L’Encyclopédie/1re édition/TRINITAIRES
TRINITAIRES, s. m. (Hist. eccl.) terme qui a des significations extrémement variées & arbitraires.
On s’en sert souvent pour marquer toutes sortes d’hérétiques & sectaires qui pensent différemment des catholiques sur le mystere de la sainte Trinité. Voyez Trinité.
Quelquefois ce terme est restraint plus immédiatement à quelque classe particuliere d’hérétiques, & dans ce sens les trinitaires se confondent souvent avec les unitaires. Voyez Unitaires.
Quelquefois on l’applique aux orthodoxes eux-mêmes par opposition aux antitrinitaires qui nient ou combattent la doctrine de la Trinité. C’est dans ce sens que les Sociniens & d’autres ont coutume de donner le nom de trinitaires aux athanasiens, c’est-à-dire, aux catholiques & aux protestans qui professent sur la Trinité la doctrine contenue dans le symbole attribué à S. Athanase. Voyez Antitrinitaires & Symbole.
Trinitaires, s. m. pl. (Hist. eccl.) est aussi le nom d’un ordre religieux institué à l’honneur de la sainte Trinité, & pour la rédemption des captifs chrétiens qui sont en esclavage chez les infideles.
On les appelle en France Mathurins, parce que la premiere église qu’ils ont eu à Paris étoit sous l’invocation de S. Mathurin. Ils sont habillés de blanc, & portent sur la poitrine une croix mi-partie de rouge & de bleu. Les trinitaires font profession & un vœu particulier de s’employer à racheter les chrétiens détenus esclaves dans les républiques d’Alger, de Tripoli, de Tunis, & dans les royaumes de Fez & de Maroc. Ils ont une regle qui leur est particuliere, quoique plusieurs historiens les rangent au nombre des communautés qui suivent la regle de S. Augustin.
Cet ordre prit naissance en 1198, sous le pontificat d’Innocent II. Les fondateurs furent S. Jean de Matha & S. Felix de Valois. Le premier étoit natif de Faucon en Provence ; le second étoit apparamment originaire de la petite province de Valois, & non pas de la famille royale de ce nom, qui ne commença que plus d’un siecle après ; réflexion que n’ont pas faite les auteurs qui pour illustrer ce saint, l’en font descendre.
Gauthier de Chastillon fut le premier qui leur donna une place dans ses terres, pour y bâtir un couvent qui dans la suite devint le chef-lieu de tout l’ordre. Honoré III. confirma leur regle. Urbain IV. nomma l’évêque de Paris & d’autres prélats pour les réformer, & la réforme fut approuvée par Clément IV. en 1267.
Cet ordre possede environ 250 maisons distribuées en treize provinces, dont six se trouvent en France, trois en Espagne, trois en Italie, & une en Portugal. Ils ont eu autrefois un couvent en Angleterre, un en Ecosse, & un troisieme en Irlande.
Dans les chapitres généraux tenus en 1573 & 1576, on ordonna une réforme qui fut suivie quelque tems après par Julien de Nantonville, & par Claude Aleph, deux hermites de S. Michel ; mais le pape Grégoire XIII leur permit depuis de prendre l’habit de trinitaires, & dans la suite leur hermitage fut changé en une maison de l’ordre.
En 1609 le pape Paul V. leur permit de bâtir de nouvelles maisons, & d’introduire la réforme dans quelques-unes des anciennes. En 1635 Urbain VIII. commit par un bref le cardinal de la Rochefoucauld pour mettre la réforme dans toutes les maisons de l’ordre ; ce qui fut exécuté en vertu d’une sentence où la réforme étoit contenue en huit articles, dont les principaux étoient que ces religieux eussent à observer la regle primitive approuvée par Clément IV, à s’abstenir de viandes, à porter des chemises de laine, à aller à matines à minuit, &c.
En 1454 on avoit aussi fait une réforme parmi ceux de Portugal.
L’habit des trinitaires est différent dans les différentes provinces.
Trinitaires Déchaux ou Déchaussés, (Hist. ecclésiast.) est une reforme de l’ordre des trinitaires qui se fit en Espagne dans le chapitre général tenu en 1594, où il fut résolu que chaque province établiroit deux ou trois maisons pour y observer la regle primitive, pratiquer de plus grandes austérités, porter de plus gros habits, &c. de sorte cependant qu’on laissa à ces réformés la liberté de retourner à leur ancien couvent quand bon leur sembleroit.
Dom Alvarez Basan ayant intention de fonder un monastere à Val de Pegnas, & desirant qu’il fût occupé par des trinitaires déchaux, on convint d’ajouter à la réforme la nudité des piés, afin que les trinitaires profitassent de cet établissement.
Ensuite la réforme fit des progrès dans les trois provinces d’Espagne, & enfin elle fut introduite en Pologne & en Russie, de-là en Allemagne & en Italie.
En France il y a aussi des trinitaires déchaux établis par Frere Jérome Hallies, lequel ayant été envoyé à Rome pour y solliciter la réforme telle qu’on l’avoit premierement établie en Espagne, obtint encore du pape la permission d’y ajouter un habit grossier & la nudité des piés. Il commença cette réforme par le couvent de S. Duys à Rome, & par celui d’Aix en Provence.
En 1670 les religieux de cette réforme eurent assez de maisons pour en former une province ; de sorte que la même année ils tinrent leur premier chapitre général.
Trinitaires religieuses, (Hist. ecclésiastiq.) Il y a aussi des religieuses de la sainte Trinité établies en Espagne par S. Jean de Matha lui-même qui leur bâtit un convent en 1201. Celles qui prirent d’abord l’habit n’étoient que des oblates qui ne faisoient point de vœux ; mais en 1201 le monastere fut rempli de véritables religieuses sous la direction de l’Infante Constance, fille de Pierre II. roi d’Arragon, qui fut la premiere religieuse & la premiere supérieure de cet ordre.
Françoise de Romero, fille de Julien de Romero, lieutenant général des armes d’Espagne, établit aussi des religieuses trinitaires déchaussées à Madrid, vers l’an 1612. Son dessein étant de fonder un monastere d’augustines déchaussées, elle rassembla un certain nombre de filles, & les logea, pour un tems, dans une maison qui appartenoit aux trinitaires déchaux, & qui étoit située dans le voisinage. Comme ces filles alloient à l’église de ces religieux, & qu’elles s’étoient mises sous la direction du pere Jean-Baptiste de la Conception, leur fondateur, la connoissance qu’elles firent avec ce religieux, & les services qu’elles en reçurent, les engagerent à changer la résolution qu’elles avoient prise de se faire augustines ; elles demanderent à leur directeur l’habit de son ordre, ce qu’il leur accorda.
Mais l’ordre s’étant opposé à ce dessein, & ayant refusé de prendre ces filles sous sa jurisdiction, elles s’adresserent à l’archevêque de Tolede qui leur permit de vivre suivant la regle de l’ordre des trinitaires ; desorte qu’elles en prirent de nouveau l’habit en 1612, & commencerent leur noviciat.
Enfin il y a encore un tiers-ordre de trinitaires. Voyez Tiers-ordre.