L’Encyclopédie/1re édition/HABIT
HABIT, s. m. (Modes.) j’entends ici par habit tout ce qui sert à couvrir le corps.
Il n’est pas possible de donner au lecteur la connoissance de tant d’habits différens dont les hommes ont fait usage, pour couvrir leur nudité & pour se mettre à l’abri de la rigueur des hivers : notre curiosité seroit même peu satisfaite, si nous pouvions pénétrer dans les tems reculés des premiers siecles ; nous y verrions sans doute les hommes tout nuds, ou couverts les uns de feuillages, d’écorce d’arbres, & les autres de la peau de quelques bêtes féroces.
Je voudrois seulement connoître la forme des habits des Grecs, lorsqu’ils étoient les peuples les plus polis de la terre ; mais à-peine savons-nous les noms de quelques-uns. Nous sommes beaucoup mieux instruits des habits des Romains ; & comme tout ce qui concerne ce peuple nous intéresse, nous en ferons un article séparé. Ceux des hommes qui ont été consacrés par la religion méritent aussi par ce motif quelques-uns de nos regards, outre qu’ils ont moins changé de mode : c’est pourquoi nous en dirons un mot. Ainsi voyez Habit ecclésiastique, & Habit religieux.
Pour ce qui concerne les vêtemens de ce grand nombre de peuples qui changerent la face du monde, en chassant les Romains des pays dont ils s’étoient rendus maîtres, nous n’en avons aucune idée, & nous ne devons pas le regretter.
Quant à ce qui nous regarde en particulier, l’inconstance naturelle à notre nation a produit tant de variété dans la forme de ses habits, qu’il seroit impossible d’en suivre le fil. Nous remarquerons seulement en général, que l’habit long étoit autrefois celui des nobles, & qu’ils ne portoient l’habit court qu’à l’armée & à la campagne : l’ornement principal de l’un & de l’autre consistoit à être bordé de martre zibeline, d’hermine, ou de vair. On s’avisa sous Charles V. d’armoirier les habits, je veux dire de les chamarrer depuis le haut jusqu’en bas de toutes les pieces de son écu ; cette mascarade dura cent ans. Louis XI. bannit l’habit long ; Louis XII. le reprit ; on le quitta sous François I. Un des goûts de ce prince fut de taillader son pourpoint, & tous les gentilshommes suivirent son exemple. Henri II. portoit un jupon pour haut-de-chausses, & un petit manteau qui n’alloit qu’à la ceinture. Les fils s’habillerent comme le pere. Enfin depuis Henri IV. nos habits ont si souvent changé de face, qu’il seroit ridicule d’entrer dans ce détail ennuyeux. Mais on ne pensera pas de même des réflexions qu’a fait sur cette matiere l’illustre écrivain de l’Histoire naturelle de l’homme, & je me flate qu’on sera bien aise de les retrouver ici.
« La variété dans la maniere de se vêtir, dit M. de Buffon, est aussi grande que la diversité des nations ; & ce qu’il y a de singulier, c’est que de toutes les especes de vêtemens nous avons choisi l’une des plus incommodes, & que notre maniere, quoique généralement imitée par tous les peuples de l’Europe, est en même tems de toutes les manieres de se vêtir, celle qui demande le plus de tems, & celle qui paroît être le moins assortie à la nature.
» Quoique les modes semblent n’avoir d’autre origine que le caprice & la fantaisie, les caprices adoptés & les fantaisies générales méritent d’être examinées. Les hommes ont toujours fait & feront toujours cas de ce qui peut fixer les yeux des autres hommes, & leur donner en même tems des idées avantageuses de richesses, de puissance, de grandeur, &c.
» La valeur de ces pierres brillantes qui ont toûjours été regardées comme des ornemens précieux, n’est fondée que sur leur rareté & sur leur éclat ébloüissant ; il en est de même de ces métaux éclatans, dont le poids nous paroît si léger, lorsqu’il est reparti sur tous les plis de nos vêtemens pour en faire la parure. Ces pierres, ces métaux sont moins des ornemens pour nous, que des signes pour les autres, auxquels ils doivent nous remarquer & reconnoître nos richesses. Nous tâchons de leur en donner une plus grande idée, en aggrandissant la surface de ces métaux ; nous voulons fixer leurs yeux, ou plûtôt les ébloüir. Combien peu y en a-t-il en effet qui soient capables de séparer la personne de son vêtement, & de juger sans mélange l’homme & le métal !
» Tout ce qui est rare & brillant sera donc toûjours de mode, tant que les hommes tireront plus d’avantage de l’opulence que de la vertu, tant que les moyens de paroître considérables seront différens de ce qui mérite d’être seul considéré. L’éclat extérieur dépend beaucoup de la maniere de se vêtir. Cette maniere prend des formes différentes, selon les différens points de vûe sous lesquels nous voulons être regardés. L’homme glorieux ne néglige rien de ce qui peut étayer son orgueil ou flater sa vanité ; on le reconnoît à la richesse ou à la recherche de ses ajustemens.
» Un autre point de vûe que les hommes ont assez généralement, est de rendre leur corps plus grand, plus étendu ; peu contens du petit espace dans lequel est circonscrit notre être, nous voulons tenir plus de place en ce monde, que la nature ne peut nous en donner ; nous cherchons à aggrandir notre figure par des chaussures élevées, par des vêtemens renflés ; quelque amples qu’ils puissent être, la vanité qu’ils couvrent n’est-elle pas encore plus grande ? »
Mais laissons l’homme vain faire parade de son mérite emprunté, & considérons l’industrie de l’étoffe qu’il porte, dont il est redevable au génie du fabriquant.
C’est un beau coup-d’œil, si j’ose parler ainsi, que la contemplation de tout ce que l’art a déployé successivement de beautés & de magnificence, à l’aide de moyens simples dont le hasard a presque toûjours présenté l’usage. La laine, le lin, la soie, le coton, ou le mélange de ces choses les unes avec les autres, ont constitué la matiere & le fond de toutes les étoffes & toiles fines ; le travail & les couleurs en font le prix & la différence. Ainsi d’un côté, la dépouille des animaux, les productions de la terre, l’ouvrage des vers ; & de l’autre des coquillages, des insectes, la graine des arbres, le suc des plantes, & quelques drogues, servent à la composition de tous les vêtemens.
Les Phrygiens trouverent l’art de broder avec l’aiguille ; leur ouvrage étoit relevé en bosse, eminebat ac asperior reddebatur : les Babyloniens au contraire ne formoient qu’un tissu qui n’étoit chargé que de la différence des couleurs, tegmen unitè pictum de coloribus variis ; & après cela ils employoient l’aiguille sur ce tissu : ces deux peuples rendoient également les figures. De nouveaux ouvriers s’éleverent à Alexandrie, qui, avec la seule navette & des fils de couleurs différentes, étendirent plus loin l’industrie. Voilà ce que nous savons des anciens.
Je ne parlerai pas de la perfection où l’on a porté dans nos tems modernes la variété, le goût, la richesse, la solidité, la durée, en un mot les fabriques admirables des principales étoffes qui servent aux vêtemens, à la parure, & aux ameublemens. C’est assez de dire que les anciens n’ont rien connu de pareil. On donne dans cet Ouvrage les principales manœuvres des Arts & Métiers par lesquels on exécute tant de beaux ou d’utiles ouvrages ; le discours en décrit les opérations à chaque article ; la gravûre les représente à l’œil : l’un & l’autre réunis en dévoilent le secret à la postérité ; & c’est ce qui n’avoit point encore été fait jusqu’à ce jour. (D. J.)
Habits des Romains, (Hist. anc.) habits particuliers à ce peuple célebre.
Il importe beaucoup de les connoître, tant pour l’intelligence des auteurs sacrés & prophanes, que pour celle des loix & des monumens antiques ; on le prouveroit par plusieurs recherches d’érudition. Lisez sur ce point Octav. Ferrarius, de re vestiariâ Romanorum, libri VII. Patav. 1670, in-4°.
Les habits des Romains, dans les anciens tems, n’étoient formés que de diverses peaux de bêtes, auxquelles ils firent succéder de grosses étoffes de laine, qu’on perfectionna & qu’on rendit plus fines dans la suite ; mais le genre de vie des premiers Romains étoit si grossier, qu’il approchoit de celui des sauvages. Pendant plusieurs siecles, ils eurent si peu d’attention à l’extérieur de leur personne pour la propreté & la parure, qu’ils laissoient croître leurs cheveux & leur barbe, sans en prendre aucun soin.
Les habits annexés aux charges éminentes de la république, se ressentoient de ce goût si peu recherché, & ne différoient des autres que par quelques ornemens de pourpre ; ils pensoient que les dignités par elles-mêmes & par la maniere de les remplir, devoient suffire pour imprimer tout le respect qui leur étoit dû, sans emprunter l’éclat d’une magnificence qui ne frappe que les yeux du vulgaire, & qui d’ailleurs ne convenoit point à l’esprit républicain dont ils étoient épris.
Quand les étoffes de laine furent introduites, ils se firent des tuniques amples avec des manches larges & si courtes, qu’à peine elles descendoient jusqu’au coude : cette mode même dura long-tems ; car il paroît que ce ne fut que vers le siecle de Constantin qu’ils prolongerent les manches presque jusqu’au poignet. C’étoit sur cette ample tunique qu’on mettoit une ceinture, & par-dessus une robe sans manches, comme une espece de manteau large ouvert par-devant, qu’on appelloit toge : on en faisoit passer un des bouts par-dessus l’épaule gauche, afin d’avoir le bras droit plus libre ; & lorsqu’on vouloit agir avec cet habillement, on le retroussoit en le tournant autour du corps.
Sous la république, la maniere ordinaire, en allant par les rues, étoit de le laisser descendre presque sur les talons ; Auguste amena la mode de le relever plus haut ; ensorte que par-devant on le laissoit tomber un peu au-dessous du genou, & par-derriere jusqu’à mi jambe.
Lorsque les Romains devinrent plus riches, on fit la toge d’une étoffe de laine fine & blanche pour l’ordinaire : c’étoit dans son origine un habit d’honneur défendu au petit peuple, qui n’alloit par la ville qu’avec la simple tunique ; il étoit pareillement défendu à ceux qu’on envoyoit en exil : cependant on quittoit ordinairement la toge en campagne, où l’on se servoit d’un habit plus court & moins embarrassant. A l’égard de la ville, la bienséance vouloit qu’on n’y parût qu’avec cet habillement : ensuite quand il devint commun à presque tout le monde, il n’y eut plus que la finesse de l’étoffe & la plus grande ampleur de cette robe qui distinguât les personnes riches. La toge fut commune aux deux sexes, jusqu’à ce que, vers le déclin de la république, quelques femmes de qualité prirent l’usage de la robe nommée stole : alors la toge ne fut plus que l’apanage des hommes, des femmes du menu peuple, & des libertines. Voyez Stole.
La robe qu’on appelloit prétexte avoit beaucoup de ressemblance avec la toge ; c’étoit celle qu’on faisoit porter aux enfans de qualité : dès qu’ils avoient atteint l’âge de douze ans, ils quittoient l’habit d’enfance, qui étoit une veste à mouches, qu’on appelloit alicata chlamis, pour porter la prétexte, à cause qu’elle étoit bordée de pourpre : les magistrats, les prêtres & les augures s’en servoient dans de certaines cérémonies.
Les sénateurs avoient sous cette robe une tunique qu’on nommoit laticlave, & qu’on a long-tems pris à la lettre pour un habillement garni de larges têtes de cloux de pourpre, mais qu’on a reconnu depuis ne signifier qu’une étoffe à larges bandes ou raies de pourpre, de même que celle qu’on nommoit angusti-clave, qui étoit propre aux chevaliers pour les distinguer des sénateurs, & qui n’étoit pareillement qu’une étoffe à bandes de pourpre plus étroites. Voyez Laticlave.
Les enfans des sénateurs & des magistrats curules ne portoient la tunique laticlave qu’après avoir pris la robe virile ; jusqu’à ce tems-là, ils n’avoient point d’autres marques de distinction, outre la robe prétexte, que ce qu’on appelloit bulla, qui étoit un petit cœur qui leur pendoit sur la poitrine : ils avoient encore le droit de porter la robe qu’on nommoit trabæa ; cette robe étoit assez semblable à la toge, seulement un peu plus courte, & rayée de blanc, d’or & de pourpre : on assûre qu’elle avoit été affectée aux rois de Rome.
Ce qu’on appelloit lacerne étoit un manteau pour le mauvais tems, & qui se mettoit par-dessus la toge. Dans les commencemens, on ne s’en servoit qu’à la guerre ; la lacerne s’attachoit par-devant avec une boucle ; on y joignoit un capuchon, cucullus, qu’on ôtoit quand on vouloit : de-là le passage d’Horace, odoratum caput obscurante lacernâ. Sat. vij. l. II. v. 55. On avoit des lacernes pour l’hiver, qui étoient d’une grosse étoffe ; & pour l’été d’une étoffe plus fine, mais toujours de laine. Il est vrai que jusqu’au tems de Cicéron, ces sortes de manteaux ne furent presque qu’à l’usage du peuple ; mais comme on les trouva commodes, tout le monde s’en servit d’abord pour la campagne, ensuite pour la ville. Les dames quand elles sortoient le soir, les personnes de qualité, & les empereurs mêmes mettoient ce manteau par-dessus la toge, lorsqu’ils alloient sur la place & au cirque. Ceux du peuple étoient d’une couleur brune ou blanche ; ceux des sénateurs, de pourpre ; & ceux des empereurs, d’écarlate. On observoit cependant quand on paroissoit devant l’empereur, de quitter ce manteau par respect. Voyez Lacerne.
La synthèse étoit une autre espece de manteau fort large, que les Romains mettoient pour manger, comme un habillement plus commode pour être à table couchés sur les lits. Martial nous apprend que de son tems il y avoit des particuliers qui par un air de luxe en changeoient souvent pendant le repas. La couleur en étoit ordinairement blanche & jamais noire, pas même dans les repas qu’on donnoit aux funérailles.
La pullata vestis désigne un habit qui se portoit pour le deuil, & dont usoit ordinairement le petit peuple ; la couleur en étoit noire, minime, ou brune, & la forme assez semblable à celle de la lacerne ; car elle avoit de même un capuchon.
L’habit militaire étoit une tunique juste sur le corps, qui descendoit jusqu’à la moitié des cuisses, & par-dessus laquelle s’endossoit la cuirasse. C’étoit avec cet habit que les Romains dans leurs exercices, ou en montant à cheval, mettoient certaines petites chausses nommées campestres, qui leur tenoient lieu de culottes ; car ordinairement ils ne les portoient point avec les habits longs.
Le paludamentum nous présente le manteau de guerre des officiers ; il ressembloit à celui que les Grecs nommoient clamyde, se mettoit aussi par-dessus la cuirasse, & s’attachoit avec une boucle sur l’épaule droite, ensorte que ce côté étoit tout découvert ; afin que le mouvement du bras fût libre, comme on le voit dans les statues antiques.
Au lieu de paludamentum, les soldats portoient à l’armée sur leur cuirasse une espece de casaque ou faye, qu’ils appelloient sagum.
Outre ces différens habillemens, il y en avoit de particuliers attachés à certaines dignités ou à de certaines cérémonies, comme la robe triomphale, toga triumphalis. Voyez Robe triomphale.
Nous ne parcourrons pas leurs autres habits, parce que nous n’en connoissons que les noms ; mais on comprend sans peine que les guerres, le luxe & le commerce avec les nations étrangeres, introduisirent dans l’empire plusieurs vêtemens dont il n’est pas possible de marquer les caracteres & les différentes modes.
Sous les uns ou les autres des habits que nous venons de décrire en peu de mots, les Romains hommes & femmes portoient ordinairement deux tuniques ; la plus fine qu’on mettoit sur la peau, tenoit lieu de chemise ; celle des hommes étoit très-juste, sans manches, & ne descendoit qu’à mi-jambe ; celle des femmes étoit plus longue, plus ample, & avoit des manches qui venoient jusqu’au coude : c’étoit s’écarter de la modestie, & prendre un air trop libre, que de ne pas donner à cette chemise la longueur ordinaire ; elle prenoit juste au coû des femmes, & ne laissoit voir que leur visage, dans les premiers tems de la fondation de Rome.
L’autre tunique qui étoit fort large, se mettoit immédiatement sous la robe ; mais lorsque le luxe eut amené l’usage de l’or & des pierreries, on commença impunément à ouvrir les tuniques & à montrer la gorge. La vanité gagna du terrein, & les tuniques s’échancrerent ; souvent même les manches, au rapport d’Elien, ne furent plus cousues ; & du haut de l’épaule jusqu’au poignet, on les attachoit avec des agraffes d’or & d’argent ; de telle sorte cependant qu’un côté de la tunique posant à demeure sur l’épaule gauche, l’autre côté tomboit négligemment sur la partie supérieure du bras droit.
Les femmes mettoient une ceinture, zona, sur la grande tunique, soit qu’elles s’en servissent pour la relever, soit qu’en se serrant davantage elles trouvassent moyen de tenir en respect le nombre & l’arrangement de ses plis. Il y avoit de la grace & de la noblesse de relever en marchant, à la hauteur de la main, le lais de la tunique qui tomboit au côté droit, & tout le bas de la jambe droite se trouvoit alors découvert. Quelques dames faisoient peu d’usage de leur ceinture, & laissoient traîner leur tunique ; mais on le regardoit comme un air de négligence trop marqué : de-là ces expressions latines, altè cincti, ou discincti, pour peindre le caractere d’un homme courageux, ou efféminé.
Le nombre des tuniques s’augmenta insensiblement ; Auguste en avoit jusqu’à quatre, sans compter une espece de camisole qu’il mettoit sur la peau avec un pourpoint, le reste du corps extrèmement garni, & une bonne robe fourrée par-dessus le tout. Ce même prince n’étoit pas moins sensible au chaud ; il couchoit pendant l’été presque nud, les portes de sa chambre ouvertes, le plus souvent au milieu d’un péristyle, au bruit d’une fontaine dont il respiroit la fraîcheur, pendant qu’un officier de sa chambre, un éventail à la main, agitoit l’air autour de son lit. Voilà l’homme à qui d’heureux hasards ouvrirent le chemin de l’empire du monde ! Mais ce n’est pas ici le lieu de réfléchir sur les jeux de la fortune ; il né s’agit que de parler des vêtemens romains.
Les femmes suivirent en cela l’exemple des hommes ; leurs tuniques se multiplierent : la mode vint d’en porter trois ; le goût en forma la différence.
La premiere étoit une simple chemise ; la seconde, une espece de rochet ; & la troisieme, c’est-à-dire celle qui se trouvoit la supérieure, ayant reçû davantage de plis, & s’étant augmentée de volume, forma, à l’aide des ornemens dont elle se trouva susceptible, la stole que j’ai nommée plus haut, en remarquant qu’elle fit tomber la toge, ou du-moins n’en laissa l’usage qu’aux hommes & aux courtisannes.
Le luxe fit bientôt ajoûter par-dessus la stole un manteau ou mante à longue queue traînante, qu’on appelloit symarre : on l’attachoit avec une agraffe plus ou moins riche sur l’épaule droite, afin de laisser plus de liberté au bras que les dames tenoient découvert comme les hommes. Cette symarre portant en plein sur l’autre épaule, formoit en descendant un grand nombre de plis qui donnoient beaucoup de grace à cet habillement. Aussi les actrices s’en servoient sur le théatre. Voyez Symare.
La couleur blanche étoit la couleur générale des habits des Romains, comme aussi la plus honorable, indépendamment des dignités qui étoient marquées par la pourpre. Les citoyens dans les réjoüissances publiques paroissoient ordinairement vêtus de blanc : Plutarque nous instruit qu’ils en usoient de même dans les réjoüissances particulieres, & sur-tout dans celles du jour de leur naissance, qu’ils célébroient tous les ans.
On distinguoit les personnes de quelque rang ou qualité par la finesse, la propreté & la blancheur éclatante de l’habit. Aussi dit-on dans les auteurs, qu’on envoyoit souvent les robes au foulon pour les détacher & les blanchir ; le menu peuple hors d’état de faire cette dépense, portoit généralement des habits bruns.
Il faut pourtant remarquer que sur la fin de la république, la distinction dans les habits ne s’observoit déjà plus à Rome ; les affranchis étoient confondus avec les autres citoyens ; l’esclave s’habilloit comme son maître ; & si l’on excepte le seul habit du sénateur, l’usage de tous les autres se prenoit indifféremment : le moindre tribun des légions portoit le laticlave.
Mais, au milieu de cette confusion, les habits de tout le monde étoient encore tissus de laine pure ; son emploi dans les étoffes a été le plus ancien & le plus durable de tous les usages. Pline, en nous disant que de son tems le luxe se joüoit de la nature même, & qu’il a vû des toisons de béliers vivans teintes en pourpre & en écarlate, ne connoissoit encore que la laine pour matiere de toutes sortes d’étoffes, qui ne recevoit de différence que de la diversité des couleurs & de l’apprêt. De-là ce fréquent usage des bains, que la propreté rendoit si nécessaire.
Ce ne fut que sous le regne des Césars, que l’on commença à porter des tuniques de lin ; Vopiscus prétend que la mode en vint d’Egypte ; & l’empereur Alexandre Sévere trouvoit avec raison qu’on en avoit corrompu la bonté, depuis qu’on s’étoit avisé de mêler dans le tissu des raies ou des bandes de pourpre. Si le lin est doux sur la peau, disoit-il, pourquoi ces ornemens étrangers qui ne servent qu’à rendre la tunique plus rude ?
L’usage de la soie dans les habits d’homme s’étant introduit sous Tibere, il fit rendre un decret par le sénat conçu en ces termes remarquables : Decretum, ne vestis serica viros fœdaret. Ce fut Jules-César qui inspira ce nouveau goût de recherches, en faisant couvrir dans quelques spectacles qu’il donna tout le théatre de voiles de soie. Caligula parut le premier en public en robe de soie. Il est vrai que sous Néron les femmes commencerent à en porter ; mais il y a lieu de croire que leurs étoffes étoient mêlées de lin & de soie, & que jusqu’à Eliogabale le luxe n’a point fourni d’exemple d’une robe toute de soie, Eliogabalus primus Romanorum, holosericâ veste usus, fertur.
Aurélien n’avoit pas une seule robe holosérique dans toute sa garderobe ; aussi refusa-t-il à l’impératrice sa femme le manteau de soie qu’elle lui demandoit, en lui donnant pour raison de son refus, qu’il n’avoit garde d’acheter des fils au poids de l’or. La livre de soie valoit une livre d’or.
Nous ne devons pas nous étonner de cette valeur de la soie dans ces tems-là, si nous nous rappellons que Henri II. fut le premier en France qui porta une paire de bas de soie aux noces de sa sœur, & que la femme de Lopez de Padilla crut faire un présent magnifique à Philippe II. en lui envoyant de Tolede en Flandres une paire de bas semblables. Cependant, malgré le prix de ce genre de luxe, les habits de soie devinrent si communs à Rome, que l’empereur Tacite qui se glorifioit d’être parent de l’historien de ce nom, & qui fut le successeur d’Aurélien même, se contenta de ne défendre qu’aux hommes la robe holosérique, dont Eliogabale s’étoit le premier vêtu soixante ans auparavant.
Terminons cet article par considérer la gradation du luxe des Romains dans leur parure.
Sous la république, il n’y avoit que les courtisannes qui se montrassent dans la ville en habits de couleur. Sous les empereurs, les dames assortirent les couleurs de leurs habits à leur teint, ou au goût de mode qui régnoit alors. « La même couleur, dit Ovide, ne va pas à tout le monde : choisissez celle qui vous pare davantage ; le noir sied bien aux blanches, & le blanc aux brunes. Vous aimiez le blanc, filles de Cephée, & vous en étiez vêtues, quand l’île de Seriphe fut pressée de vos pas… »
Le même poëte ne réduit point à la seule couleur pourpre tout l’honneur de la teinture. Il nous parle d’un bleu qui ressemble au ciel, quand il n’est point couvert de nuages ; d’une autre couleur semblable à celle du bélier qui porta Phryxus & sa sœur Hellé, & les déroba aux supercheries d’Ino. Il y a, selon lui, un beau verd-de-mer dont il croit que les Nymphes sont habillées : il parle de la couleur qui teint les habits de l’Aurore, de celle qui imite les myrthes de Paphos, & d’une infinité d’autres, dont il compare le nombre à celui des fleurs du printems.
Sous la république, les femmes portoient des habits pour les couvrir ; sous les empereurs, c’étoit dans un autre dessein. « Voyez-vous, dit Séneque, ces habits transparens, si toutefois l’on peut les appeller habits ? Qu’y découvrez-vous qui puisse défendre le corps ou la pudeur ? Celle qui les met osera-t-elle jurer qu’elle ne soit pas nue ? On fait venir de pareilles étoffes d’un pays où le Commerce n’a jamais été ouvert, pour avoir droit de montrer en public ce que les femmes dans le particulier n’osent montrer à leurs amans qu’avec quelque reserve : ut matronæ, ne adulteris quidem plus suis, in cubiculo quàm in publico, ostendant ». Voyez Gase de Cos.
Sous la république, les dames ne sortoient point sans avoir la tête couverte d’un voile ; sous les empereurs, cet usage disparut ; on se tourna du côté de la galanterie. Cette célebre romaine qui possédoit tous les avantages de son sexe, hors la chasteté ; Poppée, dis-je, portoit en public un voile artistement rangé, qui lui couvroit à-demi le visage, ou parce qu’il lui séyoit mieux de la sorte, dit Tacite, ou pour donner plus d’envie de voir le reste.
Sous la république, les dames sortoient toujours décemment habillées & accompagnées de leurs femmes ; sous les empereurs, elles leur substituerent des eunuques, & ne garderent plus de décence dans leurs ajustemens.
Sous la république, les femmes & les hommes avoient des habits qui les distinguoient ; sous Tibere, les deux sexes avoient déjà revêtu les habits l’un de l’autre. Les femmes commencerent au sortir de leur lit & de leur bain à prendre un habillement qu’elles avoient en commun avec les hommes ; la galanterie ne laissoit point sans dessein & sans goût une robe faite pour se montrer négligemment à ses amis particuliers & aux personnes les plus cheres.
Sous la république, les dames n’avoient des pierreries que pour ressource dans les malheurs, & elles ne les portoient sur elles que dans les fêtes sacrées ; sous les empereurs, elles les prodiguoient sur leurs habits. Dans ces tems-là, les femmes les plus modestes n’osoient non plus aller sans diamans, dit Pline, qu’un consul sans les marques de sa dignité. J’ai vû, ajoûte le même auteur, Lollia Paulina se charger tellement de pierreries, même après sa répudiation, pour faire de simples visites, qu’elle n’avoit aucune partie de son corps, depuis la racine des cheveux jusque sur sa chaussure, qui ne fût ébloüissante. L’état qu’elle affectoit d’en étaler elle-même, se montoit à un million d’or, sans qu’on pût dire que ce fussent des présens du prince ou les pierreries de l’empire ; ce n’étoit que celles de sa maison, & l’un des effets de la succession de Marcus Lollius son oncle.
Ainsi la toge, le voile, le capuchon de grosse laine se changerent en chemises de fin lin, en robes transparentes, en habits de soie d’un prix immense, & en pierreries sans nombre. C’est-là l’histoire de Rome à cet égard, & c’est celle de tous les peuples corrompus ; car ils sont tous les mêmes dans l’origine de leur luxe, & dans ses progrès. (D. J.)
Habit ecclésiastique, habitus religionis, (Hist. ecclésiastiq.) On ne peut pas douter que dans les premiers siecles de l’Eglise, les clercs n’ayent porté les mêmes habits dont les laïcs étoient vêtus ; ils avoient trop de raison de se cacher, pour se déclarer par un habit qui les fît connoître. Il n’est donc pas aisé de découvrir l’époque de la prohibition que l’on fit aux ecclésiastiques de s’habiller comme les laïcs ; mais selon les apparences, cette époque ne remonte pas avant le cinquieme siecle. On trouve seulement dans le canon XX. du concile d’Agde, tenu en 506, que les peres de ce concile défendirent aux clercs de porter des habits qui ne convenoient point à leur état, c’est-à-dire qu’ils commençoient dès-lors à s’écarter des regles de la modestie & de la bienséance.
Le mal empira, & la licence devint si grande dans le même siecle, que le concile de Narbonne tenu en 589, fut obligé de leur défendre de porter des habits rouges ; mais comme de simples défenses n’arrêtoient pas le luxe & la vanité des ecclésiastiques, les conciles suivans introduisirent une peine contre les infracteurs. On ordonna en Occident que ceux qui contreviendroient à la défense, seroient mis en prison au pain & à l’eau pendant trente jours. Un concile tenu à Constantinople ordonna la suspension pendant une semaine contre ceux des ecclésiastiques qui imiteroient les laïcs dans leurs vêtemens. Enfin la punition devint encore plus sévere dans la suite ; car nous apprenons de Socrate, qu’Eustate évêque de Sebaste en Arménie fut réellement déposé, parce qu’il avoit porté un habit peu convenable à un prêtre. Le concile de Trente, sess. xjv. chap. vj. se conformant aux anciens conciles, s’est expliqué suffisamment sur ce sujet, sans qu’il soit besoin d’entrer dans de plus grands détails.
Les conciles particuliers & les synodes qui ont été tenus depuis celui de Trente, ont confirmé l’obligation imposée aux ecclésiastiques de porter l’habit clérical ; mais aucun concile n’a jamais rien déterminé sur la couleur & sur la forme de cet habit. M. de Sainte-Beuve consulté, si un clerc pouvoit porter le deuil de la maniere dont les laïcs le portent, répond qu’il n’y avoit aucun canon qui le défendît aux ecclésiastiques.
Socrate raconte dans son histoire de l’Eglise, liv. VI. c. xxij. que quelqu’un ayant demandé à Sisinnius pourquoi il portoit des habits blancs, quoiqu’il fût évêque, celui-ci lui répondit qu’il seroit bien-aise d’apprendre en quel endroit il étoit écrit, que les prêtres doivent être vêtus de noir, puisque l’on voit au contraire dans l’Ecriture que Salomon recommande aux prêtres d’avoir des habits blancs. C’est en effet celui que S. Clément d’Alexandrie & S. Jérôme leur conseillent par préférence.
Le cardinal Baronius prétend que le brun & le violet ont été les premieres couleurs dont les ecclésiastiques se sont servis pour se distinguer des laïcs. Je n’entrerai point dans cette recherche ; c’est assez de dire qu’à-présent le noir est la seule couleur que l’on souffre aux ecclésiastiques ; & quant à la forme de leur habit, il suffit qu’il soit long & descende sur les souliers.
Quelques-uns se contentent d’une demi-soutane ; mais c’est une tolérance de l’évêque qui pourroit défendre ce retranchement de l’habit ecclésiastique, que les canons appellent vestis talaris. Enfin, quoiqu’un docteur de Sorbonne ait tâché de prouver par un traité imprimé à Amsterdam en 1704, sous le titre de re vestiariâ hominis sacri, que l’habit ecclésiastique consiste plûtôt dans la simplicité que dans la longueur & dans la largeur, il faut convenir que l’habit long a plus de majesté que celui qui ne l’est pas, & qu’en même tems l’abbé Boileau a raison dans le principe qu’il établit. (D. J.)
Habits sacrés, (Hist. ecclésiastiq.) nom qu’on a donné parmi les Chrétiens aux habits ou ornemens que portent les ecclésiastiques pendant le service divin, & sur-tout durant la célébration de la Liturgie.
Dès les premiers tems de l’Eglise, dit M. Fleury, l’évêque étoit revêtu d’une robe éclatante, aussi bien que les prêtres & les autres ministres ; car dès-lors on avoit des habits particuliers pour l’office. Ce n’est pas, ajoûte le même auteur, que ces habits fussent d’une figure extraordinaire. La chasuble étoit l’habit vulgaire du tems de saint Augustin. La dalmatique étoit en usage dès le tems de l’empereur Valérien. L’étole étoit un manteau commun même aux femmes. Enfin le manipule, en latin mappula, n’étoit qu’une serviette que les ministres de l’autel portoient sur le bras pour servir à la sainte table. L’aube même, c’est-à-dire la robe blanche de laine ou de lin, n’étoit pas du commencement un habit particulier aux clercs, puisque l’empereur Aurélien fit au peuple romain des largesses de ces sortes de tuniques. Vopisc. in aurelian.
Mais depuis que les clercs se furent accoûtumés à porter l’aube continuellement, on recommanda aux prêtres d’en avoir qui ne servissent qu’à l’autel, afin qu’elles fussent plus blanches. Ainsi il est à croire que du tems qu’ils portoient toûjours la chasuble & la dalmatique, ils en avoient de particulieres pour l’autel de même figure que les communes, mais d’étoffes plus riches & de couleurs plus éclatantes. Mœurs des Chrét. tit. xlj.
Saint Jérôme n’a pas voulu signifier autre chose, lorsqu’il a dit : Religio divina alterum habitum habet in ministerio, alterum in usu vitâque communi. Car toute l’antiquité atteste que ces habits étoient les mêmes pour la forme ; mais elle a bien changé depuis, & celle qu’on leur a donnée est plus pour l’ornement que pour l’utilité. On les ornoit souvent d’or, de broderie & de pierres précieuses, pour frapper le peuple par un appareil majestueux.
Plusieurs auteurs ont donné des explications mystiques de la forme & de la couleur des habits sacrés. Saint Grégoire de Nazianze nous représente le clergé vêtu de blanc, imitant les anges par son éclat. Saint Chrysostôme compare l’étole de linge fin que les diacres portoient sur l’épaule gauche, & dont ils se servoient pendant les saints mysteres, aux aîles des anges. Saint Germain patriarche de Constantinople est celui qui s’est le plus étendu sur ces explications. L’étole représente, selon lui, l’humanité de Jesus-Christ teinte de son propre sang. La tunique blanche marque l’éclat & l’innocence de la vie des Ecclésiastiques ; les cordons de la tunique figurent les liens dont Jesus-Christ fut chargé. La chasuble représente la robe de pourpre dont il fut revêtu dans sa passion. Le pallium qui est fait de laine, & que le prélat porte sur son cou, signifie la brebis égarée que le pasteur doit conduire au bercail, & ainsi des autres. Thomassin, discipl. ecclésiast. part. I. liv. I. chap. xxxiij. part. II. liv. II. chap. xxxiij. & part. III. liv. I. chap. xxiij.
On peut compter parmi les habits sacrés le rochet, le surplis, l’aumusse, la mitre, le pallium, &c. qu’on trouvera dans ce Dictionnaire sous leurs titres respectifs.
Bingham dans ses antiquités, s’échauffe beaucoup & d’une maniere assez peu digne d’un savant de son mérite, pour prononcer que dans la primitive Eglise les évêques & les prêtres n’avoient pas d’autres habits, pour célébrer l’office divin, que leurs habits ordinaires. Nous convenons volontiers que pour la forme ils n’étoient pas différens des longues robes, des manteaux, des tuniques : c’étoient les habits que portoit tout le monde ; & parce que les Goths, les Vandales, & les autres nations barbares qui se répandirent dans l’empire romain, y apporterent des habillemens tout différens, falloit-il pour cela que le clergé adoptât leurs modes, & qu’il en changeât ainsi que de vainqueurs & de maîtres ? Cet auteur convient lui-même que dès le quatrieme siecle les clercs avoient déjà des habits particulierement destinés aux fonctions de leur ministere. Il y avoit donc déjà à cet égard des regles & des usages établis ; & quand il n’y en auroit pas eu, a-t-on jamais contesté à quelque religion que ce fût le droit de régler l’extérieur & la décence de ses ministres dans les cérémonies publiques ? Mais quel inconvénient y auroit-il, que dans des siecles plus reculés les évêques & les prêtres eussent eu dans les églises des habits pareils à ceux qu’ils portoient en public, mais seulement plus riches & plus ornés ? Après tout, cet Ouvrage n’est pas un livre de controverse ; & au lieu d’ennuyer ici le lecteur par une dispute frivole, il vaut mieux l’amuser par les recherches curieuses que l’auteur anglois a faites sur la forme des anciens habits que portoient les ecclésiastiques. Il en nomme plusieurs : savoir, le birrum ou la tunique commune, le pallium ou manteau, le colobium, espece de chemisette, la dalmatique, la casaque gauloise, l’hemiphorium, espece de tunique courte, & la robe ou chemise de lin, linea.
Le birrum ou tunique commune étoit l’habit des séculiers, & les ecclésiastiques le portoient également. Saint Augustin semble dire qu’un évêque ou un prêtre ne doit point porter un vêtement de cette sorte qui soit précieux, qu’il doit le vendre pour soulager les pauvres ; mais ne sait-on pas que pour cette cause il est permis de vendre même les vases sacrés, & que plusieurs saints évêques en ont usé ainsi ? S’ensuit-il de-là qu’on n’en devroit point avoir du-tout ?
Le pallium ou manteau étoit une ample piece d’étoffe que les anciens portoient par-dessus la robe, & qu’ils retroussoient sous le bras gauche ; les clercs, les ascetes même le portoient aussi-bien que les gens du monde. Le manteau long de nos ecclésiastiques d’aujourd’hui est d’une forme différente & d’un usage moins universel ; mais il faut être étrangement prévenu pour le trouver indécent.
Le colobium étoit une tunique courte avec des manches aussi courtes & serrées ; c’étoit l’habit de dessous des anciens romains, & les clercs en faisoient le même usage. La dalmatique étoit une tunique plus ample, traînante jusqu’aux talons avec des manches fort larges. Bingham lui-même prouve qu’elle étoit connue du tems de Cicéron ; mais quand l’usage n’en auroit pas été extrèmement commun alors, il pouvoit l’être du tems de S. Cyprien, dans la passion duquel on lit, cùm se dalmaticâ expoliasset ; leçon que condamne vivement Bingham, après le docteur Fell, comme une altération impardonnable. Nous avons raccourci la dalmatique, & d’un habit commun nous en avons fait un ornement majestueux.
La casaque gauloise, caracalla, étoit un habit propre aux laïcs ; mais il ne paroît par aucun monument que les ecclésiastiques l’ayent adopté.
L’hemiphorium étoit, selon le pere Petau, une courte tunique de dessous ou un demi-manteau que les clercs portoient sans doute comme les laïcs, mais qu’il ne faut pas confondre avec l’omophorium, ornement particulier aux évêques, & dont parle S. Germain de Constantinople.
Enfin linea, la chemise de lin n’est aux yeux de Bingham qu’une chemise ordinaire, sur-tout dans la relation du martyre de S. Cyprien ; nous ne nous opiniâtrerons pas à soûtenir avec Baronius que c’étoit un rochet épiscopal. Mais n’a-t-on pas une foule de monumens qui prouvent que dès-lors dans le ministere des autels l’évêque & les prêtres étoient vêtus de longues robes blanches ? & ces robes ne pouvoient-elles pas être de lin si commun chez les anciens ? Voyez au mot Aube ce que nous avons dit sur cette matiere ; voyez aussi Bingham, orig. ecclés. tome II. liv. VI. c. jv. §. 18, 19 & 20. (G)
Habit religieux, (Hist. ecclésiastiq.) vêtement uniforme que portent les religieux & religieuses, & qui marque l’ordre dans lequel ils ont fait profession.
Les fondateurs des ordres monastiques ayant d’abord habité les deserts, n’ont donné à leurs religieux que le vêtement qu’ils portoient eux-mêmes ; & l’on conçoit bien qu’ils n’ont pas voulu les mieux traiter. Saint Athanase parlant des habits de saint Antoine, dit qu’ils consistoient dans un cilice de peau de brebis & dans un simple manteau. S. Jérôme écrit que saint Hilarion n’avoit qu’un cilice, une saye de paysan, & un manteau de peau ; mais comme cet habit là étoit alors en Orient & en Occident l’habit commun des bergers & des montagnards, il n’avoit garde d’en prendre un qui fût moins grossier.
Les religieux ou les communautés qui se sont établis pour vivre dans les villes, ont reçu l’habit que portoient les instituteurs de leurs ordres ; & sans cela peut-être on n’eût jamais parlé d’eux.
Ainsi S. Dominique eut soin de donner à ses disciples l’habit qu’il avoit porté lui-même. Les Jésuites, les Barnabites, les Théatins, les Oratoriens, &c. n’ont pas manqué de prendre l’habit de leurs fondateurs. S’ils paroissent d’abord extraordinaires, c’est que les ordres religieux n’ont pu changer comme les laïcs, ni suivre les modes que le tems a fait naître ; mais ils n’y ont rien perdu : on les distingue tous par leurs habits, ce qui est un très-grand avantage pour les ordres accrédités ; & chaque ordre se flate tôt ou tard de la préférence. (D. J.)
Habit de bord, (Marine.) se dit du vétement que les Matelots portent à la mer. (Q)