L’Encyclopédie/1re édition/DISSONNANCE
DISSONNANCE, s. f. en Musique, est tout accord desagréable à l’oreille, tout intervalle qui n’est pas consonnant ; & comme il n’y a point d’autres consonnances que celles que forment entr’eux les sons de l’accord parfait, (Voyez Consonnance), il s’ensuit que tout autre intervalle est une véritable dissonnance : les anciens ajoûtoient même à ce nombre les tierces & les sixtes qu’ils n’admettoient point pour accords consonnans.
Il y a donc une infinité de dissonnances possibles ; mais dans la Musique, comme il faut exclure tous les intervalles que le système reçu ne fournit pas, elles se réduisent à un assez petit nombre ; encore pour la pratique ne doit-on choisir parmi celles-là que celles qui conviennent au genre & au mode, & enfin exclure même de ces dernieres toutes celles qui ne peuvent s’employer selon les regles prescrites.
Le principe physique de l’harmonie se trouve dans la production de l’accord parfait par un son quelconque. Toutes les consonnances en naissent, & c’est la nature même qui les fournit. Il n’en est pas ainsi de la dissonnance. Nous trouvons bien, si l’on veut, sa génération dans les différences des consonnances, mais nous n’appercevons point de raison physique qui nous autorise à les introduire dans le corps même de l’harmonie. Le P. Mersenne se contente de montrer la génération & les divers rapports des dissonnances, tant de celles qui sont rejettées, que de celles qu’on admet, mais il ne dit rien du droit de les employer. M. Rameau dit en termes formels que la dissonnance n’est pas naturelle à l’harmonie, & qu’elle n’y peut être employée que par le secours de l’art. Cependant dans un autre ouvrage, il essaie d’en trouver le principe dans les rapports des nombres & les proportions harmonique & arithmétique. Mais après avoir bien épuisé des analogies, après bien des métamorphoses de ces diverses proportions les unes dans les autres, après bien des opérations, après bien des calculs, il finit par établir sur de legeres convenances les dissonnances qu’il s’est tant fatigué à chercher. Ainsi, parce que dans l’ordre des sons harmoniques la proportion arithmétique lui donne, à ce qu’il prétend, une tierce mineure au grave ; il ajoûte au grave de la soû-dominante une nouvelle tierce mineure : la proportion harmonique lui donne la tierce mineure à l’aigu, & il ajoûte à l’aigu une nouvelle tierce mineure. Ces tierces ajoûtées ne font point, il est vrai, de proportion avec les rapports précédens ; les rapports mêmes qu’elles devroient avoir se trouvent altérés. Mais M. Rameau croit pouvoir tout concilier : la proportion lui sert pour introduire la dissonnance, & le défaut de proportion lui sert pour la faire sentir.
Personne donc n’ayant trouvé jusqu’ici le principe physique de la dissonnance employée dans l’harmonie, nous nous contenterons d’expliquer mécaniquement sa génération, & nous laisserons-là les calculs.
Je suppose la nécessité de la dissonnance reconnue. (Voyez Harmonie & Cadence.) Il s’agit de voir où l’on doit la prendre, & comment il faut l’employer.
Si l’on compare successivement tous les sons de l’échelle diatonique avec le son fondamental dans chacun des deux modes, on n’y trouvera pour toute dissonnance que la seconde & la septieme qui n’est qu’une seconde renversée, & qui fait réellement seconde avec l’octave. Quelques-autres intervalles altérés peuvent devenir dissonnans ; mais si la seconde ne s’y trouve pas exprimée ou sous-entendue, ce sont seulement des accidens de modulation auxquels l’harmonie n’a aucun égard, & ces dissonnances ne sont point alors traitées comme telles. Ainsi c’est une chose certaine qu’où il n’y a point de seconde, il n’y a point de dissonnances, & la seconde est proprement la seule dissonnance qu’on puisse employer.
Pour réduire toutes les consonnances à leur moindre intervalle, ne sortons point des bornes de l’octave. Prenons l’accord parfait, sol, si, ré, sol, & voyons en quel lieu de cet accord nous pourrions placer une dissonnance, c’est-à-dire une seconde, pour la rendre le moins choquante à l’oreille qu’il est possible. Sur le la entre le sol & le si, elle feroit seconde avec l’une & avec l’autre, & par conséquent dissonneroit doublement. Il en seroit de même entre le si & le ré, comme entre tout intervalle de tierce ; reste l’intervalle de quarte entre le ré & le sol. Ici l’on peut introduire un nouveau son de deux manieres. 1o. On peut ajoûter la note fa qui fera seconde avec le sol, & tierce avec le ré. 2o. Ou la note mi qui fera seconde avec le ré, & tierce avec le sol. Il est évident qu’on aura de chacune de ces deux manieres, la dissonnance la moins dure qu’on puisse trouver ; car elle ne dissonnera qu’avec un seul son, & elle engendrera une nouvelle tierce, qui, aussi bien que les deux précédentes, contribuera à la douceur de l’accord total. D’un côté, nous aurons l’accord de septieme, & de l’autre, l’accord de sixte ajoûtée, comme l’appelle M. Rameau.
Il ne suffit pas de faire entendre la dissonnance, il faut la résoudre ; vous ne choquez d’abord l’oreille, que pour la flater ensuite plus agréablement. Voilà deux sons joints ; d’un côté la quinte & la sixte, de l’autre la septieme & l’octave : tant qu’ils feront ainsi la seconde, ils resteront dissonnans : mais qu’ils s’éloignent d’un degré ; que l’un monte ou que l’autre descende diatoniquement, votre seconde de part & d’autre sera devenue une tierce, c’est-à-dire, une des plus agréables consonnances. Ainsi après sol fa, vous aurez sol mi ou fa la ; & après ré mi, mi ut, ou ré fa ; c’est ce qu’on appelle, sauver la dissonnance.
Reste à déterminer lequel de ces deux sons joints doit monter ou descendre, & lequel doit rester en place : mais le motif de détermination saute aux yeux. Que la quinte ou l’octave restent comme cordes principales, que la sixte monte & que la septieme descende comme sons accessoires, comme dissonnances. De plus, si des deux sons joints, c’est à celui qui a le moins de chemin à faire de marcher par préférence, le fa descendra sur le mi après la septieme, & le mi de l’accord de sixte ajoûtée montera sur le fa, par opposition.
Voyons maintenant quelle marche doit tenir le son fondamental relativement au mouvement assigné à la dissonnance. Puisque l’un des deux sons joints reste en place, il doit faire liaison avec l’accord suivant. L’intervalle que doit former la basse fondamentale en quittant l’accord, doit donc être déterminé par ces deux conditions. 1o. Que l’octave du son précédent puisse rester en place après l’accord de septieme, la quinte après l’accord de sixte ajoûtée. 2o. Que le son sur lequel se résout la dissonnance, soit une des harmoniques de celui auquel passe la basse fondamentale. Or le meilleur mouvement de la basse étant par intervalles de quinte, si elle descend de quinte dans le premier cas, ou qu’elle monte de quinte dans le second, toutes les conditions seront parfaitement remplies, comme il est évident par la seule inspection de l’exemple. (Voyez fig. 9. Pl. I. de Musique.
De-là on tire un moyen de connoître à quelle corde du ton chacun de ces accords convient le mieux. Quelles sont dans chaque ton les deux cordes les plus essentielles ? c’est la tonique & la dominante. Comment la basse peut-elle marcher sur deux cordes essentielles du ton en descendant de quinte ? c’est en passant de la dominante à la tonique. Donc la dominante est la corde à laquelle convient le mieux l’accord de septieme. Comment la base, en montant de quinte, peut-elle marcher sur deux cordes essentielles du ton ? c’est en passant de la tonique à la dominante. Donc la tonique est la corde à laquelle convient l’accord de sixte ajoûtée. La basse peut avoir d’autres marches, mais ce sont là les plus parfaites & les deux principales cadences. Voyez Cadence.
Si l’on compare les deux dissonnances trouvées avec le son fondamental, on trouve que celle qui descend est une septieme mineure, & celle qui monte, une sixte majeure ; d’où l’on tire cette nouvelle regle, que les dissonnances majeures doivent monter, & les mineures descendre : car en général un intervalle majeur a moins de chemin à faire en montant, & un intervalle mineur en descendant.
Quand l’accord de septieme porte tierce majeure, cette tierce fait avec la septieme une autre dissonnance qui est la fausse quinte, & le triton par renversement. Cette tierce vis-à-vis de la septieme, s’appelle encore dissonnance majeure, & il lui est prescrit de monter, mais c’est en qualité de note sensible ; &, sans la seconde, cette prétendue dissonnance ou n’existeroit point, ou ne seroit point traitée comme telle.
J’ai fait voir au mot Cadence, comment l’introduction de ces deux principales dissonnances, la septieme & la sixte ajoutée, donne le moyen de lier une suite d’harmonie, en la faisant monter ou descendre à son gré.
Je ne parle point ici de la préparation de la dissonnance, parce qu’elle a trop d’exception pour en faire une regle générale. (Voyez Préparer.) A l’égard des dissonnances par supposition ou suspension, voyez ces deux mots. Enfin je ne dis rien non plus de la septieme diminuée, qui est un accord très-singulier, mais j’en toucherai quelque chose au mot Enharmonique. Voyez aussi le mot Accord. (S)
Il me semble que sans avoir aucun recours aux progressions, & même sans s’écarter pour le fond des principes de M. Rameau, on peut rendre raison de la dissonnance en cette sorte. Ut étant supposé la tonique, sol & fa sont la dominante & la soû-dominante : si je ne fais porter à sol que l’accord parfait, je ne saurai plus si je suis en ut ou en sol ; mais si je joins à cet accord la soû-dominante fa en cette sorte sol si ré fa, alors cette union de la dominante & de la soû-dominante d’ut dans un même accord, sert à m’indiquer que je suis dans le mode d’ut. De même à l’accord fa la ut de la soû-dominante, je devrois joindre le son sol : mais comme cela produiroit deux secondes dissonnantes, fa sol, sol la ; je prends au lieu de sol, ré qui en est la quinte, & j’ai fa la ut ré pour l’accord de soû-dominante, & la dissonnance est ré. Au reste tout ceci n’est point une explication physique de l’addition de la dissonnance à l’harmonie ; addition qui, selon M. Rameau, est l’ouvrage de l’art, & non de la nature.
A l’exemple de la dissonnance ou septieme fa ajoûtée à l’accord de soû-dominante, l’on a formé plusieurs accords de septieme dissonnans, comme ré fa la ut, si ré fa la. (Voyez Double emploi) ut mi sol si, &c. dans lesquels la dissonnance est une septieme majeure ou mineure. Voyez mes élémens de Musique, part. I. chap. xj. xiv. xv. xvj. (O)