L’Encyclopédie/1re édition/IMPROMTU
IMPROMTU, s. m. (Poésie.) ou plûtôt IN-PROMTU, terme latin qui a passé dans notre langue ; c’est une petite piece de poésie assez semblable au madrigal ou à l’épigramme, mais dont le caractere propre & distinctif est d’être fait sans préparation, sur un sujet qui se présente.
L’in-promtu a commencé visiblement par les reparties grossieres des laboureurs dans leurs noces & fêtes rustiques, où ils ne connoissent que la joie & les vapeurs du vin. La nature libre a produit l’in-promtu, c’est sa premiere ébauche ; l’art est venu la corriger, la réformer & la polir ; sur quoi Moliere fait dire plaisamment à une de ses précieuses, que c’est la pierre de touche du bel esprit.
Les in-promtu que la nature avoit créés se tinrent quelque tems dans les bornes d’une raillerie plus divertissante que piquante & chagrine, mais peu-à-peu ses railleries devinrent ameres & mordantes ; leur excès excita des plaintes, & ces plaintes attirerent à Rome une loi qui sévit contre ceux qui blesseroient la réputation de quelqu’un par toutes sortes de vers dits in-promtu, ou autres.
Au lieu d’adopter la loi romaine, nous avons donné des lois aux in-promtu ; nous voulons que ces sortes de pieces soient le fruit d’un heureux moment, & qu’elles ayent toûjours un air simple, aisé, naturel, qui garantisse qu’elles n’ont point été faites à loisir ; c’est pourquoi nous permettons quelques licences dans ces sortes d’ouvrages en faveur de leur amusement passager ; le Comte Hamilton en a prescrit les regles dans les vers suivans, où il appelle l’in promtu,
— Un certain volontaire,
Enfant de la table & du vin,
Difficile, & peu nécessaire,
Vif, entreprenant, téméraire,
Etourdi, négligé, badin,
Jamais rêveur ni solitaire,
Quelquefois délicat & fin,
Mais tenant toûjours de son pere.
La plûpart des jolies pieces de Lainez, madrigaux ; chansons, épigrammes, ont été faites le verre à la main ; il partageoit son tems entre l’étude & le plaisir de la table. Un de ses amis lui témoignant un jour sa surprise de le voir à huit heures du matin à la bibliotheque du Roi, & pour ainsi dire au sortir d’un grand repas de la veille, Lainez lui répondit par cet in-promtu ingénieux,
Regnat nocte calix, volvuntur biblia mane,
Cum Phœbo, Bacchus dividit imperium.
On rapporte que Théophile étant allé dîner chez un grand seigneur, où tout le monde lui disoit qu’un de ses amis étoit fou puisqu’il étoit poète, il répondit en riant,
J’avouerai sans peine avec vous
Que tous les poëtes sont fous ;
Mais sachant bien ce que vous êtes,
Tous les fous ne sont pas poëtes.
Non-seulement nous voulons que l’in-promtu naisse du sujet, mais il faut de plus qu’il renferme une pensée plaisante, vive, juste, neuve, agréable ; une raillerie ingénieuse, ou mieux encore, une louange fine & délicate.
Les vers que Gacon dit sur-le-champ à ses amis, qui lui montroient le portrait de Thomas Corneille, sont plaisans ;
Voyant le portrait de Corneille,
Gardez-vous de crier merveille,
Et dans vos transports n’allez pas
Prendre ici Pierre pour Thomas.
On connoît l’in-promtu que Poisson (Raimond), un de nos meilleurs acteurs comiques, fit à dîner chez M. Colbert, qui avoit tenu un de ses enfans sur les fonts baptismaux. Comme M. Colbert ne devoit arriver qu’au fruit, tout le monde avoit profité de son absence pour élever sa gloire, quand Poisson prit la parole, & dit,
Ce grand ministre de la paix,
Colbert, que la France révere,
Dont le nom ne mourra jamais,
Hé bien, Messieurs, c’est mon compere.
L’impromptu suivant est de Mademoiselle Scudery, sur des fleurs que M. le Prince cultivoit.
En voyant ces œillets qu’un illustre guerrier
Arrose d’une main qui gagne des batailles,
Souviens-toi qu’Apollon élevoit des murailles,
Et ne t’étonne pas que Mars soit jardinier.
Mais entre plusieurs jolis impromptu de nos poëtes, qu’on ne peut oublier, je ne dois pas taire celui que M. de S. Aulaire fit à l’âge de plus de quatre-vingt-dix ans, chez madame la duchesse du Maine, qui l’appelloit son Apollon. Cette princesse ayant proposé un jeu, où l’on devoit dire un secret à quelqu’un de la compagnie, elle s’adressa à M. de S. Aulaire, & lui demanda le sien ; il lui répondit :
La divinité qui s’amuse
A me demander mon secret,
Si j’étois Apollon ne seroit pas ma muse,
Elle seroit Thétis & le jour finiroit.
C’est une chose très-singuliere, dit M. de Voltaire, que les plus jolis vers qu’on ait de lui, ayent été faits lorsqu’il étoit plus que nonagénaire. (D. J.)