems chauds, pour prévenir la corruption : après que la colle aura trempé, retirez-la de l’eau ; maniez-la fortement jusqu’à ce qu’elle soit devenue comme de la pâte ; délayez-la ensuite dans de l’eau claire, & faites-en comme de l’orgeat très-épais : après cette premiere préparation elle ne tarde pas à prendre une autre forme, & à devenir, de lait qu’elle sembloit être, une gélée de viande très-forte, en versant dessus une quantité suffisante de vin blanc, ou de bierre très-vieille, & remuant bien le tout ensemble : plus on remue, plus on s’apperçoit que la gelée prend de consistance : quand elle en a suffisamment, on la laisse dans cet état jusqu’à ce qu’on veuille s’en servir.

Quand on veut éclaircir la bierre par le moyen de la colle, on prend de cette gelée dont on vient de parler ; on la délaye dans de l’eau ; on passe ce mêlange à travers un linge : il ne faut pas qu’il y ait trop d’eau ; si la colle étoit trop délayée, elle ne produiroit plus d’effet.. On prend environ une pinte de colle délayée & passée pour un demi-muid : quand on a versé la colle dans la piece, on y introduit un bâton de la longueur du bras ; on agite fortement la liqueur pendant environ une ou deux minutes, & on laisse le tonneau environ douze heures sans le reboucher ; cela fait avec soin, au bout de vingt-quatre heures on aura de la bierre très-claire.

Voilà tout ce qui concerne la maniere de brasser, & les instrumens du Brasseur. Un homme intelligent pourroit, sur cette description & sur l’inspection de nos planches, lever une brasserie, & faire de la bierre : il ne lui resteroit à apprendre que ce qu’on ne tient que de l’expérience, comme la chaleur de l’eau propre à jetter trempe, celle de la bierre pour être mise en levain, & autres circonstances pareilles. L’agrès d’une brasserie où l’on remarque particulierement de l’invention, c’est la cuve à deux fonds, que les Brasseurs appellent cuve matiere : si au lieu de faire enlever le fardeau de farine par des eaux qui le prennent en-dessous, on eût fait tomber les eaux dessus, ces eaux l’auroient pénetré, appesanti, lié, & il eût été presqu’impossible de le travailler, soit au fourquet, soit à la vague. Le faux-fond & la pompe à jetter trempe, sont une application très-ingénieuse & très-utile du principe d’action des fluides : un bon physicien n’auroit pas imaginé mieux que l’ouvrier à qui l’on doit cette invention, en vertu de laquelle la masse de farine est prise en-dessous, & portée toute entiere vers le haut de la cuve, d’où l’ouvrier n’a plus qu’à la précipiter vers le fond ; ce qui lui est infiniment plus facile que d’avoir à l’élever du fond vers le haut de la cuve : d’ailleurs l’eau renfermée entre la farine & le fond, se conserve dans une chaleur presqu’égale, & la trempe en est d’autant meilleure. Les petits trous du faux fond, après avoir servi à l’exhaussement de la farine pour la vaguer, servent, après qu’elle est vaguée, à la filtration de l’eau chargée de son suc ; & il y a bien de l’apparence que la nécessité de cette filtration a fait d’abord imaginer le faux fond, & qu’on a passé de-là à la pompe à jetter trempe.

Les uns font venir le mot brasser de brace, espece de grain dont on faisoit la bierre : les autres de bras ou de ses composés, parce que la manœuvre la plus fatigante s’exécute à force de bras. Les brasseries sont fort anciennes à Paris ; & les Brasseurs avoient des statuts en 1268, sous S. Louis. Ceux auxquels ils sont soûmis se réduisent à un petit nombre d’articles.

1°. Il y est dit que nul ne brassera & ne charriera ou fera charrier bierre, les dimanches, les fêtes solemnelles & celles de Vierge.

2°. Que nul ne pourra lever brasserie sans avoir fait cinq ans d’apprentissage, & trois ans de compagnonage, avec chef-d’œuvre.

3°. Qu’il n’entrera dans la bierre que bons grains & houblons bien tenus & bien nettoyés, sans y mêler sarrasin, ivraie, &c. pour cet effet les houblons seront visités par les jurés, afin qu’ils ne soient employés échauffés, moisis, gâtés, mouillés, &c.

4°. Qu’il ne sera colporté par la ville aucune levure de bierre, mais qu’elle sera toute vendue dans la brasserie aux Boulangers & Pâtissiers, & non à d’autres.

5°. Que les levures de bierre apportées par les forains seront visitées par les jurés avant que d’être exposées en vente.

6°. Qu’aucun Brasseur ne pourra tenir dans la brasserie. bœuf, vache, porc, oison, canne, volaille, comme contraire à la netteté.

7°. Qu’il ne sera fait dans une brasserie qu’un brassin par jour, de quinze septiers de farine au plus. Je doute que cet article soit exécuté.

8°. Que les caques, barrils, & autres vaisseaux à contenir bierre, seront marqués de la marque du Brasseur, laquelle marque sera frappée en présence des jurés.

9°. Qu’aucun maître n’emportera des maisons qu’il fournit de bierre, que les vaisseaux qui lui appartiendront par convention.

10°. Que ceux qui vendent en détail seront soûmis à la visite des jurés.

11°. Que nul ne pourra s’associer dans le commerce d’autres qu’un maître du métier.

12°. Qu’aucun maître n’aura qu’un apprenti à la fois, & que cet apprenti ne pourra être transporté sans le consentement des jurés. Il y a exception à la premiere partie de cet article pour la derniere année : on peut avoir deux apprentis, dont l’un commence sa premiere année, & l’autre sa cinquieme.

13°. Que tout fils de maître pourra tenir ouvroir en faisant chef-d’œuvre.

14°. Que nul ne recevra pour compagnon celui qui aura quitté son maître, outre le gré de ce maître.

15°. Qu’une veuve pourra avoir serviteurs & faire brasser, mais non prendre apprentis.

16°. Que les maîtres ne se soustrairont ni ouvriers ni apprentis les uns aux autres.

17°. Qu’ils éliront trois maîtres pour être jurés & gardes, deux desquels se changeront de 2 en 2 ans.

18°. Que ces jurés & gardes auront droit de visite dans la ville, les faubourgs & la banlieue.

La bierre est sujette à des droits ; & pour que le Roi n’en soit pas frustré, le Brasseur est obligé à chaque brassin d’avertir le commis du jour & de l’heure qu’il met le feu sous les chaudieres, sous peine d’amende & de confiscation.

Comme on ne peut faire de la bierre sans y employer beaucoup de grain, le roi fait surseoir les brasseries dans les tems de disette.

Il y eut jadis une grande contestation sur la vente que les Brasseurs faisoient de la levure de bierre aux Boulangers & aux Pâtissiers : on prétendoit qu’elle étoit mal-saine ; la Faculté de Paris décida le contraire.