L’Encyclopédie/1re édition/MILITAIRE

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MILITAIRE, adj. & s. (Art milit.) On appelle ainsi tout officier servant à la guerre.

Ainsi un militaire exprime un officier ou toute autre personne dont le service concerne la guerre, comme ingénieur, artilleur, &c.

On donne aussi le nom de militaire à tout le corps en général des officiers. Ainsi l’on dit d’un ouvrage, qu’il sera utile à l’instruction du militaire, pour exprimer l’utilité que les officiers peuvent en tirer. On dit de même la science militaire, pour la science de la guerre ou celle qui convient à tous les officiers pour agir par regles & principes.

Militaire, discipline des Romains, (Art. milit.) La discipline militaire consistoit principalement dans les services, les exercices, & les lois. Les services étoient différens devoirs dont il falloit s’acquitter, comme des gardes & des sentinelles pendant la nuit. Des qu’on étoit campé, les tribuns nommoient deux soldats principes, ou hastati, pour avoir soin de faire tenir propre la rue appellée principia, & ils en tiroient trois autres de chacune des compagnies, pour faire dresser les tentes, fournir de l’eau, du bois, des vivres, & autres choses de cette nature.

Il paroît que les tribuns avoient deux corps-de-garde de quatre hommes chacun, soit pour honorer leur dignité, soit pour leur commodité particuliere. Le questeur & les lieutenans généraux avoient aussi les leurs. Pendant que les chevaliers étoient de garde, les triariens les servoient, & avoient soin de leurs chevaux. Saluste nous apprend que tous les jours une compagnie d’infanterie, & une de cavalerie, faisoient la garde près de la tente du général ; c’étoit la même chose pour les alliés. Il y avoit à chaque porte une cohorte & une compagnie de cavalerie qui faisoit la garde ; on la relevoit vers midi selon la regle établie par Paul Emile.

Le second service militaire étoit donc de faire la garde durant la nuit. Il y avoit, comme parmi nous, la sentinelle, la ronde, & le mot du guet, tessera. Sur dix compagnies, on choissoit tour-à-tour un soldat, appellé pour cet effet tesserarius, qui vers le coucher du soleil, se rendoit chez le tribun, qui étoit de jour, & recevoit de lui une petite tablette de bois, où par l’ordre du général étoient écrits un ou plusieurs mots ; par exemple, à la bataille de Philippe, César & Antoine donnerent le nom d’Appollon pour mot du guet. On écrivoit encore sur ces mêmes tablettes quelques ordres pour l’armée. Celui qui avoit reçu le mot du guet, après avoir rejoint sa compagnie, le donnoit, en présence de témoins, au capitaine de la compagnie suivante. Celui-ci le donnoit à l’autre, & toujours de même, ensorte qu’avant le coucher du soleil toutes ces tablettes étoient apportées au tribun, lequel par une inscription particuliere qui marquoit tous les corps de l’armée, comme les piquiers, les princes, &c. pouvoient connoître celui qui n’avoit point rapporté sa tablette : sa faute ne pouvoit être niée, parce qu’on entendoit sur cela des témoins.

Toutes les-sentinelles étoient de quatre soldats, comme les corps-de-gardes, usage qui paroît avoir été toujours observé. Ceux qui la nuit faisoient la sentinelle auprès du général & des tribuns, étoient en aussi grand nombre que ceux de la garde du jour. On posoit même une sentinelle à chaque compagnie. Il y en avoit trois chez le questeur, & deux chez les lieutenans généraux. Les vélites gardoient les dehors du camp. A chaque porte du camp on plaçoit une décurie, & l’on y joignoit quelques autres soldats. Ils faisoient la garde pendant la nuit, quand l’ennemi étoit campé près de l’armée. On divisoit la nuit en quatre parties qu’on appelloit veilles, & cette division se faisoit par le moyen des clepsydres : c’étoient des horloges d’eau qui leur servoient à regler le tems. Il y avoit toujours un soldat qui veilloit pendant que les autres se reposoient à côté de lui, & ils veilloient tour-à-tour. On leur donnoit à tous une tablette différente, par laquelle on connoissoit à quelle veille tel soldat avoit fait la sentinelle, & de quelle compagnie il étoit.

Enfin il y avoit la ronde, qui se faisoit ordinairement par quatre cavaliers, que toutes les compagnies fournissoient chacune à leur tour. Ces cavaliers tiroient leurs veilles au sort. Un centurion faisoit donner le signal avec la trompette, & partageoit le tems également par le moyen d’une clepsydre. Au commencement de chaque veille, lorsqu’on renvoyoit ceux qui veilloient à la tente du général, tous les instrumens donnoient le signal. Celui à qui étoit échu la premiere veille, & qui recevoit la tablette des autres qui étoient en sentinelle, s’il trouvoit quelqu’un dormant, ou qui eût quitté son poste, il prenoit à témoin ceux qui étoient avec lui & s’en alloit. Au point du jour chacun de ceux qui faisoient la ronde reportoit les tablettes au tribun qui commandoit ce jour là, & quand il en manquoit quelqu’une, on cherchoit le coupable que l’on punissoit de mort si on le découvroit. Tous les centurions, les décurions, & les tribuns alloient environ à la même heure saluer leur général, qui donnoit ses ordres aux tribuns, qui les faisoient savoir aux centurions, & ceux ci aux soldats. Le même ordre s’observoit parmi les alliés.

Les exercices militaires faisoient une autre partie de la discipline ; aussi c’est du mot exercitium, exercice, que vient celui d’exercitus, armée, parce que plus des troupes sont exercées, plus elles sont aguerries. Les exercices regardoient les fardeaux qu’il falloit porter, les ouvrages qu’il falloit faire, & les armes qu’il falloit entretenir. Les fardeaux que les soldats étoient obligés de porter, étoient plus pesans qu’on ne se l’imagine, car ils devoient porter des vivres, des ustensiles, des pieux, & outre cela leurs armes. Ils portoient des vivres pour quinze jours & plus ; ces vivres consistoient seulement en blé, qu’ils écrasoient avec des pierres quand ils en avoient besoin ; mais dans la suite ils porterent du biscuit qui étoit fort léger ; leurs ustensiles étoient une scie, une corbeille, une bèche, une hache, une faulx, pour aller au fourrage : une chaîne, une marmite pour faire cuire ce qu’ils mangeoient. Pour des pieux, ils en portoient trois ou quatre, & quelquefois davantage. Du reste, leurs armes n’étoient pas un fardeau pour eux, ils les regardoient en quelque sorte comme leurs propres membres.

Les fardeaux dont ils étoient chargés ne les empêchoient pas de faire un chemin très-long. On lit que dans cinq heures ils faisoient vingt mille pas. On conduisoit aussi quelques bêtes de charge, mais elles étoient en petit nombre. Il y en avoit de publiques, qui portoient les tentes, les meules, & autres ustensiles. Il y en avoit aussi qui appartenoient aux personnes considérables. On ne se servoit presque point de chariots, parce qu’ils étoient trop embarrassans. Il n’y avoit que les personnes d’un rang distingué qui eussent des valets.

Lorsque les troupes décampoient, elles marchoient en ordre au son de la trompette. Quand le premier coup du signal étoit donné, tous abattoient leurs tentes & faisoient leurs paquets ; au second coup, ils les chargeoient sur des bêtes de somme ; & au troisieme, ou faisoit défiler les premiers rangs. Ceux-là étoient suivis des alliés de l’aîle droite avec leurs bagages : après eux défiloient la premiere & la deuxieme légion, & ensuite les alliés de l’aîle gauche, tous avec leurs bagages ; ensorte que la forme de la marche & celle du camp, étoient à-peu-près semblables. La marche de l’armée étoit une espece de camp ambulant : les cavaliers marchoient tantôt sur les aîles, & tantôt à l’arriere-garde. Lorsqu’il y avoit du danger, toute l’armée se serroit, & cela s’appelloit pilatum agmen ; alors on faisoit marcher séparément les bêtes de charge, afin de n’avoir aucun embarras, au cas qu’il fallût combattre : les vélites marchoient à la tête. Le général qui étoit toujours accompagné de soldats d’élite, se tenoit au milieu, ou dans l’endroit où sa présence étoit nécessaire, la marche ne se faisoit ainsi que quand on craignoit d’être attaqué.

Quand on étoit prêt d’arriver à l’endroit où l’on devoit camper, on envoyoit devant les tribuns & les centurions avec des arpenteurs, ou ingénieurs, pour choisir un lieu avantageux, & en tracer les limites ; les soldats y entroient comme dans une ville connue & policée, parce que les camps étoient presque toujours uniformes.

Les travaux des soldats dans les siéges, & dans d’autres occasions, étoient fort pénibles. Ils étoient obligés, par exemple, de faire des circonvallations, de creuser des fossés, &c. Durant la paix, on leur faisoit faire des chemins, construire des édifices, & bâtir même des villes entieres, si l’on en croit Dion Cassius, qui l’assure de la ville de Lyon. Il en est ainsi de la ville de Doesbourg dans les Pays-Bas, dans la Grande-Bretagne, de cette muraille dont il y a encore des restes, & d’un grand nombre de chemins magnifiques.

Le troisieme exercice, étoit celui des armes qui se faisoit tous les jours dans le tems de paix, comme dans le tems de guerre, par tous les soldats excepté les vétérans ; les capitaines mêmes & les généraux, comme Scipion, Pompée, & d’autres, se plaisoient à faire l’exercice ; c’étoit sur-tout dans les quartiers d’hyver qu’on établissoit des exercices auxquels présidoit un centurion, ou un vétéran d’une capacité reconnue. La pluie ni le vent ne les interrompoient point, parce qu’ils avoient des endroits couverts destinés à cet usage. Les exercices des armes étoient de plusieurs especes ; dans la marche on avoit surtout égard à la vîtesse, c’est pourquoi trois fois par mois on faisoit faire dix mille pas aux soldats armés, & quelquefois chargés de fardeaux fort pesans ; ils en faisoient même vingt mille ; si l’on en croit Végece, ils étoient obligés d’aller & de venir avec beaucoup de célérité.

Le second exercice, étoit la course sur la même ligne ; on obligeoit les soldats de courir quatre mille pas armés & sous leurs enseignes. Le troisieme consistoit dans le saut, afin de savoir sauter les fossés quand il en étoit besoin. Un quatrieme exercice, regardé comme important, étoit de nager ; il se pratiquoit dans la mer, ou dans quelque fleuve, lorsque l’armée se trouvoit campée sur le rivage, ou dans le Tibre proche le champ de Mars. Le cinquieme exercice étoit appellé palaria ; il consistoit à apprendre à frapper l’ennemi, & pour cela le soldat s’exerçoit à donner plusieurs coups à un pieu qui étoit planté à quelque distance, ce qu’ils faisoient en présence d’un vétéran, qui instruisoit les jeunes. Le sixieme exercice montroit la maniere de lancer des fleches & des javelots ; c’étoit proprement l’exercice de ceux qui étoient armés à la légere. Enfin le septieme étoit pour les cavaliers, qui fondoient l’épée à la main sur un cheval de bois. Ils s’exerçoient aussi à courir à cheval, & à faire plusieurs évolutions différentes : voilà les exercices qui étoient les plus ordinaires chez les Romains ; nous supprimons les autres.

La troisieme partie de la discipline militaire consistoit dans les lois de la guerre. Il y en avoit une chez les Romains qui étoit très-sévere, c’étoit contre les vols. Frontin, Stratag. liv. I. ch. iv. nous apprend quelle en étoit la punition. Celui qui étoit convaincu d’avoir volé la plus petite piece d’argent étoit puni de mort. Il n’étoit pas permis à chacun de piller indifféremment le pays ennemi. On y envoyoit des détachemens ; alors le butin étoit commun ; & après que le questeur l’avoit fait vendre, les tribuns distribuoient à chacun sa part, ainsi personne ne quittoit son poste ou son rang. C’étoit encore une loi de ne point obliger les soldats à vuider leurs différends hors du camp, ils étoient jugés par leurs camarades.

Jusqu’à l’an 347, les soldats Romains ne reçurent aucune paye, & chacun servoit à ses dépens. Mais depuis ce tems-là jusqu’à Jules-César, on leur donnoit par jour environ deux oboles, qui valoient cinq sols. Jules-César doubla cette paye, & Auguste continua de leur donner dix sols par jour. Dans la suite la paye augmenta à un point, que du tems de Domitien, ils avoient chacun quatre écus d’or par mois, au rapport de Juste-Lipse ; mais je crois que Gronovius de Pecun. vet. liv. III. chap. 21. pense plus juste, en disant que les soldats avoient douze écus d’or par an. Les centurions recevoient le double de cette somme, & les chevaliers le triple. Quelquefois on donnoit une double ration, ou bien une paye plus forte qu’à l’ordinaire à ceux qui s’étoient distingués par leur courage. Outre cela on accordoit aux soldats quatre boisseaux de blé, mesure romaine, par mois, afin que la disette ne les obligeât pas à piller ; mais il leur étoit défendu d’en vendre. Les centurions en avoient le double, & les chevaliers le triple, ce n’est pas qu’ils mangeassent plus que les autres ; mais ils avoient des esclaves à nourrir : on leur fournissoit aussi de l’orge pour leurs chevaux.

Les fantassins des alliés avoient autant de blé que ceux des Romains ; mais leurs chevaliers n’avoient que huit boisseaux par mois, parce qu’ils n’avoient pas tant de monde à nourrir que les chevaliers romains. Tout cela se donnoit gratis aux alliés, parce qu’ils servoient de même. On retranchoit aux Romains une fort petite partie de leur paye, pour le blé & les armes qu’on leur fournissoit. On leur donnoit aussi quelquefois du sel, des légumes, du lard ; ce qui arriva sur-tout dans les derniers tems de la république. Il n’étoit permis à personne de manger avant que le signal fût donné, & il se donnoit deux fois par jour ; ils dinoient debout, frugalement, & ne mangeoient rien de cuit dans ce repas : leur souper qu’ils apprêtoient eux-mêmes, valoit un peu mieux que leur dîner. La boisson ordinaire des soldats étoit de l’eau pure, ou de l’eau mêlée avec du vinaigre ; c’étoit aussi celle des esclaves.

La récompense & les punitions sont les liens de la société & le soutien de l’état militaire : c’est pour cela que les Romains y ont toûjours eu beaucoup d’égard. Le premier avantage de l’état militaire étoit que les soldats n’étoient point obligés de plaider hors du camp ; ils pouvoient aussi disposer à leur volonté de l’argent qu’ils amassoient à la guerre. Outre cela, le général victorieux récompensoit les soldats qui s’étoient distingués par leur bravoure ; & pour distribuer les récompenses, il assembloit l’armée. Après avoir rendu graces aux dieux, il la haranguoit, faisoit approcher ceux qu’il vouloit récompenser, leur donnoit des louanges publiques, & les remercioit.

Les plus petites récompenses qu’il distribuoit, étoient par exemple, une pique sans fer, qu’il donnoit à celui qui avoit blessé son ennemi dans un combat singulier ; celui qui l’avoit renversé & dépouillé, recevoit un brasselet s’il étoit fantassin ; & s’il étoit cavalier, une espece de hausse-col d’or ou d’argent. On leur faisoit aussi quelquefois présent de petites chaînes, ou de drapeaux, tantôt unis, tantôt de différentes couleurs, & brodés en or.

Les grandes récompenses étoient des couronnes de différentes especes : la premiere & la plus considérable, étoit la couronne obsidionale que l’on donnoit à celui qui avoit fait lever un siége. Cette couronne étoit regardée comme la plus honorable : on la composoit d’herbes que l’on arrachoit dans le lieu même où étoient campés les assiégeans. Après cette couronne, venoit la couronne civique qui étoit de chêne : on en peut voir la raison dans Plutarque, vie de Coriolan. Cette couronne étoit réservée pour un citoyen qui avoit sauvé la vie à un autre citoyen, en tuant son ennemi. Le général ordonnoit que cette couronne fût donnée d’abord à celui à qui on avoit sauvé la vie, afin qu’il la présentât lui-même à son libérateur, qu’il devoit toûjours regarder comme son pere. La couronne murale d’or, qui étoit faite en forme de mur, & où il y avoit des tours & des mantelets représentés, se donnoit à celui qui avoit monté le premier à la muraille d’une ville assiégée. Il y en avoit deux autres qui lui ressembloient assez ; l’une s’appelloit corona castrensis, couronne de camp ; & l’autre corona vallaris, couronne de retranchement. La premiere s’accordoit à celui qui dans un combat, avoit pénétré le premier dans le camp de l’ennemi ; & la seconde, à celui qui étoit entré le premier dans le retranchement. La couronne d’or navale, étoit pour celui qui avoit sauté le premier les armes à la main dans le vaisseau ennemi. Il y en avoit une autre qu’on appelloit classica ou rostrata, dont on faisoit présent au général qui avoit remporté quelque grande victoire sur mer. On en donna une de cette espece à Varron, & dans la suite à M. Agrippa : cette couronne ne le cédoit qu’à la couronne civique.

Il y avoit encore d’autres couronnes d’or, qui n’avoient aucun nom particulier ; on les accordoit aux soldats à cause de leur valeur en général. Au reste, on leur donnoit plutôt des louanges, ou des choses dont on ne considéroit point le prix, que de l’argent, pour faire voir que la récompense de la valeur devoit être l’honneur, & non les richesses. Quand ils alloient aux spectacles, ils avoient soin de porter ces glorieuses marques de leur vaillance : les chevaliers s’en paroient aussi quand ils passoient en revûe.

Ceux qui avoient remporté quelques dépouilles, les faisoient attacher dans le lieu le plus fréquenté de leur maison, & il n’étoit pas permis de les arracher, même quand on vendoit la maison, ni de les suspendre une seconde fois, si elles tomboient. Les dépouilles opimes étoient celles qu’un officier, quoique subalterne, comme nous le voyons par l’exemple de Cossus, remportoit sur un officier des ennemis. On les suspendoit dans le temple de Jupiter férétrien : ces dépouilles ne furent remportées que trois fois pendant tout le tems de la république romaine. On les appelloit opimes, selon quelques-uns, d’Ops, femme de Saturne, qui étoit censée la distributrice des richesses ; selon d’autres, ce mot vient d’opes, richesses ; parce que ces dépouilles étoient précieuses : c’est pour cela qu’Horace dit, un triomphe opime, Od. xliv.

Un des honneurs qu’on accordoit au commandant de l’armée, étoit le nom d’imperator ; il recevoit ce titre des soldats, après qu’il avoit fait quelque belle action, & le sénat le confirmoit. Le commandant gardoit ce nom jusqu’à son triomphe : le dernier des particuliers qui ait eu le nom d’imperator, est Junius Blæsus, oncle de Séjan : un autre honneur étoit la supplication ordonnée pour rendre graces aux dieux de la victoire que le général avoit remportée ; ces prieres étoient publiques & ordonnées par le sénat. Cicéron est le seul, à qui ces prieres ayent été accordées dans une autre occasion que celle de la guerre. Ce fut après la découverte de la conjuration de Catilina ; mais le comble des honneurs auxquels un général pouvoit aspirer, étoit le triomphe. Voyez Triomphe.

S’il y avoit des récompenses à la guerre pour animer les soldats à s’acquitter de leurs devoirs, il y avoit aussi des punitions pour ceux qui y manquoient. Ces punitions étoient de la compétence des tribuns, des préfets avec leur conseil, & du général même, duquel on ne pouvoit appeller avant la loi Porcia, portée l’an 556. On punissoit les soldats, ou par des peines afflictives, ou par l’ignominie. Les peines afflictives consistoient dans une amende, dans la saisie de leur paye, dans la bastonade, sous laquelle il arrivoit quelquefois d’expirer ; ce châtiment s’appelloit fustuarium. Les soldats mettoient à mort à coups de bâton ou de pierre, un de leurs camarades qui avoit commis quelque grand crime, comme le vol, le parjure, pour quelque récompense obtenue sur un faux exposé, pour la désertion, pour la perte des armes, pour la négligence dans les sentinelles pendant la nuit. Si la bastonnade ne devoit pas aller jusqu’à la mort, on se servoit d’un sarment de vigne pour les citoyens, & d’une autre baguette, ou même de verges pour les alliés. S’il y avoit un grand nombre de coupables, on les décimoit, ou bien l’on prenoit le vingtieme, ou le centieme, selon la griéveté de la faute.

Comme les punitions qui emportent avec elles plus de honte que de douleur, sont les plus convenables à la guerre, l’ignominie étoit aussi une des plus grandes. Elle consistoit, par exemple, à donner de l’orge aux soldats au lieu de blé, à les priver de toute la paye, ou d’une partie seulement. Cette derniere punition étoit sur-tout pour ceux qui quittoient leurs enseignes ; on leur retranchoit la paye pour tout le tems qu’ils avoient servi avant leur faute. La troisieme espece d’ignominie, étoit d’ordonner à un soldat de sauter au delà d’un retranchement ; cette punition étoit faite pour les poltrons. On les punissoit encore en les exposant en public avec leur ceinture détachée, & dans une posture molle & efféminée. Cette exposition se faisoit dans la rue du camp appellée principia : c’est-là que s’exécutoient aussi les autres châtimens. Enfin, pour comble d’ignominie, on les faisoit passer d’un ordre supérieur dans un autre fort au-dessous, comme des triariens dans les piquiers, ou dans les vélites. Il y avoit encore quelques autres punitions peu usitées.

La derniere chose dont il nous reste à parler touchant la discipline militaire, est le congé ; il étoit honnête, ou diffamant : le congé honnête, étoit celui que l’on obtenoit après avoir servi pendant tout le tems prescrit, ou bien à cause de maladie, ou de quelqu’autre chose. Ceux qui quittoient le service après avoir servi leur tems, étoient mis au nombre de ceux qu’on appelloit beneficiarii, qui étoient exempts de servir, & souvent on prenoit parmi eux les gens d’élite, evocati. Ce congé honnête pouvoit encore s’obtenir du général par faveur. Le congé diffamant, étoit lorsqu’on étoit chassé & déclaré incapable de servir, & cela pour quelque crime.

Sous Auguste, on mit en usage un congé appellé exauctoratio, qui ne dégageoit le soldat que lorsqu’il étoit devenu vétéran. On nommoit ce soldat vexillaire, parce qu’il étoit attaché à un drapeau, & que dans cet état il attendoit les récompenses militaires. De plus, quand le tems de son service étoit fini, on lui donnoit douze mille sesterces. Les prétoriens qui furent institués par cet empereur, au bout de seize ans de service, en recevoient vingt milles : quelquefois on donnoit aux soldats des terres en Italie, ou en Sicile.

On peut maintenant se former une idée complette de la discipline militaire des Romains, & du haut point de perfection où ils porterent l’art de la guerre, dont ils firent sans cesse leur étude jusqu’à la chûte de la république : c’est sans doute un dieu, dit Végece, qui leur inspira la légion, Ils jugerent qu’il falloit donner aux soldats qui la composoient, des armes offensives & défensives plus fortes & plus pesantes que celles de quelqu’autre peuple que ce fût. J’en ai dit quelque chose, mais je prie le lecteur d’en voir les détails dans Polybe & dans Josephe. Il y a peu de différence, conclut ce dernier, entre les chevaux chargés & les soldats romains. Ils portent, dit Cicéron, leur nourriture pour plus de quinze jours, tout ce qui est à leur usage, tout ce qu’il faut pour se fortifier ; & à l’égard de leurs armes, ils n’en sont pas plus embarrassés que de leurs mains. Tuscul. livre III.

Pour qu’ils pussent avoir des armes plus pesantes que celles des autres hommes, il falloit qu’ils se rendissent plus qu’hommes : c’est ce qu’ils firent par un travail continuel qui augmentoit leur force, & par des exercices qui leur donnoient de l’adresse, laquelle n’est autre chose qu’une juste dispensation des forces que l’on a.

Il faut bien que j’ajoute un mot à ce que j’ai déja dit de la discipline des soldats romains. On les accoutumoit à aller le pas militaire, c’est-à-dire, à faire en cinq heures vingt milles, & quelquefois vingt-quatre. Pendant ces marches, on leur faisoit porter des poids de soixante livres : on les entretenoit dans l’habitude de courir & de sauter tout armés. Ils prenoient dans leurs exercices des épées, des javelots, des fleches d’une pesanteur double des armes ordinaires ; & ces exercices étoient continuels. Voyez dans Tite-Live, les exercices que Scipion l’Afriquain faisoit faire aux soldats après la prise de Carthage la neuve. Marius, malgré sa vieillesse, alloit tous les jours au champ de Mars. Pompée, à l’âge de cinquante-huit ans, alloit combattre tout arme, avec les jeunes gens ; il montoit à cheval, couroit à bride abattue, & lançoit ses javelots.

Toutes les fois que les Romains se crurent en danger, ou qu’ils voulurent réparer quelque perte, ce fut une pratique constante chez eux d’affermir la discipline militaire. Ont-ils à faire la guerre aux Latins, peuples aussi aguerris qu’eux-mêmes, Manlius songe à augmenter la force du commandement, & fait mourir son fils qui avoit vaincu sans ordre. Sont-ils battus à Numance, Scipion Emilien les prive d’abord de tout ce qui les avoit amollis. Il vendit toutes les bêtes de somme de l’armée, & fit porter à chaque soldat du blé pour trente jours, & sept pieux.

Comme leurs armées n’étoient pas nombreuses, il étoit aisé de pourvoir à leur subsistance ; le chef pouvoit mieux les connoître, & voyoit plus aisément les fautes & les violations de la discipline. La force de leurs exercices, les chemins admirables qu’ils avoient construits, les mettoient en état de faire des marches longues & rapides. Leur présence inopinée glaçoit les esprits ; ils se montroient sur-tout après un mauvais succès, dans le tems que leurs ennemis étoient dans cette négligence que donne la victoire.

Leurs troupes étant toujours les mieux disciplinées, il étoit difficile que dans le combat le plus malheureux, ils ne se ralliassent quelque part, ou que le desordre ne se mît quelque part chez les ennemis. Aussi les voit-on continuellement dans les histoires, quoique surmontés dans le commencement par le nombre & par l’ardeur des ennemis, arracher enfin la victoire de leurs mains.

Leur principale attention étoit d’examiner en quoi leur ennemi pouvoit avoir de la supériorité sur eux ; & d’abord ils y mettoient ordre. Les épées tranchantes des Gaulois, les éléphans de Pyrrhus, ne les surprennent qu’une fois. Ils suppléerent à la foiblesse de leur cavalerie, d’abord en ôtant les brides des chevaux, pour que l’impétuosité n’en pût être arrêtée, ensuite en y mélant des vélites. Quand ils eurent connu l’épée espagnole, ils quitterent la leur. Ils éluderent la science des pilotes, par l’invention d’une machine que Polybe nous a décrite. En un mot, comme dit Josephe, la guerre étoit pour eux une meditation, la paix un exercice.

Si quelque nation tint de la nature ou de son institution, quelque avantage particulier, ils en firent d’abord usage : ils n’oublierent rien pour avoir des chevaux numides, des archers crétois, des frondeurs baléares, des vaisseaux rhodiens ; enfin jamais nation ne prépara la guerre avec tant de prudence, & ne la fit avec tant d’audace.

Elle parvint à commander à tous les peuples, tant par l’art de la guerre que par sa prudence, sa sagesse, sa constance, son amour pour la gloire & pour la patrie. Lorsque sous les empereurs, toutes ces vertus s’évanouirent, l’art militaire commença à décheoir ; mais lorsque la corruption se mit dans la milice même, les Romains devinrent la proie de tous les peuples. La milice étoit déja devenue très à charge à l’état. Les soldats avoient alors trois sortes d’avantages, la paie ordinaire, la récompense après le service, & les libéralités d’accident, qui devinrent des droits pour des gens qui avoient le prince & le peuple entre leurs mains. L’impuissance où l’on se trouva de payer ces charges, fit que l’on prit une milice moins chere. On fit des traités avec des nations barbares qui n’avoient ni le luxe des soldats romains, ni le même esprit, ni les mêmes prétentions.

Il y avoit une autre commodité à cela : comme les Barbares tomboient tout-à-coup sur un pays, n’y ayant point chez eux de préparatifs après la résolution de partir, il étoit difficile de faire des levées à tems dans les provinces. On prenoit donc un autre corps de Barbares toujours prêt à recevoir de l’argent, à piller & à se battre. On étoit servi pour le moment ; mais dans la suite on avoit autant de peine à réduire les auxiliaires que les ennemis.

Enfin les Romains perdirent entierement leur discipline militaire, & abandonnerent jusqu’à leurs propres armes. Végéce dit que les soldats les trouvant trop pesantes, ils obtinrent de l’empereur Gratien de quitter leur cuirasse, & ensuite leur casque ; de façon qu’exposés aux coups sans défense, ils ne songerent qu’à fuir. De plus, comme ils avoient perdu la coutume de fortifier leurs camps, leurs armées furent aisément enlevées par la cavalerie des Barbares. Ce ne fut pas néanmoins une seule invasion qui perdit l’empire, ce furent toutes les invasions. C’est ainsi qu’il alla de degré en degré de l’affoiblissement à la dégénération, de la dégénération à la décadence, & de la décadence à sa chûte, jusqu’à ce qu’il s’affaissa subitement sous Arcadius & Honorius. L’empire d’occident fut le premier abattu, & Rome fut détruite parce que toutes les nations l’attaquant à la fois, la subjuguerent, & pénétrerent par-tout. Voyez tout ce tableau dans les considérations sur les causes de la grandeur des Romains & de leur décadence. (D. J.)

Militaire, pécule (Jurisprud.) voyez Pécule castrense.

Militaire, testament (Jurisprud.) voyez Testament.