L’Encyclopédie/1re édition/PARACENTÈSE

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PARACENTÈSE, s. f. opération de Chirurgie, connue sous le nom de ponction ; c’est la petite ouverture qu’on fait au bas-ventre des hydropiques pour tirer le fluide épanché dans sa cavité. Voyez Hydropisie. Le mot de paracentèse est formé du grec, παρά, cum, avec, & du verbe κεντεῖν, pungere, piquer, d’où vient le nom de ponction.

Les anciens se servoient d’une lancette pour faire cette opération ; mais les modernes ont imaginé un poinçon garni d’une canulle, instrument connu sous le nom de trocar, avec lequel on pratique la paracentèse de la maniere la plus simple & la plus sure. Voyez Trocar.

On a détaillé au mot Hydropisie, les signes & symptomes par lesquels on connoissoit l’hydropisie ; mais il ne suffit pas que cette maladie soit caractérisée pour obliger à faire la ponction. Il faut que le bas-ventre contienne une certaine quantité de liquides, pour la faire surement, & que l’administration des remedes internes capables d’évacuer les eaux ait été infructueuse : alors il faut avoir recours à un moyen plus efficace pour procurer la sortie des humeurs épanchées ; la Chirurgie prête ici son secours au médecin, qui y trouve une ressource que la vertu des médicamens lui avoit promise en vain. On s’assure de la collection des eaux par la plénitude du ventre, jointe à tous les signes rationels qui annoncent l’hydropisie de bas-ventre, & par des signes moins équivoques qui annoncent la fluctuation, en appliquant à un côté du ventre, & frappant modérément le côté opposé pour sentir la colonne d’eau. Voyez Fluctuation & Ondulation.

Lorsque l’opération est déterminée, il s’agit de savoir dans quel endroit on doit la pratiquer. On peut établir ici d’après l’expérience & les meilleures observations, un lieu de nécessité & un lieu d’élection. Si l’ombilic formoit une tumeur aqueuse, comme cela s’est vû quelquefois, quoique très-rarement ; il seroit à propos de percer la peau dans cet endroit, parce que par la seule ouverture de la peau on procureroit l’issue des eaux épanchées. Les personnes attaquées d’une hernie inguinale ou complette, & qui deviennent hydropiques, ont une tumeur aqueuse ; le fluide épanché passe dans le sac herniaire. La ponction des tégumens & de la portion du péritoine, procurera la sortie des eaux plus avantageusement que la perforation de toutes les parties contenantes dans le lieu d’élection, qu’on a fixé précisement au milieu & un peu au-dessous de la ligne qui seroit tirée de l’ombilic, à l’épine antérieure & supérieure de l’os des îles.

Si la maladie a pour cause l’obstruction du foie, on préfere le côté gauche pour l’opération ; & vice versâ si la rate étoit gonflée, ou qu’il y eût quelque skirrhe du côté gauche.

Pour pratiquer l’opération dans le lieu ordinaire, on avoit coûtume de faire asseoir le malade dans un fauteuil : dans cette attitude les eaux se portent dans la partie inférieure du bas-ventre & remplissent le bassin ; il n’est pas possible de tirer la plus grande partie de ce qui se trouve au dessous du niveau de la cannule. Il est plus à propos de faire coucher le malade sur le bord de son lit un peu penché du côté où l’on opere ; dans cette attitude on remarque, 1°. qu’avec l’attention de presser mollement la circonférence du ventre également dans tous ses points à mesure que l’eau coule, on met presqu’à sec la cavité qui la contenoit ; 2°. que le malade éprouve un soulagement marqué à mesure que son ventre se débarrasse, & qu’on ne voit jamais survenir ces défaillances & ces syncopes effrayantes qui ont porté les auteurs à prescrire qu’on doit tirer l’eau à plusieurs reprises ; précepte inutile par l’absence des causes qui y avoient donné lieu, & précepte dangereux, puisqu’il faudroit ou réitérer les ponctions, ce qui ne seroit pas sans inconvénient, ou laisser une cannule dont le séjour attireroit des inflammations & autres accidens fâcheux.

Lorsque le malade est situé convenablement, un aide applique les deux mains sur la partie du ventre opposée à celle où se doit faire la ponction ; afin de pousser la plus grande partie des eaux de ce côté, & éloigner par-là les parois du ventre des parties qu’elles contiennent, pour mettre ces parties à l’abri de la pointe du trocar. Alors le chirurgien qui a eu le soin d’examiner avec attention, avant que de venir au lit du malade, si le poinçon d’acier de son instrument n’est pas rouillé dans la cannule, & qui a graissé la pointe de l’instrument armé de sa cannule, pour qu’il perce avec plus de facilité & en causant moins de douleur, le chirurgien, dis-je, tend la peau dans l’endroit désigné avec le doigt index & le pouce de la main gauche ; & tenant le manche du trocar dans la main droite, le doigt index de cette main étendu sur la cannule, pour fixer la longueur de l’instrument qui doit pénétrer dans la cavité du ventre, il le plonge en perçant les parties contenues jusqu’à ce qu’il sente que la pointe est dans le fluide épanché. Il prend la cannule avec les doigts de la main gauche, & retire le poinçon avec la droite. Les eaux sortent par la cannule. Si quelque partie flottante contenue dans le bas-ventre se présentoit à l’extrémité de la cannule, & empêchoit les eaux de sortir librement, on éloigne l’obstacle avec une sonde bontonnée qu’on introduit dans la cannule.

Quand on a tiré les eaux avec les attentions que nous avons indiquées plus haut, il faut ôter la cannule : pour cet effet on applique deux doigts de la main gauche sur la peau de chaque côté de la cannule, qu’on retire facilement avec la main droite, en prenant la précaution de lui faire décrire un demi-tour.

Après l’opération on applique sur l’ouverture une petite compresse trempée dans de l’eau-de-vie, & par-dessus une compresse d’un demi-pié en quarré, à sec ou trempée dans du vin chaud, & on la soutient par un bandage de corps suffisamment serré.

L’opération de la paracentèse ne remédie qu’à l’épanchement actuel, & ne dispense pas de l’usage continué des remedes capables de détruire les causes de l’hydropisie, & d’empêcher un nouvel amas de matieres. Si ces causes ne sont pas de nature à céder aux remedes les mieux indiqués, la paracentèse est un secours palliatif qui prolonge la vie des malades, souvent pendant plusieurs années, en les empêchant d’être suffoqués par la plénitude, & en préservant les visceres de l’atonie qu’ils contracteroient en baignant continuellement dans un fluide épanché contre l’ordre naturel. Il y a des personnes à qui l’on a fait quatre-vingt fois la ponction en dix-huit mois. Quelques personnes ont été guéries radicalement après avoir été percées trois ou quatre fois, quoiqu’elles n’eussent observé aucun régime, ni voulu s’assujettir à l’usage d’aucun remede. On n’a prouve pas de telles dispositions dans les malades, mais sans se rendre garant d’une pareille conduite, les faits qui nous l’ont fait connoître peuvent être regardés comme des témoins bien sûrs de l’utilité de l’opération de la paracentèse. Les auteurs de réputation qui ont prétendu décrier cette opération, sans laquelle les meilleurs remedes n’opereroient souvent aucun fruit, ont imprimé par cette fausse prévention une tache à leur nom dans la mémoire des gens raisonnables.

On a donné le nom de paracentèse à toutes les opérations qui s’exécutent par le moyen du trocar, & même par le bistouri, lorsqu’on fait une ouverture pour tirer un fluide quelconque épanché dans les cavités naturelles. L’incision du ventre pour un épanchement sanguin ou purulent, & l’opération de l’empyeme à la poitrine, ont été appellés du nom de paracentèse ; l’étymologie autorise ces dénominations. On fait la ponction au scrotum avec le trocar dans l’hydropisie particuliere de ce sac. V. Hydrocèle.