L’Encyclopédie/1re édition/SOLÉCISME

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SOLÉCISME, s. m. (Gram.) quelques grammairiens ont prétendu que ce mot, qui se dit en grec σολοικισμὸς, est formé de ces mots, σώου λόγου αἰκισμὸς, sani sermonis indigna corruptio, corruption d’un langage sain. Mais cette origine, quoiqu’ingénieuse & probable en soi, est démentie par l’histoire.

« Ce mot est formé de Σόλοικοι, qui signifie les habitans de la ville appellée Σόλοι, comme Ἄγροικοι, les habitans de la campagne ». [La terminaison οικοι vient de οἶκος, domus ; d’où οἰκείω, habito]. « De Σόλοικοι on a fait σολοικίζειν, imiter les habitans de la ville appellé Σόλοι, comme de Ἄγροικοι, ἀγροικίζειν, imiter les gens de la campagne ». Voyez Imitatif.

« Il y avoit deux villes de ce nom, l’une en Cilicie, sur les bords du Cydnus, l’autre dans l’île de Chypre. Ces deux villes, suivant un grand nombre d’auteurs, avoient été fondées par Solon. La ville qu’il avoit bâtie dans cette province, quitta dans la suite le nom de son fondateur, pour prendre celui de Pompée, qui l’avoit rétablie. A l’égard de celle de l’île de Chypre, Plutarque nous a conservé l’histoire de sa fondation. Solon étant passé auprès d’un roi de Chypre, acquit bientôt tant d’autorité sur son esprit, qu’il lui persuada d’abandonner la ville où il faisoit son séjour : l’assiette en étoit à la vérité fort avantageuse ; mais le terrein qui l’environnoit étoit ingrat & difficile. Le roi suivit les avis de Solon, & bâtit dans une belle plaine une nouvelle ville, aussi forte que la premiere, dont elle n’étoit pas éloignée, mais beaucoup plus grande & plus commode pour la subsistance des habitans On accourut en foule de toutes parts pour la peupler ; & il y vint sur-tout un grand nombre d’Athéniens, qui s’étant mêlés avec les anciens habitans, perdirent dans leur commerce la politesse de leur langage, & parlerent bientôt comme des barbares : de-là le nom σόλοικοι, qui est leur nom, fut substitué au mot βάρϐαροι, & σολοικίζειν, à βαρϐαρίζειν, qu’on employoit auparavant pour désigner ceux qui parloient un mauvais langage ». Mém. de l’acad. royale des Inscr. & Belles-lettr. tom. V. Hist. pag. 210.

Le nom de solécisme, dans son origine, fut donc employé dans un sens général, pour désigner toute espece de faute contre l’usage de la langue ; & il étoit d’abord synonyme de barbarisme.

Mais le langage des sciences & des arts, guidé par le même esprit que celui de la société générale, ne souffre pas plus les mots purement synonymes : ou il n’en conserve qu’un, ou il les différencie par des idées distinctives ajoutées à l’idée commune qui les rapproche. De-là la différence que les Grammairiens ont mise entre les deux mots, solécisme & barbarisme, & que M. du Marsais a exposée avec netteté au mot Barbarisme.

Théophraste & Chrysippe avoient fait chacun un ouvrage intitulé Περὶ σολοικισμῶν ; ce qui prouve l’erreur d’Aulu-Gelle, l. V. c. xx. qui prétend que les écrivains grecs qui ont parlé purement le langage attique, n’ont jamais employé ce mot, & qu’il ne l’a vu dans aucun auteur de réputation. (B. E. R. M.)