L’Histoire des théories théosophiques dans l’Inde/Partie III/Chapitre 4/5

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Texte établi par Musée Guimet, Ernest Leroux (Annales du Musée Guimet, volumes 22-23p. 317-335).
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3e partie, chap. IV, V
V. Le Rāja-yoga et l’octuple méthode de la méditation.

Nous savons comment, par la lutte contre les « misères » et les « traverses », non seulement on s’assure l’accès du yoga, mais encore on se prémunit contre tout ce qui pourrait éventuellement en troubler le cours. Nous ne savons pas encore comment il faut procéder pour arriver à cette suppression des fonctions intellectuelles qui est la condition de l’isolement de l’âme, et du salut. La théorie de la procédure à suivre pour arriver à ce but est la partie la plus importante du système.

L’école a élaboré non pas une, mais deux méthodes du yoga. On peut appeler l’une la manière douce, l’autre la manière forte. Les textes donnent à la première le nom de Yoga royal, Rāja-yoga ; à la seconde, celui de Yoga de l’effort, Haṭha-yoga. Des auteurs récents recommandent de commencer par le Haṭha-yoga, pour aborder ensuite le Rāja-yoga. Cet éclectisme se concilie mal avec le fait que les ouvrages anciens ne connaissent pas la méthode violente. Évidemment, nous avons là deux concepts distincts et parallèles des moyens à employer. De ce que le Haṭha-yoga est littérairement postérieur à l’autre, il ne faudrait pas conclure que les procédés qu’il indique remontent à une date moins reculée.

L’idée qui est à la base de la méthode préconisée par le Rāja-yoga, c’est qu’il y a lieu de disposer le corps et l’esprit d’une manière qui soit favorable à la pratique du yoga. De là une série de prescriptions groupées sous huit rubriques, les aṣṭāngāni ou « huit membres », dont cinq, les moyens externes, tendent à la purification ou adaptation du corps (kāya-saṁskāra), de la respiration, des sens, — et trois, les moyens internes, à la purification de l’esprit (cittasaṁskāra).

Avant de passer en revue ces huit « auxiliaires » du yoga, il convient de faire remarquer combien les opérations proprement intellectuelles y tiennent peu de place. Ce qui rend significative leur absence à peu près complète, c’est qu’au contraire la dialectique figure encore en bon rang dans le plus ancien aperçu que nous possédions de cette méthode du yoga : « Le yoga a six membres, la discipline de la respiration, la rétraction des sens, la méditation, la fixation de la pensée, l’examen réfléchi, la concentration de l’esprit[1]. » Mais sans doute on reconnut de bonne heure que la « réflexion », loin d’être un adjuvant, constituait un élément de trouble dans l’évolution de l’extase ; on l’élimina donc, tandis qu’on augmentait le nombre des procédés externes. Aujourd’hui, les yogins s’insurgent contre les descriptions du Rājayoga qui tendent à le présenter comme un exercice intellectuel[2]. Ils ont raison. Bien qu’on l’appelle « la connaissance qui sauve », tārakajñāna (Y. S. III, 54), le yoga n’est pas à proprement parler un moyen d’acquérir un savoir. Qui en doute n’a qu’à voir en quoi consistent les sept étapes par lesquelles le yogin s’élève à « l’intelligence définitive »[3] ; cette « connaissance suprême » commence par être en quatre étapes la libération de tout ce qu’il y a à faire ; dans les trois dernières, elle débarrasse l’âme de l’organe de la pensée.

A et B. Premier et deuxième anga : interdictions et injonctions.

La liste s’ouvre par une double série d’interdictions, yama, et d’injonctions, niyama, sur lesquelles la doctrine semble s’être fixée tardivement[4]. En effet, on constate dans les textes de nombreuses divergences au sujet de l’étendue et du contenu de ces énumérations. Il va sans dire d’ailleurs que ces indications ne sont point pour le Yoga ce que sont les décalogues du bouddhisme et de l’Ancien Testament.

Le Yoga ne se propose pas démoraliser ses adhérents ; il veut les élever dans une sphère où il n’y a plus ni bien ni mal. Yama et niyama, comme les anga qui suivent, ont pour but de procurer au sujet la tranquillité morale et psychique qui est indispensable à l’heureux épanouissement du yoga[5].

Les cinq interdictions sont, d’après Patañjali, « ne pas tuer, ne pas mentir, ne pas voler, ne pas avoir de commerce avec une femme, ne pas accepter de présents[6] » (Y. S. II, 30) ; les cinq injonctions : « la purification, le contentement, la mortification, la récitation de textes sacrés, la résignation au Seigneur » (Y. S. II, 32)[7]. On trouve la même liste dans le Sarvadarśanasangraha avec cette remarque empruntée au Viṣṇu-purāṇa que « observées dans l’espoir d’une récompense, les prohibitions et les obligations procurent des fruits excellents, et que, dans le cas contraire, elles assurent le salut ».

C. Troisième anga : les postures (āsana).

Les circonstances extérieures peuvent beaucoup pour faciliter ou pour gêner la pratique de la méditation. Aussi les traités ont-ils multiplié les règles relatives au lieu où le yogin doit se placer, à l’attitude qu’il doit prendre, au régime qu’il doit suivre.

Au début, on se contentait encore de recommandations générales. La Śvetāśvatara-Upaniṣad demande qu’on choisisse une localité où rien ne vienne déranger la pensée, et Manu veut qu’on s’assoie pour méditer[8]. Les écrits qui se rattachent au Rāja-yoga sont plus précis ; cependant leurs prescriptions se maintiennent encore dans les limites raisonnables. Non seulement on n’y trouve rien qui soit contraire à l’hygiène de l’esprit ou du corps, mais encore les règles qu’on donne sont bien appropriées au but qu’on se propose : une hutte placée dans un site agréable, et aménagée de manière à protéger le yogin contre la chaleur, les bêtes et les gens malintentionnés[9] ; une posture telle qu’on puisse la garder le plus longtemps possible[10] sans fatigue ; une alimentation simple, suffisamment abondante, conforme aux prescriptions de la médecine indigène[11].

Comme l’indique le titre du troisième anga, on attache la plus grande importance à la manière de s’asseoir. Le nombre des attitudes possibles est considérable. Il y en avait eu dans le principe 8.400.000 ; Śiva n’en retint que 84. Encore s’en faut-il que ces 84 soient toutes employées. Les yogins adoptent de préférence celles qui sont les plus familières aux Hindous, ascètes ou non. Au surplus, il est bien entendu que chacun est libre de choisir celle qui lui agrée le mieux ; les Yoga-sūtra déclarent expressément qu’il n’y a pas de règle obligatoire à ce sujet.

Les attitudes les plus ordinaires sont, à ce qu’on assure, la posture « en fleur de lotus », padma-āsana, et la posture « en svastika »[12]. Voici la première : la plante du pied droit est placée sur la cuisse gauche, et la plante du pied gauche sur la cuisse droite ; les mains croisées tiennent chacune un orteil ; le menton est abaissé sur la poitrine ; les yeux sont fixés sur le bout du nez (Sarvad., p. 174). Dans le Svastika-āsana, on croise les jambes de manière à placer le pied gauche dans le jarret droit, et le pied droit dans le jarret gauche[13]. L’attitude qui semble prévaloir aujourd’hui, c’est d’être assis, les jambes entrecroisées, le buste droit de manière que la tête, le cou et le buste soient sur une même ligne. C’est à peu près la posture que les monuments attribuent au Bouddha plongé dans la méditation.

D. Quatrième anga : le contrôle de la respiration
(prāṇāyāma).

Pour comprendre l’importance que les yogins attachent à la discipline de la respiration, il faut se rappeler que de tout temps le souffle a été regardé par les Hindous comme le support matériel du moi. C’est par le prāṇa que se manifeste la vie individuelle : « l’âme individuelle, appelée prāṇa, est née du non-prāṇa »[14]. C’est le prāṇa qui lie l’âme au corps (Chānd. Up. 6, 8, 2) ; et lorsque les organes luttent les uns contre les autres pour la primauté, c’est la respiration qui se trouve être l’organe essentiel, condition de tous les autres (Chānd. Up. 5, 1). Puisque c’est par le prāṇa que la vie est entrée dans l’univers, il est naturel que l’Atharva-veda lui assigne une puissance cosmique : le prāṇa est le principe de toute vie dans la nature et dans l’homme ; il est le premier-né de la création (XI, 4)[15]. Rappelons enfin que dans le mythe cosmogonique raconté par la Maitrâyaṇiya-Upaniṣad, c’est sous forme de vent ou de souffle que Prajâpati pénétra dans la matière pour lui insuffler la vie et créer la multiplicité des êtres ; et que, dans une autre légende plus significative encore, lorsque Varuna voulut instruire son fils dans les mystères de l’autre monde, il le dépouilla de sa personnalité terrestre en lui enlevant la respiration (Jaimin. Br. I, 12).

Ces idées, dont il n’est pas difficile de reconnaître l’origine animiste, ont étroitement lié l’un à l’autre le souffle et l’individualité. Accélérer, ralentir la respiration, c’est accroître ou diminuer la vie individuelle ; la supprimer, est faire tomber les barrières qui emprisonnent notre existence dans les limites du temps et de l’espace, c’est permettre à l’âme de s’élargir infiniment et l’identifier avec l’univers. Et comme l’individualité et la pensée ne font qu’un, il y a lien étroit entre le souffle et la pensée. Que l’on règle le premier, et la pensée prend un cours continu ; elle cesse de vagabonder à droite et à gauche ; elle se concentre sur un seul objet : « Quand la respiration est instable, le manas aussi manque de stabilité ; immobiliser la respiration, c’est immobiliser en même temps le manas » (H. Y. Pr. II, 2)[16].

Quelque étranges que soient ces conceptions, elles ne sont pas cependant tout entières du domaine de la fantaisie. L’activité cérébrale est directement intéressée à la manière dont se comporte la circulation du sang, et par conséquent elle dépend aussi dans une certaine mesure de la respiration. L’intoxication d’un sang insuffisamment brûlé par une respiration trop lente provoque souvent des troubles intellectuels. En outre, si l’on en croit des témoignages qui semblent dignes de foi, on peut, en agissant sur la respiration, arriver à modifier sensiblement son état moral.

Un motif ascétique a contribué à accroître l’importance qu’on attachait au contrôle de la respiration. Dans la théorie du yoga, régler son souffle[17], c’est purifier les organes de son corps, les dépouiller de toutes les scories que la vie individuelle y accumule sans cesse. De là cette destination, à première vue surprenante, que Manu assigne au prāṇāyāma ; il en fait une pénitence, un moyen que l’homme possède d’expier la mort de tant d’animaux qu’il fait périr par cela seul qu’il vit lui-même : « Les prāṇāyāma sont une expiation de la mort involontaire de tant de créatures qu’on tue jour et nuit. Si un brahmane fait, selon les règles, trois prāṇāyāma, en y joignant les vyāhṛti et le praṇava, il accomplit la pénitence suprême. De même que les impuretés des métaux sont consumées par la fonte, de même les défectuosités des sens sont détruites par la répression des sens[18]. » Le principe de l’ascétisme n’est-il pas en effet que la vie « naturelle » est pernicieuse ? que plus on la laisse se déployer librement, plus elle est une source de souffrance ? Il convient donc de racheter ou d’atténuer tout au moins par la pratique des mortifications, le mal que l’on cause sciemment ou non ; et c’est libérer son moi que de gêner sa respiration, cette manifestation par excellence de la vie individuelle.

Une dernière raison pour soumettre la respiration à des règles positives, c’est qu’elle passe pour une prière continuelle. Cette croyance est très certainement en relation avec l’idée, si souvent exprimée par les anciennes Upaniṣad, que « celui qui sait » fait l’offrande journalière, non pas dans le feu sacré, mais intérieurement, dans le feu de son ventre, un rite qu’elles appellent le prāṇāgnihotra[19]. Cette substitution est un des symptômes de la spiritualisation du culte, que les Upaniṣad ont préparée et sur laquelle nous trouverons encore de nombreux témoignages dans la littérature de l’hindouisme. Malheureusement les traités relatifs au yoga ne se sont pas maintenus à cette hauteur de mysticisme. Il y avait quelque chose de profondément religieux dans la pensée que la vie tout entière est comme un hymne en l’honneur du brahman, l’être universel ; mais, comme il arrive souvent, l’idée s’est matérialisée, et c’est le bruit de la respiration qui a été considéré comme une prière. On a enseigné que par chacune de ses expirations et inspirations, l’homme faisait entendre la phrase so ’haṁ « Il est moi »[20]. Respirer, c’est donc des milliers de fois par jour affirmer la vérité suprême. Comme on compare souvent la circulation de l’air aspiré et expiré à l’eau qui alternativement remplit et abandonne les auges d’une roue hydraulique, cette prière respiratoire évoque le souvenir des fameuses roues qui ont fait une fâcheuse réputation au bouddhisme décadent. Tellement il est vrai qu’une doctrine, fixée par la tradition, et propagée par l’esprit d’imitation, fait, sous l’influence d’un psittacisme croissant, une chute d’autant plus lamentable qu’elle avait brillé d’abord d’un plus bel éclat.

Dans chaque acte respiratoire[21] on distingue trois moments, l’inspiration, la rétention du souffle dans la poitrine, l’expulsion de l’air ; et l’on appelle pūraka, kumbhaka, recaka le contrôle de la respiration dans chacune de ces trois phases[22]. Leur durée est strictement déterminée. L’unité de mesure étant la mātrā, c’est-à-dire le temps employé pour un clignement d’œil, un battement de mains, l’émission d’un son, ou encore l’intervalle qui sépare, pour un homme qui dort, une expiration de l’inspiration suivante, le pūraka doit durer 16 mātra, le kumbhaka 64, le recaka 32[23]. On voit par ces chiffres que l’effort porte surtout sur l’arrêt de la respiration après chaque inhalation. Trois fois par jour, le yogin s’exerce à maîtriser son souffle, jusqu’à ce qu’il puisse faire 80 kumbhaka de suite.

Le prāṇāyāma peut être fécond (sagarbha) ou stérile (agarbha). S’il est accompagné de mantra qu’on répète ou de méditations sur ces mantra, il est fécond : « Quand, retenant son souffle, — c’est-à-dire pendant le kumbhaka, — on répète trois fois de suite la gāyatrī, précédée des vyāhṛti, suivie de la « tête » de la gāyatrī, accompagnée au commencement et à la fin du praṇava, alors vraiment il y a prāṇāyāma »[24] (Īśvaragītā, citée par le Y. S. S., p. 42).

Il semble vraiment qu’il ne valait pas la peine de tourner le dos au ritualisme du sacrifice, avec ses invocations chantées ou murmurées, ses formules propitiatoires et ses émissions de cris à peine articulés, pour aller retomber dans des pratiques tout aussi superstitieuses et peut-être moins inoffensives. On comprend que Sankara ait condamné dédaigneusement toute cette gymnastique de la respiration : « C’est par la méditation et par l’enseignement d’un maître que la vérité est connue, et non par des ablutions, des dons, des centaines d’exercices accomplis dans le but de contrôler la respiration[25]. »

Et cependant il serait injuste de dire que le yoga n’ait consisté pour les théoriciens de l’école que dans l’application de procédés exclusivement physiologiques. Une légende que raconte le Yogavāsiṣṭha, semble indiquer au contraire que si le prāṇāyāma est en effet le moment décisif de toute cette discipline, il ne porte cependant les fruits désirés qu’à condition de la lente élaboration psychologique qui doit s’effectuer dans le sujet. Un ascète se retire dans la jungle ; il pratique le prāṇāyāma pendant des années, mais sans résultat. À la fin, il se rend auprès d’un ṛṣi et lui demande de lui enseigner le yoga. Le ṛṣi consent ; il ordonne à l’ascète de rester auprès de lui en qualité d’élève ; mais, pendant deux ans, en dépit de toutes les sollicitations, il se contente de dire : « Attends. » L’autre finit par en prendre son parti, et laisse le ṛṣi tranquille. Douze ans se passent. Le maître fait venir l’élève et lui dit de prononcer le mot om. Or le mot om est formé de trois éléments a, u, m. L’élève fait entendre le son a, et voici que le recaka se fait tout naturellement ; avec le son u, avec la nasale finale, se produisent non moins spontanément le pūraka et le kumbhaka. Et alors comme une étincelle, qui tombe dans un champ d’herbes desséchées par le soleil, le consume en quelques instants, le mot om mit en activité les facultés spirituelles de l’apprenti yogin, qui en peu de temps passa par les quatre dernières étapes du yoga.

On le voit, l’adepte n’est assuré de son salut que si, à force d’exercices, il est devenu maître de son instrument, c’est-à-dire de sa respiration. Mais il en est de cela comme des exercices auxquels un musicien se soumet : ce ne sont pas eux qui font l’artiste, mais sans eux il n’y aurait pas d’artiste. Il est certain que de nombreux adeptes se sont appliqués trop exclusivement à suivre les règles très matérielles, mais très précises, du prāṇāyāma, et qu’ils y ont vu la partie essentielle du yoga ; dans toutes les écoles, il y a des élèves qui, par paresse d’esprit, acceptent les travaux manuels ou mnémoniques les plus fatigants et les plus longs, et qui esquivent le moindre effort intellectuel. Mais c’est une défiguration de la doctrine dont il ne faut pas rendre responsables les vieux maîtres qui ont vu, dans le quatrième anga, non pas le moyen direct de l’affranchissement, mais la condition et puis le signe d’un progrès dans la voie du salut.

E. Cinquième anga : la rétraction des sens (pratyāhāra).

Dans le cours naturel des choses, les sens sont en contact avec les objets extérieurs, et, s’ils peuvent en communiquer la perception à l’intellect, c’est qu’ils prennent la forme de ces objets. Par leur intermédiaire, le manas, puis la buddhi reçoivent l’empreinte du monde sensible. Tant que les sens peuvent ainsi se conformer à leur tendance propre, qui est d’aller trouver les choses du dehors, ils mettent l’organe pensant dans leur dépendance, puisque, bon gré mal gré, ils lui infligent ces sentiments de désir, de colère ou de stupide indifférence qu’excitent inévitablement les objets du monde extérieur : « Si l’intellect est entraîné par les sens dans leur course errante, la raison (buddhi) s’en va à la dérive, comme un vaisseau emporté par la tempête » (Mbhr. III, 13 945, = Bhag. G. 2, 67).

Mais vivre selon la nature, c’est s’engager de plus en plus dans le « circuit de l’existence ». Si l’on veut faire son salut ; et même si l’on veut faire quelque grande chose[26], il faut libérer son moi, et par conséquent réprimer ses sens. Que l’on renverse donc leur direction naturelle, de manière que, tournés maintenant vers l’intérieur, ils prennent la nature du sens interne dont ils sont émanés[27] ; ils seront ainsi « accommodés » à l’esprit[28].

Ramener en arrière les sens loin de leur objet, c’est faire l’opération appelée pratyāhāra, et les maintenir dès lors sous un sévère contrôle de façon qu’ils obéissent et ne commandent plus, c’est faire le nigraha. Dès ce moment, les choses du dehors ne sont plus perçues par la conscience, et par conséquent n’existent plus pour elle ; le manas lui-même devient non-manas[29]. Qu’un seul des organes ne soit pas réprimé, et la connaissance s’écoule, comme l’eau s’enfuit d’une outre trouée[30]. Si au contraire l’occlusion est complète, « l’intellect n’entend plus, ne voit plus, n’a ni goût, ni odorat, ni tact ; il ne fait plus acte de volonté ; il n’a conscience de rien, ne pense pas ; il est comme une bûche. C’est alors qu’on atteint le tréfonds[31] des choses ; c’est le yoga, disent les sages. On brille comme une lampe qui brûle en un lieu abrité contre le vent, et, débarrassé de son corps subtil, sans vaciller, on suit la route d’en haut ; on ne revient plus dans les régions inférieures » (Mbhr. XII, 11384, sq.).

F. Sixième anga : la fixation de la pensée (dhāranā).

Maintenant que toutes les communications sont coupées avec le monde extérieur, et que la pensée, affranchie, peut s’épanouir librement, c’est vers le dedans qu’elle doit diriger son effort. Un travail effectué en trois étapes va l’amener de proche en proche à l’unification, à la désindividualisation, à l’isolement[32].

Résoudre ses six sens dans la buddhi, et celle-ci dans « l’indéterminé » par le processus d’involution enseigné dans l’école Sānkhya, c’est ce qui unifiera l’organe pensant ; la résorption de tous les évolués dans leur source première délivrera le puruṣa de cette apparente individualité qu’il devait à son association avec le monde du devenir ; et l’âme, isolée, s’élargira à l’infini.

L’organe pensant a une propension naturelle à errer de tous côtés. Il faut commencer par fixer la pensée, c’est-à-dire par l’assujettir en un point déterminé. Canalisé, le courant en sera à la fois continu et puissant. « On doit s’appliquer au seul savoir qui est l’essence de tout savoir et qui mène au but qu’on se propose. La multiplicité des connaissances ne fait qu’entraver la marche du yogin. Celui qui, curieux de savoir, se dit : « Voici une chose qu’il faut que je sache ; en voici encore une autre… » ne peut connaître la seule chose à connaître, fût-ce en un million de périodes cosmiques » (Mārkaṇḍ.-pur. XLI, 18, sq.).

Sur quoi faut-il arrêter ainsi l’organe de la pensée ? À cette question, les textes répondent de deux façons. Les uns veulent qu’on la fixe en un des points du corps, les autres qu’on l’applique à un des objets de la connaissance. Dans le premier cas, le point d’arrêt de la pensée sera par exemple le « lotus du cœur », ou le nombril, ou la pointe du nez, ou le sommet de la tête, ou bien encore la place qui se trouve entre les deux arcades sourcilières. Au contraire Vijñanabhikṣu enseigne que « la dhāraṇā fixe l’esprit (citta) sur l’âme individuelle, lieu du Dieu suprême, son conducteur interne » (Y. S. S., p. 49).

Voilà deux définitions qui semblent contradictoires, puisque l’une fait de la dhāraṇā une localisation matérielle de la pensée, tandis que l’autre ramène le processus à un phénomène psychologique. Et cependant il n’y a pas de raison pour croire que l’une représente plutôt que l’autre l’ancienne tradition de l’école. Puisqu’on plaçait la dhāraṇā entre la rétraction des sens et la méditation proprement dite, il était naturel qu’on y vît l’opération par laquelle on tenait massées en un point de l’organisme toutes les fonctions intellectuelles, une fois qu’elles étaient reployées et plongées dans le citta. Et ce point lui-même ne pouvait être qu’une des parties vitales du corps, ou l’une de celles qui jouent un rôle dans la production des phénomènes d’auto-hypnose, le nombril ou le bout du nez par exemple. D’autre part, l’idée fixe, surtout quand elle s’applique à des concepts de peu de richesse, provoque aussi des troubles moraux ou intellectuels, comme ceux que le Yoga a vite recherchés.

Et non seulement les deux notions ont sans doute coexisté de tout temps, mais encore les philosophes des écoles Sānkhya et Yoga les ont jugées exactement équivalentes. Puisque l’organe pensant est quelque chose de substantiel, cela ne fait pas de différence pour la pensée que son point d’attache soit un objet à connaître, ou un lieu dans lequel elle reste repliée sur elle-même ; dans les deux cas, il y a un déplacement matériel du citta. Aussi les sources les plus autorisées admettent-elles indifféremment les deux interprétations. Les Yoga-sūtra, après avoir posé en principe que « la dhāraṇā est la fixation de la pensée sur un point » (III, 1), mettent au nombre des objets sur lesquels le citta s’arrête dans le saṁyama, le soleil, la lune et l’étoile polaire, aussi bien que le nombril, le haut de la gorge, ou le cœur. Le Sarvadarśanasangraha n’est pas moins éclectique : « La dhāraṇā fixe l’esprit, en l’écartant de tout autre objet, sur quelque place qui soit en relation avec le moi intérieur, comme le cercle du nombril, le lotus du cœur, l’extrémité de l’artère suṣuṁnā, etc., — ou un être du dehors, comme Prajāpati, Indra, Hiraṇyagarbha » (p. 177).

G. Septième anga : la méditation (dhyāna).

« Quand à la place où l’esprit s’est fixé, la pensée, modifiée en la forme de l’objet contemplé, coule continûment sans qu’aucune autre fonction vienne la troubler, il y a méditation » (Y. S. S., p. 44). Comme dit plus simplement Patañjali, le dhyāna est « un courant de pensée unifiée » (III, 2).

H. Huitième anga : la concentration (samādhi).

Dans la « méditation », il y a lieu de distinguer encore entre la pensée, l’objet qu’elle contemple, et l’acte de la méditation.

Il n’en est plus de même dans le samādhi. Sujet et objet ne font dès lors plus qu’un : « Pour celui dont les fonctions intellectuelles sont supprimées, il y a concentration et consubstantiation du sujet qui saisit, de l’objet saisi, de l’acte de saisir, comme dans une gemme » (Y.S. I, 41)[33].

Puisqu’il est une concentration intense et absolue de l’esprit, le samādhi est psychologiquement un phénomène différent de l’extase. Dans l’extase, le mystique se sent transporté hors de lui-même, il oublie son moi et s’abîme en Dieu : ἔκ-στασις. Dans les Upaniṣad et les systèmes qui en dérivent, le samādhi est un moyen de s’arracher temporairement à la limitation et à la relativité de l’existence ; il constitue par conséquent une anticipation de la désindividualisation finale. La conception grecque et chrétienne de l’extase rappellerait plutôt, mais combien spiritualisée, une vieille idée animiste que nous avons signalée à propos du ritualisme brahmanique : l’âme du sacrifiant quitte momentanément le corps où elle réside, et voyage dans le ciel pendant l’acte sacré ; et si un rite spécial ne la réintègre dans le corps, une fois la cérémonie terminée, le sacrifiant perd la vie ou la raison.

L’apprenti yogin n’arrive pas d’emblée à réaliser cette concentration qui doit couronner la lente élaboration de son salut. Il n’y réussit que grâce à une série de travaux d’approche qui naturellement ont été catalogués avec minutie, sinon avec clarté. Tout d’abord la contemplation a pour objet les choses du monde grossier ; elle est savitarka, pensive. Puis l’âme s’abime dans la contemplation des objets subtils ; le samādhi est alors savicāra, réfléchi. Ensuite l’âme est sans contenu distinct, mais elle éprouve encore un sentiment de béatitude, c’est le sānanda-samādhi. Enfin tout sentiment s’efface ; tous les organes sont au repos ; il ne subsiste plus que ce qu’il y a de plus tenace dans l’âme individualisée, c’est-à-dire son individualisation même ; c’est le sāsmitā-samādhi, caractérisé par la notion « je suis ». Jusqu’ici le yogin a conservé la conscience de son moi. Aussi les quatre phases du samâdhi qui viennent d’être élaborées forment-elles le samprajñâta-yoga[34]. Mais le travail de concentration ne s’arrête pas là. Le yogin finit par entrer dans l’état de yoga inconscient, par lequel sont anéantis toutes les impressions passées et tous les germes d’une future existence individuelle.

Comment pourrait-on décrire un état qui a précisément pour caractère d’être sans caractère ? Seuls ceux qui en ont fait l’expérience peuvent en parler sciemment, et encore manquent-ils de paroles pour en donner une idée. Du moins tâche-t-on de dépeindre au moyen de comparaisons ce suprême apaisement de l’âme : « Le yogin est aussi calme qu’un homme qui dort paisiblement ; il ressemble à une lampe remplie d’huile qui brûle dans un endroit abrité du vent, et dont la flamme s’élève fixe et droite. Tel un roc qui demeure inébranlable bien qu’il soit battu par les pluies », etc., etc. (Mbhr. XII, 11693, sqq.)[35]. On pourrait croire qu’arraché au monde des contingences, le yogin en état de samādhi se trouve en dehors des relations de temps et d’espace. Ce serait mal connaître l’amour des Hindous pour les arrangements bien symétriques et puérilement artificiels. L’Iśvara-gitā[36] nous apprend que la dhāraṇā dure autant que 12 prāṇāyāma ; le dhyāna équivaut à 12 dhāraṇā, le samādhi à 12 dhyāna ; en comptant quatre secondes par prāṇāyāma, cela ne donne pas tout à fait deux heures pour un samādhi.

  1. Maitr. Up. 6, 18. Une Upanisad beaucoup plus récente, l’Amṛtabindu, répète cette liste dans un ordre un peu différent.
  2. Un fervent adepte du yoga m’a dit avoir perdu toute la confiance qu’il avait eue précédemment dans le savoir de M. Deussen, parce que celui-ci, dans ses Erinnerungen an Indien ([{{{1}}}]77), a défini le Rāja-yoga comme étant l’« intellectuelle Hingebung an das Göttliche ».
  3. saptadhā prāntabhūmau prajñā (Y. S. II, 27).
  4. D’après Manu, IV, 204, les yama sont toujours obligatoires, mais non les niyama. Il est donc probable que pour lui les yama sont les règles essentielles de la morale, et les niyama les règles moins importantes. Nulle part, Manu ne définit ces deux termes avec quelque précision.
  5. La même préoccupation d’assurer à l’ascète une complète ataraxie morale et physique, s’exprime dans ce vers de l’Amṛtabindu-Up. : « Que le yogin se tienne toujours en garde contre la crainte, la colère, la paresse, l’excès de veille et de sommeil, l’excès de nourriture et de jeûne » (v. 27).
  6. Même en cas de détresse.
  7. Nous avons déjà rencontré les trois derniers niyama à propos du kriyâ-yoga. D’après Y. S. II, 44, l’étude des textes sacrés a pour effet d’assurer au yogin la communion avec la divinité de son choix (iṣṭa-devatā). Quant au « contentement », c’est la satisfaction qu’éprouve le sujet pour tout ce qui lui arrive de soi-même, sans qu’il y mette du sien. La « purification » peut être extérieure (ablutions avec l’eau ou la terre, comme dans l’islamisme), ou intérieure.
  8. Comme on voit, ces règles ne sont nullement spéciales à l’école du Yoga. Śankara recommande aussi de se tenir assis pour rendre un culte à la divinité. Les raisons qu’il en donne sont évidemment les mêmes qui ont fait adopter cette posture pour la méditation : « Le culte, dit-il, doit développer une adhésion (pratyaya) accompagnée de respect. Si l’on marche ou si l’on court, cet effet ne se produit pas, car la marche sous ses diverses formes dissipe l’esprit ; si l’on se tient debout, le sens interne est obligé de soutenir le corps et n’est plus en état de contempler les objets subtils ; si l’on est couché, on risque de s’endormir » (Ved. S., p. 1071).
  9. La Haṭha Yoga Pradīpikā donne, pour l’emplacement et la disposition de la cellule, les indications que voici : « Le yogin doit placer sa hutte dans un lieu solitaire, à la portée d’une flèche de ce qui est rocher, feu et eau, dans un pays sûr et fertile, bien gouverné et observateur de la loi. — Une petite porte ; pas de fenêtre, ni de trou, ni de fente ; ni trop haute, ni trop basse ; propre et soigneusement crépie d’une couche épaisse ; point de vermine ; extérieurement un abri, un foyer, un puits ; tout autour un mur d’enceinte : tels sont les caractères de la hutte (maṭha) des yogins appliqués au haṭha-yoga » (I, 12 et 13). Il va sans dire que les règles sont valables aussi pour le rāja-yoga.
  10. Sthira-sukham-āsanam, Y. S. II, 46.
  11. On trouvera dans H. Y. Pr., I, 58 ; 59 ; 60 ; 62 ; 63, les prescriptions relatives au régime alimentaire du yogin. D’une manière générale, il doit peu manger (mita-āhāraḥ), et laisser vide le quart de son estomac ; il doit éviter tout ce qui est acide, aigre, salé, fortement épicé, indigeste, trop chaud ; on lui défend, par exemple, la noix de bétel, l’huile de sésame, l’ail, le poisson, la viande, le lait caillé, les mets réchauffés. On lui permet le froment, le riz, l’orge, le lait, le beurre, le miel, l’eau pure. « Qu’il prenne une nourriture suffisante, douce, agréable à son cœur, profitable à ses humeurs » (I, 63). Mais ces restrictions ne sont obligatoires qu’au début : « C’est pour les premiers temps de l’application (abhyāsa) qu’on préconise une nourriture de lait et de beurre fondu ; pour celui qui est fortifié dans la pratique du yoga, il n’y a plus de prohibitions semblables » (II, 14).
  12. Le svastika est le fameux symbole solaire .
  13. La Haṭhayogapradīpika décrit plusieurs autres āsana ; elle mentionne la posture « en mufle de vache » (I, 20), la posture de « la tortue » (I, 23), celle du « coq » (I, 25), celle de « l’arc » (I, 26), etc., etc.
  14. Maitr. Up. 6, 19 ; le non-prāṇa c’est l’Être infini, non individualisé.
  15. Le Śatapatha Brāhmaṇa fait aussi naître les « sept prāṇa » directement de l’a^at[illisible], du non-être primordial (VI, 1, 1) ; leur création est antérieure à celle de puruṣa-Prajāpati (XI, 1, 6, 17).
  16. Le Sānkhya a emprunté cette doctrine au Yoga : « La suppression des fonctions de l’organe pensant est produite par l’expulsion et par la rétention (de l’air dans la respiration) » (S. S. III, 31). Il n’est pas inutile de rappeler qu’un des plus grands mystiques modernes, Swedenborg, était, lui aussi, convaincu qu’une pensée lente correspond à une longue respiration, une pensée rapide à une respiration accélérée.
  17. Ou plutôt ses souffles vitaux, car il y a cinq prāṇa, qui sont les agents de toutes les opérations vitales de l’organisme. Les textes, malheureusement, ne s’accordent guère sur la manière de répartir entre eux les fonctions physiologiques. On trouvera dans Deussen, Gesch. der Phil. I, 2, p. 248 sqq., un aperçu de la doctrine des Upaniṣad sur les prāṇa. Quant au Yoga, il n’a fait, sur ce point comme sur bien d’autres, que recueillir l’enseignement traditionnel des écoles brahmaniques. Voici comment la théorie la plus généralement répandue localise et spécialise les prāṇa : 1o le prāṇa proprement dit, entre la pointe du nez et le cœur, renouvelle la vie dans l’organisme ; — 2o  le samāna entre le cœur et le nombril, sert à l’assimilation (samīkaraṇa) des aliments et des boissons ; — 3o l’apāna, entre le nombril et l’anus, est chargé des évacuations ; — 4o l’adāna, entre le nez et le sommet du crâne, est l’organe par lequel l’âme sort du corps dans l’extase et au moment de la mort ; — 5o le vyāna, répandu dans l’ensemble du corps et dans les membres, est l’organe du mouvement.
  18. Manu, VI, 69-71. On appelle vyāhṛti les formules composées de mots isolés ; la plus fameuse est bhūḥ, bhuvaḥ, svah. Quant au praṇava, voir plus haut, p. 117 sqq.
  19. Voir plus haut, p. 70.
  20. So ’haṁ est l’équivalent de la « grande parole » Toi, tu es ceci. En renversant l’ordre des deux mots, on a haṁ-so, le flamand, qui est devenu un nom mystique de l’âme ; d’où parama-haṁsa, une des appellations usuelles de l’Être suprême.
  21. D’après le Sarvadarśanasangraha, le nombre total des inspirations et des expirations, en un jour et une nuit, s’élève à 21.600, c’est-à-dire quinze en une minute, ce qui est un chiffre normal. L’ajāpamantra ou « formule sans parole » que nous faisons entendre en respirant, se compose de 600 adorations du dieu Ganeśa, 6.000 de Brahman Svayambhū, autant pour Viṣṇu et Śiva, 1.000 pour Bṛhaspati, pour l’Âme suprême et pour l’âme ; total 21.600 (Sarvad., p. 175).
  22. Il est à remarquer que les textes commencent en général par le recaka. Le pūraka « remplit » ; le recaka « déverse » ; le kumbhaka supprime le mouvement de l’air à l’intérieur du corps, et le souffle est immobile comme de l’eau dans une cruche (kumbha). On ajoute quelquefois un 4e moment, le śūnyaka, « le vide ». C’est le moment de suspension qui sépare chaque expiration de l’inspiration subséquente.
  23. C’est du moins ce que prescrit la Vāsiṣṭha-Saṁhitā. Le Nāradīya-purāna, cité par le Yogasārasangraha donne de tout autres proportions : pūraka, 12 mātra ; kumbhaka 24, recaka 36.
  24. La gāyatrī ou sāvitrī (= Rv. I, 62, 10) est une invocation au dieu Savitar que l’Hindou fidèle murmure debout, au crépuscule du matin, jusqu’à ce que le soleil apparaisse, et assis, au crépuscule du soir, jusqu’à ce que les étoiles soient distinctement visibles.

    D’après la Dhyānabindu-upaniṣad, on doit diriger sa pensée sur Śiva pendant le recaka, sur Viṣṇu pendant le pūraka, sur Brahman pendant le kumbhaka.

  25. Passage cité par Dvijadas, J. R. As. Soc., 1888.
  26. « Quiconque aspire à faire de grandes choses, qu’il s’agisse d’un acte utile ou d’un acte vertueux, qu’il maîtrise ses sens ; par leur répression, la raison (buddhi) croît comme le feu au moyen du bois à brûler » (Mbhr. V, 4335).
  27. Y. S. II, 54.
  28. citta-anukārin (Sarvadarê., p. 177).
  29. manaso ’manibhāve, Gauḍ., Māṇḍ. kār. III, 31-48.
  30. Mbhr. XII, 8782.
  31. prakṛtim āpannaṁ.
  32. ekāgratva ; nirātmahatva ; kaivalya. Ces trois opérations sont étroitement associées et portent le nom commun de saṁyama, la contrainte centripète. Voir Y. S., III, 4 ; 7 ; 8.
  33. Dans une gemme d’une transparence parfaite, l’objet qui reflète, l’objet reflété et l’image sont en quelque sorte unifiés.
  34. Voir plus haut, page 312. — Si le lecteur veut bien se reporter aux passages de la Chāndogya-Upaniṣad et de la Māṇḍūkya-Upaniṣad cités plus haut (pages 81, sqq. ; 124, sq.), et à ce que j’ai dit page 191, sq., de la théorie védantique de l’individualisation du brahman, il se convaincra que la plupart des éléments de cette analyse du samādhi s’expliquent par ses antécédents historiques. Dans la Chāndogya-Upaniṣad, il ne s’agit pas encore de phénomènes extatiques, mais le premier état est déjà mis en relation avec la veille, le second avec le rêve, le troisième avec un sommeil profond. La Māṇḍūkya-Upaniṣad ajoute un quatrième état, celui de l’absorption temporaire ou définitive dans le brahman ; en outre, la veille y correspond au monde grossier, le rêve aux objets subtils ou internes, le sommeil à la félicité. Le Yoga fait des trois premiers états les trois premiers degrés de la concentration spirituelle, c’est-à-dire de la désindividualisation progressive de l’âme ; cela le conduit à poser en face de l’âme complètement désindividualisée ou inconsciente, asamprajñâta-yoga, un quatrième état de l’âme individuelle et consciente, celui où elle n’a plus d’autre caractère que cette individualité même. Nous verrons que l’histoire de cette doctrine ne se termine pas là ; dans le bouddhisme, elle subit encore une nouvelle et caractéristique modification.
  35. Un passage de la Haṭha-yoga-pradīpikā, qui se sert de deux comparaisons pour décrire l’état du yogin dans le samādhi, nous montre à quel point les idées védantiques ont pénétré dans le Yoga récent : « Vide dedans, vide dehors, vide comme un vase dans l’espace ; plein dedans, plein dehors, plein comme un vase dans l’océan » (IV, 56). Le yogin, dit le commentaire est vide parce qu’il est soustrait à l’action du monde extérieur : il est plein, parce que, dedans et dehors, il est confondu avec le brahman.
  36. Citée par le Y. S. S., p. 44 in.