L’Homme à l’Hispano/Chapitre XI

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Émile-Paul Frères (p. 111-125).

XI


Maintenant, l’idée du départ était si nette en lui qu’elle ne lui causait plus qu’une douleur sourde. C’était un arrière-goût de regret et comme, sur le sol, l’ombre légère de sa destinée. Mais il était bien préparé à la fin brutale de son bonheur.

La veille, sur la plage, il avait contemplé la fragile construction de sable, le château — avec douves, murs, ponts crénelés — que des enfants, dorés comme des pêches, élevaient avec sérénité à quelques mètres de la mer. Et il avait pensé qu’avant le soir, d’une seule vague revenu avec la marée, le grand Océan effacerait pour toujours jusqu’à la trace de leur jeu. Jamais plus, jamais dans l’éternité, pas plus que la même forme d’un nuage, on ne revenait leur bâtisse éphémère. Eux aussi, ils le savaient bien. Et cependant, ne s’occupant que de la minute, ils s’appliquaient, joyeux. Déjà l’eau montait… Dewalter se dit qu’il ressemblait à ces enfants : le même désert mouvant qui, tout à l’heure, nivellerait les grains du sable, demain l’emporterait et, sur la plage de Biarritz, bientôt, on chercherait aussi vainement le souvenir de son aventure que la silhouette disparue du château construit pour une heure.

Il savait si bien cela que son chagrin de perdre Stéphane était supportable. L’inconscient dans chacun de nous travaille à l’insu de l’intelligence. Le sien le défendait. Il fabriquait obscurément le contrepoison aux intoxications de la pensée.

Le voyage à Oloron lui avait été salutaire. Là, il avait contemplé la vieille fortune face à face. Qu’est-ce qu’un émigrant comme lui avait à faire dans ces domaines ? Et Stéphane ? La richesse trouvée au berceau lui avait donné une vision restreinte de la vie. Que faisait-il donc auprès d’elle ? Elle était belle, généreuse, noble de cœur et d’esprit. Elle l’aimait. Pourtant, il avait compris qu’elle ignorait la pauvreté. Elle l’ignorait au point de ne pas l’imaginer. Les problèmes de l’argent lui étaient aussi étrangers que ceux des astronomes. Elle ne savait pas. Pour elle, acheter, payer, c’était écrire un chiffre, — à peu près comme un numéro de téléphone, — signer dessous et tendre un chèque. Deux jours auparavant, un petit fait, le plus banal des petits faits, l’avait bien démontré à Georges. Ils étaient dans la pâtisserie de Saint-Jean-de-Luz et, au dehors, un chanteur de la rue chantait dans l’espoir d’une aumône. À certaines minutes, les amants les plus raffinés ne sont pas difficiles : le chanteur avait plu à Stéphane. Elle dit de lui donner quelque obole et Georges le fit aussitôt. Alors, tout au plaisir que lui causait la chanson, elle avait évoqué un souvenir :

— Je me rappelle, avait-elle dit, un chanteur de Taormine. J’étais là-bas, avec ma mère et lord Crawe…

Georges connaissait le nom. Pour s’assurer qu’il s’agissait bien du fameux Anglais, célèbre pour ses recherches d’archéologie, il interrogea :

— Le collectionneur ?

— Oui, continua Stéphane… Il avait, ce chanteur, une voix de ciel. Je lui ai donné cinq cents francs et pendant une heure, pour moi, il a chanté. Quand nous irons en Italie, nous le retrouverons peut-être. Et, pour nous deux, il chantera…

Elle parlait légèrement, contente, et l’idée lui était extraordinairement simple de payer un chanteur des rues le prix d’un artiste de théâtre. Pourtant, dans sa noblesse naturelle et son respect de l’amour, elle avait toujours eu la hantise d’être exposée à une duperie sentimentale et recherchée pour sa fortune. La force d’Oswill, quand il avait obtenu sa main, avait peut-être été de se trouver au-dessus d’un soupçon de cette nature : riche, il l’était comme elle. Aujourd’hui, l’idée d’un Dewalter pauvre ne l’effleurait point. Trompée par l’apparence, entraînée par son instinct de l’aimer, elle avait, sans y prendre garde, jugé l’homme qui lui plaisait d’après son apparition dans l’Hispano. Deléone, en passant, avait parlé de sa riche oisiveté et surtout — surtout elle n’avait pas mis en doute, une seconde, ce que, lui-même, il avait dit. Les souvenirs de jeunesse racontés à ses pieds, lors de sa première visite nocturne à la villa, étaient des souvenirs dorés. Elle ne s’attardait plus à ces choses : elle croyait Dewalter riche, très riche, comme elle, et il n’ignorait pas qu’elle le croyait. Il aurait voulu vivre sa vie auprès d’elle, ne plus la quitter jamais. Pourtant, sachant qu’il fallait partir demain, il trouvait dans la différence de leurs fortunes une énergie secrète. Il savait qu’il serait déchiré, mais qu’il s’éloignerait sans parler.

La veille du jour fatal, il alla voir Stéphane chez elle. C’était un mercredi, le troisième de septembre et celui que, chaque mois, elle réservait à ses réceptions. Elle n’avait pas voulu manquer à cette obligation habituelle. D’ailleurs, difficilement elle l’aurait pu. Elle avait prié Georges pour le thé, heureuse de le sentir auprès d’elle, en dépit de la gêne de ne pas devoir lui parler plus longtemps qu’aux autres personnes. Elle devinait bien que la présence de son amant serait, le soir même, commentée. Mais que lui importait, après ce que déjà elle avait fait ?

Quand il arriva, les deux salons étaient emplis de tous ceux qui, à Biarritz et dans les environs, forment une société fermée. On venait depuis Pau rendre visite à lady Oswill. À peine quelques visiteurs de moindre choix, imposés par la ville d’eaux, et aussi des notabilités de passage, se mêlaient-ils aux représentants des vieilles familles du Béarn et du pays basque. L’Angleterre et l’Espagne étaient représentées par des personnages d’élite. L’entrée de Dewalter passa d’abord inaperçue. Son aisance naturelle, l’aisance avec laquelle, depuis qu’il était arrivé à la Côte d’Argent, il avait pris les manières et choisi les vêtements qu’il fallait pour n’être pas remarquable en firent tout de suite un visiteur dans le rang. Cependant, la fièvre de ses yeux, on ne sait quel rayonnement venu de l’état de son âme — la façon peut-être dont, en dépit de sa réserve, Stéphane lui parlait — le sortirent de l’ombre. On le discerna. On l’examina. Ceux qui n’habitaient point Biarritz le voyaient pour la première fois. Avec cette rapidité de divination qui naît de l’habitude des intrigues en province, les moins renseignés, bientôt, ne doutèrent plus que, de tous ces visiteurs, il était le seul, le seul vraiment, à occuper l’esprit de la maîtresse de la maison. Ainsi, sous la discrétion et la retenue requises, il devint l’attrait de la réception. Les malveillants, sans plus, imaginèrent le pire. Mais personne ne pensa qu’il ne fût pas du meilleur monde. S’il était là, il avait certes toutes les références nécessaires pour y être. Sa présence dans le salon de lady Oswill lui ouvrait d’un coup toutes les portes. On pouvait croire : il est son amant. Le grave eût été qu’on dit : c’est un gueux. Pareille impertinence n’effleura personne.

Pour la seconde fois de sa vie, Dewalter faillit voir le portrait d’Oswill. Cette fois, ce fut Pascaline qui l’en empêcha. Elle l’appela et, pour lui parler, elle le retint dans le grand salon, au moment où, un peu abandonné, il allait entrer dans l’autre et, sur le mur, reconnaître son confident. Pascaline l’admirait d’avoir réussi à se faire aimer de Stéphane. Cela lui semblait une extraordinaire performance, le signe d’une supériorité éclatante. Son amie lui avait raconté cet homme étonnant, comme une femme éprise peut raconter quand elle ne cache rien de son cœur. Pascaline était éblouie. Il était, à ses yeux, le héros idéal ; pour tout dire, l’amant qu’on voudrait pour soi. Le voyant isolé, devinant que lady Oswill souffrait de ne pouvoir être plus près de lui, elle le prit au passage et ne le quitta plus. De loin, Stéphane leur sourit, heureuse. Elle savait qu’ils allaient, dans leur coin, parler d’elle. En même temps, elle écoutait avec toutes les apparences de l’intérêt, et à peu près sans l’entendre, un personnage assez ridicule, grand et dégingandé, niais et parfaitement bien élevé, le fils du banquier Chillet qui, depuis Bonaparte, fait, dans le sud-ouest, concurrence à la Banque de France. Il lui racontait gravement sa dernière chute de cheval, hier, à la chasse aux renards, avec l’équipage de Pau. Il tombait régulièrement trois ou quatre fois par semaine et, de tous les côtés, il était rapiécé, bosselé, rebouté. Il parlait d’équitation et de science cynégétique ; Stéphane ne pouvait s’en dépêtrer.

— Notre amie est en proie à Chillet, dit Pascaline à Dewalter. Elle en a bien pour un quart d’heure… Ah ! non : Baragnas vient heureusement à son secours.

Un vieil homme, en effet, s’approchait de lady Oswill. Il était remarquable par ses yeux énormes et verts et le teint cuivré de son visage tailladé de rides. Il avait beaucoup d’allure et de bonnes grâces et, depuis trente-cinq ans, il était l’amant de la comtesse de Joze, qu’on voyait assise dans une bergère. Debout auprès d’elle, son mari, depuis longtemps philosophe, cherchait le moyen de rester à Biarritz, pour la soirée, et de la renvoyer seule — avec Baragnas s’entend — à Orthez, d’où ils étaient venus faire visite à lady Oswill.

Dewalter, avec indifférence, apprenait tous ces détails que Pascaline lui donnait d’une voix rapide. À côté d’eux, le marquis de Sola, dans un complet coupé à Madrid, la seule ville du monde où l’on habille mieux qu’à Londres, racontait à un autre Espagnol, comment l’an passé, à Deauville, au polo, il avait eu l’avantage sur S. M. Alphonse XIII. Et l’on entendait aussi, par bribes, une conversation animée entre deux jeunes femmes. L’une d’elles, avec volubilité, faisait le récit de sa récente visite au couvent voisin, près d’Anglet. Là, les religieuses recluses ont fait vœu de silence éternel. Jamais une parole ne sort de leurs lèvres closes. La narratrice, dans une abondance de mots inutiles, se déclarait émerveillée de cette discipline et prête à entrer dans le couvent. Plus loin, il s’agissait du toréador Belmonte. Un autre groupe parlait de politique extérieure et, brusquement, un homme mûr et d’aspect raisonnable, M. de Saint-Brémond, longtemps colonel de cavalerie, déclara qu’il se tiendrait mieux dans une conférence internationale que toutes les canailles de la République. Il donna comme preuve qu’il avait, en trois jours, appris le mah-jong. Ainsi, le salon bourdonnait.

— Ne vous y trompez point, monsieur Dewalter, murmura gaîment Pascaline… Ici, sans en avoir l’air, tout le monde a les yeux sur vous. Tout à l’heure, dans leurs voitures, ces gens vous mettront en jugement. S’ils pensent comme moi, vous serez acquitté et avec félicitations. Mais voilà, sauvage que vous êtes, vous perdrez votre indépendance. À la prochaine réception, il vous faudra quitter votre coin.

Elle baissa davantage la voix et dit avec une malice gentille, profitant, pour le taquiner, de ses avantages de confidente :

— Quand on est admis, c’est le protocole dans tous les mondes. L’amant est comme la jeune fille de la maison. Il doit aider à servir le thé. Je suis sûr que vous le ferez très bien.

— La prochaine fois, dit Dewalter, je ne serai plus à Biarritz.

Elle le regarda, stupéfaite :

— Qu’est-ce que vous dites ?

Et, d’instinct, elle tourna les yeux vers Stéphane. Pourtant, elle savait bien qu’ils parlaient doucement et qu’ils étaient isolés. Leurs voisins eux-mêmes n’auraient pu, sans impolitesse, discerner leurs paroles. Mais la réponse de Dewalter lui semblait extraordinaire, après les confidences de son amie. Il lui parut invraisemblable que les mots de cette réponse n’aient pas été perçus par celle qu’ils intéressaient.

Dewalter s’était tu. Elle insista :

— Vous ne serez plus à Biarritz ? Et où donc serez-vous ?

Il mentit :

— Mais… à Paris.

— Comment, à Paris ? Qui vous appelle ? Êtes-vous dans les affaires ? Avez-vous une attache ?

Son amitié pour Stéphane lui donnait l’impression qu’elle avait le droit de l’interroger.

— Je ne suis pas dans les affaires, je n’ai pas d’attaches, répondit Dewalter. Tout ce que j’aime au monde est ici. Mais, enfin, ma maison n’est pas à Biarritz et je ne peux vivre toute l’année à l’hôtel du Palais. J’ai reçu ce matin même, une dépêche d’un ami, un frère presque ; il a besoin de moi, de ma présence et de ma signature. C’est important pour lui. Je ne peux remettre mon départ.

— C’est tout ? demanda Pascaline.

Avec un pauvre sourire, il dit :

— Mais oui, c’est tout…

— Et elle vous laisse partir ?

— Elle me laissera partir. Je n’ai pu encore lui en parler. Le télégramme qui m’appelle est dans mes mains depuis une heure.

Elle dit :

— Si j’étais Stéphane, vous ne partiriez pas.

Lady Oswill les regardait. Pascaline lui fit un signe imperceptible. Elle était hors d’elle, dans une grande déception de le voir impassible. Et dans ce salon, au milieu de cette société dont il ne faisait point partie, il était impassible en effet : pour lui, l’affaire était réglée,

Stéphane, sans se hâter, vint vers eux, après avoir dit au passage quelques mots aimables à M. de Sola, occupé maintenant à raconter à la baronne de Joze combien S. M. la Reine d’Espagne était dévouée à ses enfants. Georges la vit venir et, des pieds à la tête, il se sentit tremblant. Il regrettait d’avoir parlé à Pascaline. En même temps, il lui semblait qu’annoncer son départ, là, à mi-voix, d’un air indifférent, devant le banquier Chillet, MM. de Saint-Brémond et de Baragnas, la jeune marquise de Jouvre et tous ces gens cloîtrés dans leurs traditions extérieures, c’était plus facile. Stéphane, maintenant, lui offrait un verre de porto.

— Vous n’avez même pas une tasse de thé, monsieur Dewalter, dit-elle.

Tout de suite, elle avait pris une voix sans timbre, pour ne pas être obligée de changer de ton.

— Sais-tu ce qu’il m’a dit ? s’exclama tout bas Pascaline. Il m’a dit qu’un ami le réclame et qu’il part bientôt pour Paris.

Dewalter, pour se mater, s’enfonçait les ongles dans la peau. Il ne savait ce que Stéphane allait répondre et il s’attendait presque à un cri. Elle lui demanda seulement quand il partait ? Elle semblait calme et souriait. À deux pas, personne dans le salon n’aurait pu affirmer qu’ils ne parlaient pas, avec banalité, de la saveur du thé de Chine et du nombre de morceaux de sucre qu’il convient d’y laisser tomber.

— Je crois que je devrai partir demain, répondit Georges.

— Tu entends ? murmura Pascaline.

— J’entends parfaitement, dit Stéphane. Il n’y a rien que de très naturel à aller à Paris. Est-ce que la saison, ici, ne finit pas ? Chaque jour, on part. C’est l’époque.

Et, tranquille comme une Diane après la chasse, elle fit un pas vers la droite. Ainsi, elle se tenait à égale distance de son amant et du colonel de Saint-Brémond. Elle fit un gracieux sourire au vieux soldat et l’interrogea pour savoir si, lui aussi, il ne se préparait pas à quitter Biarritz.

Il répondit que ses fusils étaient déjà dans l’antichambre du château qu’il habitait à Ustaritz, entre Bayonne et Cambo, et qu’on l’attendait en Sologne.

Il se lança dans un éloge de cette région :

— On l’a merveilleusement assainie au siècle dernier, disait-il en roulant ses petits yeux pareils à des billes d’acier. Ah ! à cette époque, au moins, les ateliers nationaux avaient du bon…

— M. Dewalter possède une chasse dans ces environs, interrompit Stéphane en désignant Georges d’un geste léger. N’est-ce pas, monsieur Dewalter ?

Pris de court, il lui fallut quelques secondes pour se rappeler que le château en Sologne faisait partie de ses inventions. Mais le colonel, enchanté de la rencontre, se lançait de nouveau dans ses dithyrambes sur les joies saines de ce pays plat, et Georges n’eut qu’à l’écouter. Stéphane les avait laissés face à face. On la voyait maintenant auprès de la baronne de Joze, et toute occupée à lui montrer le prix qu’elle attachait à sa visite. Pascaline, stupéfaite, s’était elle-même éloignée.

Georges ne savait pas ce qu’il ressentait… Une délivrance d’avoir annoncé son départ ou une douleur de l’indifférence de lady Oswill ? Pendant quelques minutes, il fut comme étranger à tout ce qui se passait autour de lui. Immobile et souriant d’un air vague, il écoutait sans les entendre les paroles de M. de Saint-Brémond. Il percevait, dans un brouillard, des mots, pour lui vides de sens ; « Perdreaux… bruyères… aile marchante… comte Clary… quadruplé… » Bien que peu intelligent, le vieux colonel découvrit à la fin qu’il parlait inutilement. Il regarda Dewalter avec sévérité, pensa qu’il était un mannequin, et lui tourna le dos. Dewalter fut isolé. Alors, seulement, la sensation des choses extérieures lui revint. Il vit sa maîtresse rire gracieusement dans un groupe, à quelques mètres de lui, et son cœur se serra comme dans une main.

— C’est fini, pensa-t-il. C’est déjà fini. J’ai cru, dans ma folie, que je laisserais une trace dans une âme. Ah ! oui ! Pas plus que sur un mur l’ombre de l’aile d’un oiseau. Je n’étais rien.

Il eut envie de crier à tous ces gens heureux l’histoire imaginaire que, pendant dix jours, il avait vécue. Pascaline revint près de lui. Cela lui rendit son sang-froid.

— Vous voyez, dit-il. Stéphane a très bien pris la nouvelle.

Elle répondit :

— Je n’y comprends rien.

— Pourquoi ? Quelques jours d’absence, ce n’est rien.

En articulant ce mensonge, il cachait mal sa déception. Certes, il avait craint qu’elle eût du chagrin. Mais si peu, tout de même, si peu… c’était trop peu !…

Autant qu’elle le pouvait, dans son ignorance de la situation, Pascaline, vaguement, devinait ce qu’il pensait. Elle sentit qu’elle devait venir à son aide. D’une voix amicale, elle dit :

— Stéphane vous aime, monsieur Dewalter.

Il sourit amèrement :

— Je n’en doute pas, Dites-lui de m’excuser : des préparatifs de départ. Et voyez comme elle est entourée ! Ce soir, je lui téléphonerai.

Il était auprès de la porte. Il en profita pour sortir brusquement. Dans l’antichambre, tandis qu’un valet lui tendait son chapeau, il se sentit défaillir et, pour réagir, il se mordit les lèvres avec violence. Dehors, un âpre vent s’élevait du côté du phare.

Il murmura :

— Déjà le souffle du large !…

Et il s’éloigna.

Il allait vers l’hôtel, refaisant en sens inverse le chemin que, huit jours auparavant, dans la nuit, il avait parcouru pour la première fois. Il marchait vite, mais son dos s’était courbé et il titubait comme un homme ivre, ou comme ces mercenaires de la Légion qui, parmi les poussières du sud, sentent toute la civilisation peser sur leurs épaules dans la lourdeur volontaire de leurs fardeaux.