L’Heptaméron des nouvelles/41
QUARANTE ET UNIESME NOUVELLE
’année que Madame Marguerite d’Autriche
vint à Cambray de la part de
l’Empereur, son nepveu, pour traicter
la paix entre luy & le Roy très Crestien,
de la part duquel se trouva sa mère Madame Loïse
de Savoye ; & estoyt en la compaignye de ladicte
Dame Marguerite la Contesse d’Aiguemont, qui
emporta en ceste compaignye le bruict d’estre la
plus belle de toutes les Flamandes.
Au retour de ceste grande assemblée, s’en retourna la Contesse d’Aiguemont en sa maison &, le temps des Adventz venu, envoya en ung Couvent de Cordeliers demander ung Prescheur suffisant & homme de bien, tant pour prescher que pour confesser elle & toute sa maison. Le Gardien sercha le plus cru digne qu’il eût de faire tel office, pour les grands biens qu’ilz recepvoient de la Maison d’Aiguemont & de celle de Fiennes, dont elle estoyt.
Comme ceulx qui sur tous autres Religieux desiroient gaingner la bonne estime & amityé des grandes Maisons, envoyèrent ung Prédicateur le plus apparent de leur Couvent, lequel tout le long des Adventz feit très bien son debvoir & avoyt la Contesse grand contentement de luy.
La nuyct de Noël, que la Contesse vouloit recepvoir son Créateur, feyt venir son Confesseur &, après s’estre confessée en une chappelle bien fermée, laissa le lieu à sa Dame d’honneur, laquelle, après soy estre confessée, envoya sa fille passer par les mains de ce bon Confesseur. Et, après qu’elle eut tout dict ce qu’elle sçavoyt, congneut le beau Père quelque chose de son secret, qui luy donna envye & hardiesse de luy bailler une pénitence non accoustumée, & luy dist :
« Ma fille, voz péchez sont si grandz que pour y satisfaire je vous baille en pénitence de porter ma corde sur vostre chair toute nue. »
La fille, qui ne luy vouloyt désobéyr, luy dist :
« Baillez la moy, mon Père, & je ne fauldray de la porter.
— Ma fille, » dist le beau Père, « il ne seroyt pas bon de vostre main. Il fault que les myennes propres, dont vous debvez avoir l’absolution, la vous ayent premièrement seincte ; puis après vous serez absoulte de tous voz péchez. »
La fille en pleurant respond qu’elle n’en feroit rien.
« Comment ? » dist le Confesseur. « Estes vous une héréticque, qui refusez les pénitences selon que Dieu & nostre mère saincte Eglise l’ont ordonné ?
— Je use de la confession, » dist la fille, « comme l’Eglise le commande, & veulx bien recepvoir l’absolution & faire la pénitence, mais je ne veulx poinct que vous y mectiez les mains ; car en ceste sorte je refuse vostre pénitence.
— Par ainsy, » dist le Confesseur, « ne vous puis je donner l’absolution. »
La Damoiselle se leva de devant luy, ayant la conscience bien troublée, car elle estoyt si jeune qu’elle avoyt paour d’avoir failli au refuz qu’elle avoyt faict au beau Père.
Quant ce vint après la messe que la Contesse d’Aiguemont reçut le corpus Domini, la Dame d’honneur, voulant aller après, demanda à sa fille si elle estoit preste. La fille en pleurant dist qu’elle n’estoit poinct confessée :
« Et qu’avez vous tant faict avecq ce Prescheur ? » dist la mère.
— Rien, dist la fille, « car, refusant la pénitence qu’il m’a baillée, m’a refusé aussi l’absolution. »
La mère s’enquist saigement & congneut l’estrange façon de pénitence que le beau Père vouloit donner à sa fille &, après l’avoir faict confesser à ung aultre, reçeurent toutes ensemble. Et, retournée la Contesse de l’église, la Dame d’honneur luy feit la plaincte du Prescheur, dont elle fut bien marrie & estonnée, veue la bonne oppinion qu’elle avoyt de luy, mais son courroux ne la peult garder qu’elle n’eût bien envie de rire, vu la nouveleté de la pénitence.
Si est ce que le rire n’empescha pas aussy qu’elle ne le feit prendre & battre en sa cuisine, où à force de verges il confessa la verité, & après elle l’envoya piedz & mains liez à son Gardien, le priant que une aultre fois il baillast commission à plus gens de bien de prescher la parolle de Dieu.
« Regardez, mes Dames, si en une maison si honnorable ilz n’ont poinct de paour de déclairer leurs follies, qu’ilz peuvent faire aux pauvres lieux où ordinairement ilz vont faire leurs questes, où les occasions leur sont presentées si facilles que c’est miracle quant ils eschappent sans scandalle, qui me faict vous prier, mes Dames, de tourner vostre mauvaise estime en compassion, & pensez que celluy qui aveugle les Cordeliers n’espargne pas les Dames quant il le trouve à propos.
— Vrayement, » dist Oisille, « voylà ung bien meschant Cordelier. Estre Religieux, Prestre & Prédicateur, & user de telle villenye, au jour de Noël, en l’église & soubz le manteau de confession, qui sont toutes circonstances qui aggravent le péché.
— Il semble à vous oyr parler, » dist Hircan, « que les Cordeliers doibvent estre Anges ou plus saiges que les aultres ? Mais vous en avez tant oy d’exemples que vous les debvez penser beaucoup pires, & il me semble que cestuy cy est bien à excuser, se trouvant tout seul de nuyct enfermé avecq une belle fille.
— Voyre, » dist Oisille, « mais c’estoyt la nuyct de Noël.
— Et voylà qui augmente son excuse, » dist Simontault, « car, tenant la place de Joseph auprès d’une belle vierge, il voulloyt essayer à faire ung petit enfant pour jouer au vif le mistère de la Nativité.
— Vrayement, » dist Parlamente, « s’il eust pensé à Joseph & à la Vierge Marie, il n’eut pas eu la volunté si meschante. Toutesfois c’estoyt ung homme de mauvais vouloir, veu que pour si peu d’occasion il faisoyt une si meschante entreprinse.
— Il me semble, » dist Oisille, « que la Contesse en feyt si bonne punition que ses compaignons y povoient prendre exemple.
— Mais assavoir mon, » dist Nomerfide, « si elle fit bien de scandaliser ainsy son prochain & s’il eut pas myeulx vallu qu’elle luy eust remonstré ses faultes doulcement que de divulguer ainsy son prochain.
— Je croy, » dist Geburon, « que ce eust esté bien faict, car il est commandé de corriger nostre prochain entre nous & luy avant que le dire à personne ny à l’église. Aussy, depuis que ung homme est eshonté, à grand peyne jamais se peult il amender parce que la honte retire autant de gens de péché que la conscience.
— Je croy, » dist Parlamente, « que envers chacun se doibt user le conseil de l’Evangille sinon envers ceulx qui la preschent & font le contraire, car il ne fault poinct craindre à scandalizer ceulx qui scandalizent tout le monde, & me semble que c’est grand mérite de les faire congnoistre telz qu’ilz sont, afin que nous ne prenons pas ung doublet pour ung bon rubis. Mais à qui donnera Saffredent sa voix ?
— Puisque vous le demandez, ce sera à vous mesmes », dist Saffredent, « à qui nul d’entendement ne la doibt refuser.
— Or, puisque vous me la donnez, je vous en voys compter une dont je puis servir de tesmoing, & j’ay toujours oy dire que, tant plus la vertu est en ung subject débille & foible assailly de son très fort & puissant contraire, c’est à l’heure qu’elle est plus louable & se monstre mieulx telle qu’elle est ; car, si le fort se défend du fort, ce n’est chose esmerveillable, mais, si le foible en a victoire, il en a gloire de tout le monde. Pour congnoistre les personnes dont je veulx parler, il me semble que je feroys tort à la vertu, que j’ay veu cachée soubz ung si pauvre vestement que nul n’en tenoyt compte, si je ne parlois de celle par laquelle ont esté faictz des actes si honnestes, qui me contrainct le vous racompter :