L’Encyclopédie/1re édition/LIBELLE

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LIBELLE, s. m. libellus, (Jurisprud.) signifie différentes choses.

Libelle de divorce, libellus repudii, est l’acte par lequel un mari notifie à sa femme qu’il entend la répudier. Voyez Divorce, Répudiation & Séparation.

Libelle d’un exploit ou d’une demande est ce qui explique l’objet de l’ajournement ; quelquefois ce libelle est un acte séparé qui est en tête de l’exploit ; quelquefois le libelle de l’exploit est inséré dans l’exploit même, cela dépend du style de l’huissier & de l’usage du pays, car au fond cela revient au même.

Libelle diffamatoire est un livre, écrit ou chanson, soit imprimé ou manuscrit, fait & répandu dans le public exprès pour attaquer l’honneur & la réputation de quelqu’un.

Il est également défendu, & sous les mêmes peines, de composer, écrire, imprimer & de répandre des libelles diffamatoires.

L’injure résultant de ces sortes de libelles est beaucoup plus grave que les injures verbales, soit parce qu’elle est ordinairement plus méditée, soit parce qu’elle se perpétue bien davantage : une telle injure qui attaque l’honneur est plus sensible à un homme de bien que quelques excès commis en sa personne.

La peine de ce crime dépend des circonstances & de la qualité des personnes. Quand la diffamation est accompagnée de calomnie, l’auteur est puni de peine afflictive, quelquefois même de mort.

Voyez l’édit de Janvier 1561, article 13 ; l’édit de Moulins, article 77 ; & celui de 1571, article 10. Voyez l’article suivant. (A)

Libelle, (Gouvern. politiq.) écrit satyrique, injurieux contre la probité, l’honneur & la réputation de quelqu’un. La composition & la publication de pareils écrits méritent l’opprobre des sages ; mais laissant aux libelles toute leur flétrissure en morale, il s’agit ici de les considérer en politique.

Les libelles sont inconnus dans les états despotiques de l’Orient, où l’abattement d’un côté, & l’ignorance de l’autre, ne donnent ni le talent ni la volonté d’en faire. D’ailleurs, comme il n’y a point d’imprimeries, il n’y a point par conséquent de publication de libelles ; mais aussi il n’y a ni liberté, ni propriété, ni arts, ni sciences : l’état des peuples de ces tristes contrées n’est pas au-dessus de celui des bêtes, & leur condition est pire. En général, tout pays où il n’est pas permis de penser & d’écrire ses pensées, doit nécessairement tomber dans la stupidité, la superstition & la barbarie.

Les libelles se trouvent séverement punis dans le gouvernement aristocratique, parce que les magistrats s’y voyent de petits souverains qui ne sont pas assez grands pour mépriser les injures. Voilà pourquoi les décemvirs, qui formoient une aristocratie, décernerent une punition capitale contre les auteurs de libelles.

Dans la démocratie, il ne convient pas de sévir contre les libelles, par les raisons qui les punissent criminellement dans les gouvernemens absolus & aristocratiques.

Dans les monarchies éclairées les libelles sont moins regardés comme un crime que comme un objet de police. Les Anglois abandonnent les libelles à leur destinée, & les regardent comme un inconvénient d’un gouvernement libre qu’il n’est pas dans la nature des choses humaines d’éviter. Ils croient qu’il faut laisser aller, non la licence effrénée de la satyre, mais la liberté des discours & des écrits, comme des gages de la liberté civile & politique d’un état, parce qu’il est moins dangereux que quelques gens d’honneur soient mal-à-propos diffamés, que si l’on n’osoit éclairer son pays sur la conduite des gens puissans en autorité. Le pouvoir a de si grandes ressources pour jetter l’effroi & la servitude dans les ames, il a tant de pente à s’accroître injustement, qu’on doit beaucoup plus craindre l’adulation qui le suit, que la hardiesse de démasquer ses allures. Quand les gouverneurs d’un état ne donnent aucun sujet réel à la censure de leur conduite, ils n’ont rien à redouter de la calomnie & du mensonge. Libres de tout reproche, ils marchent avec confiance, & n’appréhendent point de rendre compte de leur administration : les traits de la satyre passent sur leurs têtes & tombent à leurs piés. Les honnêtes gens embrassent le parti de la vertu, & punissent la calomnie par le mépris.

Les libelles sont encore moins redoutables, par rapport aux opinions spéculatives. La vérité a un ascendant si victorieux sur l’erreur ! elle n’a qu’à se montrer pour s’attirer l’estime & l’admiration. Nous la voyons tous les jours briser les chaînes de la fraude & de la tyrannie, ou percer au-travers des nuages de la superstition & de l’ignorance. Que ne produiroit-elle point si l’on ouvroit toutes les barrieres qu’on oppose à ses pas !

On auroit tort de conclure de l’abus d’une chose à la nécessité de sa destruction. Les peuples ont souffert de grands maux de leurs rois & de leurs magistrats ; faut-il pour cette raison abolir la royauté & les magistratures ? Tout bien est d’ordinaire accompagné de quelque inconvénient, & n’en peut être séparé. Il s’agit de considérer qui doit l’emporter, & déterminer notre choix en faveur du plus grand avantage.

Enfin, disent ces mêmes politiques, toutes les méthodes employées jusqu’à ce jour, pour prévenir ou proscrire les libelles dans les gouvernemens monarchiques, ont été sans succès ; soit avant, soit surtout depuis que l’Imprimerie est répandue dans toute l’Europe. Les libelles odieux & justement défendus, ne sont, par la punition de leurs auteurs, que plus recherchés & plus multipliés. Sous l’empire de Néron un nommé Fabricius Véjento ayant été convaincu de quantité de libelles contre les sénateurs & le clergé de Rome, fut banni d’Italie, & ses écrits satyriques condamnés au feu : on les rechercha, dit Tacite, on les lut avec la derniere avidité tant qu’il y eut du péril à le faire ; mais dès qu’il fut permis de les avoir, personne ne s’en soucia plus. Le latin est au-dessus de ma traduction : Convictum Vejetonem, Italiâ depulit. Nero, libros exuri jussit, conquisitos, lectitatosque, donec cum periculo parabantur ; mox licentia habendi, oblivionem attulit. Annal. liv. XIV. ch. l.

Néron, tout Néron qu’il étoit, empêcha de poursuivre criminellement les écrivains des satyres contre sa personne, & laissa seulement subsister l’ordonnance du sénat, qui condamnoit au bannissement & à la confiscation des biens le préteur Antistius, dont les libelles étoient les plus sanglans. Henri IV. eh quel aimable prince ! se contenta de lasser le duc de Mayenne à la promenade, pour peine de tous les libelles diffamatoires qu’il avoit semés contre lui pendant le cours de la ligue ; & quand il vit que le duc de Mayenne suoit un peu pour le suivre : « Allons, dit-il, mon cousin nous reposer présentement, voilà toute la vengeance que j’en voulois ».

Un auteur françois très-moderne, qui est bien éloigné de prendre le parti des libelles & qui les condamne séverement, n’a pu cependant s’empêcher de réfléchir que certaines flatteries peuvent être encore plus dangereuses & par conséquent plus criminelles aux yeux d’un prince ami de la gloire, que des libelles faits contre lui. Une flatterie, dit-il, peut à son insçu détourner un bon prince du chemin de la vertu, lorsqu’un libelle peut quelquefois y ramener un tyran : c’est souvent par la bouche de la licence que les plaintes des opprimés s’élevent jusqu’au trône qui les ignore.

A dieu ne plaise que je prétende que les hommes puissent insolemment répandre la satyre & la calomnie sur leurs supérieurs ou leurs égaux ! La religion, la morale, les droits de la vérité, la nécessité de la subordination, l’ordre, la paix & le repos de la société concourent ensemble à détester cette audace ; mais je ne voudrois pas, dans un état policé, réprimer la licence par des moyens qui détruiroient inévitablement toute liberté. On peut punir les abus par des lois sages, qui dans leur prudente exécution réuniront la justice avec le plus grand bonheur de la société & la conservation du gouvernement. (D. J.)