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L’Encyclopédie/1re édition/MARSEILLE

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MARSEILLE, (Geog.) Massilia ; ancienne & forte ville maritime de France en Provence, la plus riche, la plus marchande & la plus peuplée de cette province, avec un port, un ancien évêché suffragant d’Arles, & une fameuse abbaye sous le nom de S. Victor.

Cette ville fondée cinq cent ans avant J. C. par des Phocéens en Ionie, fut des son origine une des plus trafiquantes de l’occident. Issus d’ancêtres, les premiers de la nation Grecque qui eussent osé risquer des voyages de long cours, & dont les vaisseaux avoient appris aux autres la route du golfe Adriatique & de la mer Tyrrhénienne : les Maneillois tournerent naturellement leurs vues du côte du commerce.

Un port avantageux sur la Méditerranée, des voisins qu’ils méprisoient peut-être comme barbares, & dont sans doute ils craignoient la puissance, leur firent en visager le parti du trafic maritime pour être l’unique moyen qu’ils eussent de subsister & de s’enrichir.

Comme tous les vents, les bancs de la mer, la disposition des côtes ordonnent de toucher à Marsalle, elle fut fréquentée par tous les vaisseaux, & devint une retraite nécessaire au milieu d’une mer orageuse. Mais la stérilité de son terroir, dit Justin, liv. XXXXIII. chap. III, détermina ses citoyens au commerce d’économie. Il fallut qu’ils fussent laborieux pour suppléer à la nature ; qu’ils fussent justes pour vivre parmi les nations barbares qui devoient faire leur prospérité ; qu’ils fussent modéres pour que leur état restât toujours tranquille ; enfin qu’ils eussent des mœurs frugales pour qu’ils pussent vivre d’un négoce qu’ils conservoient plus surement lorsqu’il seroit moins avantageux.

Le gouvernement d’un seul a d’ordinaire pour objet de commerce le dessein de procurer à la nation tout ce qui peut servir à sa vanité, à ses délices, à ses fantaisies ; le gouvernement de plusieurs se tourne davantage au commerce d’économie : aussi les Marseillois qui s’y livrerent, se gouvernerent en republique à la maniere des villes Grecques.

Bientôt ils eurent d’immenses richesses, dont ils se servirent pour embellir leur ville & pour y faire fleurir les arts & les sciences. Non seulement Marsalle peut se vanter de leur avoir donné l’entrée dans les Gaules, mais encore d’avoir formé une des trois plus fameuses académies du monde, & d’avoir partagé son école avec Athenes & Rhodes. Aussi Pline la nomme la maîtresse des études, magistraum studiorum. On y venoit de toutes parts pour y apprendre l’éloquence, les belles-lettres & la philosophie. C’est de son sein que sont sortis ces hommes illustres vantés par les anciens, Télon & Gigarée son frere excellens géometres, Pithéas surtout fameux géographe & astronome dont on ne peut trop admirer le génie, Castor savant médecin, & plusieurs autres. Tite-Live dit que Marseille étoit aussi polie que si elle avoit été au milieu de la Grece ; & c’est pourquoi les Romains y faisoient élever leurs enfans.

Rivale en même tems d’Athènes & de Carthage, peut-être qu’elle doit moins sa célébrité à une puissance soutenue pendant plusieurs siecles, à un commerce florissant, à l’alliance des Romains qu’à la sagesse de ses loix, à la probité de ses habitans, enfin à leur amour pour les sciences & pour les arts.

Strabon tout prévenu qu’il étoit en faveur des villes d’Asie, où l’on n’employoit que marbre & granit, décrit Marseille comme une ville célebre, d’une grandeur considérable, disposée en maniere de théâtre, autour d’un port creusé dans les rochers. Peut-être même étoit-elle encore plus superbe avant le regne d’Auguste, sous lequel vivoit cet auteur ; car en parlant de Cyzique une des belles villes Asiatiques, il remarque qu’elle étoit enrichie des mêmes ornemens d’architecture qu’on avoit autrefois vû dans Rhodes, dans Carthage & dans Marseille.

On ne trouve aujourd’hui aucuns restes de cette ancienne magnificence. Envain y chercheroit-on les fondemens des temples d’Apollon & de Diane, dont parle le même Strabon : on sait seulement que ces édifices étoient sur le haut de la ville. On ignore aussi l’endroit où Pithéas fit dresser sa fameuse aiguille pour déterminer la hauteur du pole de sa patrie ; mais on connoît les révolutions qu’ont éprouvé les Marseillois.

Ils firent de bonne-heure une étroite alliance avec les Romains, qui les aimerent & les protégerent beaucoup. Leur crédit devint si grand à Rome qu’ils obtinrent la révocation d’un decret du sénat, par lequel il étoit ordonné que Phocée en Ionie seroit rasée jusqu’aux fondemens, pour avoir tenu le parti de l’imposteur Aristonique qui vouloit s’emparer du royaume d’Attale. Les Marseillois par reconnoissance donnerent lieu à la conquête de la Gaule Trisalpine, en en ouvrant la porte ; mais ils furent subjugués par Jules César, pour avoir embrassé le parti de Pompée.

Après avoir perdu leur puissance, ils renoncerent à leurs vertus, à leur frugalité, & s’abandonnerent à leurs plaisirs, au point que les mœurs des Marseillois passerent en proverbe, si l’on en croit Athénée, pour désigner celles des gens perdus dans le luxe & la mollesse. Ils cultiverent encore toutefois les sciences, comme ils l’avoient pratiqué depuis leur premier établissement ; & c’est par eux que les Gaulois se défirent de leur premiere barbarie. Ils apprirent l’écriture des Marseillois, & en répandirent la pratique chez leurs voisins ; car César rapporte que le regître des Helvétiens, qui fut enleve par les Romains, étoit écrit en caractere grec, qui ne pouvoit être venu à ce peuple que de Marseille.

Les Marseillois dans la suite quitterent eux-mêmes leur ancienne langue pour le latin ; Rome & l’Italie ayant été subjuguées dans le v. siecle par les Hérules, Marseille tomba sous le pouvoir d’Enric roi des Wisigoths & de son fils Alaric, après la mort duquel Théodose roi des Ostrogoths, s’empara de cette ville & du pays voisin. Ses successeurs la céderent aux rois Mérovingiens, qui en jouirent jusqu’à Charles-Martel. Alors le duc Moronte s’en rendit le maître, & se mit sous la protection des Sarrazins. Cependant ce prince étant pressé vivement par les François, se sauva par mer, & Marseille obéit aux Carlovingiens, puis aux rois de Bourgogne, & finalement aux comtes d’Arles.

Ce fut sous le regne de Louis l’aveugle, & le gouvernement d’Hugues comte d’Arles, que les Sarrazins qui s’étoient établis & fortifiés sur les côtes de Provence, ruinerent toutes les villes maritimes, & spécialement Marseille.

Elle eut le bonheur de se rétablir sous le regne de Conrad le pacifique. Ses gouverneurs, qu’on appelloit vicomtes, se rendirent absolus sur la fin du x. siecle. Guillaume, qui finit ses jours en 1004, fut son premier vicomte propriétaire. Hugues Geofroi, un de ses descendans, laissa son vicomté à partager également entre cinq de ses fils. Alors les Marseillois acquirent insensiblement les portions des uns & des autres, & redevinrent république libre en 1226.

Ils ne jouirent pas long-tems de cet avantage. Charles d’Anjou, frere de S. Louis, étant comte de Provence, ne put souffrir cette république. Il fit marcher en 1262, une armée contre elle & la soumit ; cependant ses habitans se sont maintenus jusqu’à Louis XIV. dans plusieurs grands privileges, & entr’autres dans celui de ne contribuer en rien aux charges de la province.

Cette ville a continué pendant tant de siecles, d’être l’entrepôt ordinaire & des marchandises de la domination Françoise, & de celles qui s’y transportoient des pays étrangers. C’est dans son port qu’on débarquoit le vin de Gaza, en latin Gazetum, si renommé dans les Gaules du vivant de Grégoire de Tours ; & le commerce étoit alors continuel de Marseille à Alexandrie.

Enfin, l’an 1660, Louis XIV, étant allé en Provence, subjugua les Marseillois, leur ôta leurs droits & leurs libertés ; bâtit une citadelle au-dessus de l’abbaye de S. Victor, & fortifia la tour de S. Jean, qui est vis-à-vis de la citadelle à l’entrée du port. On sçait que c’est dans ce port que se retirent les galeres, parce qu’elles y sont abriées des vents du nord-ouest.

Cependant Marseille est restée très-commerçante ; & même les prérogatives dont elle jouit, ont presque donné à cette ville, & aux manufactures méridionales de la France, le privilege exclusif du commerce du Levant ; sur quoi il est permis de douter si c’est un avantage pour le royaume.

Personne n’ignore que cette ville fut désolée en 1720 & 1721, par le plus cruel de tous les fléaux. Un vaisseau venu de Seyde, vers le 15 Juin 1720, y apporta la peste, qui de-là se répandit dans presque toute la province. Cette violente maladie enleva dans Marseille seule, cinquante à soixante mille ames.

Son église est une des plus anciennes des Gaules ; les Provençaux ont soutenu avec trop de chaleur qu’elle a été fondée par le Lazare, qu’avoit ressuscité J. C. & le parlement d’Aix dans le siecle dernier, condamna au feu un livre de M. de Launoy, où ce savant critique détruit cette tradition par les preuves les plus fortes.

Les trois petites îles fortifiées, situées à environ une lieue de Marseille, sont stériles, & ne méritent que le nom d’écueils. Il est singulier qu’on les ait pris pour les Stoëchades des anciens.

Marseille est proche la mer Méditerranée, à six leues S. O. d’Aix, douze N. O. de Toulon, seize S. E. d’Arles, trente-cinq S. O. de Nice, cent soixante & six S. E. de Paris. Long. 22. 58. 30. lat. 43 19. 30.

Erastostène & Hipparque conclurent autrefois, d’une observation de Pithéas, que la distance de Marseille à l’équateur étoit de 43 deg. 17. min. Cette lat. a été vérifiée par Gassendi, par Cassini & par le P. Feüillée. On voit qu’elle differe peu de celle que nous venons de fixer, d’après MM. Lieutaud & de la Hire.

Il est bien glorieux à Marseille d’avoir donné le jour à ce même Pithéas, le plus ancien de tous les gens de lettres qu’on ait vu en occident, & dont Pline fait une mention si honorable : il fleurissoit du tems d’Alexandre le grand. Astronome sublime & profond géographe, il a porté ses spéculations à un point de subtilité, où les Grecs qui se vantoient d’être les inventeurs de toutes les sciences, n’avoient encore pu atteindre.

Cet écrivain en prose & en vers, si délicat & si voluptueux, qui fut l’arbitre des plaisirs de Néron, Pétrone en un mot étoit de Marseille. Mais comme j’aurai lieu de parler de lui plus commodément ailleurs, je passe à quelques modernes dont Marseille est la patrie ; car quoique cette ville s’occupe principalement du commerce, elle a cependant produit au xvij. siecle des hommes célebres dans les sciences & les beaux-arts.

Le Chevalier d’Arvieux, mort en 1701, s’est illustré par ses voyages, par ses emplois, & par son érudition orientale.

Le P. Feuillée minime, s’est distingué par son journal d’observations astronomiques & botaniques, en 3 vol. in-4o., imprimés au Louvre.

Jules Mascaron, évêque de Tulles & puis d’Agen, où il finit sa carriere en 1703, à 69 ans, prononça des oraisons funèbres, qui balancerent d’abord celles de Bossuet ; mais il est vrai qu’aujourd’hui elles ne servent qu’à faire voir combien Bossuet étoit un grand homme.

Charles Plumier, un des habiles botanistes de l’Europe, fit trois voyages aux isles Antilles pour herboriser. Il alloit une quatrieme fois en Amérique dans la même vûe, lorsqu’il mourut près de Cadix, en 1706. On connoit ses beaux ouvrages sur les plantes d’Amérique, & son traité de l’art de tourner, qu’il avoit appris du P. Maignan, religieux minime comme lui.

Antoine de Ruffi, mort conseiller d’état en 1689, a par-devers lui trop de titres honorables pour que je supprime son nom. Auteur d’une bonne histoire de Marseille & des comtes de Provence, il joignit l’intégrité la plus délicate à sa vaste érudition. Etant membre de la sénéchaussée de sa patrie, & se reprochant de n’avoir pas assez approfondi la cause d’un plaideur dont il étoit rapporteur, il lui remit la somme de la perte de son procés.

Honoré d’Urfé, le cinquieme de six fils, & le frere de six sœurs, s’est rendu fameux par son roman de l’Astrée. Il épousa, dit M. de Voltaire, Diane de Châteaumorand, séparée de son frere, de laquelle il étoit amoureux, & qu’il a déguisée dans son roman sous le nom d’Astrée & de Diane, comme il s’y est caché lui-même, sous ceux de Céladon & de Sylvandre. Il mourut en 1625, à 58 ans.

Il faut réserver l’article du Puget, né à Marseille, au mot Sculpteur moderne, à cause de son mérite éminent dans ce bel art. (D. J.)

Il y a à Marseille une académie des Belles-lettres. Elle fut établie en 1726 par lettres-patentes du roi sous la protection de feu M. le maréchal duc de Villars, gouverneur de Provence, & adoptée en même tems par l’académie Françoise, à laquelle elle envoie pour tribut annuel un ouvrage de sa composition, en prose ou en vers. Les objets que se propose cette académie sont l’Eloquence, la Poésie, l’Histoire & la Critique. Toute matiere de controverse sur le fait de la religion y est interdite. Les académiciens sont au nombre de vingt & ont trois officiers, un directeur, un chancelier & un secrétaire. Le sort renouvelle tous les ans les deux premiers, mais le secrétaire est perpétuel. Le directeur est chef de la compagnie pendant son année d’exercice, il porte la parole & recueille les voix. Le chancelier tient le sceau de l’académie, & fait l’office de trésorier. Le secrétaire écrit les lettres au nom de l’académie, fait l’éloge historique des académiciens qui meurent, & supplée le directeur & le chancelier en leur absence. L’académie a vingt associés étrangers, dont chacun est obligé de lui envoyer tous les ans un ouvrage de sa composition, & qui ont droit de séance dans l’académie lorsqu’ils sont présens. Il leur est permis de travailler pour le prix fondé par M. le maréchal de Villars, à moins qu’ils ne viennent s’établir à Marseille. Ce prix étoit donné tous les ans par la libéralité du protecteur ; mais il le fonda en 1733 par un contrat de rente annuelle de 300 livres qui doivent être employées en une médaille d’or qu’on donne tous les ans d’un ouvrage en prose ou en vers alternativement, dent l’académie propose le sujet. Cette medaille qui portoit d’abord d’un côté le nom du protecteur, & au revers la devise de l’académie, porte maintenant d’un côté le buste, & au revers la devise du marechal de Villars. Le duc de Villars son fils lui a succede dans la place de protecteur.

L’académie de Marseille s’assemble tous les mercredis, depuis trois heures après midi jusqu’a cinq, dans la salle que le roi lui a accordée à l’arsenal ; ses vacances durent depuis la S. Louis jusqu’au premier mercredi après la S. Martin. Elle tient tous les ans le 25 Août une assemblée publique où elle adjuge le prix. Elle accorde la vetérance à ceux des académiciens qui vont se domicilier hors de Marseille, ou à qui leur âge & leurs infirmités ne permettent plus d’assister aux assemblées, & quoiqu’on les remplace par de nouveaux sujets, ils ont tou ours droit de séance & voix consultative aux assembles Il faut avoir les deux tiers des suffrages pour être élu académicien ou associé, & les électeurs doivent être au-moins au nombre de douze. En 1734 l’académie obtint du roi la permission de s’associer dix personnes versées dans les sciences, telles que la Physique, les Mathématiques, &c. La devise de l’académie est un phénix sur son bucher renaissant de sa cendre aux rayons d’un soleil naissant, avec ces mots pour ame, prunis renascor radus, par allusion à cette académie de Marseille, si fameuse dans l’antiquité, & qui est en quelque sorte ressuscitée au commencement du regne de Louis XV. dont le soleil est l’embleme. Morery.