L’Encyclopédie/1re édition/HÉROS
HÉROS, s. m. (Gramm.) le terme de héros, dans son origine, étoit consacré à celui qui réunissoit les vertus guerrieres aux vertus morales & politiques ; qui soutenoit les revers avec constance, & qui affrontoit les périls avec fermeté. L’héroïsme supposoit le grand homme, digne de partager avec les dieux le culte des mortels. Tels furent Hercule, Thesée, Jason, & quelques autres. Dans la signification qu’on donne a ce mot aujourd’hui, il semble n’être uniquement consacré qu’aux guerriers, qui portent au plus haut degré les talens & les vertus militaires ; vertus qui souvent aux yeux de la sagesse, ne sont que des crimes heureux qui ont usurpé le nom de vertus, au lieu de celui de qualités, qu’elles doivent avoir.
On définit un héros, un homme ferme contre les difficultés, intrépide dans le péril, & très-vaillant dans les combats ; qualités qui tiennent plus du tempérament, & d’une certaine conformation des organes, que de la noblesse de l’ame. Le grand homme est bien autre chose ; il joint aux talens & au génie la plûpart des vertus morales ; il n’a dans sa conduite que de beaux & de nobles motifs ; il n’écoute que le bien public, la gloire de son prince, la prospérité de l’état, & le bonheur des peuples. Le nom de César, donne l’idée d’un héros ; celui de Trajan, de Marc-Aurele ou d’Alfred, nous présente un grand homme. Titus réunissoit les qualités du héros, & celles du grand-homme ; cependant, pourquoi Titus est-il plus loué par ses bienfaits, que par ses victoires ? C’est que les qualités du cœur l’emportent toûjours sur les présens de la fortune & de la nature ; c’est que la gloire qu’on acquiert par les armes est, si j’ose m’exprimer ainsi, une gloire attachée au hasard ; au lieu que celle qui est fondée sur la vertu, est une gloire qui nous appartient.
Le titre de héros dépend du succès, celui de grand-homme n’en dépend pas toûjours. Son principe est la vertu, qui est inébranlable dans la prospérité, comme dans les malheurs : le titre de héros, ne peut convenir qu’aux guerriers, mais il n’est point d’état qui ne puisse prétendre au titre sublime de grand-homme ; le héros y a même plus de droits qu’un autre.
Enfin, l’humanité, la douceur, le patriotisme réunis aux talens, sont les vertus d’un grand-homme ; la bravoure, le courage, souvent la témérité, la connoissance de l’art de la guerre, & le génie militaire, caractérisent davantage le héros ; mais le parfait héros, est celui qui joint à toute la capacité, & à toute la valeur d’un grand capitaine, un amour & un desir sincere de la félicité publique. (D. J.)
Héros, (Mythol. & Littérat.) autrement dit demi-dieu. On appelloit ainsi généralement les hommes illustres, que leurs grandes actions firent placer dans le ciel après leur mort, soit qu’ils reconnussent quelques dieux parmi leurs ancêtres, soit qu’ils descendissent d’un dieu & d’une femme mortelle, comme Hercule, Thesée, & tant d’autres ; ou d’une déesse & d’un homme, tel qu’étoit le fils de Vénus & d’Anchise.
On donne plusieurs étymologies du nom de héros, & pas une seule qui soit recevable : la plus commune, qui tire ce mot de Ἔρως, amour, n’est pas juste ; car Ἥρως, héros, est écrit par un h.
La promotion des héros au rang des dieux, étoit dûe aux dogmes de la philosophie platonique, qui enseignoit que les ames des grands hommes s’élevoient jusque aux astres, séjour ordinaire des dieux, & par-là devenoient dignes des honneurs qu’on rendoit aux dieux mêmes, avec lesquels ils habitoient ; mais les Stoïciens leur assignoient pour demeure, la vaste étendue qui se trouve entre le ciel & la terre ; ce qui fait dire à Lucain :
Quodque patet terras inter, cœlique meatus
Semi-dei manes habitant. Pharsal, lib. IX.
Le culte qu’on rendoit aux héros, étoit différent de celui des dieux ; celui des dieux consistoit dans des sacrifices & des libations, qui sont des hommages dûs à la divinité, pendant que celui des héros n’étoit qu’une espece de pompe funebre, dans laquelle on célebroit le souvenir de leurs exploits, après quoi on leur faisoit des festins. C’est ce qu’Hérodote remarque, en parlant des différens Hercules. « On sacrifie, dit-il, à Hercule Olympien, comme étant d’une nature immortelle, & on fait à Hercule fils d’Alcmene, comme à un héros, des funérailles plûtôt qu’un sacrifice ». Mais il est bon de savoir qu’on éleva peu-à-peu les héros au rang des dieux ; c’est par exemple, ce qu’on pratiqua pour Hercule, puisqu’après lui avoir rendu des honneurs comme à un héros, on vint à lui offrir des sacrifices parfaits, c’est-à-dire, de ceux dans lesquels on brûloit à l’honneur de la divinité, une partie de la victime, & on mangeoit l’autre.
Diodore de Sicile confirme par son témoignage, que les héros, ou les demi-dieux, parvinrent à la fin à tous les honneurs des dieux suprèmes ; car en parlant d’une fête solemnelle, que l’on célebroit à Rome, & dans laquelle on porta les statues des dieux anciens & modernes, il ajoûte que la pompe étoit fermée par les statues de ceux dont les ames, après avoir abandonné leurs corps mortels, étoient montées dans le ciel, où elles participoient aux mêmes prérogatives que les dieux mêmes : tels étoient Hercule, Esculape, Castor & Pollux.
Comme l’opinion commune faisoit descendre tous les morts dans les enfers, les ombres des héros même y étoient retenues, pendant que leur ame pure & dégagée de ce qu’elle avoit de périssable, joüissoit dans le ciel des plaisirs & des grandeurs de l’immortalité.
Les Grecs, après avoir fait mettre une colonne, & autres monumens sur les tombes des héros, établirent un culte pour les manes des mêmes héros, & même pour les héroïnes ; car on accorda des honneurs héroïques à des femmes. Coronis, mere d’Esculape ; Alcmene, mere d’Hercule ; Cassandre, fille de Priam ; Andromaque, Andromede, Helène, Latone, & quelques autres, joüirent de cette distinction.
Les tombeaux des héros & héroïnes étoient entourés d’un petit bois sacré, accompagné d’autels, où les parens & les amis alloient en des tems marqués, les arroser de libations, & les charger d’offrande ; & ces mêmes tombeaux joüissoient du droit d’asile ; c’est-là ce qu’on appelloit monument héroïque, ἡρῷον μνῆμα. Tel étoit le tombeau qu’Andromaque prit soin d’élever à son cher Hector ; libabat cinert Andromache.
Les Romains érigerent à leur tour des statues à ceux qu’ils regarderent comme des héros ; ils en avoient dans le Cirque, revêtues de peaux de lions, de sangliers, d’ours, ou de renards sauvages. Cette maniere de se vétir ordinaire aux premiers héros, dans le tems qu’on n’avoit point encore trouvé l’art de séparer la laine ou le poil des bêtes, fut consacrée par la religion ; de-là vient qu’ils sont représentés avec ces mêmes habillemens dans les temples & sur les médailles.
Les Grecs nommerent ἡρῷα, les tombeaux qu’ils érigerent aux demi-dieux, à ceux des héros qui leur étoient chers, & aux temples qu’ils bâtirent aux empereurs après leurs décès. Athenée parlant des honneurs rendus aux maitresses de Démétrius, joint les ἡρῷα, avec les autels qu’on leur élevoit, & les hymnes sacrées que l’on chantoit à leur gloire. Enfin, les particuliers appellerent du même nom, les monumens qu’ils bâtirent aux personnes pour lesquelles ils avoient un respect & un dévouement particulier.
On sait aussi que le mot ἥρως, a une signification fort étendue dans la langue grecque. 1°. Il signifie un homme qui par sa valeur, ou par ses bienfaits, a été mis au rang des dieux ou des demi-dieux après sa mort. 2°. Il répond au divus des Latins, titre donné aux empereurs déifiés, & ἡρῴνη répond à diva. Dans les médailles que les Grecs frapperent à l’honneur de l’infame Antinoüs, pour marquer sa consécration, ils l’appellerent indifféremment ἡρῷα, & θεὸς. 3°. Le nom de héros est souvent donné par les peres à leurs enfans décedés en bas-âge, comme cela paroît par diverses inscriptions, recueillies dans Gruter & Reinesius. 4°. Quelquefois ce nom designe simplement un homme consideré par sa valeur, ou par sa charge ; Homere l’applique non-seulement aux chefs des Grecs, mais aux Grecs en général. 5°. Enfin, pour dire quelque chose de plus, le même poëte employe le mot ἥρως, pour un domestique d’un des rivaux de Pénélope, & qui leur versoit à boire ; c’est dans l’Odyssée, liv. Σ. vers 422. (D. J.)