L’Encyclopédie/1re édition/PERIPETIE

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PERIPETIE, s. f. (Belles-Lettres.) dans le poême dramatique, c’est ce qu’on appelle ordinairement le dénouement ; c’est la derniere partie de la piece, où le nœud se débrouille, & l’action se termine. Voyez Tragédie.

Ce mot vient du grec περιπτητες, chose qui tombe dans un état différent, & qui est formé de περι, autour, & de πιπτω, cado, je tombe.

La peripétie est proprement le changement de condition, soit heureuse, soit malheureuse, qui arrive au principal personnage d’un drame, & qui résulte de quelque reconnoissance ou autre incident, qui donne un nouveau tour à l’action.

Ainsi la peripétie est la même chose que la catastrophe, à-moins qu’on ne dise que celle-ci dépend de l’autre, comme un effet dépend de sa cause ou de son occasion. Voyez Catastrophe.

La peripétie est quelquefois fondée sur un ressouvenir ou une reconnoissance, comme dans l’Œdipe roi, où un député envoyé de Corinthe, pour offrir la couronne à Œdipe, lui apprend qu’il n’est point fils de Polybe & de Mérope ; par-là Œdipe commence à découvrir que Laïus qu’il avoit tué étoit son pere, & qu’il a épousé Jocaste sa propre mere ; ce qui le jette dans le dernier desespoir. Aristote appelle cette sorte de dénouement une double peripétie. Voyez Reconnoissance.

Les qualités que doit avoir la peripétie, sont d’être probables & nécessaires ; pour cela elle doit être une suite naturelle, ou au-moins l’effet des actions précédentes, & encore mieux naître du sujet même de la piece, & par conséquent ne point venir d’une cause étrangere, & pour ainsi parler, collatérale.

Quelquefois la peripétie se fait sans reconnoissance, comme dans l’Antigone de Sophocle, ou le changement dans la fortune de Créon, est produit par sa seule opiniâtreté. La peripétie peut aussi venir d’un simple changement de volonté. Cette derniere sorte de dénouement, quoiqu’elle demande moins d’art, comme l’observe Dryden, peut cependant être telle, qu’il en résulte de grandes beautés ; tel est le dénouement du Cinna de Corneille, où Auguste signale sa clémence, malgré toutes les raisons qu’il a de punir & de se vanger.

Aristote appelle ces deux peripéties, peripéties simples ; les changemens qu’elles produisent consistant seulement dans le passage du trouble & de l’action, à la tranquillité & au repos. Voyez Fable & Action.

Corneille avoue que l’agnition, c’est-à-dire, ce que nous nommons reconnoissance, est un grand ornement dans les tragédies ; une grande ressource pour la peripétie, & c’est aussi le sentiment d’Aristote ; mais il ajoute qu’elle a ses inconvéniens. Les Italiens l’affectent dans la plûpart de leurs poëmes, & perdent quelquefois par l’attachement qu’ils y ont, beaucoup d’occasions de sentimens pathétiques qui auroient des beautés plus considérables. P. Corn. 2. disc. sur la tragédie.

Nous pourrions dire la même chose de presque tous nos dramatiques modernes depuis Corneille & Racine. Il est étonnant sur-tout que dans les pieces de ce dernier, les peripéties ne soient jamais l’effet d’une reconnoissance ; en sont-elles moins belles & moins intéressantes ?