L’Encyclopédie/1re édition/PATRIARCHE

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PATRIARCHE, s. m. (Hist. & Théolog.) chez les Hébreux, on donne ce nom aux premiers hommes qui ont vécu, tant avant qu’après le déluge, auparavant Moise, comme Adam, Enoch, Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Juda, Lévi, Simon & les autres fils de Jacob, & les chefs des douze tribus. Les Hébreux les nomment princes des tributs ou chefs des peres, Rosché abot.

Ce nom vient du grec πατριάρχης, qui signifie chef de famille. La longue vie & le grand nombre d’enfans étoient une des benédictions que Dieu répandoit sur les patriarches.

Depuis la destruction de Jérusalem, les juifs dispersés ont encore conservé ce titre parmi eux ; du-moins ceux de Judée dans les premiers tems l’ont donné au chef qu’ils élurent, ceux d’au-delà de l’Euphrate ayant donné au leur celui de prince de la captivité. Le premier gouvernoit les juifs qui demeuroient en Judée, en Syrie, en Egypte, en Italie & dans les provinces de l’empire romain. Le second avoit sous sa conduite ceux qui habitoient la Babylonie, la Chaldée, l’Assyrie & la Perse.

Ils mettent une grande différence entre les patriarches de la Judée & les princes de la captivité de Babylone, appellant ceux-ci rabbana & les autres rabban, nom qui n’est qu’un diminutif du premier. Ils soutiennent que les princes de la captivité descendoient de David en ligne masculine, au lieu que les patriarches n’en sortoient que par les femmes, & qu’au reste, ceux-ci ont commencé cent ans avant la ruine du temple, & qu’ils ont toujours joui d’une grande autorité, même pour le civil. Mais outre que les Ammoréens, princes très-jaloux de leur pouvoir, ne l’auroient pas souffert, Joseph & Philon ne disent mot de ces prétendus patriarches ; les rabbins eux-mêmes sont partagés sur le nombre de ces patriarches dont la dignité fut abolie dans le cinquieme siecle ; ensorte que presque tout ce qu’ils en racontent est destitué de preuves solides. Basnage, Hist. des Juifs, tom. II. liv. IV. c. iij. Calmet, Dictionn. de la Bible, tom. III. lettre F, pag. 137.

Patriarche, terme d’hiérarchie ecclésiastique. C’est un évêque qui a le gouvernement immédiat d’un diocèse particulier, & qui étend son pouvoir sur un département de plusieurs provinces ecclésiastiques. Voy. Diocese.

Les patriarches sont par rapport aux métropolitains, ce que les métropolitains sont par rapport aux évêques. Voyez Evêque & Métropolitain.

Les critiques ne sont pas d’accord sur le tems auquel on doit rapporter l’institution des patriarches. Le pere Morin & M. de Marca, soutiennent qu’ils sont de droit divin & d’institution apostolique ; mais ce sentiment n’est pas fondé. Il paroît au contraire, que l’autorité patriarchale n’est que d’institution ecclésiastique ; elle a été inconnue dans le tems des apôtres & dans les trois premiers siecles ; on n’en trouve aucune trace dans les anciens monumens. S. Justin, S. Irenée, Tertullien, Eusebe n’en parlent point. D’ailleurs, la supériorité des patriarches sur les autres évêques & même sur les métropolitains, est trop éclatante pour avoir demeuré si long-tems ignorée, si elle eût existé. Enfin, quand le concile de Nicée, can. 6. accorde la dignité de patriarche à l’évêque d’Aléxandrie, il ne dit pas qu’elle doive sa naissance à l’autorité apostolique ; il ne l’établit que sur l’usage & la coutume.

D’autres disent que les Montanistes furent les premiers qui décorerent de ce titre les chefs de leur église : que les Catholiques le donnerent ensuite à tous les évêques, & qu’ensuite on le réserva aux seuls cvêques des grands siéges. Socrate & le concile de Chalcédoine le donnent à tous les évêques des villes capitales des cinq diocèses d’Orient. Il fut aussi donné à S. Léon dans le concile de Chalcédoine ; enfin, on l’a restraint aux évêques des cinq principaux siéges de l’Église : Rome, Constantinople, Aléxandrie, Antioche & Jérusalem. Ce nom a été peu usité en Occident, & donné quelquefois à des métropolitains & à de simples évêques, comme les rois Goths & Lombards le donnerent à l’évêque d’Aquilée, & comme on le donna vers le tems de Charlemagne à l’archevêque de Bourges, qui n’a rien conservé des droits de cette dignité que celui d’avoir un official primatial auquel on appelle des sentences rendues par l’official métropolitain. Les Maronites, les Jacobites, les Nestoriens, les Arméniens & les Moscovites ont aussi des patriarches, ainsi que les Grecs schismatiques.

Voici quels étoient autrefois les principaux droits des patriarches ; aussi-tôt après leur promotion ils s’écrivoient réciproquement des lettres, qui contenoient une espece de profession de foi, afin d’unir toutes les Églises par l’union des grands siéges. C’est dans le même esprit qu’on récitoit leurs noms dans les diptiques sacres, & qu’on prioit pour eux au milieu du sacrifice ; on ne terminoit les affaires importantes que par leur avis. Dans les conciles écuméniques, ils avoient un rang distingué, & quand ils ne pouvoient y assister en personne, ils y envoyoient leurs légats ; c’étoit à eux qu’il appartenoit de sacrer tous les métropolitains qui relevoient de leur siége. Le concile de Nicée donne même à l’évêque d’Aléxandrie le droit ce consacrer tous les évêques de son ressort, suivant l’usage de l’Église romaine : on appelloit des jugemens des métropolitains au patriarche ; mais il ne prononçoit sur ces appellations, quand les causes étoient importantes, que dans le concile avec les prélats de son ressort. Les canons de ces conciles devoient être observés dans toute l’étendue du patriarchat. Le huitieme concile général, can. 17. confirme deux droits des plus considérables attachés à la dignité des patriarches, l’un de donner la plénitude de puissance aux métropolitains en leur envoyant le pallium ; l’autre de les convoquer au concile universel du patriarchat, afin d’examiner leur conduite & de leur faire leur procès. Mais le quatrieme concile de Latran sous le pape Innocent III. diminua les droits des patriarches, en les obligeant à recevoir le pallium du saint siége, & à lui prêter en même-tems serment de fidélité, à ne donner le pallium à un métropolitain de leur dependance, qu’après avoir reçu leur serment d’obéissance au pape ; & enfin en ne leur permettant de juger des appellations des métropolitains, qu’à la charge de l’appel au saint siége. Thomassin, Discipl. de l’Église, part. II. liv. I. c. iv. Dupin, des antiq. ecclés. discipl.