L’Encyclopédie/1re édition/ECHIQUIER

La bibliothèque libre.

ECHIQUIER, s. m. (Hist. & Jurisp.) scacarium, & non pas statarium, comme quelques-uns l’ont lû dans les anciens manuscrits. On a donné ce nom dans quelques pays, comme en Normandie & en Angleterre, à certaines assemblées de commissaires délégués pour réformer les sentences des juges inférieurs dans l’étendue d’une province.

Le nom d’échiquier vient de ce que le premier échiquier, qui fut celui de Normandie, se tenoit dans une salle dont le pavé étoit fait de pierres quarrées noires & blanches alternativement, comme les tabliers ou échiquiers qui servent à joüer aux échecs ; d’autres prétendent que le nom d’échiquier, donné à ce tribunal, vient de ce qu’il y avoit sur le bureau un tapis échiqueté de noir & de blanc.

Les échiquiers ont quelque rapport avec les assises, avec cette différence néanmoins, que les jugemens des échiquiers sont en dernier ressort ; ainsi ils ont plus de rapport avec les grands jours qui se tenoient par ordre du roi, & qui jugeoient aussi en dernier ressort.

Il y a plusieurs échiquiers en Normandie. Le roi de Navarre avoit le sien. Il y en a encore un en Angleterre, ainsi qu’on l’expliquera dans les subdivisions suivantes. Voyez le glossaire de Ducange, au mot scacarium, & celui de Lauriere, au mot Echiquier. (A)

Echiquier d’Alençon, étoit un échiquier particulier pour le bailliage d’Alençon, & indépendant de l’échiquier général de Normandie, qui se tenoit à Roüen. Ce tribunal fut établi lorsque le comté d’Alençon fut donné en apanage à des princes de la maison de France, ou peut-être même dès le tems que les comtes d’Alençon étoient vassaux des ducs de Normandie.

Lors de l’érection de l’échiquier de Normandie en cour de parlement, laquelle fut faite en 1515, le bailliage d’Alençon n’étoit point du ressort de l’échiquier de Normandie. Charles de Valois duc d’Alençon, qui en joüissoit à titre d’apanage, y faisoit tenir son échiquier indépendant de celui de Roüen.

Ce prince étant mort en 1525 sans enfans, la duchesse sa veuve, qui étoit Marguerite sœur unique de François I, demeura en possession de son échiquier jusqu’à sa mort, arrivée en 1548.

Le parlement de Roüen révendiqua alors son ancien ressort sur le bailliage d’Alençon, & députa au roi Henri II, pour demander la réunion de l’échiquier d’Alençon à celui de Roüen ; mais il y eut opposition de la part du parlement de Paris à cause qu’Alençon étoit une pairie, & de la part des habitans d’Alençon, qui furent jaloux de conserver leur échiquier avec le droit de juger souverainement.

Le roi, sur le vu des titres produits par le parlement de Roüen, ordonna de faire une assemblée dans le bailliage d’Alençon, ce qui fut suivi de lettres patentes du mois de Juin ou Juillet 1550, par lesquelles toutes les causes du bailliage d’Alençon furent renvoyées au parlement de Roüen, pour y être jugées souverainement ; le duché d’Alençon étoit alors retourné à la couronne, & réduit au ressort du parlement de Roüen. Les lettres y furent registrées, avec injonction aux juges du bailliage d’Alençon de faire tous les ans leur comparence en la cour, comme il se pratiquoit à l’égard des autres siéges.

Charles IX. ayant donné, en 1566, à François de France son frere, le duché d’Alençon pour son apanage, le parlement de Paris se donna des mouvemens pour se faire attribuer la connoissance des appels de ce bailliage, sur le fondement que ce duché étoit une pairie.

Le parlement de Roüen de sa part fit des remontrances au roi & une députation, pour représenter qu’Henri II, en 1550, avoit retabli ce parlement dans ses anciens droits sur le bailliage d’Alencon ; & l’on tient que le roi les assûra qu’il ne changeroit point l’état des choses, & que cela fut exécuté en 1570.

Il paroît néanmoins que le duc d’Alençon ayant voulu rétablir son apanage sur le même pié qu’il étoit sous Charles dernier duc, mort en 1525, obtint du roi son frere, qu’il pourroit faire tenir un échiquier pour juger les procès en dernier ressort.

Le parlement de Roüen qui en fut informé, arrêta par une délibération du mois d’Août 1571, qu’il seroit fait de très-humbles remontrances au roi sur cette distraction de ressort : on ne voit point dans les registres du parlement, si ces remontrances furent faites, ni quel en fut le succès : ce qui est de certain, est que le parlement de Roüen ne rentra dans son droit de ressort sur le bailliage d’Alençon, qu’après la mort du duc, sous le regne d’Henri III. L’échiquier d’Alençon fut alors supprimé par des lettres patentes du mois de Juin 1584, qui énoncent que le duc avoit toujours joüi du droit d’échiquier pour son apanage ; par ce moyen le bailliage d’Alençon revint dans son premier état, c’est-à-dire que depuis ce tems il ressortit au parlement de Roüen. Voyez le commentaire de Beraut, à la fin ; le glossaire de Lauriere au mot échiquier, le recueil des arrêts de Froland, p. 76. (A)

Echiquier d’Angleterre ou Cour de l’Echiquier, est une cour souveraine d’Angleterre, où l’on juge les causes touchant le thrésor & les revenus du roi, touchant les comptes, déboursemens, impôts, doüannes, & amendes ; elle est composée de sept juges, qui sont le grand thrésorier, le chancelier ou sous-thrésorier de l’échiquier, qui a la garde du sceau de l’échiquier, le lord chef baron, les trois barons de l’échiquier, & le cursitor baron. Les deux premiers se trouvent rarement aux affaires que l’on doit juger suivant la rigueur de la loi ; ils en laissent la décision aux cinq autres juges, dont le lord chef baron est le principal, il est établi par lettres patentes.

Le cursitor baron fait prêter serment aux sherifs & sous-sherifs des comtés, aux baillis, aux officiers de la doüanne, &c.

Cette cour de l’échiquier est divisée en deux cours : l’une, qu’on appelle cour de loi, où les affaires se jugent selon la rigueur de la loi ; l’autre, qu’on appelle cour a équité, où il est permis aux juges de s’écarter de la rigueur de la loi pour suivre l’équité. Les évêques & les barons du royaume avoient autrefois séance à la cour de l’échiquier ; présentement les deux cours de l’échiquier sont tenues par des personnes qui ne sent point pairs, & qu’on appelle pourtant barons.

Sous le chancelier, sont deux chambellans de l’échiquier, qui ont la garde des archives & papiers, ligues & traités avec les princes étrangers, des titres des monnoies, des poids & des mesures, & d’un livre fameux appellé le livre de l’échiquier ou le livre noir, composé en 1175 par Gervais de Tilbury neveu d’Henri II. roi d’Angleterre. Ce livre contient la description de la cour d’Angleterre de ce tems-là, ses officiers, leurs rangs, priviléges, gages, pouvoir & jurisdiction, les revenus de la couronne : ce livre est enfermé sous trois clés ; on donne six schellings huit sous pour le voir, & quatre sous pour chaque ligne que l’on transcrit.

Outre ces deux cours de l’échiquier, il y en a encore une autre qu’on appelle le petit échiquier ; celui-ci est le thrésor royal & la thrésorerie ; on y reçoit & on y débourse les revenus du roi : le grand thrésorier en est le premier officier. (A)

Echiquier des Apanagers, ce sont les grands jours des princes, auxquels on avoit donné pour apanage des terres situées en Normandie. Chacun de ces échiquiers avoit son nom propre. Tels étoient les échiquiers particuliers des comtés d’Evreux, d’Alençon, & de Beaumont-le-Roger. Ces échiquiers étoient indépendans du grand échiquier de Normandie.

Echiquier de l’Archevêque de Rouen ; les archevêques de cette ville ont prétendu avoir un échiquier particulier, & que leur jurisdiction n’étoit pas sujette à celle de l’échiquier général de Normandie.

On voit dans l’échiquier général, qui fut tenu en 1336 au nom de Jean dauphin de France, & duc de Normandie (qui fut depuis le roi Jean), que l’on fit lecture de lettres patentes que le dauphin avoit données à Pierre, archevêque de Rouen, pour la jurisdiction de Louviers.

Dix-sept ans après (en 1353) s’étant mû procès touchant la jurisdiction temporelle du palais archiépiscopal de Roüen, Jean, qui depuis trois ans avoit été sacré roi de France, accorda la jurisdiction toute entiere, & sans aucune restriction, à Pierre de la Forest, qui avoit été son chancelier : mais ce privilége ne fut alors accordé que pour lui personnellement, & pour le tems seulement qu’il tiendroit cet archevêché.

Le dauphin Charles, auquel le roi Jean son pere avoit donné en 1355 le duché de Normandie, & qui fut depuis le roi Charles V. surnommé le Sage, confirma ce privilége, & le continua tant pour l’archevêque, que pour ses successeurs, par lettres patentes données à Roüen le 5 Octobre 1359. C’est de-là que les archevêques ont encore la jurisdiction appellée les hauts jours, où l’on juge les appellations des sentences des justices de Déville, Louviers, Gaillon, Dieppe, &c. jurisdiction qui ressortit au parlement de Roüen.

Lorsque l’édit de 1499 déclara l’échiquier général de Normandie perpétuel, le cardinal d’Amboise archevêque de Roüen, remontra que ses prédécesseurs avoient toûjours prétendu qu’il leur appartenoit par chartres ou droits anciens, un échiquier particulier & cour souveraine, pour les causes qui pouvoient se mouvoir devant leurs officiers dépendans du temporel & aumône de l’archevêché, sans ressortir en aucune maniere en la cour de l’échiquier de Normandie.

Louis XII. déclara à cette occasion, qu’il ne vouloit faire aucun préjudice aux droits du cardinal & des archevêques ses successeurs, ni aux siens propres, consentant qu’ils pussent faire telle poursuite qu’ils aviseroient bon être, soit en la cour de l’échiquier, ou ailleurs.

Mais il ne paroît pas que les archevêques de Roüen ayent profité de cette clause ; on voit au contraire que le 2 Juillet 1515, le parlement de Roüen ordonna à ceux que l’archevêque commettroit pour tenir la jurisdiction temporelle de son archevêché, de qualifier cette jurisdiction du titre de hauts jours, & non de celui d’échiquier, comme ils avoient fait auparavant, & qu’il lui fût permis de faire expédier & juger extraordinairement par ces juges commis des hauts jours, ou par aucuns d’entre eux, les matieres provisoires : & qu’en ce cas les juges intituleroient leurs actes, les gens commis à tenir pour l’archevêque de Roüen l’extraordinaire de ses hauts jours, pour le fait & regard de ses matieres provisoires, & en attendant la tenue d’iceux. Voyez le recueil d’arrêts de M. Froland. (A)

Echiquier (Barons de l’), voyez ce qui en a été dit ci-dev. à l’article Echiquier d’Angleterre.

Echiquier de Beaumont-le-Roger, étoit un échiquier particulier qui avoit été accordé à Robert d’Artois III. du nom, prince du sang, pour les terres de Beaumont-le-Roger, & autres situées en Normandie ; ce qui fut fait probablement en 1328, lorsqu’on lui donna ces terres à titre d’apanage. Cet échiquier ne devoit plus subsister depuis 1331, que les biens de ce même comte d’Artois, furent confisqués. On voit cependant qu’en 1338, il fut encore tenu, mais au nom du roi, & par les mêmes commissaires qui tinrent l’échiquier général de Normandie ; dans celui de 1346, où présida Jean alors duc de Normandie, qui fut depuis le roi Jean, on fit lecture de lettres patentes de Philippe de Valois, qui enjoignoient à l’échiquier général de renvoyer toutes les causes du comté de Valois, Beaumont-le-Roger, Pontorson, & autres terres que possédoit en Normandie Philippe second fils du roi, aux hauts jours des mêmes terres qui se tenoient à Paris. Voyez l’hist. de la ville de Roüen, t. I. part. II. c. jv. p. 29. n. 30. (A)

Echiquier (chambellans de l’), voy. Echiquier d’Angleterre.

Echiquier (cour de l’), voyez Echiquier d’Angleterre & Echiquier de Rouen.

Echiquier du comté d’Evreux, voyez ci-devant Echiquier des Apanagers, & ci-apr. Echiquier du Roi de Navarre.

Echiquier (maitres de l’), étoient les juges commis pour tenir la jurisdiction de l’échiquier. Il en est parlé dans une ordonnance du roi Jean du 5 Avril 1350, article 12, qui défend aux maîtres du parlement, de ses échiquiers, requêtes de son hôtel, de faire aucune prise pour eux dans tout le duché de Normandie. Voyez Echiquier & Prise. (A)

Echiquier du Roi de Navarre, étoit un échiquier particulier, que Charles I. comte d’Evreux, roi de Navarre, dit le mauvais, força le roi de lui donner, pour les grands domaines qu’il possédoit en la province de Normandie. (A)

Echiquier de Normandie, voyez ci-après Echiquier de Rouen.

Echiquier (petit), voyez ci-devant Echiquier d’Angleterre.

Echiquier de Rouen, étoit la cour souveraine de Normandie, instituée par Rollo ou Raoul, premier duc de cette province, au commencement du dixieme siecle.

L’appel des premiers juges étoit porté à l’échiquier, qui décidoit en dernier ressort, tant au civil qu’au criminel ; mais comme cet échiquier ne se tenoit qu’en certains tems de l’année, quand il y avoit des matieres provisoires, c’étoit au grand sénéchal de la province à les décider, en attendant la tenue de l’échiquier.

Pendant plusieurs siecles, cet échiquier fut ambulatoire à la suite du prince, comme le parlement de Paris.

M. Froland en son recueil d’arrêts, part. I. ch. ij. pag. 48, dit avoir lû un abregé historique manuscrit du parlement de Roüen, ouvrage d’un procureur général de ce parlement, où il est dit que cet échiquier ambulatoire s’assembloit deux fois l’année, savoir à Pâques & à la Saint-Michel ; qu’il tenoit ses séances pendant six semaines ; que le grand-sénéchal de la province y présidoit ; qu’on y appelloit les principaux du clergé & de la noblesse des sept bailliages, lesquels y avoient voix délibérative ; que les baillifs & les officiers de ces mêmes siéges, ainsi que les avocats, étoient obligés d’y assister, afin de recorder l’usance & style de la coûtume de Normandie, qui n’étoit point encore rédigée par écrit, ou du moins de l’autorité du prince, & que les jugemens de ce tribunal étoient sans appel & en dernier ressort.

Mais M. Froland craint que l’on n’ait confondu la forme de ces premiers échiquiers avec celle des échiquiers, qui ont été tenus depuis la réunion de la Normandie à la couronne ; & en effet il n’y a guere d’apparence que la forme fût d’abord la même qu’elle a été long-tems après, soit pour la qualité des personnes, soit pour l’ordre de la séance, la dignité des terres, & la nature des affaires : d’autant que Rollo qui ne fut baptisé qu’en 912, & mourut en 917, n’eut pas le tems de donner à ce nouvel établissement toute la perfection dont il étoit susceptible.

Il ne nous reste rien des registres ou actes des anciens échiquiers, tenus sous le ducs de Normandie ; tout a été consumé par le tems, ou enlevé par les Anglois, lorsque Roüen se rendit à Philippe-Auguste, ou lorsque les Anglois s’emparerent de la province en 1416 & 1417, ou enfin lorsqu’ils en furent chassés après la bataille de Formigny, gagnée sur eux par Charles VII. en 1450.

On croit même qu’il seroit difficile de trouver les premiers registres de l’échiquier, depuis la réunion de la Normandie à la couronne sous Philippe-Auguste, jusqu’au 23 Mars 1302, que Philippe-le-Bel pour le soulagement de ses sujets, ordonna qu’il se tiendroit par an deux échiquiers à Roüen : quod duo parlamenta Parisiis, & duo scanaria Rothomagi, diesque trecenses bis tenebuntur in anno propter commodum subjectorum, & expeditionem causarum.

Cette ordonnance ne fut cependant pas toûjours ponctuellement exécutée pour le lieu de la séance de l’échiquier : car quoique depuis ce tems il se tînt ordinairement à Roüen, on le tenoit aussi quelquefois à Caën, & quelquefois à Falaise, sur-tout dans les tems de troubles & de l’invasion des Anglois.

Suivant l’ordonnance de Philippe-le-Bel, il dut y avoir depuis 1302 jusqu’en 1317, trente échiquiers : néanmoins on n’en trouve aucun de ce tems ; ce qui provient sans doute de l’éloignement des tems, des troubles & guerres civiles, & autres, & des changemens faits dans les dépôts publics.

Depuis 1317, il se trouve deux auteurs qui ont donné quelque éclaircissement sur les échiquiers ; savoir Guillaume le Rouillé d’Alençon, dans les notes qu’il a données en 1539 sur l’ancien coûtumier, & Me Fr. Favin prieur du Val, en son histoire de Roüen.

Le premier de ces auteurs, part. II. ch. iij. jv. & v. a donné le catalogue des échiquiers tenus à Roüen depuis 1317 jusqu’en 1397, qu’il dit avoir extrait des registres de l’échiquier, étant au greffe de la cour.

Suivant cet auteur, l’échiquier étoit proprement une assemblée de tous les notables de la province ; une espece de parlement ambulatoire, qui se tenoit deux fois par an pendant trois mois, savoir au commencement du printems, & à l’entrée de l’automne. Il marque le nom des prélats & des nobles qui y avoient séance à cause de leurs terres ; le rang que chacun y tenoit ; ceux qui y avoient voix délibérative ; l’obligation où l’on étoit d’y appeller les baillis, lieutenans-généraux civils & criminels, les avocats & procureurs du roi des bailliages, les vicomtes, le grand-maître des eaux & forêts, les lieutenans de l’amirauté, les verdiers, les baillis & sénéchaux des hauts-justiciers, & les avocats & procureurs, pour recorder l’usance & style de la province.

Sur les hauts siéges du lieu où se tenoit l’échiquier, il n’y avoit que les présidens & autres juges députés par le roi, lesquels avoient seuls droit de juger : derriere eux à même hauteur, étoient à droite les abbés, doyens, & autres ecclésiastiques, & à gauche les comtes, barons, & autres nobles, qui avoient séance à l’échiquier. Toutes ces personnes avoient seulement séance en l’échiquier, & non voix délibérative, n’y étant appellés que pour y donner de l’ornement, comme il est dit dans l’échiquier de 1426.

Sur des siéges plus bas que ceux des juges, étoient les baillis, procureurs du roi, les vicomtes, & autres officiers, les avocats.

Aux derniers échiquiers, les ecclésiastiques & les nobles demanderent d’être dispensés de comparoir en personne : ce qui leur fut accordé ; au lieu qu’auparavant on les condamnoit à l’amende, quand ils n’avoient point d’excuse légitime. En effet on trouve que dans un échiquier du 18 Avril 1485, Charles VIII. assisté du duc d’Orléans, du connétable, du duc de Lorraine, des comtes de Richemont, de Vendôme, & d’Albret, du prince d’Orange, du chancelier & de toute sa cour, étant en son lit de justice en l’échiquier de Roüen, condamna en l’amende le comte d’Eu pour ne s’y être pas trouvé, quoique son bailli d’Eu, qui étoit présent avec les autres officiers, l’eût excusé sur son grand âge & ses indispositions. On lui fit en même tems défense de tenir aucune jurisdiction durant les échiquiers, ni même à Arques, pendant les plaids suivans.

Il y avoit aussi quelques ecclésiastiques & nobles de la province de Bretagne, qui devoient comparence à l’échiquier de Normandie, & qui furent appellés dans celui de 1485, & dans les suivans ; savoir les évêques de Saint-Brieux, de Saint-Malo, & de Dol : & pour les nobles, les barons de Rieux, de Guemené, & de Condé-sur-Noireau, le baron d’Erval Deslandelles, le vicomte de Pomers, baron de Marée.

Rouillé assûre aussi que la plûpart des échiquiers qu’il a vû au greffe du parlement de Roüen, sont en latin ; que le plus ancien registre commence au terme de la S. Michel 1317, & finit au même terme de l’an 1431 ; qu’il est intitulé, arrêts de l’échiquier de Roüen, du terme de S. Michel de l’an 1317.

Cet auteur n’a pas rapporté tous les échiquiers tenus depuis 1317, mais seulement les ordonnances qui furent faites dans plusieurs de ces échiquiers, soit avant l’érection de l’échiquier en cour sédentaire, en la ville de Roüen, ou depuis : ceux dont il sait mention, sont de l’an 1383 au terme de S. Michel ; 1426 1462, 1463, & 1464, tous au terme de Pâques ; 1469, 1487, & 1497, au terme de S. Michel ; & ceux de 1501 & 1507, qui sont postérieurs à l’érection de l’échiquier, en cour sédentaire.

Pour ce qui est de Favin, en son histoire de Roüen, il fait mention de 35 échiquiers tenus à Roüen ; mais il en manque dans les intervalles un grand nombre d’autres, qui ont apparemment été tenus ailleurs : ceux dont il parle sont des années 1317, 1336, 1337, 1338, 1342, 1343, 1344, 1345, 1346, 1348, 1390, 1391, 1395, 1397, 1398, 1399, 1400, 1401, 1408, 1423, 1424, 1426, 1453, 1454, 1455, 1456, 1464, 1466, 1469, 1474, 1484, 1485, 1490, & 1497. Il rapporte beaucoup de choses curieuses qui se sont passées dans plusieurs de ces échiquiers, & qui sont répandues dans le recueil d’arrêts de M. Froland.

L’échiquier, tandis qu’il fut ambulatoire, étoit sujet à beaucoup d’inconvéniens ; outre l’embarras pour les juges & les parties de se transporter tantôt dans un endroit, & tantôt dans un autre, les prélats & magistrats qui étoient commis pour le tenir, étant la plûpart étrangers à la province, en connoissoient peu les usages, ou même les ignoroient totalement : d’où il arrivoit souvent que les affaires restoient indécises. C’est pourquoi, dans l’assemblée des états généraux de Normandie, tenue en 1498, il avoit été délibéré de rendre l’échiquier perpétuel ; & en 1499, les prélats, barons, seigneurs, & premiers officiers, avec les gens des trois états de Normandie, demanderent à Louis XII. qu’il lui plût d’ériger l’échiquier en cour sédentaire de la ville de Roüen. Le roi qui aimoit la Normandie dont il avoit été gouverneur, lorsqu’il n’étoit encore que duc d’Orléans, sollicité vivement d’ailleurs par le cardinal d’Amboise archevêque de Roüen, accorda la demande par un édit du mois d’Avril de la même année.

Suivant cet édit, le roi établit dans Roüen un corps de justice souveraine, sédentaire, & perpétuelle, composée de quatre présidens, dont le premier & le troisieme devoient être clercs, & le second & le quatrieme laïques ; de treize conseillers clercs, & quinze laïques ; deux greffiers, un pour le civil, un pour le criminel ; des notaires & secrétaires ; six huissiers, un audiencier, des avocats du roi, un procureur général, un receveur des amendes & payeur des gages.

Le roi nomma pour premier président Geoffroi Hebert, évêque de Coutances, & pour troisieme, Antoine abbé de Saint-Oüen. Il se réserva la nomination & disposition des charges qui seroient vacantes.

Il fut ordonné que l’échiquier se tiendroit dans la grande salle du château de la ville, en attendant que le lieu destiné pour le palais eût été bâti.

Le même édit régla l’ordre de juger les procès, la maniere de les distribuer, l’ordre des bailliages, la cessation des jurisdictions inférieures en certains tems, la comparence des baillis & autres officiers à la cour souveraine de l’échiquier ; les priviléges & gages des présidens, conseillers, & autres officiers.

L’ouverture de l’échiquier perpétuel se fit le premier Octobre 1499.

Le roi avoit accordé au cardinal d’Amboise en considération de sa dignité & de ses grands services, le sceau de la chancellerie, avec le droit de présider à l’échiquier pendant sa vie.

L’échiquier perpétuel demeura au château pendant sept années ; & ce ne fut qu’en 1506, le premier Octobre, qu’il commença à être tenu dans le palais, qui n’étoit même pas encore achevé.

Ce fut dans ce même tems que l’on établit à Roüen une table de marbre, pour juger les appellations des maîtrises d’eaux & forêts de la province, lesquelles jusque-là avoient été relevées directement à l’échiquier.

Par des lettres du mois d’Avril 1507, Louis XII. accorda à l’archevêque de Rouen & à l’abbé de Saint-Oüen, la qualité de conseillers nés en l’échiquier.

François I. à son avenement à la couronne, en 1515, confirma par des lettres patentes la cour de l’échiquier dans tous ses priviléges ; & par d’autres lettres du mois de Février suivant, il voulut que le nom d’échiquier fût changé en celui de cour de parlement. La suite de ce qui concerne cette cour, sera ci-après sous le mot Parlement, à l’article Parlement de Normandie. Voyez le recueil d’arrêts de M. Froland, part. I. ch. ij. (A)

Echiquier ou Quinconce, s. f. (Jardinage.) on dit un lieu planté en échiquier, lorsqu’il est sur un trait quarré formant des allées de tous côtés. Voyez Quinconce. (K)

* Echiquier, ou Carreau, ou Hunier, (Pêche.) espece de filet quarré dont on se sert dans les rivieres. Il consiste en une grande piece, dont la maille n’a que quatre à cinq lignes ; on amarre autour une forte ligne ; on tient le rets un peu lâche, de maniere qu’il enfonce dans l’eau vers son milieu ; on a reservé à chaque coin un petit œillet de la ligne, qui reçoit l’extrémité des petites perches legeres qui suspendent le filet par ses coins. Ces petites perches font l’arc ; au point où elles se réunissent toutes, est frappé un bout de corde, qui sert à amarrer cet engin de pêche à une longue perche de 7 à 8 piés. Cet équipage n’a lieu que quand on pêche à pié. Si l’on pêche en bateau, comme il arrive quelquefois, on met un bout dehors, soit au mât, soit au bord, à l’extrémité duquel est frappé une poulie, où passe un cordage attaché sur la perche du carreau ; par le moyen de ce cordage, on guinde, éleve, ou abaisse le carreau à volonté. On ne se sert de l’échiquier qu’à marée montante ; alors on se place à l’entrée des gorges & des embouchures des rivieres, où l’eau commence à se présenter avec quelque rapidité ; le poisson se précipite dans le filet, & l’on tire ou retire le carreau pour prendre le poisson ; ensuite on le rabaisse, & l’on continue la pêche.

Il y a une autre sorte d’échiquier, que les pêcheurs appellent balutet ou petite caudrette. Ce filet est monté comme l’échiquier, au bout d’une perche. La pêche n’en differe pas de celle aux chaudieres, dont se servent entre les rochers les pêcheurs à pié de Saint-Valeri ; il n’y a de différence qu’au fond, qui aux chaudieres est garni d’une toile, & non d’un rets. Quant à la maniere d’amorcer, c’est la même ; ils amarrent du poisson au fond du balutet. Ils pêchent toute l’année à la basse eau, ce qui occasionne quelque destruction du frai.

Echiquier, (Jeu.) c’est ainsi qu’on appelle le damier, lorsqu’il est occupé par un jeu d’échecs. Voyez Echecs & Damier.