L’Encyclopédie/1re édition/INDIGESTE

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 676-677).
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INDIGESTE, adj. (Diete.) se dit d’un aliment incapable d’être digéré, & qui seroit par conséquent plus proprement appellé indigestible ou indigérable. Un pareil aliment est encore appellé, dans le langage ordinaire, lourd, pesant & chargeant.

Ce mot ne se prend point à la rigueur & dans un sens absolu, parce que les matieres absolument incapables d’être digérées sont rejettées de la classe des alimens, lors même qu’elles contiennent une substance nutritive. Ainsi comme on ne s’avise point de manger les os durs, les cornes, les poils, les racines ligneuses, &c. quoique ces matieres soient indigestes par excellence, ce n’est pas dans celles de cet ordre que les Medecins considerent cette qualité. Ainsi donc un aliment indigeste n’est qu’un aliment de difficile digestion.

Il n’y a point d’aliment généralement & absolument indigeste ; c’est-à-dire, dont la digestion soit difficile pour tous les sujets. Cette considération est nécessairement liée à la précédente : car une matiere qui seroit constamment & universellement difficile à digérer, seroit aussi infailliblement exclue de la classe des alimens qu’une matiere absolument incapable de digestion. Un aliment indigeste est donc celui qui est difficilement digéré par le plus grand nombre de sujets sains, ou par un ordre entier de sujets sains. Voyez la fin de cet article.

On a remarqué à l’art. Aliment & à l’art. Digestion (Voyez ces articles.), que les divers estomacs ne s’accommodoient pas également des mêmes alimens, & qu’on observoit communément à cet égard des bisarreries fort singulieres. Or comme ces bisarreries sont telles que les alimens les plus parfaits, les plus généralement propres à une digestion aisée & louable, y sont soumis comme les plus indigestes ; il est clair que ces accidens ne doivent point être mis sur le compte des alimens.

Les alimens réellement indigestes en soi par leur constitution propre, sont de deux especes, savoir ceux qui par leur tissu dense, serré, membraneux, fibreux, coëneux, coriace, visqueux, opposent aux organes & aux sucs digestifs une résistence trop forte. Ce sont parmi les alimens qu’on tire des animaux les cartilages, la chair dure des animaux vieux, maigres, ou salée, ou fumée, ou trop récente, le gosier des oiseaux, le cœur de tous les animaux, &c. la peau, comme coëne de lard, peau de hure de sanglier, de grosse volaille, &c. les parties membraneuses, comme estomac, boyaux, &c. les piés de cochon, de veau, de mouton, &c. les huitres, les limaçons, les écrevisses & tous les crustacées, la seche, la raie & autres poissons dont la chair est très-fibreuse ; les œufs durs, &c. & parmi ceux que fournissent les végétaux, le pain bis, gluant, mal levé, mal cuit, la croute de pâté & autres pâtisseries non-fermentées, feuilletées, &c. les peaux ou écorces des fruits, & éminemment l’écorce blanche des oranges, des citrons, &c. les feuilles de certaines plantes dures, minces, séches, comme de pimprenelle, de persil, &c. les racines & bulbes d’un tissu fibreux & serré, comme le sont souvent celles du panais, des raves qui commencent à monter, &c. les oignons, &c. des fruits à parenchyme fibreux comme les oranges, ou d’un tissu ferme & compacte, comme amande, noix, &c. les semences légumineuses entieres, & mal ramollies par la cuite, &c.

La seconde classe d’alimens indigestes comprend ceux qui par leur consistance molle, égale, douce, dissoute, leur fadeur, leur inertie, & peut-être une qualité laxative occulte, n’excitent point convenablement le jeu des organes digestifs, & sont trop tôt & trop facilement pénétrés par les humeurs digestives. Ce sont les viandes grasses, délicates, fondantes, la graisse, les laitages sur-tout mêlés avec les œufs & le sucre ; les fruits doux, succulens & fondans, les vins doux, le mout, le miel, les sucreries, &c. Voyez tous les articles particuliers où il est traité des diverses matieres comprises sous les différentes divisions que nous venons d’assigner.

Les alimens indigestes de la premiere classe exercent presque infailliblement leur opération malfaisante sur les sujets délicats, élevés mollement, peu exercés, &c. mais pourtant sains, du moins à cela près, voyez Santé, & sont au contraire éminemment convenables aux sujets vigoureux, menant une vie dure, laborieuse, &c. & réciproquement ceux de la seconde classe sont tout aussi communément funestes aux sujets vigoureux, & utiles aux sujets foibles. Voyez Doux, Diete & Régime. (b)