L’Heptaméron des nouvelles/Tome IV/06

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POÉSIES INÉDITES

Extraites du manuscrit de la Bibliothèque de l’Arsenal
B. L. F., no 100 (no 5112 nouveau).

Non sans avoir maintes foys esprouvé
Par trop d’ennuys quel bien d’espérer vient,
Espéré n’ay en vous, que j’ay trouvé
Le seul espoir qui ma vie soustient ;
Mais, après tant que comme moy sçavez,
Qui m’ont donné pis que mort, je le pense,
L’amour, qu’à moy avez eu & avez,
Résusciter m’a faict en espérance.

Doncques, estant ma consolation
Qui d’espérer m’avez donné confort,
Nommer vous puis ma résurrection,
Puisque je tiens mes ennuys une mort,
Lesquelz ne peux dire par le menu ;
Mais, s’il vous plaist y penser, mon Seigneur,
Vous trouverez que assez m’en est venu
Trop suffisans pour tuer un bon coeur.

Je ne le dis pour les ramentevoir,
Car l’oublier m’en est plus aggréable,
Mais ouy bien pour vous faire sçavoir

Combien l’espoir de vous m’est prouffitable.
Cest espoir est l’honneur de ma jeunesse
Et tout le bien de ma petite enfance ;
C’est le repos de toute ma vieillesse
Et le baston très seur de ma deffence ;

C’est le moyen tout seul de la victoire
De tous les maulx qui m’ont peu advenir ;
S’ilz sont vaincus, à vous en est la gloire,
De qui je sens force & vertu venir ;
C’est la santé qui chasse maladie
Du corps, du cœur & de l’entendement,
Et seureté telle, quoy que l’on dye,
Nuyre ne peult à mon contentement ;

C’est le bourdon de mon pèlerinaige,
L’appuy très fort de ma débilité,
Lequel tenant, toute peyne & voyaige
M’est un repoz & grand utilité ;
C’est ce qui tous mes ennuys
[me] faict prendre
Patiemment, desquelz je suis deslivre,
Et sans lequel je vous supply entendre
Qu’il ne m’estoit plus possible de vivre ;

C’est cest espoir, par qui mes passions
Vaincues sont & rendues contentes,
Qui mect à riens mes tribulacions
Que j’estimois ardentes & picquantes ;
Par cest espoir, qui de vous seul procède,
Je n’ay trouvé nul malheur importable,
Car si grande est sa vertu qu’elle excède
Peyne & ennuy & mal intolérable.


Si les regretz de père, mère, enfans,
Par desespoir me sont tous descouvers,
De cest espoir je m’arme & me deffendz,
Disant qu’en vous les ay tous recouvers ;
Fortune n’a sur cest espoir puissance
De le pouvoir en riens diminuer ;
Longueur de temps ne peult ceste espérance
Garder en moy, tousjours continuer.

Tous les ennuyz que le Ciel & la Terre
Peuvent donner à un corps & un cœur
Ne me sçauroient faire estimer leur guerre,
Car cest espoir en est le seul vainqueur ;
Tant qu’en ma main je le pourray tenir,
Puisqu’il vous plaist que sur luy je m’appuye,
Tant seure suis de tous maulx advenir
Que devant eulx ne pensez que je fuye.

Puisque je suis seure de vostre amour
Et que je sçay vous estre seulle seur,
La mort ne peult que me prendre, à ce jour,
D’amour contente & d’espoir & d’honneur ;
La mort ne crainctz, mais que tousjours la face
Je puisse veoir de mon frère & mon Roy
En seureté, que fermement je croy,
D’avoir sans fin part à sa bonne grace.



J’ay devers moy ce poinct & advantaige,
Pour garentir ma ferme loyaulté,
Que le long [temps] en donne tesmoingnaige,
Et mesme à vous si grande seuretė
Que tort avez si en avez doubté.

Si [donc] je prends aulcunes foys loisir
D’entretenir quelque dame à plaisir,
Pour tant ne veulx devenir variable,
Mais estimer que, sans aultre choisir,
Je vous en treuve après trop plus amable[1].

Folio 108 verso à 110 recto.

Souvieigne vous des lermes respandues,
Qui par regret très grand furent rendues
Sur vostre tant amyable visaige ;
Souvieigne vous du dangereux oultraige
Que vous cuida faire mon povre cœur,
Pressé par trop d’une extrême douleur,
Quand il força la voix de satisfaire
Au très grand mal où ne sçavois que faire,
Tant qu’à peu près le pleur fut entendu ;
Souvieigne vous du sens qui fut perdu,
Tant que raison, parolle & contenance
N’eurent pouvoir, ny force ny puissance,
De desclairer ma double passion,
Ny aussi peu ma grand affection ;
Souvieigne vous du cœur qui bondissoit
Pour la tristesse en quoy il pèrissoit ;
Souvieigne vous des souspirs très ardens
Qui à la foule, en despict de mes dentz,
Sortoient dehors pour mieulx me soulaiger ;
Souvieigne vous du péril & danger
Où nous estions, dont nous ne tenions compte,

Car vraye amour ne congnoist paour ny honte ;
Souvieigne vous de nostre amour honneste,
Dont ne devons pour nul baisser la teste,
Car nous sçavons tous deux certainement
Qu’Honneur & Dieu en sont le fondement ;
Souvieigne vous du très chaste embrasser
Dont vous ne moy ne nous pouvions laisser ;
Souvieigne vous de vostre foy promise
Par vostre main dedens la mienne mise ;
Souvieigne vous de mes doubtes passées,
Que vous avez en une heure effassées,
Prenant en vous si grande seureté
Que je m’asseure en vostre fermeté ;
Souvieigne vous que vous avez remis
Du plus parfaict de voz meilleurs amys
Le cœur, l’esprit & le corps en repos,
Par vostre honneste & vertueux propos,
Auquel je veulx adjouster telle foy
Que plus n’aura Doubte pouvoir sus moy ;
Souvieigne vous que je n’ay plus de paine
Que ceste là que avecques moy je maine,
C’est le regret de perdre vostre veue
Par qui souvent tant de joye ay reçeue ;
Souvieigne vous du regard de vostre œil,
Dont l’esloingner me faict mourir de dueil ;
Souvieigne vous du lieu, très mal paré,
Où fust de moy trop de bien séparé ;
Souvieigne vous des heures qui sonnoyent
Et du regret qu’en sonnant me donnoient,
Voyant le temps & l’heure s’advancer
Du despartir, où ne foys que penser ;
Souvieigne vous de l’adieu redoublé

A chascun pas, de l’esperit troublé,
Du cœur transy & du corps affoibly,
Et ne mectés le triste œil en oubly ;
Souvieigne vous de la parfaicte amour,
Qui durera sans cesser nuict & jour,
Qui a dens moy si bien painct vostre ymaige
Que je n’ay riens sinon vostre visaige,
Vostre parler, vostre regard tant doulx,
Devant mes yeulx ; bref, je n’y ay que vous ;
Vous suppliant, o amye estimée,
Plus que nulle aultre & de moy tant aymée,
Souvieigne vous, d’immortel souvenir,
De vostre amy, & le vueillés tenir
Dens vostre cœur seul amy & parfaict,
Ainsi que vous dedens le sien il faict.

Folio 117 verso à 118 verso.
FRAGMENT.

....................
....................
O prompt à croire & tardif à sçavoir
Le vray, qui tant clairement se peult veoir,
A vostre cœur reçeu telle pensée
Qu’à tousjamais j’en demeure offencée ?
Est il entré dans vostre entendement,
Que dans mon cœur y ait un aultre amant ?
Hélas ! mon Dieu, avez vous bien peu croire
Qu’aultre que vous puisse estre en ma mémoire ?
Est il possible ? A mensonge crédit
En vostre endroict, ainsi que l’avez dit ?
Pouvez vous bien le croire & le celer

Sans m’en vouloir ne m’en ouyr parler ?
Mais voulez vous, avant ouyr, juger
Innocent cœur, très facile à purger ?
Estimés vous le cœur meschant & lasche,
Qui envers vous n’en eust oncq nulle tache ?
Vous le croyez ; ainsi croyés le doncques ;
Croyez de moy le mal qui n’y fust oncques,
Croyez de moy, contre la vérité,
Tout le rebours de ce que ay merité,
Jà n’en sera mon visaige confuz,
Car je sçay bien quelle je suis & fus
En vostre endroit, & yver & esté,
Et quel aussi m’estes & avez esté.
J’ay le cœur nect &, la teste levée,
Pleine d’amour très ferme & esprouvée,
Je puis aller, mais sus tout ne refuse
De mon bon droict faire jamais excuse.
Pensez de moy ce qu’il vous plaist penser ;
Je ne vous veulx courroulcer ne offencer,
Puisque voulez nostre amictié parfaicte
Estre soubdain par souppeçon deffaicte.
C’est doncques vous, de cruelle nature,
Qui, sans propos, en faictes la roupture.
Vous le voulez ; garder ne vous en puis,
Bien que du tout en l’estrémité suis
De désespoir, voyant mon innocence,
Ma vraye amour avoir pour récompense
Un tel adieu, par lequel m’accusez,
Du meschant cas dont assez vous usez :
C’est d’en aymer un aultre avecques vous.
Il n’est pas vray, je le dis devant tous,
Et Dieu, qui veoid le profond de mon cœur

Prens à tesmoing, luy priant que vaincqueur
Par vérité soit de ceste mensonge,
Qui en soy n’a force non plus qu’un songe.
Je luy remectz mon droict entre les mains,
Luy suppliant que à vous, amy, au moins
Avant ma mort face veoir clerement
Comme vous seul j’ay aymé fermement.
Il le vous peult dedens le cœur escripre,
Mais mon ennuy ne me permect le dire ;
Porter le veulx le mieulx que je pourray ;
Si je ne puis, par regret je mourray.

Folio 116 recto à 118 verso.

Amour, Honneur ont eu débat ensemble.
Honneur a dit : « Amour, il faut partir.
— Comment, Honneur ? » dist Amour, « il me semble
Que à ma demeure il vous fault consentir ;
Si je m’en voys, il vous fauldra sortir,
Et sans nous deux elle deviendra beste ;
Laissés moy doncq son cœur, prenés sa teste. »
Luy emprompter son blanc abillement[2],
Jurant ses loix garder entièrement,
Il fust reçeu, & eust bien la science
De faindre avoir très bonne conscience ;
Mais, les moyens & lieux & temps venus,
L’occasion feist que l’expérience
Le monstre filz naturel de Vénuz.

Folio 127 verso.

Ou près, si près que en un lict noz corps couchent
Et noz vouloirs soyent unyz en un,
Et noz deux cœurs, si possible est, se touchent,
Et nostre tout soit à nous deux commun ;
Ou loing, si loing que amour tant importun
De vos nouvelles à moy ne puisse dire,
Povre de veoir, de parler & d’escrire,
Tant que de vous soit mon cœur insensible ;
Velà comment vivre avecq vous desire,
Car entre deux, sans mort, m’est impossible.

Folio 132 verso.

Ne près, si près que vous puissiez coucher
Dedens mon lict, il n’adviendra jamais,
Ou par amour mon corps ou cœur toucher,
Ny adjouster à mon honneur un mais.
Si loing, bien loing allez, je vous prometz
De n’empescher en rien vostre voyaige,
Car près ne loing d’aymer je n’ay couraige,
Fors d’un amour dont chascun aymer veulx.
Soit près ou loing n’est desir d’homme saige ;
Contentés vous d’estre aymé entre deux.

Folio 133 recto.

« En vous veoyant prendre la hardiesse,
Couché sus moy, d’une aultre entretenir
Que plus aymés que Madame & maistresse,
Je ne vous puis porter ny soustenir.
— Ne me voulez un tel propos tenir,
Lict, où j’ay tant de reposer desir,
Car je n’ay peu meilleur moyen choisir

Pour estre icy que, par cas d’adventure,
Entretenir ceste dame à loisir,
Que je vous fay servir de couverture. »

Folio 133 recto[3].

« Puis qu’il nous fault cest enfant baptiser,
Nommés le doncq, si vous sçavez son nom.
— Amour ? — Nenny ; il fault mieulx adviser.
— Fureur ou Feu, comme il a le renom ?
Cruaulté, Mort, Vie, Flamme, Froid ? — Non.
— Doulceur, Douleur, Rigueur, Mutation,
Follye, Erreur, Tristesse, Passion,
L’aveugle Dieu, le Créateur de paine,
Le vieil enfant ? — Non, mais sans fiction,
C’est Fol cuider, ou Oppinion vaine. »

Folio 136 verso.

Homme jalouz, vous ne debvez porter
Ceste tant doulce & céleste coulleur
Comme loyal ; je m’en veulx raporter
A ce que en pense & juge vostre cœur,
Mais à ce bleu vous faictes cest honneur,
Pour ce que au ciel semblable à luy se tient
Béatitude, & il vous en souvient,
Quant le voyez lyé à vostre dextre,
Car vous aymés la coulleur qui soustient
Celle par qui de vous n’estes plus maistre.

Folio 133 recto.

Non pour baiser Madame, ma maistresse,
Dont je suis trop indigne d’aproucher,
Un jour heureux, je pris la hardiesse
A sa bouche de la mienne toucher,
En desirant par là son cœur chercher,
Pour despartir mon amour véhémente,
Que si grande est que le myen seul tourmente,
Mais en deux cours peult loger à son aise.
Je congneuz bien que la bouche est la sente
Par où amour au cœur faict sa descente,
Qui ne se peult faire sans que l’on baise.

Folio 138 recto.

Quelle unyon de parfaicte amictié
Quand de deux cœurs les vouloirs se consentent,
Tant que chascun ne congnoist sa moytié !
Car un seul cœur, non plus deux, ilz se sentent ;
Pour s’esloingner jamais ilz ne s’absentent,
Pour ce que l’œil n’est pas leur fondement.
C’est vraye amour qui les tient fermement
Sy fort lyés, selon Dieu & l’honneur,
Non par plaisir, qui est pris follement,
Mais par vertuz, raison, bon jugement,
Que transformés sont deux en un seul cœur.

Folio 138 recto.

Pour se trouver plus belle & plus beau tainct,
Je veoy chascune un mirouer chercher,
Et leur plaist fort qu’il soit flatteur ou fainct
En leur monstrant qu’elles ont blanche chair.
Mais j’en ay un que j’estime plus cher

Que tous les leurs, qui tant m’est favorable
Qu’en luy me veoy honneste & aggréable,
Tant que ne puys en moy désirer mieulx
Que me promet son regard amyable.
Par quoy ne veulx mirouer perdurable,
Fors seullement de mon amy les yeulx.

Folio 138 verso.

Baillés luy tout ce qu’il veult maintenant,
Soit le parler, soit l’œil, ou soit la main,
Et vous veoyrés en luy incontinant
Aultre vouloir que d’un cousin germain.
Voire s’il peult, sans attendre à demain,
Il vous pryera d’une grace luy faire.
Que une heure avant eust desiré de taire,
Faignant de peu se vouloir contenter.
A telz amys a tousjours à refaire ;
Le plus seur est de point ne les hanter.

Folio 138 verso.

POÉSIES INÉDITES

Extraites du manuscrit de la Bibliothèque de l’Arsenal
B. L. F., no 108 (no 3458 nouveau).

RONDEAU.

Ce n’est qu’un cœur, ung vouloir, ung penser
De vous & moy en amour, sans cesser.
Mon très cher filz & bonne nourriture.
Raison le veult & aussi fait Nature,
Qui nostre faict ont voulu compasser.

La mère suys, qui ne veult offenser
Vostre plaisir, þuys qu’à bien tout penser,
De vous & moy est l’aliance pure ;
Ce n’est q’un cueur.

Amour, qui veult amour récompenser,
Ne prend plaisir à débatre ou tanser,
Mais du tout mect à complaire sa cure.
Ainsi nous deux loyalle amour ceincture,
Sans contredit ne sans contrepenser ;
Ce n’est q’un cueur.

Folio 13 recto.

RONDEAU
A Tournon, quand fut question de mener le Roy en Italie.

Pensant passer passaige si piteux,
A tout bon cueur si triste & despiteux,
Veoir emmener personne si très chère
Soubz la couleur de gloire ou bonne chère,
En grand danger de retour bien honteux,

Je m’esbahys comme gens convoyteux
Sont aveuglez pour rendre souffreteux
Royaulme, enfans, seur & dolente mère,
Pensant passer.

Soubz umbre d’estre saiges & marmiteux,
L’on a congneu leur esperit boyteux,
Sans aller droict, dont en très triste chère
Tous les saiges en pleurent à l’enchère,
Craignant par trop le voyaige honteux,
Pensant passer.

Folio 16 verso.

RONDEAU
Sur Domine, salvum fac Regem & exaudi nos in die qua invocaverimus te

Saulvez le Roy, o Seigneur gracieux,
Et exaulsez ce jour, en voz sainctz cieulx,
Nous qui pour luy invocquons vostre grace ;
Las, retournez vostre bénigne face
Pour essuyer les larmes de noz yeulx.

Vous estes seul par sur tous autres Dieux,
Puissant, piteux, miséricordieux ;
Monstrez le nous bien tost en briefve espace :
Saulvez le Roy !

Nous congnoissons que noz maulx vicieux
Méritent bien les tourmens ennuyeux
Que maintenant Justice nous pourchace.
Vostre bonté nostre malice passe ;
En ceste foy vous prions pour le mieulx :
Saulvez le Roy !

Folio 20 recto.

ÉPITAPHE DE JOUAN & COQUETTE
Fol & Folle, faicte par la Royne de Navarre.

Si la Nature a fait noz corps tant imparfaidz
Que n’ayons peu congnoistre de Raison les effe&z
O toy, le regardant, ne desdaigne tel auvre,
Car le faisons savoir que ceste lame cœuvre
L’innocence de deux qui fut tant prouffitable
Que Dieu la veult pour luy, la trouvant agréable,

Et çà bas leur follie a esté tant heureuse
Que des saiges rendit la follie malheureuse ;
Par quoy plus honneste est la loyalle ignorance
Que n’est le trop sçavoir quand soy mesmes offence.

Folio 116 recto.

  1. Dans le ms. ce dizain suit d’un seul tenant ce qui précède ; c’en est édvidemment la réponse. — M.
  2. Au sens de : « Après avoir emprunté ». Cet emploi de l’infinitif est fréquent au milieu du XVIe siècle & particulièrement dans Rabelais.
  3. Dans le ms. cette pièce est avant la précédente. — M.