L’Encyclopédie/1re édition/UNITAIRES

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UNITAIRES, (Thèol. & Métaph.) secte très-fameuse qui eut pour fondateur Fauste Socin, & qui fleurit long-tems dans la Pologne & dans la Transilvanie.

Les dogmes théologiques & philosophiques de ces sectaires ont été pendant long-tems l’objet de la haine, de l’anathème & des persécutions de toutes les communions protestantes. A l’égard des autres sectaires, s’ils ont également eu en horreur les Sociniens, il ne paroît pas que ce soit sur une connoissance profonde & réfléchie de leur doctrine, qu’ils ne se sont jamais donné la peine d’étudier, vraissemblablement à cause de son peu d’importance : en effet, en rassemblant tout ce qu’ils ont dit du socinianisme dans leurs ouvrages polémiques, on voit qu’ils en ont toujours parlé sans avoir une intelligence droite des principes qui y servent de base, & par conséquent avec plus de partialité que de modération & de charité.

Au reste, soit que le mépris universel & juste dans lequel est tombée parmi les protestans cette science vaine, puérile & contentieuse, que l’on nomme controverse, ait facilité leurs progrès dans la recherche de la vérité, en tournant leurs idées vers des objets plus importans, & en leur faisant appercevoir dans les sciences intellectuelles une étendue ultérieure : soit que le flambeau de leur raison se soit allumé aux étincelles qu’ils ont cru voir briller dans la doctrine socinienne ; soit enfin que trompés par quelques lueurs vives en apparence, & par des faisceaux de rayons lumineux qu’ils ont vu réfléchir de tous les points de cette doctrine, ils aient cru trouver des preuves solides & démonstratives de ces théories philosophiques, fortes & hardies qui caractérisent le socinianisme ; il est certain que les plus sages, les plus savans & les plus éclairés d’entr’eux, se sont depuis quelque tems considérablement rapprochés des dogmes des antitrinitaires. Ajoutez à cela le tolérantisme, qui, heureusement pour l’humanité, semble avoir gagné l’esprit général de toutes les communions tant catholiques que protestantes, & vous aurez la vraie cause des progrès rapides que le socinianisme a fait de nos jours, des racines profondes qu’il a jettées dans la plûpart des esprits ; racines dont les ramifications se développant & s’étendant continuellement, ne peuvent pas manquer de faire bientôt du protestantisme en général, un socinianisme parfait qui absorbera peu-à-peu tous les différens systèmes de ces errans. & qui sera comme un centre commun de correspondance, où toutes leurs hypothèses jusqu’alors isolées & incohérentes, viendront se réunir, & perdre, si j’ose m’exprimer ainsi, comme les élémens primitifs des corps dans le système universel de la nature, le sentiment particulier du soi, pour former par leur copulation universelle la conscience du tout.

Après avoir lu & médité avec l’attention la plus exacte, tout ce qu’on a écrit de plus fort contre les sociniens, il m’a semblé que ceux qui ont combattu leur opinion ne leur ont porté que des coups très-foibles, & qu’ils devoient nécessairement s’embarrasser fort peu de parer. On a toujours regardé les Unitaires comme des théologiens chrétiens qui n’avoient fait que briser & arracher quelques branches de l’arbre, mais qui tenoient toujours au tronc ; tandis qu’il falloit les considérer comme une secte de philosophes, qui, pour ne point choquer trop directement le culte & les opinions vraies ou fausses reçues alors, ne vouloient point afficher ouvertement le déisme pur, ni rejetter formellement & sans détours toute espece de révélation ; mais qui faisoient continuellement à l’égard de l’ancien & du nouveau Testament, ce qu’Epicure faisoit à l’égard des dieux qu’il admettoit verbalement, & qu’il détruisoit réellement. En effet, les Unitaires ne recevoient des Ecritures, que ce qu’ils trouvoient conforme aux lumieres naturelles de la raison, & ce qui pouvoit servir à étayer, & à confirmer les systèmes qu’ils avoient embrassés. Comme ils ne regardoient ces ouvrages que comme des livres purement humains, qu’un concours bisarre & imprévu de circonstances indifférentes, & qui pouvoient fort bien ne jamais arriver, avoit rendu l’objet de la foi & de la vénération de certains hommes dans une certaine partie du monde, ils n’y attribuoient pas plus d’autorité qu’aux livres de Platon & d’Aristote, & ils les traitoient en conséquence, sans paroître néanmoins cesser de les respecter, au-moins publiquement.

Les sociniens étoient donc une secte de déistes cachés, comme il y en a dans tous les pays chrétiens, qui, pour philosopher tranquillement & librement sans avoir à craindre la poursuite des lois & le glaive des magistrats, employoient toute leur sagacité, leur dialectique & leur subtilité à concilier avec plus ou moins de science, d’habileté & de vraissemblance, les hypothèses théologiques & métaphysiques exposées dans les Ecritures avec celles qu’ils avoient choisies.

Voilà, si je ne me trompe, le point de vue sous lequel il faut envisager le socinianisme, & c’est, faute d’avoir fait ces observations, qu’on l’a combattu jusqu’à présent avec si peu d’avantage ; que peut-on gagner en effet, en opposant perpétuellement aux Unitaires la révélation ? N’est-il pas évident qu’ils la rejettoient, quoiqu’ils ne se soient jamais expliqués formellement sur cet article ? S’ils l’eussent admise, auroient-ils parlé avec tant d’irrévérence de tous les mysteres que les théologiens ont découverts dans le nouveau Testament ? Auroient-ils fait voir avec toute la force de raisonnement dont ils ont été capables, l’opposition perpétuelle qu’il y a entre les premiers principes de la raison, & certains dogmes de l’Evangile ? En un mot l’auroient-ils exposée si souvent aux railleries des profanes par le ridicule dont ils prenoient plaisir à en charger la plûpart des dogmes & des principes moraux, conformément à ce précepte d’Horace.

Ridiculum acri
Fortius & melius magnas plerumque secat res.

Telles sont les réflexions que j’ai cru devoir faire avant d’entrer en matiere ; faisons connoître présentement les sentimens des Unitaires ; & pour le faire avec plus d’ordre, de précision, d’impartialité, & de clarté, présentons aux lecteurs par voie d’analyse un plan général de leur système extrait de leurs propres écrits. Cela est d’autant plus équitable, qu’il y a eu parmi eux, comme parmi tous les hérétiques, des transfuges qui, soit par esprit de vengeance, soit pour des raisons d’intérêt, ce mobile si puissant & si universel, soit par ces causes réunies, & par quelques autres motifs secrets aussi pervers, ont noirci, décrié & calomnié la secte pour tâcher de la rendre odieuse, & d’attirer sur elle les persécutions, l’anathème & les proscriptions. Afin donc d’éviter les pieges que ces esprits prévenus & aveuglés par la haine, pourroient tendre a notre bonne foi, quelques efforts que nous fissions d’ailleurs pour découvrir la vérité, & pour ne rien imputer aux sociniens qu’ils n’aient expressément enseigné, soit comme principes, soit comme conséquences, nous nous bornerons à faire ici un extrait analytique des ouvrages de Socin, de Crellius, de Volkelius, & des autres savans unitaires, tant anciens que modernes ; & pour mieux développer leur système, dont l’enchaînure est difficile à saisir, nous rassemblerons avec autant de choix que d’exactitude tout ce qu’ils ont écrit de plus intéressant & de plus profond en matiere de religion ; de toutes ces parties inactives & éparses dans différens écrits fort diffus, & fort abstraits, nous tâcherons de former une chaîne non interrompue de propositions tantôt distinctes, & tantôt dépendantes, qui toutes seront comme autant de portions élémentaires & essentielles d’un tout. Mais pour réussir dans cette entreprise aussi pénible que délicate, au gré des lecteurs philosophes, les seuls hommes sur la terre desquels le sage doive être jaloux de mériter le suffrage & les éloges, nous aurons soin de bannir de notre exposé toutes ces discussions de controverse qui n’ont jamais fait découvrir une vérité, & qui d’ailleurs sentent l’école, & décélent le pédant : pour cet effet, sans nous attacher à réfuter pié-à-pié tous les paradoxes & toutes les impiétés que les auteurs que nous allons analyser pourront débiter dans les paragraphes suivans ; nous nous contenterons de renvoyer exactement aux articles de ce Dictionnaire, où l’on a répondu aux difficultés des Unitaires d’une maniere à satisfaire tout esprit non prévenu, & où l’on trouvera sur les points contestes les véritables principes de l’orthodoxie actuelle posés de la maniere la plus solide.

Toutes les hérésies des Unitaires découlent d’une même source : ce sont autant de conséquences nécessaires des principes sur lesquels Socin bâtit toute sa théologie. Ces principes, qui sont aussi ceux des calvinistes, desquels il les emprunta, établissent 1°. que la divinité des Ecritures ne peut être prouvée que par la raison.

2°. Que chacun a droit, & qu’il lui est même expédient de suivre son esprit particulier dans l’interprétation de ces mêmes Ecritures, sans s’arrêter ni à l’autorité de l’Eglise, ni à celle de la tradition.

3°. Que tous les jugemens de l’antiquité, le consentement de tous les peres, les décisions des anciens conciles, ne font aucune preuve de la vérité d’une opinion ; d’où il suit qu’on ne doit pas se mettre en peine, si celles qu’on propose en matiere de religion, ont eu ou non des sectateurs dans l’antiquité.

Pour peu qu’on veuille réfléchir sur l’énoncé de ces propositions, & sur la nature de l’esprit humain, on reconnoîtra sans peine que des principes semblables sont capables de mener bien loin un esprit malheureusement conséquent, & que ce premier pas une fois fait, on ne peut plus savoir où l’on s’arrêtera. C’est aussi ce qui est arrivé aux Unitaires, comme la suite de cet article le prouvera invinciblement : on y verra l’usage & l’application qu’ils ont fait de ces principes dans leurs disputes polémiques avec les protestans, & jusqu’où ces principes les ont conduits. Ce sera, je pense, un spectacle assez intéressant pour les lecteurs qui se plaisent à ces sortes de matieres, de voir avec quelle subtilité ces sectaires expliquent en leur faveur les divers passages de l’Ecriture que les catholiques & les protestans leur opposent : avec quel art ils échappent à ceux dont on les presse ; avec quelle force ils attaquent à leur tour ; avec quelle adresse ils savent, à l’aide d’une dialectique très-fine, compliquer une question simple en apparence, multiplier les difficultés qui l’environnent, découvrir le foible des argumens de leurs adversaires, en retorquer une partie contre eux, & faire évanouir ainsi les distances immenses qui les séparent des orthodoxes : en un mot, comment en rejettant peu-à-peu les dogmes qui s’opposent à la raison, & en ne retenant que ceux qui s’accordent avec elle, & avec leurs hypothèses, ils sont parvenus à se faire insensiblement une religion à leur mode, qui n’est au fond, comme je l’ai déjà insinué, qu’un pur déisme assez artificieusement déguisé.

On peut rapporter à sept principaux chefs les opinions théologiques des Unitaires : 1o. sur l’Eglise : 2o. sur le péché originel, la grace, & la prédestination : 3o. sur l’homme & les sacremens : 4o. sur l’éternité des peines & la résurrection : 5o. sur le mystere de la trinité : 6o. sur celui de l’incarnation, ou la personne de Jesus-Christ : 7o. sur la discipline ecclésiastique, la politique, & la morale. Ce sont autant de tiges dont chacune embrasse une infinité de branches & de rejettons de principes hétérodoxes.

I. Sur l’Eglise. Les Unitaires disent :

Que celle qu’on nomme église visible, n’a pas toujours subsisté, & qu’elle ne subsistera pas toujours.

Qu’il n’y a pas de marques distinctes & certaines qui puissent nous désigner la véritable église.

Qu’on ne doit pas attendre de l’Eglise la doctrine de la vérité divine, & que personne n’est obligé de chercher & d’examiner quelle est cette église véritable.

Que l’Eglise est entierement tombée, mais qu’on peut la rétablir par les écrits des apôtres.

Que ce n’est point le caractere de la véritable Eglise, de condamner tous ceux qui ne sont point de son sentiment, ou d’assurer que hors d’elle il n’y a point de salut.

Que l’Eglise apostolique est celle qui n’erre en rien quant aux choses nécessaires au salut, quoiqu’elle puisse errer dans les autres points de la doctrine.

Qu’il n’y a que la parole de Dieu interpretée par la saine raison, qui puisse nous déterminer les points fondamentaux du salut.

Que l’Antechrist a commencé à régner dès que les pontifes romains ont commencé leur regne, & que c’est alors que les lois de Christ ont commencé à déchoir.

Que quand Jesus-Christ a dit à S. Pierre, vous êtes Pierre, & sur cette pierre je bâtirai mon église : il n’a rien promis & donné à S. Pierre, que ce qu’il a promis & donné aux autres apôtres.

Qu’il est inutile & ridicule de vouloir assurer sur ces paroles de Jésus Christ, que les portes de l’enfer ne prévaudront jamais contre elle ; qu’elle ne peut être séduite & renversée par les artifices du démon.

Que le sens de cette promesse est que l’enfer, ou la puissance de l’enfer ne prévaudra jamais sur ceux qui sont véritablement chrétiens, c’est-à-dire qu’ils ne demeureront pas dans la condition des morts.

Que les clés que Jesus-Christ a données à S. Pierre, ne sont autre chose qu’un pouvoir qu’il lui a laissé de déclarer & de prononcer qui sont ceux qui appartiennent au royaume des cieux, & ceux qui n’y appartiennent pas, c’est-à-dire qui sont ceux qui appartiennent à la condition des chrétiens, & chez qui Dieu veut demeurer en cette vie par sa grace, & dans l’autre par sa gloire éternelle, dont il les comblera. « C’est donc en-vain, ajoutent-ils, que les docteurs de la communion romaine s’appuient sur ce passage, pour prouver que S. Pierre a été établi chef de l’église catholique. En effet, quand ils auroient prouvé clairement cette thèse, ils n’auroient encore rien fait, s’ils ne montroient que les promesses faites à S. Pierre, regardent aussi ses successeurs ; au-lieu que la plûpart des peres ont cru que c’étoient des privileges personnels, comme Tertullien dans son livre de la chasteré, (chap. xxj.) qui parle ainsi au pape Zéphirin : si parce que la Seigneur a dit à Pierre, sur cette pierre je bâtirai mon église, & je te donnerai les clés du royaume du ciel, & tout ce que tu lieras ou délieras sur la terre, sera lié ou délié dans le ciel : si, dis-je, à cause de cela, vous vous imaginez que la puissance de délier ou de lier est passée à vous, c’est-à-dire à toutes les églises fondées par Pierre : qui êtes-vous, qui renversez & changez l’intention claire du Seigneur, qui a conferé cela personnellement à Pierre ? sur toi, dit-il, j’édifierai mon Eglise, & je te donnerai les clés, & non à l’Eglise, & tout ce que tu délieras, & non ce qu’ils délieront.

» Après avoir montré que ces privileges ne sont pas personnels, il faudroit prouver :

» 1o. Qu’ils ne regardent que les évêques de Rome, à l’exclusion de ceux d’Antioche.

» 2o. Qu’ils les regardent tous sans exception & sans condition, c’est-à-dire que tous & un chacun des papes sont infaillibles, tant dans le fait que dans le droit, contre l’expérience & le sentiment de la plûpart des théologiens catholiques romains.

» 3o. Il faudroit définir ce que c’est que l’église catholique, & montrer par des passages formels, que ces termes marquent le corps des pasteurs, qu’on appelle l’église représentative, ce qui est impossible, au-lieu qu’il est très-facile de faire voir que l’Eglise ne signifie jamais dans l’Ecriture que le peuple & les simples fideles, par opposition aux pasteurs : & dans ce sens il n’est rien de plus absurde que tout ce qu’on dit du pouvoir de l’église & de ses privileges, puisqu’elle n’est que le corps des sujets du pape & du clergé romain, & que des sujets bien loin de faire des décisions n’ont que la soumission & l’obéissance en partage.

» 4o. Après tout cela il faudroit encore prouver que les privileges donnés à S. Pierre & aux évêques de Rome ses successeurs, n’emportent pas simplement une primauté d’ordre, & quelque autorité dans les choses qui regardent la discipline & le gouvernement de l’église ; ce que les Protestans pourroient accorder sans faire préjudice à leur cause ; mais qu’ils marquent de plus une primauté de jurisdiction, de souveraineté & d’infaillibilité dans les matieres de foi, ce qui est impossible à prouver par l’Ecriture, & par tous les monumens qui nous restent de l’antiquité ; ce qui est même contradictoire, puisque la créance d’un fait ou d’un dogme se persuade & ne se force pas. A quoi pensent donc les Catholiques romains d’accuser les Protestans d’opiniâtreté, sur ce qu’ils refusent d’embrasser une hypothèse qui suppose tant de principes douteux, dont la plûpart sont contestés même entre les théologiens de Rome ; & de leur demander qu’ils obéissent à l’église, sans leur dire distinctement qui est cette église, ni en quoi consiste la soumission qu’on leur demande, ni jusqu’où il la faut étendre[1] ? »

C’est par ces argumens & d’autres semblables, que les Sociniens anéantissent la visibilité, l’indéfectibilité, l’infaillibilité, & les autres caracteres ou prérogatives de l’église, la primauté du pape, &c. Tel est le premier pas qu’ils ont fait dans l’erreur ; mais ce qui est plus triste pour eux, c’est que ce premier pas a décidé dans la suite de leur foi : aussi nous ne croirons pas rendre un service peu important à la religion chrétienne en général, & au catholicisme en particulier, en faisant voir au lecteur attentif, & sur-tout à ceux qui sont foibles & chancelans dans leur foi, où l’on va se perdre insensiblement lorsqu’on s’écarte une fois de la créance pure & inaltérable de l’Eglise, & qu’on refuse de reconnoître un juge souverain & infaillible des controverses & du vrai sens de l’Ecriture. Voyez Eglise, Pape, & Infaillibilité.

II. Sur le péché originel, la grace, & la prédestination. Le second pas de nos sectaires n’a pas été un acte de rébellion moins éclatant ; ne voulant point par un aveuglement qu’on ne peut trop déplorer, s’en tenir aux sages décisions de l’église, ils ont osé examiner ce qu’elle avoit prononce sur le péché originel, la grace, & la prédestination, & porter un œil curieux sur ces mysteres inaccessibles à la raison. On peut bien croire qu’ils se sont débattus long-tems dans ces ténebres, sans avoir pu les dissiper ; mais pour eux ils prétendent avoir trouvé dans le pélagianisme, & le sémi-pélagianisme le plus outre, le point le plus près de la vérité ; & renouvellant hautement ces anciennes hérésies, ils disent :

Que la doctrine du péché originel imputé & inhérent, est évidemment impie.

Que Moïse n’a jamais enseigné ce dogme, qui fait Dieu injuste & cruel, & qu’on le cherche envain dans ses livres.

Que c’est à S. Augustin que l’on doit cette doctrine qu’ils traitent de désolante & de préjudiciable à la religion.

Que c’est lui qui l’a introduite dans le monde où elle avoit été inconnue pendant l’espace de 4400 ans ; mais que son autorité ne doit pas être préférée à celle de l’Ecriture, qui ne dit pas un mot de cette prétendue corruption originelle ni de ses suites.

Que d’ailleurs quand on pourroit trouver dans la bible quelques passages obscurs qui favorisassent ce système, ce qui, selon eux, est certainement impossible, quelque violence que l’on fasse au texte sacré, il faudroit nécessairement croire que ces passages ont été corrompus, interpolés, ou mal traduits : « car, disent-ils, il ne peut rien y avoir dans les Ecritures que ce qui s’accorde avec la raison : toute interprétation, tout dogme qui ne lui est pas conforme, ne sauroit dès lors avoir place dans la théologie, puisqu’on n’est pas obligé de croire ce que la raison assure être faux »

Ils concluent de là :

Qu’il n’y a point de corruption morale, ni d’inclinations perverses, dont nous héritions de nos ancêtres.

Que l’homme est naturellement bon.

Que dire comme quelques théologiens, qu’il est incapable de faire le bien sans une grace particuliere du S. Esprit, c’est briser les liens les plus forts qui l’attachent à la vertu, & lui arracher, pour ainsi dire, cette estime & cet amour de soi ; deux principes également utiles, qui ont leur source dans la nature de l’homme, & qu’il ne faut que bien diriger pour en voir naître dans tous les tems, & chez tous les peuples, une multitude d’actions sublimes, éclatantes & qui exigent le plus grand sacrifice de soi-même.

Qu’en un mot c’est avancer une maxime fausse, dangereuse, & avec laquelle on ne fera jamais de bonne morale.

Ils demandent pourquoi les Chrétiens auroient besoin de ce secours surnaturel pour ordonner leur conduite selon la droite raison, puisque les Payens par leurs propres forces, & sans autre regle que la voix de la nature qui se fait entendre à tous les hommes, ont pu être justes, honnêtes, vertueux, & s’avancer dans le chemin du ciel ?

Ils disent que s’il n’y a point dans l’entendement, des ténebres si épaisses que l’éducation, l’étude & l’application ne puissent dissiper, point de penchans vicieux ni de mauvaises habitudes que l’on ne puisse rectifier avec le tems, la volonté & la sanction des lois, il s’ensuit que tout homme peut sans une grace interne atteindre dès ici-bas une sainteté parfaite.

Qu’un tel secours détruiroit le mérite animal de ses œuvres, & anéantiroit non pas sa liberté, car ils prétendent que cette liberté est une chimere, mais la spontanéité de ses actions.

Que bien loin donc que l’homme sage puisse raisonnablement s’attendre à une telle grace, il doit travailler lui-même à se rendre bon, s’appuyer sur ses propres forces, vaincre les difficultés & les tentations par ses efforts continuels vers le bien, dompter ses passions par sa raison, & arrêter leurs emportemens par l’étude ; mais que s’il s’attend à un secours surnaturel, il périra dans sa sécurité.

Qu’il est certain que Dieu n’intervient point dans les volontés des hommes par un concours secret qui les fasse agir.

Qu’ils n’ont pas plus besoin de son secours ad hoc que de son concours pour se mouvoir, & de ses inspirations pour se déterminer.

Que leurs actions sont les résultats nécessaires des différentes impressions que les objets extérieurs font sur leurs organes & de l’assemblage fortuit d’une suite infinie des causes, &c. Voyez Péché originel, Grace, &c.

A l’égard de la prédestination, ils prétendent :

Qu’il n’y a point en Dieu de decret par lequel il ait prédestiné de toute éternité ceux qui seront sauvés & ceux qui ne le seront pas.

Qu’un tel decret, s’il existoit, seroit digne du mauvais principe des Manichéens.

Ils ne peuvent concevoir qu’un dogme, selon eux, si barbare, si injurieux à la divinité, si révoltant pour la raison, de quelque maniere qu’on l’explique, soit admis dans presque toutes les communions chrétiennes, & qu’on y traite hardiment d’impies ceux qui le rejettent, & qui s’en tiennent fermement à ce que la raison & l’Ecriture sainement interprétée leur enseignent à cet égard. Voyez Prédestination & Décret, où l’on examine ce que S. Paul enseigne sur cette matiere obscure & difficile.

III. Touchant l’homme & les sacremens. En voyant les Unitaires rejetter aussi hardiment les dogmes ineffables du péché originel, de la grace & de la prédestination, on peut bien penser qu’ils n’ont pas eu plus de respect pour ce que l’Eglise & les saints conciles ont très-sagement détermine touchant l’homme & les sacremens. L’opinion de nos sectaires à cet égard peut être regardée comme le troisieme pas qu’ils ont fait dans la voie de l’égarement ; mais ils n’ont fait en cela que suivre le sentiment de Socin qui leur a servi de guide. Je fais cette remarque, parce qu’ils n’ont pas adopté sans exception les sentimens de leur chef, nulle secte ne poussant plus loin la liberté de penser, & l’indépendance de toute autorité. Socin dit donc :

Que c’est une erreur grossiere de s’imaginer que Dieu ait fait le premier homme revêtu de tous ces grands avantages que les Catholiques, ainsi que le gros des Réformés, lui attribuent dans son état d’innocence, comme sont la justice originelle, l’immortalité, la droiture dans la volonté, la lumiere dans l’entendement, &c. & de penser que la mort naturelle & la mortalité sont entrées dans le monde par la voie du péché.

Que non-seulement l’homme avant sa chûte n’étoit pas plus immortel qu’il ne l’est aujourd’hui, mais qu’il n’étoit pas même véritablement juste, puisqu’il n’étoit pas impeccable.

Que s’il n’avoit pas encore péché, c’est qu’il n’en avoit pas eu d’occasion.

Qu’on ne peut donc pas affirmer qu’il fût juste, puisqu’on ne sauroit prouver qu’il se seroit abstenu de pécher, s’il en eût eu l’occasion, &c.

Pour ce qui regarde les sacremens, il prétend :

Qu’il est évident pour quiconque veut raisonner sans préjugés, qu’ils ne sont ni des marques de conférer la grace, ni des sceaux de l’alliance qui la confirment, mais de simples marques de profession.

Que le baptême n’est nécessaire ni de nécessité de précepte, ni de nécessité de moyen.

Qu’il n’a pas été institué par Jesus-Christ, & que le chrétien peur s’en passer sans qu’il puisse en résulter pour lui aucun inconvénient.

Qu’on ne doit donc pas baptiser les enfans, ni les adultes, ni en général aucun homme.

Que le baptême pouvoit être d’usage dans la naissance du christianisme à ceux qui sortoient du paganisme, pour rendre publique leur profession de foi, & en être la marque authentique ; mais qu’à présent il est absolument inutile, & tout-à-fait indifférent. Voyez Baptême & Sacremens.

Quant à l’usage de la cene, on doit croire, selon lui, si l’on ne veut donner dans les visions les plus ridicules :

Que le pain & le vin qu’on y prend, n’est autre chose que manger du pain & boire du vin, soit qu’on fasse cette cérémonie avec soi ou non, spirituellement ou corporellement.

Que Dieu ne verse aucune vertu sur le pain ni sur le vin de l’Eucharistie, qui restent toujours les mêmes en nature, quoi qu’en puissent dire les Transubstantiateurs. Voyez Transubstantiation.

Que l’usage de faire cette manducation orale seul au nom de tous, ou avec les fideles assemblés qui y participent, n’est institué que pour l’action de grace, qui se peut très-bien faire sans cette formule ; en un mot, que la cene n’est point un sacrement.

Qu’elle n’a point d’autre fin que de nous rappeller la mémoire de la mort de Jesus-Christ, & que c’est une absurdité de penser qu’elle nous procure quelques nouvelles graces, ou qu’elle nous conserve dans celles que nous avons. Voyez Eucharistie & Cene.

Qu’il en est de même des autres cérémonies auxquelles on a donné le nom de sacremens.

Qu’on peut, sans craindre de s’écarter de la vérité, en rejetter la pratique & l’efficace.

Que pour le mariage, il ne devroit être chez tous les peuples de la terre qu’un contrat purement civil.

Que ce n’est même qu’en l’instituant comme tel, par un petit nombre de lois sages & invariables, mais toujours relatives à la constitution politique, au climat & à l’esprit général de la nation à laquelle elles seront destinées, qu’on pourra par la suite réparer les maux infinis en tout genre que ce lien considéré comme sacré & indissoluble, a causé dans tous les états où le christianisme est établi. Voyez Mariage & Population.

IV. Quatrieme pas : sur l’éternité des peines & la résurrection. Nous venons de voir Socin faire des efforts aussi scandaleux qu’inutiles & impies, pour détruire l’efficace, la nécessité, la validité & la saintété des sacremens. Nous allons voir dans ce paragraphe ses sectateurs téméraires marcher aveuglément sur ses dangereuses traces, & passer rapidement de la réjection des sacremens à celle de l’éternité des peines & de la résurrection, dogmes non moins sacrés que les précédens, & sur lesquels la plûpart des Unitaires admettent sans détour le sentiment des Origénistes & des Sadducéens, condamné il y a long-tems par l’Eglise. Pour montrer à quel point cette secte héterodoxe pousse la liberté de penser, & la fureur d’innover en matiere de religion, je vais traduire ici trois ou quatre morceaux de leurs ouvrages sur le sujet en question. Ce sera une nouvelle confirmation de ce que j’ai dit ci-dessus de la nécessité d’un juge dépositaire infaillible de la foi, & en même tems une terrible leçon pour ceux qui ne voudront pas captiver leur entendement sous l’obéissance de la foi, captivantes intellectam ad obsequium fidei, pour me servir des propres termes de S. Paul. Mais écoutons nos hérétiques réfractaires.

« Il est certain, disent-ils, que de toutes les idées creuses, de tous les dogmes absurdes & souvent impies que les théologiens catholiques & protestans ont avancés comme autant d’oracles célestes, il n’y en a peut-être point, excepté la Trinité & l’Incarnation, contre lesquels la raison fournisse de plus fortes & de plus solides objections que contre ceux de la résurrection des corps & l’éternité des peines. La premiere de ces opinions n’est à la vérité qu’une rêverie extravagante, qui ne séduira jamais un bon esprit, quand il n’auroit d’ailleurs aucune teinture de physique expérimentale ; mais la seconde est un blaspheme dont tout bon chrétien doit avoir horreur. Juste ciel ! quelle idée faudroit-il avoir de Dieu, si cette hypothèse étoit seulement vraissemblable ? Comment ces ames de pierre, qui osent déterminer le degré & la durée des tourmens que l’être suprème infligera, selon eux, aux pécheurs impénitens, peuvent-ils, sans trembler, annoncer ce terrible arrêt ? de quel droit & à quel titre se donnent-ils ainsi l’exclusion, & s’exemptent-ils des peines dont ils menacent si inhumainement leurs freres ? Qui leur a dit à ces hommes de sang qu’ils ne prononçoient pas eux-mêmes leur propre condamnation, & qu’ils ne seroient pas un jour obligés d’implorer la clémence & la miséricorde infinies de cet être souverainement bon qu’ils représentent aujourd’hui comme un pere cruel & implacable, qui ne peut être heureux que par le malheur & le supplice éternels de ses enfans ? Je ne débattrai point à toujours, & je ne serai point indigné à jamais, dit Dieu dans Isaïe. Après un texte aussi formel, & tant d’autres aussi décisifs que nous pourrions rapporter, quels sont les théologiens assez insensés pour se déclarer encore en faveur d’une opinion qui donne si directement atteinte aux attributs les plus essentiels de la divinité, & par conséquent à son existence ? Comment peut-on croire qu’elle punisse éternellement des péchés qui ne sont point éternels & infinis, & qu’elle exerce une vengeance continuelle sur des êtres qui ne peuvent jamais l’offenser, quelque chose qu’ils fassent ? Mais en supposant même que l’homme puisse réellement offenser Dieu, proposition qui nous paroit aussi absurde qu’impie, quelle énorme disproportion n’y auroit-il pas entre des fautes passageres, un désordre momentané, & une punition éternelle ? Un juge équitable ne voudroit pas faire souffrir des peines éternelles à un coupable pour des péchés temporels & qui n’ont duré qu’un tems. Pourquoi donc veut-on que Dieu soit moins juste & plus cruel que lui ? D’ailleurs, comme le dit très-bien un[2] auteur célebre, un tourment qui ne doit avoir aucune fin ni aucun relâche, ne peut être d’aucune utilité à celui qui le souffre, ni à celui qui l’inflige ; il ne peut être utile à l’homme, s’il n’est pas pour lui un état d’amélioration, & il ne peut l’être, s’il ne reste aucun lieu à la repentance, s’il n’a ni le tems de respirer, ni celui de réfléchir sur sa condition. L’éternité des peines est donc de tout point incompatible avec la sagesse de Dieu, puisque dans cette hypothèse il seroit méchant uniquement pour le plaisir de l’être. Voyez la collect. des freres Polonois.

» Disons plus : si ce qu’on appelle juste & injuste, vertu & vice, étoit tel par sa nature, & ne dépendoit pas des institutions arbitraires des hommes, il pourroit y avoir un bien & un mal moral proprement dits, fondés sur des rapports immuables & éternels d’équité & de bonté antérieurs aux lois politiques, & par conséquent des êtres bons & méchans moralement : de tels êtres seroient alors de droit sous la jurisdiction de Dieu, & pouvant mériter ou démériter vis-à-vis de lui, il pourroit les punir ou les récompenser dans sa cité particuliere. Mais comme les termes de juste & d’injuste, de vertu & de vice, sont des mots abstraits & métaphysiques absolument inintelligibles, si on ne les applique à des êtres physiques, sensibles, unis ensemble par un acte exprès ou tacite d’association, il s’ensuit que tout ce qui est utile ou nuisible au bien général & particulier d’une société ; tout ce qui est ordonné ou défendu par les lois positives de cette société, est pour elle la vraie & unique mesure du juste & de l’injuste, de la vertu & du vice, & par conséquent qu’il n’y a réellement de bons & de méchans, de vertueux & de vicieux, que ceux qui font le bien ou le mal des corps politiques dont ils sont membres, & qui en enfreignent ou qui en observent les lois. Il n’y a donc, à parler exactement, aucune moralité dans les actions humaines ; ce n’est donc point à Dieu à punir, ni à récompenser, mais aux lois civiles : car que diroit-on d’un souverain qui s’arrogeroit le droit de faire torturer dans ses états les infracteurs des lois établies dans ceux de ses voisins ? D’ailleurs pourquoi Dieu puniroit-il les méchans ? Pourquoi même les haïroit-il ? Qu’est-ce que le méchant, sinon une machine organisée qui agit par l’effort irrésistible de certains ressorts qui la meuvent dans telle & telle direction, & qui la déterminent nécessairement au mal ? Mais si une montre est mal réglée, l’horloger qui l’a faite est-il en droit de se plaindre de l’irrégularité de ses mouvemens ? & n’y auroit-il pas de l’injustice ou plutôt de la folie à lui d’exiger qu’il y eût plus de perfection dans l’effet qu’il n’y en a eu dans la cause ? Ici l’horloger est Dieu, ou la nature, dont tous les hommes, bons ou méchans, sont l’ouvrage. Il est vrai que saint Paul ne veut pas que le vase dise au potier, pourquoi m’as-tu ainsi fait ? Mais, comme le remarque judicieusement un[3] philosophe illustre, cela est fort bien, si le potier n’exige du vase que des services qu’il l’a mis en état de lui rendre ; mais s’il s’en prenoit au vase de n’être pas propre à un usage pour lequel il ne l’auroit pas fait, le vase auroit-il tort de lui dire, pourquoi m’as-tu fait ainsi ?

» Pour nous nous croyons fermement que s’il y a une vie à venir, tous les hommes, sans exception, y jouiront de la suprème béatitude, selon ces paroles expresses de l’apôtre : Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. Si, par impossible, il y en avoit un seul de malheureux, l’objection contre l’existence de Dieu seroit aussi forte pour ce seul être, que pour tout le genre humain. Comment ces théologiens impitoyables qui tordent avec tant de mauvaise foi les écritures pour y trouver des preuves de l’éternité des peines, & par conséquent de l’injustice de Dieu, ne voient-ils pas que tout ce que Jesus-Christ & ses apôtres ont dit des tourmens de l’enfer, n’est qu’allégorique & semblable à ce qu’ont écrit les[4] poëtes d’lxion, de Sysiphe, de Tantale, &c. & qu’en parlant de la sorte, Jesus-Christ & ses disciples s’accommodoient aux opinions reçues de leur tems parmi le peuple à qui la crainte de l’enfer peut quelquefois servir de frein au défaut d’une bonne législation » ? Voyez la collect. des freres Polon.

On peut voir sous le mot Enfer ce qu’on oppose à ces idées des Sociniens. Disons seulement ici que ce qui rend leur conversion impossible, c’est qu’ils combattent nos dogmes par des raisonnemens philosophiques, lorsqu’ils ne devroient faire que se soumettre humblement, & imposer silence à leur raison, puisqu’enfin nous cheminons par soi & non point par vue, comme le dit très-bien S. Paul.

Quoi qu’il en soit, voyons ce qu’ils ont pensé de la resurrection. Ils disent donc,

Qu’il est aisé de voir, pour peu qu’on y réfléchisse attentivement, qu’il est métaphysiquement impossible que les particules d’un corps humain, que la mort & le tems ont dispersées en mille endroits de l’univers, puissent jamais être rassemblées même par l’efficace de la puissance divine.

Qu’un auteur anglois, aussi profond théologien que bon physicien, & auquel on n’a jamais reproché de favoriser en rien leurs sentimens, paroit avoir été frappé du poids & de l’importance de cette objection ; & qu’il n’a rien négligé pour la mettre dans toute sa force. Ils citent ensuite le passage de cet auteur, dont voici la traduction.

« On sçait & on voit tous les jours de ses propres yeux que les cendres & les particules des cadavres sont en mille manieres dispersées par mer & par terre ; & non-seulement par toute la terre, mais qu’étant élevées dans la région de l’air, par la chaleur & l’attraction du soleil, elles sont jettées & dissipées en mille différens climats ; & elles ne sont pas seulement dispersées, mais elles sont aussi comme insérées dans les corps des animaux, des arbres & autres choses d’où elles ne peuvent être retirées facilement. Enfin dans la transmigration de ces corpuscules dans d’autres corps, ces parties ou particules prennent de nouvelles formes & figures, & ne retiennent pas les mêmes qualités & la même nature.

» Cette difficulté se faisant sentir vivement à ceux qui sont capables de réflexion & à ceux qui ne donnent pas tête baissée dans les erreurs populaires, on demande si ce miracle dont nous venons de parler, si cette recollection de toutes ces cendres, de toutes ces particules dispersées en un million de lieux, & métamorphosées en mille sortes de différens corps, est dans l’ordre des choses possibles.

» Il y a plusieurs personnes qui en doutent, & qui, pour appuyer leur incrédulité sur ce sujet, alleguent la voracité de certaines nations, de certains antropophages qui se mangent les uns les autres, & qui se nourrissent de la chair humaine : cela supposé, voici comme ils raisonnent : c’est qu’en ce cas il sera impossible que cette même chair qui a contribué à faire de la chair à tant de différens corps alternativement puisse être rendue numériquement & spécifiquement à divers corps en même tems.

» Mais pour quoi nous retrancher sur ce petit nombre d’antropophages ? Nous le sommes tous, & tous tant que nous sommes nous nous repaissons des dépouilles & des cadavres des autres hommes, non pas immédiatement, mais après quelques transmutations en herbes, & dans ces animaux nous mangeons nos ancêtres ou quelques-unes de leurs parties. Si les cendres de chaque homme avoient été serrées & conservées dans des urnes depuis la création du monde, ou plutôt si les cadavres de tous les hommes avoient été convertis en momies, & qu’ils fussent restés entiers ou presqu’entiers, il y auroit quelqu’espérance de rassembler toutes les parties du corps, n’ayant pas été confondues ni mélangées dans d’autres corps : mais puisque les cadavres sont presque tous dissous & dissipés, que leurs parties sont mélangées dans d’autres corps, qu’elles s’exhalent en l’air, qu’elles retombent en pluie & en rosée, qu’elles sont imbibées par les racines, qu’elles concourent à la production des graines, des blés & des fruits, d’où par une circulation continuelle elles rentrent dans des corps humains, & redeviennent corps humains ; il se peut faire que par ce circuit presqu’infini la même matiere aura subi plus de différentes métamorphoses, & aura habité plus de corps que ne le fit l’ame de Pythagore. Or elle ne peut être rendue à chacun de ces corps dans la résurrection ; car si elle est rendue aux premiers hommes qui ont existé, comme il paroît juste que cela soit, il n’y en aura plus pour ceux qui sont venus après eux ; & si on la rend à ces derniers, ce sera alors au préjudice de leurs ancêtres. Supposons, par exemple, que les premiers descendans d’Adam ou les hommes des premiers siecles redemandent leurs corps, & qu’ensuite les peuples de chaque siecle successif recherchent aussi les leurs, il arrivera que les neveux d’Adam les plus reculés ou les derniers habitans de la terre auront à peine assez de matiere pour faire des demi-corps[5] ». Voyez Résurrection.

V. Cinquieme pas. Nous voici arrivés au mystere incompréhensible, mais divin, de la Trinité, cet éternel sujet de scandale des Sociniens, cette cause de leur division d’avec les Protestans, ce dogme enfin qu’ils ont attaqué avec tant d’acharnement qu’ils en ont mérité le surnom d’antitrinitaires.

Ils commencerent par renouveller les anciennes hérésies de Paul de Samosate & d’Arius, mais bientôt prétendant que les Ariens avoient trop donné à Jesus-Christ, ils se déclarerent nettement Photiniens & sur-tout Sabelliens ; mais ils donnerent aux objections de ces hérésiarques une toute autre force, & en ajouterent même de nouvelles qui leur sont particulieres : enfin ils n’omirent aucune des raisons qu’ils crurent propres à déraciner du cœur des fideles un dogme aussi nécessaire au salut, & aussi essentiel à la foi & aux bonnes mœurs.

Pour faire connoître leurs sentimens sur ce dogme, il suffit de dire qu’ils soutiennent que rien n’est plus contraire à la droite raison que ce que l’on enseigne parmi les Chrétiens touchant la Trinité des personnes dans une seule essence divine, dont la seconde est engendrée par la premiere, & la troisieme procede des deux autres.

Que cette doctrine inintelligible ne se trouve dans aucun endroit de l’Ecriture.

Qu’on ne peut produire un seul passage qui l’autorise, & auquel on ne puisse, sans s’écarter en aucune façon de l’esprit du texte, donner un sens plus clair, plus naturel, plus conforme aux notions communes, & aux vérités primitives & immuables.

Que soutenir, comme font leurs adversaires, qu’il y a plusieurs personnes distinctes dans l’essence divine, & que ce n’est pas l’éternel qui est le seul vrai Dieu, mais qu’il y faut joindre le Fils & le S. Esprit, c’est introduire dans l’église de J. C. l’erreur la plus grossiere & la plus dangereuse ; puisque c’est favoriser ouvertement le Polythéisme.

Qu’il implique contradiction de dire qu’il n’y a qu’un Dieu, & que néanmoins il y a trois personnes, chacune desquelles est véritablement Dieu.

Que cette distinction, un en essence, & trois en personnes, n’a jamais été dans l’Ecriture.

Qu’elle est manifestement fausse, puisqu’il est certain qu’il n’y a pas moins d’essences que de personnes, & de personnes que d’essences.

Que les trois personnes de la Trinité sont ou trois substances différentes, ou des accidens de l’essence divine, ou cette essence même sans distinction.

Que dans le premier cas on fait trois dieux.

Que dans le second on fait Dieu composé d’accidens, on adore des accidens, & on métamorphose des accidens en des personnes.

Que dans le troisieme, c’est inutilement & sans fondement qu’on divise un sujet indivisible, & qu’on distingue en trois ce qui n’est point distingué en soi.

Que si on dit que les trois personnalités ne sont ni des substances différentes dans l’essence divine, ni des accidens de cette essence, on aura de la peine à se persuader qu’elles soient quelque chose.

Qu’il ne faut pas croire que les trinitaires les plus rigides & les plus décidés, aient eux mêmes quelque idée claire de la maniere dont les trois hypostases subsistent en Dieu, sans diviser sa substance, & par conséquent sans la multiplier.

Que S. Augustin lui-même, après avoir avancé sur ce sujet mille raisonnemens aussi faux que ténébreux, a été forcé d’avouer qu’on ne pouvoit rien dire sur cela d’intelligible.

Ils rapportent ensuite le passage de ce pere, qui en effet est très-singulier. « Quand on demande, dit-il, ce que c’est que les trois, le langage des hommes se trouve court, & l’on manque de termes pour les exprimer : on a pourtant dit trois personnes, non pas pour dire quelque chose, mais parce qu’il faut parler, & ne pas demeurer muet ». Dictum est tamen tres personæ, non ut aliquid diceretur, sed ne taceretur. De Trinit. l. V. c. ix.

Que les théologiens modernes n’ont pas mieux éclairci cette matiere.

Que quand on leur demande ce qu’ils entendent par ce mot de personne, ils ne l’expliquent qu’en disant que c’est une certaine distinction incompréhensible, qui fait que l’on distingue dans une nature unique en nombre, un Pere, un Fils & un S. Esprit.

Que l’explication qu’ils donnent des termes d’engendrer & de procéder, n’est pas plus satisfaisante ; puisqu’elle se réduit à dire que ces termes marquent certaines relations incompréhensibles qui sont entre les trois personnes de la trinité.

Que l’on peut recueillir delà que l’état de la question entre les orthodoxes & eux, consiste à savoir s’il y a en Dieu trois distinctions dont on n’a aucune idée, & entre lesquelles il y a certaines relations dont on n’a point d’idée non-plus.

De tout cela ils concluent qu’il seroit plus sage de s’en tenir à l’autorité des apôtres, qui n’ont jamais parlé de la trinité, & de bannir à jamais de la religion tous les termes qui ne sont pas dans l’Ecriture, comme ceux de trinité, de personne, d’essence, d’hypostase, d’union hypostatique & personnelle, d’incarnation, de génération, de procession, & tant d’autres semblables, qui étant absolument vuides de sens puisqu’ils n’ont dans la nature aucun être réel représentatif, ne peuvent exciter dans l’entendement que des notions fausses, vagues, obscures & incomplettes, &c.

Voyez le mot Trinité, où ces argumens sont examinés & réduits à leur juste valeur, & où le mystere en lui-même est très-bien exposé. Voyez aussi dans les Nouvelles de la république des lettres de Bayle, ann. 1685, le parallele de la Trinité avec les trois dimensions de la matiere.

VI. Sixieme pas. Sur l’incarnation & la personne de J. C. les Unitaires ne se sont pas moins écartés de la foi pure & sainte de l’Eglise : comme ils avoient détruit le mystere de la trinité, il falloit par une conséquence nécessaire, attaquer jusque dans ses fondemens celui de l’incarnation ; car ces deux mysteres ineffables exigeant pour être crus le même sacrifice de la raison à l’autorité, ils ne se seroient pas suivis s’ils eussent admis l’un & rejetté l’autre. Mais malheureusement ils n’ont été que trop conséquens, ainsi qu’on l’a pu voir par tout ce qui précede : quoi qu’il en soit ils prétendent,

Que l’opinion de ceux qui disent que le verbe, ou la seconde personne de la trinité a été unie hypostatiquement à l’humanité de J. C. & qu’en vertu de cette union personnelle de la nature divine avec l’humaine, il est Dieu & homme tout ensemble, est fausse & contradictoire.

Que ce Dieu incarné n’a jamais existé que dans le cerveau creux de ces mystiques, qui ont fait d’une vertu, ou d’une manifestation divine externe, une hypostase distincte, contre le sens naturel des termes dont S. Jean s’est servi.

Que lorsqu’il dit, que la parole a été faite chair, cela ne signifie autre chose, sinon que la chair de J. C. a été le nuage glorieux où Dieu s’est rendu visible dans ces derniers tems, & d’où il a fait entendre ses volontés.

Que ce seroit se faire illusion, & donner à ces paroles claires en elles-mêmes, l’interprétation la plus forcée que de les entendre comme si elles signifioient qu’un Dieu s’est véritablement incarné, tandis qu’elles ne désignent qu’une simple présence d’assistance & d’opération.

Que si on lit avec autant d’attention que d’impartialité, les premiers versets de l’évangile selon S. Jean, & qu’on n’y cherche pas plus de mystere qu’il n’y en a réellement, on sera convaincu que l’auteur n’a jamais pense ni à la préexistence d’un verbe distinct de Dieu, & Dieu lui-même, ni à l’incarnation.

Non contens d’accommoder l’Ecriture à leurs hypothèses, ils soutiennent

Que l’incarnation étoit inutile, & qu’avec la foi la plus vive, il est impossible d’en voir le cui bono.

Ils appliquent à l’envoi que Dieu a fait de son fils pour le salut des hommes, le fameux passage d’Horace.

Nec Deus intersit, nisi dignus vindice nodus
Inciderit.

Si on leur répond qu’il ne falloit pas moins que le sang d’un Dieu-homme pour expier nos péchés & pour nous racheter, ils demandent pourquoi Dieu a eu besoin de cette incarnation, & pourquoi au-lieu d’abandonner aux douleurs, à l’ignominie & à la mort son fils Dieu, égal & consubstantiel à lui, il n’a pas au contraire changé le cœur de tous les hommes, ou plutôt pourquoi il n’a pas opéré de toute éternité leur sanctification par une seule volition.

Ils disent que cette derniere économie s’accorde mieux avec les idées que nous avons de la puissance, de la sagesse & de la bonté infinies de Dieu.

Que l’hypothese de l’incarnation confond & obscurcit toutes ces idées, & multiplie les difficultés au lieu de les résoudre.

Les Catholiques & les Protestans leur opposent avec raison tous les textes de l’Ecriture ; mais les Unitaires soutiennent au contraire, que si on se fût arrêté au seul nouveau Testament, on n’auroit point fait de J. C. un Dieu. Pour confirmer cette opinion, ils citent un passage très-singulier d’Eusebe, Hist. ecclés. l. I. c. ij. où ce pere dit, « qu’il est absurde & contre toute raison, que la nature non engendrée & immuable du Dieu tout-puissant, prenne la forme d’un homme, & que l’Ecriture forge de pareilles faussetés ».

A ce passage ils en joignent deux autres non moins étranges ; l’un de Justin martyr, & l’autre de Tertullien, qui disent la même chose.[6]

Si on objecte aux Sociniens que J. C. est appellé Dieu dans les saintes lettres, ils répondent que ce n’est que par métaphore, & à raison de la grande puissance dont le Pere l’a revêtu.

Que ce mot Dieu se prend dans l’Ecriture en deux manieres ; la premiere pour le grand & unique Dieu, & la seconde pour celui qui a reçu de cet être suprème une autorité ou une vertu extraordinaire, ou qui participe en quelque maniere aux perfections de la divinité.

Que c’est dans ces derniers sens qu’on dit quelquefois dans l’Ecriture que J. C. est Dieu, quoi qu’il ne soit réellement qu’un simple homme qui n’a point existé avant sa naissance, qui a été conçu à la maniere des autres hommes, & non par l’opération du S. Esprit, qui n’est pas une personne divine, mais seulement la vertu & l’efficacité de Dieu, &c.

Socin anéantit ensuite la rédemption de J. C. & réduit ce qu’il a fait pour les hommes à leur avoir donné des exemples de vertus héroïques ; mais ce qui prouve sur-tout le peu de respect qu’il avoit pour le nouveau Testament, c’est ce qu’il dit sur la satisfaction de J. C. dans un de ses ouvrages adressé à un théologien. « Quand l’opinion de nos adversaires, dit il, se trouveroit écrite, non pas une seule fois, mais souvent dans les écrits sacrés, je ne croirois pourtant pas que la chose va comme vous pensez ; car comme cela est impossible, j’interpreterois les passages en leur donnant un sens commode, comme je fais avec les autres en plusieurs autres passages de l’Ecriture ».

Voyez ce que les Catholiques opposent aux argumens de ces hérétiques, sous les mots Incarnation, Rédemption & Satisfaction.

VII. Septieme pas. Sur la discipline ecclésiastique, la politique & la morale, les Unitaires ont avancé des opinions qui ne sont ni moins singulieres, ni moins hétérodoxes, & qui jointes à ce qui précede, acheveront de faire voir (on ne peut trop le répéter), qu’en partant comme eux de la réjection d’une autorité infaillible en matiere de foi, & en soumettant toutes les doctrines religieuses au tribunal de la raison, on marche dès ce moment à grands pas vers le déisme ; mais ce qui est plus triste encore, c’est que le déisme n’est lui-même, quoi qu’en puissent dire ses apologistes, qu’une religion inconséquente, & que vouloir s’y arrêter, c’est errer inconséquemment, & jetter l’ancre dans des sables mouvans : c’est ce qu’il me seroit très-facile de démontrer si c’en étoit ici le lieu, mais il vaut mieux suivre nos sectaires, & achever le tableau de leurs erreurs théologiques, en exposant leurs sentimens sur les points qui font le sujet de cet article.

Ils disent qu’il y a dans tous les états chrétiens, un vice politique qui a été jusqu’à présent pour eux une source intarissable de maux & de désordres de toute espece.

Que les funestes effets en deviennent de jour en jour plus sensibles ; & que tôt ou tard il entrainera infailliblement la ruine de ces empires, si les souverains ne se hâtent de le détruire.

Que ce vice est le pouvoir usurpé & par conséquent injuste des ecclésiastiques, qui faisant dans chaque état un corps à part qui a ses lois, ses privileges, sa police, & quelquefois son chef particulier, rompent par cela même cette union de toutes les forces & de toutes les volontés qui doit être le caractere distinctif de toute société politique bien constituée, & introduisent réellement deux maîtres au lieu d’un.

Qu’il est facile de voir combien un pareil gouvernement est vicieux, & contraire même au pacte fondamental d’une association légitime.

Que plus le mal qui en résulte est sensible, plus on a lieu de s’étonner, que les souverains qui sont encore plus intéressés que leurs sujets à en arrêter les progrès rapides, n’aient pas secoué il y a long-tems le joug de cette puissance sacerdotale qui tend sans cesse à tout envahir.

Que pour eux, sans cesse animés de l’amour de la vérité & du bien public, malgré les persécutions cruelles dont cet amour les a rendus si souvent les victimes, ils oseront établir sur cette matiere si importante pour tous les hommes en général, un petit nombre de principes, qui en affermissant les droits & le pouvoir trop long-tems divisés, & par conséquent affoiblis des souverains, de quelque maniere qu’ils soient représentés, serviront en même tems à donner aux différens corps politiques un fondement plus solide & plus durable. Après ce préambule singulier, nos sectaires entrent aussi-tôt en matiere, posent pour principe, qu’une regle sûre, invariable, & dont ceux qui, dans un gouvernement quelconque, sont revêtus légitimement de la souveraineté, ne doivent jamais s’écarter, sous quelque prétexte que ce soit ; c’est celle que tous les philosophes législateurs ont regardée avec raison, comme la loi fondamentale de toute bonne politie, & que Ciceron a exprimée en ces termes : Salus populi suprema lex est, le salut du peuple est la suprème loi.

Que de cette maxime incontestable, & sans l’observation de laquelle tout gouvernement est injuste, tyrannique, & par cela même, sujet à des révolutions ; il résulte :

1°. Qu’il n’y a de doctrine religieuse véritablement divine & obligatoire, & de morale réellement bonnes, que celles qui sont utiles à la société politique à laquelle on les destine ; & par conséquent que route religion & toute morale qui tendent chacune, suivant son esprit & sa nature, d’une maniere aussi directe qu’efficace, au but principal que doivent avoir tous les gouvernemens civils, légitimes, sont bonnes & révélées en ce sens, quels qu’en soient d’ailleurs les principes.

2°. Que ce qu’on appelle dans certains états la parole de Dieu, ne doit jamais être que la parole de la loi, ou si l’on veut l’expression formelle de la volonté générale statuant sur un objet quelconque.

3°. Qu’une religion qui prétend être la seule vraie, est par cela même, mauvaise pour tous les gouvernemens, puisqu’elle est nécessairement intolérante par principe.

4°. Que les disputes frivoles des Théologiens n’étant si souvent funestes aux états où elles s’élevent, que parce qu’on y attache trop d’importance, & qu’on s’imagine faussement que la cause de Dieu y est intéressée ; il est de la prudence & de la sagesse du corps législatif, de ne pas faire la moindre attention à ces querelles, & de laisser aux ecclésiastiques, ainsi qu’à tous les sujets, la liberté de servir Dieu, selon les lumieres de leur conscience.

De croire & d’écrire ce qu’ils voudront sur la religion, la politique & la morale.

D’attaquer même les opinions les plus anciennes.

De proposer au souverain l’abrogation d’une loi qui leur paroîtra injuste ou préjudiciable en quelque sorte au bien de la communauté.

De l’éclairer sur les moyens de perfectionner la législation, & de prévenir les usurpations du gouvernement.

De déterminer exactement la nature & les limites des droits & des devoirs réciproques du prince & des sujets.

De se plaindre hautement des malversations & de la tyrannie des magistrats, & d’en demander la déposition ou la punition, selon l’exigence des cas.

En un mot, qu’il est de l’équité du souverain de ne gêner en rien la liberté des citoyens qui ne doivent être soumis qu’aux lois, & non au caprice aveugle d’une puissance exécutrice & tyrannique.

5°. Que pour ôter aux prêtres l’autorité qu’ils ont usurpée, & arracher pour jamais de leurs mains le glaive encore sanglant de la superstition & du fanatisme, le moyen le plus efficace est de bien persuader au peuple.

Qu’il n’y a aucune religion bonne exclusivement.

Que le culte le plus agréable à Dieu, si toutefois Dieu en peut exiger des hommes, est l’obéissance aux lois de l’état.

Que les véritables saints sont les bons citoyens, & que les gens sensés n’en reconnoîtront jamais d’autres.

Qu’il n’y a d’impies envers les dieux, que les infracteurs du contrat social.

En un mot, qu’il ne doit regarder, respecter & aimer la religion quelle qu’elle soit, que comme une pure institution de police relative, que le souverain peut modifier, changer, & même abolir d’un instant à l’autre, sans que le prétendu salut spirituel des sujets soit pour cela en danger. C’est bien ici qu’on doit dire que la fin est plus excellente que les moyens : mais suivons.

6°. Que les privileges & les immunités des ecclésiastiques étant un des abus les plus pernicieux qui puissent s’introduire dans un état ; il est de l’intérêt du souverain, d’ôter sans aucune restriction ni limitation ces distinctions choquantes, & ces exemptions accordées par la superstition dans des siecles de ténébres, & qui tendent directement à la division de l’empire. Voyez les lettres ne repugnate vestro bono.

7°. Enfin, que le célibat des prêtres, des moines, & des autres ministres de la religion, ayant causé depuis plusieurs siecles, & causant tous les jours des maux effroyables aux états, où il est regardé comme d’institution divine, & en tant que tel ordonné par le prince ; on ne peut trop se hâter d’abolir cette loi barbare & destructrice de toute société civile, visiblement contraire au but de la nature, puisqu’elle l’est à la propagation de l’espece, & qui prive injustement des êtres sensibles, du plaisir le plus doux de la vie, & dont tous leurs sens les avertissent à chaque instant qu’ils ont le droit, la force & le desir de jouir. Voyez Célibat & Population.

Que les avantages de ce plan de législation sont évidens pour ceux dont les vûes politiques vastes & profondes, ne se bornent pas à suivre servilement celles de ceux qui les gouvernent.

Qu’il seroit à souhaiter pour le bien de l’humanité, que les souverains s’empressassent de le suivre, & de prévenir par ce nouveau système d’administration les malheurs sans nombre & les crimes de toute espece, dont le pouvoir tyrannique des prêtres & les disputes de religion ont été si souvent la cause, principalement depuis l’établissement du christianisme, &c.

D’autres unitaires moins hardis à la tête desquels est Socin, ont sur la discipline & la morale des idées fort différentes : ceux-ci se contentent de dire avec leur chef :

Qu’il n’est pas permis à un chrétien de faire la guerre, ni même d’y aller sous l’autorité & le commandement d’un prince, ni d’employer l’assistance du magistrat pour tirer vengeance d’une injure qu’on a reçue.

Que faire la guerre, c’est toujours mal faire, & agir contre le précepte formel de J. C.

Que J. C. a défendu les sermens qui se font en particulier, quand même ce seroit pour assurer des choses certaines : Socin ajoute pour modifier son opinion, que si les choses étoient de conséquence, on pourroit jurer.

Qu’un chrétien ne peut exercer l’office de magistrat, si dans cet emploi il faut user de violence.

Que les chrétiens ne peuvent donner cet office à qui que ce soit.

Qu’il n’est pas permis aux Chrétiens de défendre leur vie, ni celle des autres par la force même contre les voleurs & les autres ennemis, s’ils peuvent la défendre autrement ; parce qu’il est impossible que Dieu permette qu’un homme véritablement pieux, & qui se confie à lui avec sincérité, se trouve dans ces fâcheuses rencontres où il veuille se conserver aux dépens de la vie du prochain.

Que le meurtre que l’on fait de son aggresseur est un plus grand crime que celui qu’on commet en se vengeant ; car dans la vengeance on ne rend que la pareille ; mais ici, c’est-à-dire, en prévenant son voleur ou son ennemi, on tue un homme qui n’avoit que la volonté de faire peur, afin de voler plus aisément.

Que les ministres, les prédicateurs, les docteurs, & autres, n’ont pas besoin de mission ni de vocation.

Que ces paroles de S. Paul, comment pourront-ils prêcher si on ne les envoye, ne s’entendent pas de toutes sortes de prédications, mais seulement de la prédication d’une nouvelle doctrine, telle qu’étoit celle des apôtres par rapport aux Gentils.

Les Sociniens agissent en conséquence ; car dans leurs assemblées de religion, tous les assistans ont la liberté de parler. Un d’entre eux commence un chapitre de l’Ecriture, & quand il a lu quelques versets qui forment un sens complet, celui qui lit & ceux qui écoutent, disent leur sentiment s’ils le jugent à propos sur ce qui a été lu ; c’est à quoi se réduit tout leur culte extérieur.

Je finis ici l’exposé des opinions théologiques des Unitaires : je n’ai pas le courage de les suivre dans tous les détails où ils sont entrés sur la maniere dont le canon des livres sacrés a été formé ; sur les auteurs qui les ont recueillis ; sur la question s’ils sont véritablement de ceux dont ils portent les noms ; sur la nature des livres apocryphes, & sur le préjudice qu’ils causent à la religion chrétienne ; sur la pauvreté & les équivoques de la langue hébraïque ; sur l’antiquité, l’utilité, & la certitude de la massore ; sur l’infidélité & l’inexactitude de la plûpart des versions de l’Ecriture ; sur les variétés de lecture qui s’y trouvent ; sur la fréquence des hébraïsmes que l’on rencontre dans le nouveau Testament ; sur le style des apôtres ; sur la précaution avec laquelle il faut lire les interpretes & les commentateurs de la Bible ; sur la nécessité de recourir aux originaux pour ne pas leur donner un sens contraire au sujet des écrivains sacrés ; en un mot, sur plusieurs points de critique & de controverse, essentiels à la vérité, mais dont la discussion nous meneroit trop loin. Il me suffit d’avoir donné sur les objets les plus importans de la Théologie, une idée générale de la doctrine des Sociniens, extraite de leurs propres écrits. Rien n’est plus capable, ce me semble, que cette lecture, d’intimider desormais ceux qui se sont éloignés de la communion romaine, & qui refusent de reconnoître un juge infaillible de la foi ; je ne dis pas dans le pape, car ce seroit se déclarer contre les libertés de l’église gallicane, mais dans les conciles généraux présidés par le pape.

Après avoir prouvé par l’exemple des Unitaires la nécessité de recourir à un pareil juge pour décider les matieres de foi, il ne me reste plus pour exécuter le plan que je me suis proposé, qu’à donner un abrégé succint de la philosophie des Sociniens ; on y trouvera de nouvelles preuves des écarts dans lesquels on donne, lorsqu’on veut faire usage de sa raison, & l’on verra que cette maniere de philosopher n’est au fond que l’art de décroire, si l’on peut se servir de ce terme. Entrons présentement en matiere ; & pour exprimer plus nettement les pensées de nos hérétiques, suivons encore la même méthode dont nous avons fait usage dans l’exposé précédent.

Socin & ses sectateurs reconnoissent unanimement un Dieu, c’est-à-dire, un être existant par lui-même, unique, nécessaire, éternel, universel, infini, & qui renferme nécessairement une infinité d’attributs & de propriétés ; mais ils nient en même tems que cette idée nous soit naturelle & innée[7]. Ils prétendent,

Que ce n’est qu’en prenant le mot Dieu dans ce sens étendu, ou pour parler plus clairement, en établissant un système de forces & de propriétés, comme une idée précise & représentative de sa substance, qu’on peut assurer sans crainte de se tromper, que cette proposition il y a un Dieu, a toute l’évidence des premiers principes ;

Que mieux on connoît toute la force des objections métaphysiques & physiques, toutes plus insolubles les unes que les autres, que l’homme abandonné à ses propres réflexions peut faire contre l’existence de Dieu considéré en tant que distinct du monde, & contre la Providence, plus on est convaincu qu’il est absolument impossible que les lumieres naturelles de la raison puissent jamais conduire aucun homme à une ferme & entiere persuasion de ces deux dogmes. Voyez Dieu.

Qu’il semble au contraire qu’elles le conduiroient plutôt à n’admettre d’autre Dieu que la nature universelle, &c.

Qu’il n’est pas moins impossible à quiconque veut raisonner profondément, de s’élever à la connoissance de l’Etre suprème par la contemplation de ses ouvrages.

Que le spectacle de la nature ne prouve rien, puisqu’il n’est à parler avec précision ni beau ni laid.

Qu’il n’y a point dans l’univers un ordre, une harmonie, ni un desordre, & une dissonnance absolus, mais seulement relatifs, & déterminés par la nature de notre existence pure & simple.

Que s’appliquer à la recherche des causes finales des choses naturelles, c’est le fait d’un homme qui établit sa foible intelligence pour la véritable mesure du beau & du bon, de la perfection & de l’imperfection. Voyez Causes finales.

Que les Physiciens qui ont voulu démontrer l’existence & les attributs de Dieu par les œuvres de la création, n’ont jamais fait faire un pas à la science, & n’ont fait au fond que préconiser sans s’en appercevoir leur propre sagesse & leurs petites vûes.

Que ceux qui ont reculé les bornes de l’esprit humain, & perfectionné la philosophie rationnelle, sont ceux qui, appliquant sans cesse le raisonnement à l’expérience, n’ont point fait servir à l’explication de quelques phénomenes l’existence d’un être dont ils n’auroient su que faire un moment après.

Qu’une des plus hautes & des plus profondes idées qui soient jamais entrées dans l’esprit humain, c’est celle de Descartes, qui ne demandoit pour faire un monde comme le nôtre que de la matiere & du mouvement. Voyez Cartésianisme.

Que pour bien raisonner sur l’origine du monde, & sur le commencement de sa formation, il ne faut recourir à Dieu que lorsqu’on a épuisé toute la série des causes méchaniques & matérielles.

Que ces causes satisfont à tout, & n’ont point les inconvéniens de l’autre système ; puisqu’alors on raisonne sur des faits, & non sur des conjectures & des hypothèses.

Que la matiere est éternelle & nécessaire, & renferme nécessairement une infinité d’attributs, tant connus qu’inconnus. Voyez Matiere & Spinosisme.

Que l’homogénéité de ses molécules est une supposition absurde & insoutenable, par laquelle le système de l’univers devient une énigme inexplicable ; ce qui n’arrive pas si, en suivant l’expérience, on considere la mariere comme un aggrégat d’élémens hétérogènes, & par conséquent doués de propriétés différentes.

Que c’est une assertion téméraire de dire avec quelques métaphysiciens que la matiere n’a ni ne peut avoir certaines propriétés, comme si on ne lui en découvroit pas tous les jours de nouvelles qu’on ne lui auroit jamais soupçonnées. Voyez Ame, Pensée, Sensation, Sensibilité, &c.

Que la création du néant est une chose impossible & contradictoire. Voyez Création.

Que le cahos n’a jamais existé, à moins qu’on n’entende par ce mot l’état des molécules de la matiere au moment de leur coordination.

Que rigoureusement parlant, il n’y a point de repos absolu ; mais seulement cessation apparente de mouvement ; puisque la tendance, ou si l’on veut, le nisus, n’est lui-même qu’un mouvement arrêté.

Que dans l’univers la quantité de mouvement reste toujours la même ; ce qui est évident si on prend la somme totale des tendances & des forces vives.

Que l’accélération ou la retardation du mouvement dépend du plus ou moins de résistance des masses, & conséquemment de la nature des corps dans lesquels il est distribué ou communiqué.

Qu’on ne peut rendre raison de l’existence des corps mous, des corps élastiques, & des corps durs, qu’en supposant l’hétérogénéité des particules qui les composent. Voyez Dureté & Élasticité.

Que rien n’est mort dans la nature, mais que tout a une vie qui lui est propre & inhérente.

Que cette vérité si importante par elle-même, & par les conséquences qui en découlent, se trouve démontrée par les expériences que les Physiciens ont faites sur la génération, la composition, & la décomposition des corps organisés, & sur les infusions des plantes.

Que la plus petite partie d’un fluide quelconque, est peuplée de ces corps.

Qu’il en est vraissemblablement de même de tous les végétaux.

Que la découverte du polype, du puceron hermaphrodite, & tant d’autres de cette espece, sont aux yeux de l’observateur autant de clés de la nature, dont il se sert avec plus ou moins d’avantage, selon l’étendue ou la petitesse de ses vues.

Que la division que l’on fait ordinairement de la matiere en matiere vivante, & en matiere morte, est de l’homme & non de la nature.

Qu’il en faut dire autant de celle que l’on fait des animaux en genres, en especes, & en individus.

Qu’il n’y a que des individus.

Que le système universel des êtres ne représente que les différentes affections ou modes d’une matiere hétérogene, éternelle, & nécessaire.

Que toutes ces affections ou coordinations quelconques, sont successives & transitoires.

Que toutes les especes sont dans une vicissitude continuelle, & qu’il n’est pas plus possible de savoir ce qu’elles seront dans deux cens millions d’années, que ce qu’elles étoient il y a un million de siecles.

Que c’est une opinion aussi fausse que peu philosophique, d’admettre sur l’autorité de certaines relations l’extemporanéité de la formation de l’univers, de l’organisation & de l’animation de l’homme, & des autres animaux sensibles & pensans, des plantes, &c.

Que ce monde, ainsi que tous les êtres qui en font partie, ont peut-être été précédés par une infinité d’autres mondes & d’autres êtres qui n’avoient rien de commun avec notre univers & avec nous que la matiere dont les uns & les autres étoient formés ; matiere qui ne périt point, quoiqu’elle change toujours de forme, & qu’elle soit susceptible de toutes les combinaisons possibles.

Que l’univers & tous les êtres qui coéxistent passeront, sans que qui que ce soit puisse conjecturer ce que deviendront tous ces aggrégats, & quelle sera leur organisation.

Que ce qu’il y a de sûr, c’est que, quelle que soit alors la coordination universelle, elle sera toujours belle, & que comme il n’y a personne qui puisse accuser celle qui est passée, il est de même impossible qu’il y ait quelqu’être qui accuse celle qui aura lieu dans la succession de la durée, &c. &c.

Si on demande aux Unitaires quelle idée ils ont de la nature de Dieu, ils ne font nulle difficulté de dire qu’il est corporel & étendu.

Que tout ce qui n’est point corps est un pur néant. Voyez Matérialisme.

Que la spiritualité des substances est une idée qui ne mérite pas d’être réfutée sérieusement.

Que les plus savans peres de l’Eglise ne l’ont jamais connue.

Qu’ils ont tous donné un corps à Dieu, aux anges & aux ames humaines, mais un corps subtil, délié & aérien.

Que l’Ecriture favorise en mille endroits cette opinion.

Que le terme d’incorporel ne se trouve pas même dans toute la bible, ainsi que l’a remarqué Origene.

Que l’idée d’un Dieu corporel est si naturelle à l’homme, qu’il lui est impossible de s’en défaire tant qu’il veut raisonner sans préjugés, & ne pas croire sur parole ce qu’il ne comprend pas, & ce qui confond les idées les plus claires qui soient dans son esprit.

Qu’une substance incorporelle est un être contradictoire.

Que l’immensité & la spiritualité de Dieu sont deux idées qui s’entre-détruisent. Voyez Dieu.

Que l’immatérialisme est un athéisme indirect, & qu’on a fait de Dieu un être spirituel pour n’en rien faire du tout, puisqu’un esprit est un pur être de raison. Voyez Esprit.

Conséquemment à ces principes impies, ils soutiennent que l’homme est un.

Que le supposer composé de deux substances distinctes, c’est multiplier les êtres sans nécessité, puisque c’est employer à la production d’un effet quelconque le concours de plusieurs causes, lorsqu’une seule suffit. Voyez Ame.

Qu’il n’y a aucune différence spécifique entre l’homme & la bête.

Que l’organisation est la seule chose qui les différentie.

Que l’un & l’autre agissent & se meuvent par les mêmes lois.

Qu’après la mort leur sort est égal ; c’est-à-dire, que les élémens de matiere qui les composent se désunissent, se dispersent, & vont se rejoindre à la masse totale pour servir ensuite à la nourriture & à l’organisation d’autres corps. Voyez Immortalité, Animal, Animalité, &c.

Que s’il n’y a rien dans les mouvemens & les actions des bêtes qu’on ne poisse expliquer par les lois de la méchanique, il n’y a de même rien dans les oscillations, les déterminations & les actes de l’homme dont on ne puisse rendre raison par les mêmes lois.

Qu’ainsi ceux qui, à l’exemple de Descartes, ont prétendu que les animaux étoient de pures machines, & qui ont fait tous leurs efforts pour le prouver, ont démontré en même tems que l’homme n’étoit rien autre chose. Voyez Instinct.

Que c’est la conséquence qu’ils laissent tirer à leurs lecteurs, soit qu’ils l’aient fait à dessein, soit qu’ils n’aient pas connu les dépendances inévitables du système qu’ils vouloient établir.

Que la perfectibilité n’est pas même une faculté que nous ayons de plus que les bêtes, puisqu’on voit que leur instinct, leur adresse, & leurs ruses augmentent toujours à-proportion de celles qu’on emploie pour les détruire ou pour les perfectionner.

Que réduire tout ce qui se passe dans l’homme à la seule sensibilité physique, ou à la simple perception, c’est tout un pour les conséquences. Voyez Sensibilité.

Que ces opinions sont toutes deux vraies, & ne different que dans les mots qui les expriment, dont le premier touche de très-près au corps, & le second appartient plus à l’ame. Voyez Perception, Sensation, Idée.

Que point de sens, point d’idées.

Que point de mémoire, point d’idées.

Que la liberté considérée comme le pouvoir de faire ou de ne faire pas est une chimere.

Qu’à la vérité on peut ce qu’on veut, mais qu’on est déterminé invinciblement à vouloir. Voyez Volonté.

En un mot, qu’il n’y a point d’actions libres, proprement dites, mais seulement spontanées. Voyez Liberté.

Si on leur objecte que nous sommes libres d’une liberté d’indifférence, & que le christianismes enseigne que nous avons cette liberté, ils répondent par ce raisonnement emprunté des stoïciens : « La liberté, disent ces philosophes, n’existe pas. Faute de connoître les motifs, de rassembler les circonstances qui nous déterminent à agir d’une certaine maniere, nous nous croyons libres. Peut-on penser que l’homme ait véritablement le pouvoir de se déterminer ? Ne sont-ce pas plutôt les objets extérieurs, combinés de mille façons différentes, qui le poussent & le déterminent ? Sa volonté est-elle une faculté vague & indépendante, qui agisse sans choix & par caprice ? Elle agit, soit en conséquence d’un jugement, d’un acte de l’entendement, qui lui représente que telle chose est plus avantageuse à ses intérêts que toute autre, soit qu’indépendamment de cet acte les circonstances où un homme se trouve, l’inclinent, le forcent à se tourner d’un certain côté : & il se flatte alors qu’il s’y est tourné librement, quoiqu’il n’ait pu vouloir se tourner d’un autre ». &c.

Après avoir ainsi établi une suite de principes aussi singuliers qu’hétérodoxes ; les Unitaires tâchent de prouver qu’ils s’accordent avec les phénomenes, & qu’ils ont de plus l’avantage de donner la solution des problèmes les plus obscurs & les plus compliqués de la métaphysique & de la théologie ; ils passent de-là à la discussion des objections qu’on pourroit leur faire, & après y avoir répondu de leur mieux, ils examinent de nouveau les deux principes qui servent de base à leur système. Ces deux principes sont, comme ou l’a pu voir ci-dessus, la corporéité de Dieu, & l’existence éternelle & nécessaire de la matiere, & de ses propriétés infinies : nos sectaires s’attachent à faire voir, que ces deux propositions une fois admises, toutes les difficultés disparoissent.

Que l’origine du mal physique & mal moral, ce phénomene si difficile à concilier avec les attributs moraux de la divinité, à moins de recourir à l’hypothèse de Manès, cesse dès ce moment d’être une question embarrassante, puisqu’alors l’homme n’a plus personne à accuser, il n’y a ni mal, ni bien absolus, & tout est comme il devoit nécessairement être.

Qu’on sait de même à quoi s’en tenir sur les questions tant de fois agitées, de l’imputation prétendue du péché d’Adam à toute sa postérité ; de la providence & de la prescience de Dieu ; de la nature & de l’immortalité de l’ame ; d’un état futur de récompenses & de peines, &c. &c. &c.

Que l’homme n’a plus à se plaindre de son existence.

Qu’il sait qu’elle est le résultat déterminé & infaillible d’un méchanisme secret & universel.

Qu’à l’égard de la liberté & des évenemens heureux ou malheureux qu’on éprouve pendant la vie, il voit que tout étant lié dans la nature, il n’y a rien de contingent dans les déterminations de nos volontés ; mais que toutes les actions des êtres sensibles, ainsi que tout ce qui arrive dans les deux ordres, a son principe dans un enchaînement immuable, & une coordination fatale de causes & d’effets nécessaires.

En un mot, qu’il y a peu de vérités importantes, soit en philosophie, soit en physique ou en morale, qu’on ne puisse déduire du principe de l’éternité de la matiere & de son coefficient.

« Il est vrai, ajoutent-ils, que pour appliquer cette théorie aux phénomenes du monde matériel & intelligent, & trouver avec cette donnée les inconnues de ces problèmes, il faut joindre à un esprit libre & sans préjugés, une sagacité & une pénétration peu communes : car il s’agit non-seulement de rejetter les erreurs reçues, mais d’appercevoir d’un coup d’œil les rapports & la liaison de la proposition fondamentale avec les conséquences prochaines ou éloignées qui en émanent, & de suppléer ensuite par une espece d’analyse géométrique les idées intermédiaires qui séparent cette même proposition de ses résultats, & qui en font sentir en même tems la connexion ».

Ce qu’on vient de lire suffiroit pour donner une idée générale de la philosophie des Sociniens, si la doctrine de ces sectaires étoit constante & uniforme : mais ils ont cela de commun avec toutes les autres sectes chrétiennes, qu’ils ont varié dans leur croyance & dans leur culte. Ce n’est donc pas là le système philosophique reçu & adopté unanimement par ces hérétiques, mais seulement l’opinion particuliere de plusieurs savans unitaires anciens & modernes.

Observons cependant que ceux de cette secte qui se sont le plus éloignés des principes exposés ci-dessus, n’ont fait seulement que les restreindre, les modifier, & rejetter quelques conséquences qui en découloient immédiatement, soit qu’elles leur parussent trop hardies & trop hétérodoxes, soit qu’ils ne les crussent pas nécessairement inhérentes aux principes qu’ils admettoient : mais s’il m’est permis de dire mon sentiment sur cette matiere délicate, il me semble que le système de ces derniers est bien moins lié, & qu’il est sujet à des difficultés très-fâcheuses.

En effet que gagnent-ils à ne donner à Dieu qu’une étendue bornée ? N’est ce pas supposer que la substance divine est divisible ? C’est donc errer inconséquemment. Ils ne peuvent pas dire qu’une étendue finie soit un être essentiellement simple, & exempt de composition, sous prétexte que ses parties n’étant point actuellement divisées, elles ne sont point véritablement distinctes les unes des autres. Car dès qu’elles n’occupent pas toutes le même lieu, elles ont des relations locales à d’autres corps qui les différentient ; elles sont donc aussi réellement distinctes, indépendantes & désunies, quoiqu’elles ne soient séparées qu’intelligiblement, que si leurs parties étoient à des distances infinies les unes des autres, puisque l’on peut affirmer que l’une n’est pas l’autre, & ne la pénetre pas.

A l’égard de l’origine du mal, que leur sert-il d’ôter à Dieu la prévision des futurs contingens, & de dire qu’il ne connoît l’avenir dans les agens libres que par des conjectures qui peuvent quelquefois le tromper ? Croyent-ils par cette hypothese justifier la providence, & se disculper de l’accusation de faire Dieu auteur du péché ? C’est envain qu’ils s’en flatteroient, car si Dieu n’a pas prévu certainement les événemens qui dépendoient de la liberté de l’homme, il a pu au-moins, comme le remarque une fameux théologien, les deviner par conjecture. « Il a bien soupçonné que les créatures libres se pourroient dérégler par le mauvais usage de leur liberté. Il a dû prendre ses sûretés pour empêcher les desordres. Au-moins il a pu savoir les choses quand il les a vues arrivées. Il n’a pu ignorer quand il a vu Adam tomber & pécher, qu’il alloit faire une race d’hommes méchans. Il a dû employer toutes sortes de moyens pour mettre des digues à cette malice, & pour l’empêcher de se multiplier autant qu’elle a fait. Au-lieu de cela on voit un Dieu qui laisse courir pendant 4000 ans tous les hommes dans leurs voies, qui ne leur envoie ni conducteurs, ni prophètes, & qui les abandonne entierement à l’ignorance, à l’erreur & à l’idolâtrie ; n’exceptant de cela que deux ou trois millions d’ames cachées dans un petit coin de la terre. Les Sociniens pourroient-ils bien répondre à cela & satisfaire parfaitement les incrédules ? »

Je sais bien que les Unitairas dont nous parlons, objectent que la prescience divine détruiroit la liberté de la créature ; voici à-peu-près comment ils raisonnent sur ce sujet. « Si une chose, disent-ils, est contingente en elle-même, & peut aussi-bien n’arriver pas, comme arriver, comment la prévoir avec certitude ? Pour connoître une chose parfaitement, il la faut connoître telle qu’elle est en elle-même ; & si elle est indéterminée par sa propre nature, comment la peut-on regarder comme déterminée, & comme devant arriver ? Ne seroit-ce pas en avoir une fausse idée ? & c’est ce qu’il semble qu’on attribue à Dieu, lorsqu’on dit qu’il prévoit nécessairement une chose, qui en elle-même n’est pas plus déterminée à arriver, qu’à n’arriver pas ».

Ils concluent delà qu’il est impossible que Dieu puisse prévoir les événemens qui dependent des causes libres, parce que s’il les prévoit, ils arriveront nécessairement & infailliblement ; & s’il est infaillible qu’ils arriveront, il n’y a plus de contingence, & par conséquent plus de liberté. Ils poussent les objections sur cette matiere beaucoup plus loin, & prétendent réfuter solidement la réponse de quelques théologiens, qui disent que les choses n’arrivent pas parce que Dieu les a prévues, mais que Dieu les a prévues parce qu’elles arrivent. Voyez Prescience, Contingent, Liberté, Fatalité, &c.

Leur sentiment sur la providence va nous fournir une autre preuve de l’incohérence de leurs principes. Ne pouvant concilier ce dogme avec notre liberté, & avec la haine infinie que Dieu a pour le péché, ils refusent à cet être suprème la providence qui regle & gouverne les choses en détail. Mais il est aisé de voir, pour peu qu’on y réfléchisse, que c’est soumettre toutes les choses humaines aux lois d’un destin nécessitent & irrésistible, & par conséquent introduire le fatalisme. Ainsi s’ils veulent se suivre, ils ne doivent rendre aucune espece de culte à la divinité : leur hypothese rend absolument inutiles les vœux, les prieres, les sacrifices, en un mot, tous les actes intérieurs & extérieurs de religion. Elle détruit même invinciblement la doctrine de l’immortalité de l’ame, &, ce qui en est une suite, celle des peines & des récompenses après la mort ; hypothèses qui ne sont fondées que sur celle d’une providence particuliere & immédiate, & qui s’écroulent avec elle.

Leurs défenseurs répondent à cela, qu’il est impossible d’admettre le dogme d’une providence universelle, sans donner atteinte à l’idée de l’être infiniment parfait. « Concevez-vous, disent-ils, que sous l’empire d’un Dieu tout-puissant, aussi bienfaisant que juste, il puisse y avoir des vases à honneur, & des vases à deshonneur ? Cela ne répugne-t-il pas aux idées que nous avons de l’ordre & de la sagesse ? le bonheur continuel des êtres intelligens ne doit-il pas être le premier des soins de la providence, & l’objet principal de sa bonté infinie ? Pourquoi donc souffrons-nous, & pourquoi y a-t il des méchans ? Examinez tous les systèmes que les théologiens de toutes les communions ont inventés pour répondre aux objections sur l’origine du mal physique & du mal moral, & vous n’en trouverez aucun qui vous satisfasse même à quelques égards. Il en résulte toujours pour quiconque sait juger des choses, que Dieu pouvant empêcher très-facilement que l’homme ne fût criminel ni malheureux, l’a néanmoins laissé tomber dans le crime & dans la misere. Concluons donc qu’il faut nécessairement faire Dieu auteur du péché, ou être fataliste. Or puisqu’il n’y a que ce seul moyen de disculper pleinement la divinité, & d’expliquer les phénomènes, il s’ensuit qu’il n’y a pas à balancer entre ces deux solutions ».

Telles sont en partie, les raisons dont les fauteurs du Socianisme se servent pour justifier l’opinion de nos unitaires sur la providence : raisons qu’ils fortifient du dilemme d’Epicure, & de toutes les objections que l’on peut faire contre le système orthodoxe. Mais nous n’avons pas prétendu nier que ce système n’eût aussi ses difficultés ; tout ce que nous avons voulu prouver, c’est premierement que ces sectaires n’ont point connu les dépendances inévitables du principe sur lequel ils ont bâti toute leur philosophie, puisque l’idée d’une providence quelle qu’elle soit, est incompatible avec la supposition d’une matiere éternelle & nécessaire.

Secondement, qu’en excluant la providence divine de ce qui se passe ici bas, & en restreignant ses opérations seulement aux grandes choses, ces Sociniens ne sont pas moins hétérodoxes que ceux dont ils ont mutilé le système, soit en en altérant les principes, soit en y intercalant plusieurs opinions tout à fait discordantes. J’en ai donné, ce me semble, des preuves sensibles, auxquelles on peut ajouter ce qu’ils disent de l’ame des bêtes.

Ils remarquent d’abord[8] que l’homme est le seul de tous les animaux auquel on puisse attribuer une raison, & une volonté proprement dites, & dont les actions sont réellement susceptibles de mérite & de démérite, de punition & de récompense. Mais s’ils ne donnent point aux bêtes une volonté, ni un franc-arbitre proprement dits ; s’ils ne les font pas capables de la vertu & du vice, ni des peines & des récompenses proprement parlant, ils ne laissent pas de dire que la raison, la liberté & la vertu se trouvent en elles imparfaitement & analogiquement, & qu’elles se rendent dignes de peines & de récompenses en quelque façon. Ce qu’ils prouvent par des passages de[9] la Genese, de l’Exode & du Lévitique, où Dieu ordonne des peines contre les bêtes.

Quelque hardie que soit cette pensée, elle ne tient point au fond de l’hérésie socinienne. En raisonnant conséquemment, les Unitaires dont nous ne sommes que les historiens, devoient dire avec Salomon : « Les hommes meurent comme les bêtes, & leur sort est égal ; comme l’homme meurt, les bêtes meurent aussi. Les uns & les autres respirent de même, & l’homme n’a rien de plus que la bête, tout est soumis à la vanité. Ils s’en vont tous au même lieu, & comme ils ont tous été formés de la terre, ils s’en retournent tous également en terre. Qui sait si l’ame des enfans d’Adam monte en-haut, & si l’ame des bêtes descend en-bas » ? Ecclésiast. c. iij. ℣. 19. & suiv. Cet aveu devoit leur coûter d’autant moins qu’ils soutiennent la mortalité des ames, ou leur dormir jusqu’au jour du jugement, & l’anéantissement de celles des méchans, &c.

Voila ce que j’ai trouvé de plus curieux & de plus digne de l’attention des philosophes, dans les écrits des Unitaires. J’ai tâché de donner à cet extrait analytique toute la clarté dont les matieres qui y sont traitées sont susceptibles ; & je n’ai pas craint de mettre la doctrine de ces sectaires à la portée de tous mes lecteurs ; elle est si impie & si infectée d’hérésie, qu’elle porte sûrement avec elle son antidote & sa réfutation. D’ailleurs j’ai eu soin pour mieux terrasser l’erreur, de renvoyer aux articles de ce Dictionnaire, où toutes les hétérodoxies des Unitaires doivent avoir été solidement réfutées, & où les vérités de la religion, & les dogmes de la véritable église ont pu être éclaircis & mis par nos théologiens dans un si haut degré d’évidence & de certitude, qu’il faudroit se faire illusion pour n’en être pas frappé, & pour n’en pas augurer l’entiere destruction de l’incrédulité. Par le moyen de ces renvois, des esprits foibles, ou qui ne s’étant pas appliqués à sonder les profondeurs de la métaphysique, pourroient se laisser éblouir par des argumens captieux, seront à l’abri des séductions, & auront une regle sûre & infaillible pour juger du vrai & du faux.

Je finirai cet article par une réflexion dont la vérité se fera sentir à tout lecteur intelligent.

La religion catholique, apostolique & romaine est incontestablement la seule bonne, la seule sûre, & la seule vraie ; mais cette religion exige en même tems de ceux qui l’embrassent, la soumission la plus entiere de la raison. Lorsqu’il se trouve dans cette communion un homme d’un esprit inquiet, remuant, & difficile à contenter, il commence d’abord par s’établir juge de la vérité des dogmes qu’on lui propose à croire, & ne trouvant point dans ces objets de sa foi un degré d’évidence que leur nature ne comporte pas, il se fait protestant ; s’appercevant bientôt de l’incohérence des principes qui caractérisent le protestantisme, il cherche dans le socinianisme une solution à ses doutes & à ses difficultés, & il devient socinien : du socinianisme au déïsme il n’y a qu’une nuance très-imperceptible, & un pas à faire, il le fait : mais comme le déïsme n’est lui même, ainsi que nous l’avons déja dit, qu’une religion inconséquente, il se précipite insensiblement dans le pyrrhonisme, état violent & aussi humiliant pour l’amour propre, qu’incompatible avec la nature de l’esprit humain : enfin il finit par tomber dans l’athéïsme, état vraiment cruel, & qui assure à l’homme une malheureuse tranquillité à laquelle on ne peut guere espérer de le voir renoncer.

Au reste quoique le but de l’Encyclopédie ne soit pas de donner l’histoire des hérétiques, mais celle de leurs opinions, nous rapporterons cependant quelques anecdotes historiques sur ce qui concerne la personne & les avantures des principaux chefs des Unitaires. Ces sectaires ont fait trop de bruit dans le monde, & s’y sont rendus trop célebres par la hardiesse de leurs sentimens, pour ne pas faire en leur faveur une exception.

Lélie Socin naquit à Sienne en 1525, & s’étant laissé infecter du poison des nouvelles erreurs que Luther & Calvin répandoient alors comme à l’envi, il quitta sa patrie en 1547, voyagea pendant quatre ans tant en France & en Angleterre que dans les Pays-bas & en Pologne ; s’étant enfin fixé à Zurich, il commença à y répandre les sémences de l’hérésie arienne & photinienne, qu’il vouloit introduire ; & mourut en cette ville à l’âge de 37 ans, l’an 1562, laissant ses écrits à Fauste Socin son neveu.

Celui-ci né à Sienne en 1539, & déja séduit par les lettres de son oncle, sortit de l’Italie pour éviter les poursuites de l’Inquisition, & se hâta de se mettre en possession des écrits de Lélius, qu’il négligea pourtant après les avoir recueillis ; étant repassé en Italie, où il demeura douze ans à la cour du duc de Florence, mais l’ayant quitté tout-à-coup, il se retira à Bâle où il s’appliqua à l’étude, revit les ouvrages de son oncle, & y composa en 1578, son livre de Jesu Christo servatore, qui ne fut pourtant imprimé qu’en 1595. De Suisse il fut appellé par George Blaudrata, autre anti-trinitaire, en Transilvanie, où il eut des disputes fort vives avec François David, hérésiarque encore plus décidé que Socin & Blaudrata, contre la divinité de Jesus-Christ. De-là il passa en Pologne, où les nouveaux ariens étoient en grand nombre, & souhaita d’entrer dans la communion des Unitaires ; mais comme il différoit d’eux sur quelques points, & qu’il ne vouloit pas garder le silence, on le rejetta assez durement : il ne laissa pas d’écrire en leur faveur contre ceux qui les attaquoient, & vit enfin ses sentimens approuvés par plusieurs ministres ; mais il éprouva de la part des catholiques des persécutions fort cruelles ; pour s’en délivrer il se retira à un petit village éloigné d’environ neuf milles de Cracovie. Ce fut là que suivi d’un assez petit nombre de disciples, & protégé par quelques grands seigneurs, il employa vingt-cinq ans à composer un grand nombre de petits traités, d’opuscules, de remarques, de relations de ses différentes disputes, &c. imprimés en différens tems, soit de son vivant, soit après sa mort, & qu’on trouve recueillis en deux tomes in-fol. à la tête de la bibliotheque des freres Polonois.

Ce patriarche des Unitaires mourut en 1604. « Sa secte, comme le dit très-bien Bayle, bien-loin de mourir avec lui, se multiplia dans la suite considérablement ; mais depuis qu’elle fut chassée de Pologne, l’an 1658, elle est fort déchue & fort diminuée quant à son état visible : car d’ailleurs, il n’y a guere de gens qui ne soient persuadés qu’elle s’est multipliée invisiblement, & qu’elle devient plus nombreuse de jour en jour : & l’on croit qu’en l’état où sont les choses, l’Europe s’étonneroit de se trouver socinienne dans peu de tems, si de puissans princes embrassoient publiquement cette hérésie, ou si seulement ils donnoient ordre que la profession en fût déchargée de tous les desavantages temporels qui l’accompagnent ». Voyez notre introduction à la tête de cet article.

Ce qu’il y a de sûr c’est que les Unitaires étoient autrefois fort répandus en Pologne ; mais en ayant été chassés par un arrêt public de la diete générale du royaume, ils se réfugierent en Prusse, & dans la marche de Brandebourg, quelques-uns passerent en Angleterre, & d’autres en Hollande, où ils sont tolérés, & où l’on débite publiquement leurs livres, quoi qu’en dise Bayle.

Outre les deux Socins, leurs principaux écrivains sont Crellius, Smalcius, Volkélius, Schlitingius, le chevalier Lubinietzki, &c. On soupçonne aussi avec beaucoup de raison, Episcopius, Limborg, de Courcelles, Grotius, Jean le Clerc, Locke, Clarke & plusieurs autres modernes, d’avoir adopté leurs principes sur la divinité du Verbe, l’incarnation, la satisfaction de Jesus-Christ, &c. & sur quelques autres points de théologie & de philosophie. Voyez la bibliotheque des anti-trinitaires ; Crellius, de uno Deo patre, de Deo & attributis, &c. Volkelius, de verâ religione ; Micraelii, hist. eccles. Natalis Alexander, hist. ecclés. ad sec. xvj. Hoornbeeck, in apparatu ad controvers. socinianas ; le cathéchisme de Racovie, & les ouvrages des Unitaires modernes, d’où cet article a été tiré en partie. Article de M. Naigeon..


  1. Voyez le livre d’Episcopius contre Guillaume Bom, prêtre catholique romain.
  2. Le hasard m’a fait découvrir que c’est de Thomas Burnet dont il est ici question ; car en lisant un de ses ouvrages, j’y ai trouvé le passage cité ici par les Sociniens. Neque Deo, neque homini prodesse potest cruciatus indefiniens & sine exitu ; non utique homini si nullus locus sit respiscentiæ, meliorescere possit panitus, si nulla intermissio, aut levamen ad respirandum paulisper, & deliberandum de anime & sorte mutandis. Thom. Burnet de stat. mortuor. & resurg. cap. xi. p. 240.
  3. Je ne sai point quel est l’auteur que les Sociniens ont ici en vue.
  4. C’est ce que les Sociniens disent expressément dans les actes de la conference de Racovie.
  5. Voyez Thomas Burnet, docteur en. Théologie, & maître de la chartreuse de Londres, dans son traité de statu mortuorum & resurgentium, cap. 9. p. 168 & seq.
  6. Voyez Justin, martyr. dial. cum Tryphon. & Tertullien, adv. Prax. cap. 16.
  7. Voyez Socin, prælectionum theologicarum, cap. ij. p. 5370 col. 2. tom. I. & alibi. Voyez aussi Crellius, de Deo & attributis, & sur-tout les Sociniens modernes.
  8. Voyez Crellius, Ethicæ christianæ, Lib II. cap. j. pag. 65. 66.
  9. Voyez la Genèse ch. ix. v. 5. Exod. xij. v. 28. Levitique xx. v. 15. 16. & notez ces paroles de Franzius. Quari autem posset an non ponenda sit rationalis anima in brutis… cum, Genes. 9. 5. Deus ipse velit vindicare sanguinem hominis in brutis sequando effuderunt sanguinem humanum, hist. animal. sacra, part. I. cap. ij. p. 16.