L’Heidenmauer/Chapitre XXVIII

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Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 12p. 345-353).

CHAPITRE XXVIII.


Gardez-vous de juger, nous sommes tous pêcheurs !
ShakspeareLe roi Henri VI.



Parmi les expiations prescrites aux pèlerins de Duerckheim et d’Hartenbourg, on avait spécifié une espèce de service matinal : c’était celui où ils étaient appelés. Il avait été accordé aux plus faibles un temps de repos nécessaire, et les plus robustes s’étaient occupés de la manière que nous venons de décrire. On admettait comme certain que plusieurs pénitences personnelles avaient été accomplies à différentes époques pendant le long voyage.

Une heure après que les convives eurent quitté la table de l’abbé, une procession de bénédictins traversait les cloîtres et entrait dans l’intérieur de l’église. Quoique la communauté d’Einsiedlen ne fût pas remarquable par son austérité, cependant il n’était pas extraordinaire que les moines de tous les ordres quittassent leurs cellules dans certaines occasions, et interrompissent la tranquillité de la nuit par leurs chants et le service divin. Lorsque les sens viennent d’être rafraîchis par le sommeil, et que l’esprit, se trouvant dans une situation convenable à la prière, est transporté ainsi en la présence immédiate de la Divinité, l’encens doit être plus pur, et la louange dégagée de tous sentiments humains ; elle doit participer à cette pureté qui distingue l’adoration des anges, bien plus qu’aucune autre prière qui sort de la bouche des hommes, puisque c’est dans un tel moment qu’on ressent le moins le fardeau des liens corporels.

Jusque dans l’observance journalière de leurs devoirs de paroisse, les bons catholiques obéissent avec une rigidité de pratique inconnue même dans les pays d’origine puritaine. On entend la cloche dans chaque village aux premières lueurs du jour ; à des heures indiquées, tous ceux qui l’entendent sont avertis de rentrer en eux-mêmes, de chasser les pensées terrestres et de s’adresser à Dieu. À la chute du jour, les fidèles sont de nouveau appelés à l’office de vêpres. Ce sont de beaux et touchants souvenirs de nos devoirs, et lorsqu’on les pratique avec sincérité, ils ne peuvent manquer d’entretenir l’esprit dans une soumission convenable au grand pouvoir qui dirige toutes nos destinées. Dans les pays où les laboureurs sont réunis dans les villages, cette pratique est facile. Il n’en peut être ainsi en Amérique, et nous l’attribuons au grand désavantage de la distribution éparse de notre population rurale ; c’est aussi par la même raison que nous manquerons à jamais de ces communications sociales qui donnent à la vie plus ou moins de ses charmes poétiques. Heureusement il y a d’un autre côté des compensations plus que suffisantes de ces désavantages, ainsi que des autres anomalies de nos usages.

La distribution d’une église de bénédictins, les décorations de ses autels, la manière dont les moines occupent leurs stalles dans le chœur, ont été trop souvent mentionnées dans ces pages pour qu’une description nouvelle soit nécessaire. Depuis longtemps habitués à ces exercices, les moines se rendirent promptement dans leurs stalles, quoique ceux pour qui le saint sacrifice était offert ne fussent pas aussi exacts.

Ulrike, Lottchen et les autres femmes entrèrent en corps dans toutes les matières qui touchent les sentiments spirituels, arrivèrent les derniers. Emich et le bourgmestre firent enfin leur entrée, suivis de leurs compagnons, trahissant tous, par leur air endormi, qu’ils avaient cherché à remédier, par le sommeil, aux effets du dernier repas, et à se reposer de leurs fatigues.

Pendant la messe, les compagnes de Lottchen et d’Ulrike montrèrent une dévotion exemplaire et une grande attention au service ; mais les bâillements du comte et ceux de sa troupe, les yeux errants de côté et d’autre, et finalement le profond sommeil de plusieurs, prouvaient assez que la partie éthérée de leur nature était dominée par la partie matérielle.

Il y eut une procession du chœur à la chasse, et l’on y récita des prières comme le jour précédent, les yeux fixés sur le visage de Marie, qui n’avait rien de terrestre. Comme chacun était libre de pratiquer à sa manière ses devoirs particuliers, il y avait une grande différence dans le temps employé à les accomplir. Les femmes paraissaient faire partie de la pierre sur laquelle elles étaient agenouillées, et il y avait des instants pendant lesquels leurs corps, sans mouvement, eussent paru aussi inanimés que l’image qu’elles imploraient, sans les profonds soupirs qui s’échappaient quelquefois de leur poitrine, ou un frisson qui parcourait tous leurs membres, signe visible d’un chagrin intérieur. Meta était à genoux entre sa mère et Lottchen ; son âme paraissait absorbée dans la dévotion ; ses regards étaient attachés sur l’œil animé qui brillait dans les profondeurs de la chapelle mystérieuse, éclairée par des lampes splendides et bien disposées ; son imagination transformait l’image en une sainte réelle et bénie par le choix de Dieu, et son esprit s’attachait à cette illusion comme un malheureux cherche à distraire sa douleur. Elle songeait à l’avenir et à la tombe, aux récompenses qui attendent le juste dans le ciel, à cette éternité sans fin dans laquelle elle avait foi ; et les liens de la terre se détachaient peu à peu. Elle éprouvait un saint désir de goûter ce repos ; mais, malgré la nature religieuse de cette occupation, Berchthold, dans son habit vert de forestier, avec son air riant, son pas léger, sa voix joyeuse, se mêlait à tous les tableaux de son imagination. Quelquefois il lui apparaissait comme un saint, couvert d’une robe flottante, et barbu, car c’était ainsi qu’elle avait l’habitude de voir les saints hommes représentés dans les ouvrages de l’art ; et cependant, par une contradiction qui prenait naissance dans son cœur, elle le voyait toujours jeune et beau ; alors elle lui donnait des ailes, et l’unissait aux anges qui semblaient voltiger au-dessus du chœur, et dont un si grand nombre étaient suspendus entre les voûtes et le pavé de l’édifice. Quoique cela puisse paraître singulier à quelques-uns de nos lecteurs, son imagination était si pleine de ces illusions, que cette pauvre et tendre jeune fille avait rarement passé une heure aussi heureuse que celle qui s’écoula pour elle dans cette sainte joie au pied de la châsse de Notre-Dame-des-Ermites.

Les sensations de Lottchen étaient bien différentes ; son chagrin était de ceux auxquels l’imagination n’a point de part. Elle pleurait l’enfant auquel elle avait donné le jour, et qui était l’appui de sa vieillesse et l’orgueil de sa vie. Aucune illusion ne pouvait égarer l’imagination d’une mère, ni aucun travail de l’esprit ne pouvait changer la triste réalité en autre chose qu’une vérité amère. Cependant Lottchen trouvait de la consolation dans ses prières. La foi religieuse était active en elle, bien que l’imagination sommeillât ; car rien ne pouvait être plus différent que les illusions de l’une et les profondes convictions de l’autre, et il lui était possible de trouver des consolations à son chagrin en se reportant, avec une calme et chrétienne espérance, au-delà des intérêts de la vie.

Les sentiments et les émotions d’Ulrike ne différaient de ceux de son amie que dans leur degré d’énergie et dans cette circonstance que toute sa sollicitude maternelle était dirigée sur un objet vivant. Mais Ulrike, bonne, sincère et d’une grande sensibilité, éprouvait une vive douleur de la mort de Berchthold ; n’eût-il été que l’enfant de Lottchen, elle n’aurait pu être indifférente pour lui ; mais habituée, comme elle l’était depuis des années, à songer à son union avec Meta, elle ressentait sa perte presque autant que s’il eût été son propre fils.

Il n’en était pas ainsi d’Heinrich. Le secours qu’il avait reçu de Berchthold pendant l’assaut avait gagné son estime, car la sympathie que les braves éprouvent les uns pour les autres est des plus fortes. Mais le bourgmestre ne s’était pas complu toute sa vie dans l’amour des biens de ce monde pour renoncer subitement à cette passion incurable, grâces à la seule impulsion d’un sentiment généreux. Il eût volontiers donné une faible part de ces biens si chéris au jeune homme, mais lui accorder Meta était à ses yeux lui abandonner le tout ; et, pour nous servir d’une comparaison en harmonie avec ses idées habituelles, il lui semblait que c’était prêter de l’or sans intérêts que de donner Meta à un mari sans fortune. Il y a des hommes qui accumulent pour des avantages accidentels à la richesse, d’autres amassent poussés par l’aiguillon d’une passion abstraite et presque inexplicable, tandis que d’autres encore entassent des monceaux les uns sur les autres, absolument comme les enfants font des boules de neige ; et leur jouissance consiste à admirer la masse énorme qui s’est réunie par leurs soins. Heinrich appartenait à cette dernière classe ; il n’en avait pas moins de goût pour les résultats généraux de la richesse : semblable aux hommes qui considèrent l’argent comme une fin et non comme un moyen, il avait formé le plan de doubler la masse de ses capitaux par le mariage de sa fille, et il regardait la réussite de ce projet comme le coup le plus heureux et le plus grand d’une existence fortunée. Cependant Heinrich Frey avait ses moments où il était naturellement sensible, et la douleur qu’éprouvait Meta de la mort de Berchthold le touchait au point qu’il aurait été porté à dire qu’il regrettait le sort de son jeune lieutenant autant pour elle que pour lui. Il est plus que probable néanmoins que si Berchthold avait pu subitement être rendu à la vie, le bourgmestre serait revenu à sa première manière de penser, et aurait trouvé que la résurrection du jeune forestier suffisait seule pour consoler toute la famille.

Heinrich et le comte furent des premiers à quitter leur attitude de suppliants devant la châsse. Ils avaient répété l’un et l’autre le nombre de prières exigées, et, essuyant leurs genoux, les deux pèlerins s’éloignèrent et s’enfoncèrent sous les ailes de l’église comme des hommes très-satisfaits d’eux-mêmes. Mais en même temps qu’il était si prompt à donner du repos à ses membres, le bourgmestre arrêtait un œil vigilant sur Dietrich, qui, étant un pénitent payé, devait, selon lui, en donner à Duerckheim pour son argent en fait de mortifications et d’Ave. Presque toutes les lumières du chœur avaient été éteintes, et les ailes de l’édifice n’étaient visibles qu’à la lueur de quelques bougies éparses qui brûlaient presque constamment devant les autels de différentes petites chapelles. En se dirigeant vers la nef, Emich posa lentement la main sur l’épaule de son compagnon, semblant l’inviter par la gravité de son geste à lui prêter toute son attention.

— Je voudrais de tout mon cœur, dit le comte, obtenir de ces serviteurs de Notre-Dame-des-Ermites des messes pour l’âme de notre pauvre Berchthold. Si les prières ont quelque pouvoir, il me semble que c’est parmi des hommes qui possèdent un trésor comme cette châsse dont on raconte tant de miracles.

— Votre vœu, noble frère pèlerin et ami, est aussi le mien ; pour avouer la vérité, je n’ai guère pensé à autre chose pendant que je débitais mes Ave, qu’à trouver les moyens de persuader le saint abbé, moyennant un prix raisonnable, de changer ses opinions, afin que l’âme du jeune homme profite de ses prières.

— Tu ne t’es pas trop occupé, l’ami Heinrich, de ce que tu as à faire ici, à ce qu’il paraît !

Saperment ! qu’attendez-vous donc, seigneur Emich, d’un homme de mon âge et de mon état ? À force de répéter les mots, on finit par les savoir par cœur ; et lorsque je dis mon chapelet, mes doigts roulent simplement sur les grains et mes yeux sont occupés ailleurs. Mais pour revenir au jeune homme, si nous payions davantage pour les messes, cela élèverait le prix courant et nous y perdrions inutilement ; car, si je comprends bien la question, la somme donnée ne change en rien la véritable valeur des prières à l’égard du défunt.

— Heinrich, répondit le comte d’un air pensif, on dit que le frère Luther dénonce ces prières post mortem, comme n’ayant aucune utilité.

— Cela changerait grandement la question, seigneur comte et frère pèlerin. On voudrait être certain dans une affaire si délicate ; car si la raison est du côté du moine de Wittemherg, nous perdons notre or ; et, s’il a tort, l’âme de Berchthold ne se trouvera pas mieux de nos doutes !

— Nous autres laïques, nous sommes cruellement tourmentés entre ces deux opinions, digne bourgmestre, et je désire que ces réformateurs amènent la question à une conclusion quelconque le plus promptement possible. Par la messe ! il y a des moments où je suis prêt à jeter le rosaire et à me mettre du côté du duc Frédéric de Saxe, comme étant le parti le plus raisonnable et le plus digne d’un homme ; mais, cependant, s’il avait tort : tu sais, Heinrich, que nous perdrions le profit de l’élection des chapelles que nous avons promises, des Ave que nous avons dits, de l’or que nous avons payé, et la protection de Rome ! Tu vois le malheur du pauvre Berchthold, pour quelques paroles dites légèrement.

Heinrich soupira, car il sentait la force de ce dilemme, et il réfléchit avant de parler, comme un homme qui sent qu’il va exprimer des sentiments dangereux dans une situation délicate ; il répondit à voix basse :

— Seigneur Emich ! nous ne sommes que poussière, et encore pas d’une très bonne qualité. La poterie a son utilité lorsqu’elle est bien cuite et bien préparée, mais de quelle utilité est l’homme lorsque le souffle l’a abandonné ? On dit que l’âme reste, et qu’il faut en prendre soin ; je ne veux point disputer là-dessus, mais est-il raisonnable d’acheter une patente de salut avec la monnaie courante pour une chose qui, par sa nature impalpable, échappe à nos sens ? Regardez ce coquin de forgeron, pardon de l’expression, noble comte, mais notre ville a loué ce fripon pour faire pénitence en faveur de ses habitats, et mes yeux ne s’éloignent pas plus tôt de sa personne, que ses lèvres deviennent aussi stationnaires que deux ailes de moulin pendant un calme plat. Mes devoirs envers Duerckheim demandent que j’aille le ranimer, après quoi, avec votre permission, je reviendrai pénétrer plus avant dans la philosophie qui nous occupe en ce moment.

Après avoir prononcé ces mots, Heinrich se hâta d’aller rejoindre son pénitent de louage avec un zèle fort louable pour les intérêts de ses concitoyens. Il trouva le forgeron dans une immobilité parfaite, et ce ne fut que par des secousses vigoureuses et répétées qu’il parvint à tirer d’un profond sommeil son auxiliaire salarié.

Pendant ce temps Emich se promenait, toujours occupé de ses réflexions. En atteignant la grille du chœur il allait retourner sur ses pas, lorsque quelqu’un qui parut à une des portes de côté de l’église lui fit signe de s’approcher. Emich obéit, et trouva son ancien rival, Boniface, qui l’attendait.

Le salut que se firent ces deux ennemis fut poli, mais échangé avec une certaine retenue. Néanmoins, après un court entretien ils se retirèrent ensemble, et ce ne fut qu’à la chute du jour que le comte d’Hartenbourg reparut parmi les pèlerins. Les détails de ce qui se passa dans cette secrète entrevue ne furent jamais connus du public, bien que les événements qui eurent lieu dans la suite donnèrent à penser qu’elle eut rapport à l’arrangement final de l’existence, longtemps contestée, du monastère dans le Jaegerthal. On sut, dans le couvent d’Einsiedlen, que l’abbé Rudiger avait fait partie du conseil, qui se termina à l’amiable. Ceux qui étaient disposés à la censure dirent, quelque temps après, que dans cette dispute, comme dans toutes celles où les faibles et les humbles se prêtent aux vues des forts et des puissants, ceux par qui la bataille fut livrée, et dont l’inimitié implacable avait semé la discorde parmi leurs serviteurs, trouvèrent subitement les moyens d’apaiser leur colère, et de calmer la tempête qu’ils avaient soulevée, de manière à en faire retomber presque toutes les conséquences sur la tête de leurs alliés. Ce résultat, qui paraît être universel pour tous ceux qui ont l’imprudence de se lier d’une manière indissoluble avec des amis qui peuvent disposer de leur destinée, devait être prévu ; puisque l’homme ou la communauté qui est assez faible pour se confier avec trop d’abandon à la bonne foi du puissant, soit que nous considérions ici les individus ou les nations, doit se regarder comme un instrument propre à favoriser des vues qui ont peu de rapports avec ses propres intérêts. Dans les cas de cette nature, les hommes partagent le sort de l’orange, qu’on jette au loin après en avoir exprimé le jus ; et les sociétés elles-mêmes sont sujettes à subir les changements qui marquent l’existence du coursier ; d’abord choyé et caressé, on le conduit ensuite au brancard, puis il termine sa carrière à la charrue.

Pendant qu’Emich et Boniface concluaient leur traité secret d’une manière aussi avantageuse que le second pouvait l’espérer, vu l’état de l’Allemagne, et à l’entière satisfaction du premier, les cérémonies expiatoires suivaient leur cours. Tiré de son sommeil, Dietrich essaya de compenser le temps perdu par une nouvelle ardeur, et le bourgmestre lui-même, craignant que la négligence du mercenaire n’attirât quelque calamité sur la ville, se joignit à lui comme s’il n’avait encore rien fait pour accomplir le but de leur pèlerinage.

Le soleil s’était retiré vers l’occident, lorsque les pèlerins songèrent à retourner dans le Palatinat : le père Arnolph était encore à leur tête. Bénie par l’abbé, et en grande faveur auprès de l’Église, toute la troupe se mit en route, sinon avec le cœur plus léger, du moins avec le corps reposé, les espérances ranimées, et des sacs beaucoup moins lourds.

Ulrike et Lottchen s’arrêtèrent lorsqu’elles atteignirent les limites de la plaine d’où elles pouvaient avoir la vue d’une partie de l’abbaye. La, ainsi que Meta, et la plus grande partie des pèlerins, elles prièrent longtemps avec ardeur, ou du moins semblèrent prier. Lorsqu’elles se levèrent, le prieur, qui pendant tout le temps passé au couvent avait été profondément occupé par des exercices religieux, et dont l’esprit s’était reposé à un degré proportionné à la sincérité de sa foi, vint près du principal groupe de femmes, avec des regards remplis d’une sainte espérance, et un visage sur lequel on pouvait lire la paix de son cœur.

— Mes filles, dit-il, nous sommes sur le point de prendre congé à jamais de la châsse de Notre-Dame-des-Ermites. Si vous n’avez point trouvé ce soulagement que les âmes pieuses espèrent de cet autel sacré, attribuez-le à cette fragilité qui est inhérente à la nature humaine ; et si vous avez obtenu des consolations et de l’encouragement par vos offrandes et vos prières, vous pouvez en toute sécurité l’imputer à la bonté de Dieu. Et toi, mon enfant, ajouta-t-il avec une tendresse paternelle en s’adressant à Meta, tu as été péniblement éprouvée dans ta jeune existence. Mais Dieu est avec toi, comme il est dans ce nuage bleu, dans ce soleil d’or, dans cette masse glacée qui est là-bas s’élevant jusqu’au ciel, dans tous ses ouvrages qui sont si brillants à nos faibles regards ! Tourne-toi avec moi vers cette montagne qui, à cause de sa forme, est appelée la Mitre. Regarde bien ; ne vois-tu rien de particulier ?

— C’est une masse de rochers sauvages, mon père, répondit Meta.

— Ne vois-tu rien de plus sur le sommet ?

Meta regarda attentivement, car il paraissait sur le pic le plus élevé un objet si petit et si semblable à une ligne tracée à l’horizon, que d’abord elle passa la main sur ses yeux, pensant que c’était un cheveu qui était devant sa vue.

— Mon père, s’écria enfin la jeune fille en joignant les mains avec ferveur, je vois une croix !

— Ce rocher est le symbole de la justice éternelle de Dieu, ma fille ; cette croix, le gage de ses faveurs et de son amour. Va, mon enfant, et conserve l’espérance.

Les pèlerins se retournèrent et descendirent la montagne dans un silence contemplatif. Dès cette soirée ils traversèrent le lac, et couchèrent dans l’ancienne et romantique ville de Rapperschwyl. Le jour suivant, le pèlerinage étant heureusement accompli, ils se dirigèrent vers leur habitation lointaine en descendant le Rhin en bateau.