L’Encyclopédie/1re édition/FOIBLESSE

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FOIBLESSE, s. f. (Morale.) disposition habituelle ou passagere de notre ame, qui nous fait manquer malgré nous soit aux lumieres de la raison, soit aux principes de la vertu. On appelle aussi foiblesses les effets de cette disposition.

La foiblesse que j’appelle habituelle est à-la-fois dans le cœur & dans l’esprit ; la foiblesse que j’appelle passagere, vient plus ordinairement du cœur. La premiere constitue le caractere de l’homme foible, la seconde est une exception dans le caractere de l’homme qui a des foiblesses. Quand je parle ici de l’homme, on entend bien que je veux parler des deux sexes, puisqu’il est question de foiblesses. Personne n’est exempt de foiblesses, mais tout le monde n’est pas homme foible. On est homme foible, sans savoir pourquoi, & parce qu’il n’est pas en soi d’être autrement ; on est homme foible, ou parce que l’esprit n’a point assez de lumieres pour se décider, ou parce qu’il n’est pas assez sûr des principes qui le déterminent pour s’y tenir fortement attaché ; on est homme foible par timidité, par paresse, par la mollesse & la langueur d’une ame qui craint d’agir, & pour qui le moindre effort est un tourment. Au contraire on a des foiblesses ou parce qu’on est séduit par un sentiment louable, mais trop écouté, ou parce qu’on est entrainé par une passion. L’homme foible dépourvû d’imagination, n’a pas même la force qu’il faut pour avoir des passions ; l’autre n’auroit point de foiblesses si son ame n’étoit sensible, ou son cœur passionné. Les habitudes ont sur l’un tout le pouvoir que les passions ont sur l’autre. On abuse de la facilité du premier, sans lui savoir gre de ce qu’on lui fait faire, parce qu’on voit bien qu’il le fait par foiblesse ; on sait gré à l’autre des foiblesses qu’il a pour nous, parce qu’elles sont des sacrifices. Tous deux ont cela de commun, qu’ils sentent leur état, & qu’ils se le reprochent ; car s’ils ne le sentoient pas, il y auroit d’un côté imbécillité, & de l’autre folie ; mais par ce sentiment l’homme foible devient une créature malheureuse, au lieu que l’état de l’autre a ses plaisirs comme ses peines. L’homme foible le sera toute sa vie ; toutes les tentatives qu’il fera pour sortir de sa foiblesse ne feront que l’y plonger plus avant. L’homme qui a des foiblesses sortira d’un état qui lui est étranger ; il peut même s’en relever avec éclat. Turenne n’étant plus jeune eut la foiblesse d’aimer madame de C** ; il eut la foiblesse plus grande de lui révéler le secret de l’Etat ; il répara la premiere en cessant d’en voir l’objet ; il répara la seconde en l’avouant, ce qu’un homme foible n’eût jamais fait.

Ajoûtons quelques traits à la peinture de l’homme foible. Livré à lui-même il seroit capable des vertus qui n’exigent de l’ame aucun effort ; il seroit doux, équitable, bienfaisant : mais par malheur il n’agit presque jamais d’après ses propres impressions. Comme il aime à être conduit, il l’est toûjours ; pour le dominer il ne faut que l’obséder. On lui fait faire le mal qu’il déteste, on l’empêche de faire le bien qu’il cherit. Il craint d’être éclairé sur son état, parce qu’il le sent ; il repousse la vérité quand on la lui présente, & devient opiniâtre par foiblesse. Quelquefois aussi, quand il est blessé, il fait le mal de son propre mouvement, parce qu’alors l’émotion qu’il éprouve le met hors de lui-même, & qu’il ne distingue plus ni le bien ni le mal. On aime quelquefois les gens foibles, rarement on les estime.

Il y a d’autres personnes qu’on appelle foibles, quoique leur caractere soit totalement opposé au précedent. Toute leur ame est active, leur imagination s’allume aisément ; elles sont toûjours agitées par une ou par plusieurs passions qui se combattent & qui les déchirent ; elles n’ont jamais rien vû de sens froid ; elles sont bonnes ou méchantes, suivant le sentiment qui les affecte : personnes dangereuses dans la société, & plûtôt folles que foibles.

Foiblesse, se dit, en Medecine, de la diminution des forces, si considérable, qu’elle cause la lésion de toutes les fonctions, sur-tout celle du mouvement musculaire. Voyez Débilité, (Medec.) & Forces.

On appelle aussi foiblesse dans les fibres, leur défaut de force d’action ; conséquemment au relâchement qu’elles ont contracté, au défaut de ressort dans les solides en général. Voyez Débilité, (Pathol.) & Fibre, (Pathol.) (d)

Foiblesse de la vûe, voyez les articles Vue & Amblyopie.