L’Idéal scientifique des mathématiciens/Introduction

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Librairie Félix Alcan (p. 1-28).



INTRODUCTION

L’HISTOIRE DES SCIENCES
ET LES GRANDS COURANTS DE LA PENSÉE MATHÉMATIQUE

Il est, en matière de science, un principe qui paraît admis, sinon par tous les philosophes, du moins par la grande majorité des savants : c’est qu’il ne faut pas confondre la science déjà faite avec la science qui se fait. En d’autres termes, on ne peut pas espérer déterminer les caractères essentiels de la connaissance scientifique si l’on ignore comment cette connaissance est acquise ; on ne peut pas juger les théories des savants si l’on ne s’est pas préalablement initié à l’inspiration qui les a suggérées, au mouvement de pensée qui a permis de les réaliser. Si ce principe est vrai de toutes les sciences, sans doute l’est-il surtout des Mathématiques pures : car celles-ci, n’étant, ni guidées par l’expérience, ni suscitées par les événements de la vie, dépendent plus que toute autre discipline de l’invention et des conceptions de leurs auteurs. Et c’est pourquoi l’on souhaiterait pouvoir répondre avec une parfaite précision aux questions suivantes : Quelle idée les mathématiciens se font-ils de leur science, quel dessein poursuivent-ils, quels sont les principes directeurs de leur activité, quel est le phare qui oriente leurs recherches ?

Mais ici se présente une première difficulté. Les questions que nous posons sont des questions de fait, concernant exclusivement la genèse et le développement de la science et qui doivent être résolues en dehors de tout système philosophique. Ce n’est donc ni chez les métaphysiciens de profession, ni dans les écrits métaphysiques des mathématiciens philosophes, que nous devons chercher les données qui nous permettront d’y répondre. Seuls les ouvriers spécialistes de la science, les techniciens purs, pourront nous fournir des indications qui soient sûrement indépendantes de toute idée préconçue. Or il se trouve que, sur les points qui nous préoccupent, les techniciens ont été, de tous temps, particulièrement sobres de renseignements. S’efforçant de nous présenter des théories complètement achevées, ils ont le plus souvent omis de retracer dans leurs écrits la marche de leur pensée ; ils se sont contentés de présenter les conclusions de leurs recherches avec les démonstrations justificatives. C’est pourquoi, parmi les savants les plus illustres, parmi ceux dont les travaux ont exercé le plus d’influence, nombreux sont ceux dont les conceptions et les principes de recherche sont restés impénétrables à leurs successeurs ; on dirait que, comme les géomètres de certaines écoles antiques, ces grands créateurs ont voulu dérober au vulgaire le secret de leur pouvoir.

Le mystère, il est vrai, devrait se dissiper, lorsque, laissant de côté la science du passé, nous tournons notre attention vers nos contemporains. Nous les voyons, en effet, travailler, sous nos yeux, et nous avons la ressource de les interroger directement. Qu’on ne s’imagine pas, cependant, que nous sommes, pour cela, beaucoup plus avancés. Les questions indiquées plus haut ne sont pas, en effet, de celles auxquelles le mathématicien même le plus qualifié puisse répondre d’emblée. Il lui faut un grand effort d’abstraction et de réflexion pour les traiter d’une manière objective et pour les dégager de la masse des observations banales, ou au contraire trop spéciales, trop accidentelles, qui se présentent en foule à son esprit lorsqu’il cherche à analyser sa propre activité. D’ailleurs le véritable savant s’est à ce point fondu avec son œuvre qu’il lui est devenu impossible de s’en abstraire ; et c’est pourquoi, lorsque nous voulons connaître ses vues sur la science, souvent il repousse notre prétention comme une sorte d’intrusion dans sa vie privée ; ou bien, s’il consent à nous faire des confidences, celles-ci relèvent parfois de l’autobiographie et de la psychologie intime plutôt qu’elles ne nous instruisent sur la direction et le développement des théories scientifiques.

Cette difficulté que nous éprouvons à nous renseigner sur la pensée profonde des hommes de science a souvent été remarquée et elle a, certes, quelque chose d’un peu troublant. Pourquoi les mathématiciens, en particulier, hésitent-ils tant à traduire eux-mêmes en formules générales leurs idées directrices ? Serait-ce qu’ils se méfient de ces idées ? Les regarderaient-ils comme une faiblesse, dont ils n’ont pas lieu de faire étalage ? Ainsi que l’a fort justement fait remarquer M. Émile Picard[1], la plupart des savants de métier sont portés à redouter les dangers des vues philosophiques plutôt qu’à en reconnaître les avantages. À leurs yeux le philosophe est « l’homme qui excelle à voir les difficultés », et ils veulent à tout prix se préserver des doutes auxquels faisait allusion Jules Tannery lorsqu’il parlait un jour « de ces inquiétudes que nous cultivons sous le nom de philosophie »[2]. Mais, si rien n’empêche en effet l’homme de science d’écarter de son champ d’études les discussions concernant l’origine et la nature des notions auxquelles il a affaire, s’il lui est permis de n’avoir pas d’opinion sur les controverses métaphysiques touchant le problème de la connaissance, on ne saurait conclure de là qu’il puisse se passer de tout principe, non pas précisément philosophique, et encore moins extra-scientifique mais, en tout cas, extra-technique.

Non seulement, en effet, comme nous le disions plus haut, il faut au savant — au mathématicien surtout — un dessein et des vues d’ordre général pour guider ses recherches. Mais il est clair que l’existence même du savant ou du moins son activité intellectuelle — cet effort désintéressé de toute une vie concentré sur les objets les plus immatériels, les plus éloignés des préoccupations courantes de l’humanité — exige un point d’appui, suppose un stimulant, qui ne peut être fourni que par les conceptions dont nous parlons. Comme le remarque encore M. Émile Picard, l’homme qui pratique les sciences a besoin, pour se soutenir, de certaines convictions ; il doit avoir, il a certainement, un credo scientifique[3].

Sans doute. Mais apparemment, le credo du savant est souvent un peu simpliste et il n’est pas aisé d’en déterminer exactement les fondements. Lorsque l’on cherche à l’analyser, on a l’impression que ce credo repose en définitive sur une sorte de foi mystique dans le progrès et les destinées de la science. Comme le grand conquérant, l’homme de science est tenté de croire à son étoile, — influence mystérieuse qui oriente vers un but commun la série éparse de ses recherches, l’ensemble en apparence désordonné de ses travaux. Sentant, d’autre part, mieux qu’aucun autre, qu’il est impossible de faire des travaux de valeur à moins d’être doué, il idéalise plus ou moins consciemment cette obscure notion de don jusqu’à en faire une sorte d’inspiration. Et voilà pourquoi il n’a que faire de règles objectives, de conceptions systématiques pour conduire et pour justifier son travail. Il se dirige d’instinct, en homme inspiré ; les découvertes surgissent sous ses pas sans qu’il sache comment ni pourquoi ; car c’est souvent, dit-il, au moment où il s’y attend le moins, lorsqu’il a beaucoup peiné, erré, et qu’il se croit définitivement égaré, que brusquement la vérité se révèle à ses yeux. À ce compte, les progrès de la science ne pourraient s’expliquer que par un miracle perpétuellement renouvelé.

Sans doute les mathématiciens n’exprimeront-ils que rarement leur pensée par des affirmations aussi extrêmes. Ces croyances instinctives que nous cherchons à mettre en formules n’existent chez eux qu’à l’état de tendances ou de sentiments. Mais ne sont-ce pas souvent de tels sentiments, imparfaitement analysés, qui incitent l’homme à agir et qui entretiennent son effort ?

Quoi qu’il en soit, et quelque peu d’importance que l’on veuille attribuer à ces recoins de l’âme scientifique que nous avons présentés sous des traits un peu gros afin de les rendre plus apparents, un fait demeure acquis : c’est que, comme nous le disions tout à l’heure, il est presque impossible de déterminer par des enquêtes individuelles les conceptions qui président aux recherches scientifiques ; ces conceptions, devenues chez ceux qui s’en inspirent des principes d’action et de vie, sont mélangées de trop d’éléments personnels pour pouvoir être étudiées objectivement. Incidemment cette remarque nous explique une apparente contradiction que l’on peut relever dans l’attitude de certains savants. D’une part, ils se déclarent indifférents à toute théorie de la science, estimant que les vues philosophiques ne sauraient avoir aucune répercussion sur les travaux des techniciens. Et, d’autre part, ils se montrent si attachés à leurs propres idées sur la science qu’ils supportent avec peine de les voir mises en cause. C’est qu’en effet ces idées, auxquelles ils n’attribuent aucune valeur absolue, sont cependant les conditions indispensables de leur activité scientifique. Et ils ont peur qu’en les ébranlant on ne porte atteinte aux ressorts de leur énergie. Sentiment fort naturel et fort respectable, mais qui nous montre combien il est nécessaire d’être prudent lorsqu’on cherche à interpréter certains témoignages.


Qu’on se garde, cependant, d’attribuer aux observations qui précèdent un sens qu’elles ne comportent pas. Du fait qu’il est malaisé à l’auteur d’une œuvre scientifique d’analyser lui-même la genèse de ses idées, il serait absurde de conclure que le jugement du savant doit être récusé dans les discussions relatives aux principes de la science. Il faut reconnaître, au contraire, que la complexité et la subtilité mêmes des questions débattues exigent qu’elles soient traitées par les hommes qui ont étudié la science à fond et qui sont à même de la pratiquer personnellement. Mais le spécialiste, quand il entre dans le débat, doit soigneusement éviter d’être à la fois juge et partie, et il n’y parvient qu’à la condition de sortir momentanément de lui-même. Il sera suspect de partialité s’il se borne à décrire sa propre expérience ; il apportera, au contraire, un enseignement précieux si, à la lumière de cette expérience, il interprète les idées d’autres spécialistes, représentant divers aspects ou différentes phases de la pensée scientifique.

En d’autres termes, qu’il s’agisse de l’époque présente ou qu’il s’agisse du passé, il n’est, pour l’étude des problèmes que nous avons énoncés plus haut, qu’une seule méthode applicable, et cette méthode est la méthode historique. Puisque, sur les questions en litige, les témoignages individuels des savants sont presque toujours trop subjectifs, et en outre trop rares pour la période passée, il ne nous reste qu’à essayer de grouper ces témoignages, de manière à suppléer à l’insuffisance de chacun d’eux par la considération de l’ensemble et par la comparaison des uns et des autres. Ainsi c’est dans l’histoire des sciences, convenablement étudiée, que nous avons le plus de chances de découvrir les fondements et la direction de la pensée scientifique.

L’histoire des sciences ainsi entendue est à égale distance de l’observation psychologique individuelle et de la systématisation philosophique. Elle est donc la préface naturelle de la philosophie des sciences. Mais, restant placée dans le domaine objectif de l’œuvre scientifique, elle sera, croyons-nous, également instructive pour le pur homme de science et principalement pour celui qui cultive les sciences abstraites. En effet, si les créateurs de génie peuvent se fier, pour guider leurs recherches, à leur flair et à l’inspiration instinctive dont nous parlions tout à l’heure, il n’en est pas de même, tant s’en faut, de tous les modestes ouvriers qui apportent leur pierre à l’édifice scientifique. À ceux-là, — lorsque, dans leurs heures de répit, ils souhaiteront savoir où ils vont, se rendre compte du chemin déjà parcouru, s’expliquer le pourquoi du mouvement dans lequel ils sont entraînés, — l’histoire fournira peut-être les enseignements et les encouragements nécessaires.

Il convient cependant d’examiner d’un peu plus près quels devront être les préoccupations et les sujets d’étude de l’historien lorsqu’il se proposera de retracer l’évolution des sciences — et spécialement celle des mathématiques — dans le dessein que nous avons tenté de définir[4].


Sous le nom d’histoire des sciences on confond plusieurs groupes de recherches qui ont des caractères bien différents.

Ainsi l’on regarde comme des historiens les érudits qui interprètent les fragments des textes anciens susceptibles de nous renseigner sur les méthodes mathématiques des peuples orientaux ou des premiers géomètres grecs. Du point de vue auquel nous nous plaçons, cependant, les travaux de ces érudits sont en réalité préliminaires à la véritable histoire des sciences. Ils ont pour but de réunir les matériaux qui permettront — lorsque leur nombre sera suffisant — de reconstituer la physionomie et la filiation des théories dont la trace a été perdue.

Historien des sciences, également, est l’auteur qui cherche à mettre en lumière la série des doctrines et des hypothèses scientifiques auxquelles les savants ont été conduits dans le cours des siècles passés. L’histoire ainsi comprise est, en grande partie, l’histoire des erreurs humaines : pleine d’enseignements pour le philosophe et pour l’historien de la civilisation, elle ne pourra que rarement, semble-t-il, être utile à l’homme de science, sinon pour le mettre en garde contre certaines fautes de raisonnement ou certaines imprudences commises par ses devanciers.

Une autre conception, de l’histoire des sciences — extrêmement répandue aujourd’hui — assigne à celle-ci pour principal objet la recherche de la paternité des grandes découvertes. Cette recherche est en effet fort utile parce qu’elle nous aide à accomplir un devoir de justice : nous tenons avec raison à rendre à chacun son dû et nous voulons défendre notre patrimoine scientifique contre les prétentions injustifiées des historiens de certains pays qui s’appliquent à faire de la science un champ de rivalités nationales. Mais, cela dit, il faut reconnaître que l’exacte répartiton des découvertes entre leurs auteurs nous apporte peu de lumière sur la véritable origine de ces découvertes.

Que la résolution de l’équation du troisième degré soit due à Tartaglia ou à Cardan, que les premières équations de la géométrie analytique aient été formulées par Descartes, par Fermat ou par un troisième géomètre, que telle règle de calcul infinitésimal nous vienne de Newton, de Leibniz ou d’un Bernoulli, on ne saurait tirer de ces faits aucune conclusion utile. Plus curieux, sans doute, sont les rapprochements que l’on peut établir parfois entre des œuvres d’époques très différentes, et qui permettent de découvrir dans des écrits anciens et peu connus les germes de théories regardées jusqu’alors comme beaucoup plus récentes. C’est ainsi, par exemple, que l’on trouve chez Apollonius, chez Nicole Oresme (xive siècle), chez Marino Ghetaldi (xvie siècle), certaines études qui nous font immédiatement penser à la géométrie cartésienne. Mais l’on doit se méfier des ressemblances de ce genre, lesquelles sont souvent de pure forme, c’est-à-dire ne portent que sur les manifestations de la pensée scientifique (énoncés de faits, formules ou théorèmes) et non point sur les tendances et l’action créatrice de cette pensée. Ce qui nous paraît, quant à nous, être vraiment intéressant dans l’histoire des sciences, ce n’est point de constater que tel ou tel fait a été rencontré ou pressenti à telle époque ; c’est de reconnaître comment ce fait est entré dans un système, quel courant de recherches a conduit à le regarder comme important, de quel mouvement de pensée il a lui-même été le point de départ. C’est en d’autres termes, l’évolution des conceptions scientifiques que nous souhaiterions connaître et comprendre. Or il n’est point de trouvaille historique qui brusquement puisse venir renverser ce qu’une longue série d’études nous a déjà appris sur cette évolution.

Nous appliquerons la même remarque à l’histoire des découvertes considérée spécialement du point de vue national. Le cas de légitime défense étant mis à part, cette histoire nous paraît peu instructive, pour autant du moins qu’elle se borne à cataloguer les inventions revendiquées par chacune des nations civilisées. Il y aurait, cependant, dans le domaine des sciences comme dans les autres, une histoire nationale à écrire, qui ne serait ni illusoire, ni sans portée. Mais ce serait une histoire d’un caractère élevé, qui laisserait de côté le détail technique des découvertes pour ne considérer que l’esprit. Ce qui constitue, en effet, l’individualité scientifique d’un peuple, ce n’est point le concours de circonstances qui lui a valu d’acquérir le premier telle ou telle connaissance, mais ce sont les méthodes de travail en usage chez ce peuple, les habitudes et les tendances des intelligences, le pouvoir de divination plus ou moins développé et orienté dans tel sens particulier, l’idéal enfin que poursuivent ses savants. Plusieurs études intéressantes ont été publiées au cours des dernières années sur la pensée scientifique française considérée à ce point de vue ; mais une histoire complète du développement de cette pensée nous fait encore défaut.

Ce n’est point, toutefois, en s’attachant à une phalange particulière de savants, si brillante soit-elle, qu’il convient de commencer l’enquête générale dont nous avons plus haut indiqué l’objet. C’est en effet tout le cycle des productions scientifiques qu’il sera nécessaire de passer en revue si l’on veut dégager les conceptions fondamentales qui ont présidé à la constitution et au développement des sciences. On devra donc négliger provisoirement les diverses nuances et oppositions de détail dues aux personnalités différentes des hommes et des nations pour s’en tenir strictement aux grandes lignes. Sur quelles questions sera-t-on dès lors conduit à fixer spécialement son attention ?

Afin de pouvoir entrer dans quelques détails, nous limiterons dorénavant nos remarques aux sciences mathématiques, sans d’ailleurs perdre de vue que ce que nous dirons des Mathématiques sera vrai aussi probablement de la partie théorique des autres sciences.


L’histoire dont nous cherchons à esquisser le plan fera peu de cas, nous l’avons dit, des découvertes isolées, détachées de leur milieu : elle se proposera comme but principal d’étudier les grands courants de la pensée mathématique, en assignant à chaque fait la place qui lui revient, non pas dans la science telle qu’elle existe aujourd’hui, mais bien dans la science des savants qui ont spécialement étudié ce fait et qui lui ont attribué un rôle important.

Ainsi, le premier problème qui se posera à propos d’une découverte nouvelle consistera à rechercher comment cette découverte a été amenée et quelle est sa signification par rapport aux recherches auxquelles elle fait suite.

Voici, par exemple, le théorème de Pythagore : dans un triangle rectangle le carré de l’hypothénuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés. Pour nous ce théorème est le point de départ d’une riche série d’autres propositions concernant les relations métriques auxquels satisfont les divers éléments rectilignes d’un triangle rectangle, et, plus généralement, d’un triangle quelconque. Mais est-ce bien par cet aspect que le théorème dit « de Pythagore » a primitivement frappé l’attention des géomètres ? On a tout lieu de croire que, loin d’apparaître comme une acquisition avantageuse, ce théorème a tout d’abord été la source de graves difficultés et qu’il a marqué l’échec plutôt que l’éclosion d’une théorie. C’est en effet toute la doctrine vers laquelle tendaient les premiers Pythagoriciens — doctrine supposant une harmonie préétablie entre les propriétés des nombres entiers et les propriétés des figures géométriques — que le nouveau théorème jetait à bas : car il montrait que la considération d’une figure aussi simple que l’est un triangle rectangle isocèle (dont le côté est pris pour unité) introduit immédiatement dans nos calculs une grandeur incommensurable, la racine carrée de deux[5].

Envisageons, d’autre part, les écrits de Cavalieri sur la géométrie des indivisibles. Si l’on faisait abstraction de leurs antécédents, on pourrait regarder ces écrits comme le point de départ d’une méthode de démonstration entièrement nouvelle, consistant à substituer au calcul algébrique des quantités finies un calcul relatif à des éléments infiniment petits (différentielles). Il n’en est rien, cependant ; car, en rapportant la géométrie de Cavalieri à ses origines, nous constatons qu’elle fait partie d’un ensemble de travaux qui procèdent directement d’Archimède, qui n’ont aucune prétention méthodologique, et dont les auteurs sont pleins de respect pour les formes classiques de la démonstration.

Plus encore que les antécédents des découvertes, il sera nécessaire d’en considérer les suites, c’est-à-dire d’étudier les conséquences immédiates qu’en ont tirées leurs auteurs ou les disciples de ceux-ci. C’est ainsi que l’on pourra deviner le but que se proposaient ces savants, et l’idéal vers lequel ils faisaient tendre la recherche scientifique.

Pascal un jour, par suite de circonstances plus ou moins fortuites, eut son attention attirée vers certains assemblages de nombres, qui, disposés sous forme de triangle (triangle arithmétique de Pascal), jouissent de propriétés remarquables. Il n’était pas le premier à remarquer ces propriétés, que déjà plusieurs auteurs avaient notées, et notamment Michel Stifel (xvie siècle). Mais, tandis que ces auteurs n’avaient vu dans leur découverte qu’une nouvelle manifestation des vertus des nombres et le moyen de simplifier certains calculs, Pascal tire immédiatement de la sienne des conséquences d’un tout autre genre ; il l’applique en effet au calcul des probabilités et l’utilise pour certaines sommations de lignes géométriques qui conduisent directement à la notion d’intégration. Ainsi Pascal subit l’entraînement général qui porte les savants de son époque, à élargir le champ d’application des mathématiques, à établir de nouveaux ponts entre les provinces de cette science et à accroître de cette manière la puissance du calcul.

Dans le même ordre d’idées, n’est-il pas très intéressant de voir les mathématiciens de l’Inde et les grands novateurs occidentaux, comme Nicolas Chuquet (xve siècle), n’éprouver aucun embarras, et continuer à aller de l’avant, lorsqu’ils rencontrent les racines négatives des équations, tandis que, le plus habile manieur d’équations du xvie siècle — François Viète — s’obstine à maintenir des cloisons étanches entre les équations qui ont des racines de signes différents sous prétexte qu’elles correspondent, dans son système, à des problèmes géométriques distincts ? N’est-ce pas un symptôme frappant du point de vue du xixe siècle que la marche de la pensée d’Évariste Galois, faisant de l’impossibilité où nous sommes de résoudre les équations de degré supérieur à quatre le point de départ d’une théorie positive, dans laquelle on aborde l’étude des équations par un biais tout nouveau, la théorie des groupes ?

En même temps que l’on situera la découverte dans l’histoire de la pensée mathématique, on devra la confronter avec l’ensemble des découvertes de la même époque. Non seulement on relèvera attentivement les inventions voisines ou équivalentes qui souvent surgissent presque simultanément dans l’esprit de nombreux auteurs, afin de mesurer, si l’on peut ainsi dire, l’intensité du courant dans lequel sont entraînés ces savants, mais l’on rapprochera également les découvertes les plus distantes en apparence. Il arrive fréquemment, en effet, que plusieurs séries d’études, jugées sans lien entre elles par un observateur superficiel, et dont les auteurs même s’imaginent n’avoir entre eux aucun point de contact, procèdent cependant de préoccupations et de réflexions voisines ; la comparaison que nous établissons après coup entre ces études peut alors nous aider à retrouver l’orientation commune des spéculations qui leur ont donné naissance.

Considérons, par exemple, pendant la période post-cartésienne, les progrès de la géométrie analytique d’une part, et d’autre part le développement du calcul des séries institué par Newton et Leibniz. Œuvres indépendantes, pensera-t-on tout d’abord, dont l’une se rattache à la pensée de Descartes, tandis que l’autre, tournant le dos au passé, ouvre à la science des voies toutes nouvelles en posant les principes du calcul infinitésimal et de l’Analyse moderne. Pareille manière de voir ne résiste pas, cependant, à un examen attentif. Si, en effet, l’on regarde de près les deux groupes de travaux dont nous venons de parler, on constate qu’ils ne s’opposent nullement l’un à l’autre et qu’ils constituent en réalité deux expressions différentes d’une même préoccupation, d’un même besoin de la pensée mathématique du xviie siècle. C’est la notion générale de fonction qui se dégage peu à peu des théories où elle était enveloppée, et qui cherche à se manifester extérieurement, à se projeter sous figure de courbes géométriques, sous forme d’équations, ou suivant des combinaisons plus compliquées telles que les développements en séries infinies.

Un rapprochement non moins instructif pourrait être fait entre diverses séries de recherches contemporaines qui sont fort éloignées les unes des autres par la nature de leurs objets, mais qui pourtant dérivent d’une inspiration commune. Ainsi, entre la théorie moderne des fonctions et l’étude des axiomes de la géométrie, il n’y a pas de lien apparent. Cependant les deux études tirent leur origine d’une même tendance de la pensée mathématique actuelle : souci de classification, volonté de pousser le plus avant possible la résolution, la dissection des notions complexes.


Bien entendu, tout en poursuivant l’étude historique objective des théories scientifiques, on recueillera soigneusement, chemin faisant, toutes les indications que laissent échapper les auteurs sur leurs préoccupations durables ou passagères, sur leurs espoirs, sur leurs doutes, sur les règles de travail auxquelles ils s’assujettissent.

Il y a eu de tout temps, parmi les savants, des esprits généralisateurs qui se sont plu à regarder loin devant eux et à se représenter l’avenir de la science. Tel fut Descartes, tel fut Leibniz, tel Galois, et d’autres aussi qui, sans être des savants de premier plan, peuvent néanmoins refléter avec exactitude les vues et les aspirations de leur époque. Tous ces penseurs seront particulièrement intéressants à écouter. Il existe, par contre, une catégorie de savants qui semblent avoir une méfiance instinctive contre toute généralisation anticipée et qui trouvent plus d’intérêt à ciseler des œuvres limitées, mais parfaites, qu’à ébaucher de vastes théories et à construire des hypothèses. Tels ont été Fermat, Gauss, Hermite. Ceux-là sont peu communicatifs, mais il est quelquefois possible de les deviner en partie. Ainsi l’on peut être assuré que ces hommes, épris de perfection, choisissent avec un soin particulier les problèmes auxquels ils s’attachent. Peut-être donc qu’en examinant attentivement la liste de ces problèmes, en la comparant avec les objets d’étude d’autres mathématiciens du même temps, on pourra jusqu’à un certain point retrouver le fil de leur pensée. Ainsi, un point pris sur une courbe ne nous apprend rien sur cette courbe ; mais une pluralité de points situés sur un faisceau de courbes parallèles, permettront, s’ils ne sont pas tous exactement au même niveau, de déterminer approximativement la forme et l’orientation du faisceau.

D’une manière générale, il sera toujours fort intéressant de savoir dans quelles circonstances et à quelle occasion les problèmes marquants de la science se sont présentés à l’esprit du chercheur. On regardera donc toujours comment ces problèmes sont introduits dans les écrits où ils sont étudiés, et par quels arguments leur utilité et leur intérêt sont expliqués. On prêtera également attention aux disputes, aux controverses, aux rivalités entre savants qui ont fait naître, précisément, tant de questions nouvelles, et qui sont si propres à éclairer certaines faces importantes de la pensée scientifique. Ainsi, en Grèce, l’opposition des théoriciens et des praticiens nous fournit une donnée fondamentale sur l’idéal de la science hellénique. Les discussions qui ont eu lieu sur le calcul des probabilités, sur les relations des Mathématiques et de la Mécanique, sur l’infini et le continu, nous apportent de même des renseignements précieux sur la science moderne.


La méthode que nous proposons d’appliquer à l’étude historique des théories mathématiques ne saurait, — on en peut juger par l’esquisse qui précède, — être regardée comme nouvelle : elle est, au contraire, fort répandue de nos jours dans tous les domaines où pénètre l’historien : c’est la méthode critique ou philosophique, et l’histoire telle que nous l’avons décrite rentre évidemment dans l’ensemble d’études auquel on donne le nom d’ « histoire philosophique des sciences ».

Il ne faut pourtant pas conclure de là que les questions énumérées plus haut soient naturellement liées aux problèmes philosophiques avec lesquels elles se rencontrent dans l’esprit de nombreux penseurs. Les conceptions sur la science que nous voudrions voir dégagées par l’historien ont sans doute le plus souvent suggéré des conceptions philosophiques, soit à leurs auteurs mêmes, soit à ceux qui les ont regardées du dehors. Mais, comme nous l’avons déjà observé plus haut, il n’y a point interdépendance, il n’y a même pas parallélisme des unes et des autres. L’histoire que nous avons en vue est exclusivement tournée vers la science et reste indifférente aux doctrines métaphysiques.

Pour justifier cette assertion, il n’est pas nécessaire de procéder à une longue étude. Nous avons en effet la bonne fortune de posséder, pour ce qui regarde la définition des problèmes historico-philosophiques, une base d’appréciation extrêmement sûre et complète dans le bel ouvrage qu’a publié récemment M. Léon Brunschvicg sur les étapes de la philosophie mathématique[6].

M. Brunschvicg s’est attaché à montrer comment l’histoire des théories mathématiques permet d’expliquer l’évolution des doctrines philosophiques auxquelles ces théories ont donné lieu. Il y a, pense-t-il, corrélation constante entre les deux ordres de spéculation, chaque progrès technique important se traduisant immédiatement par un nouveau mouvement philosophique. Or il arrive qu’en lisant l’exposé de M. Brunschvicg nous sommes, sur presque tous les problèmes qui y sont soulevés, pleinement d’accord avec l’auteur, dont les arguments nous convainquent ; et néanmoins nous constatons que la courbe d’évolution tracée par M. Brunschvicg diffère notablement, quant au dessin général, de celle qu’il aurait obtenue s’il s’était placé au point de vue du pur homme de science.

La ligne qui marque les étapes de la philosophie mathématique offre un nombre considérable de sinuosités et même de discontinuités brusques que M. Brunschvicg met très fortement en relief. Ainsi, à peine le platonisme a-t-il donné, pour la première fois une explication complète — ou du moins jugée telle — de la connaissance et de la vérité mathématiques, que déjà se présente une coupure, un rebroussement de la courbe : le courant de la spéculation philosophique sur la science s’arrête soudainement, pour repartir avec Aristote dans une nouvelle direction qui l’écarte des mathématiques ; et il faut attendre jusqu’au xviie siècle pour voir la philosophie reprendre l’orientation que lui avait imprimée Platon. Après les Cartésiens — Descartes, Malebranche, Spinoza — nouvelle coupure et non moins profonde : l’analyse infinitésimale relègue au second plan l’algèbre et la géométrie cartésiennes, et de ce grand événement mathématique résulte une révolution complète de la philosophie à base scientifique. Au cours de la période contemporaine, pareillement, nous rencontrons de remarquables discontinuités. M. Brunschvicg nous fait voir en effet comment l’arithmétisme de Renouvier et le nominalisme de Helmholtz d’une part, le mouvement dit « logistique » d’autre part, la doctrine intuitioniste en troisième lieu, se font naturellement suite en s’opposant, et répondent aux différents aspects d’une science qui évolue. Jamais, peut-être, la philosophie mathématique n’a suivi une ligne aussi anguleuse que durant les vingt dernières années.

Allons-nous retrouver le même rythme, la même suite d’oscillations, dans le chemin parcouru par la pensée scientifique pure, dégagée de toute préoccupation philosophique ? Nous ne le croyons pas. Au contraire, il nous semble que les oppositions les plus importantes pour le philosophe disparaissent parfois presque complètement aux yeux de l’homme de science.

Ainsi, par exemple, une rapide revue de l’œuvre mathématique des Grecs nous amènera plus loin à conclure qu’il est impossible de tracer des coupures dans l’histoire de cette œuvre, et qu’on ne saurait y distinguer des théories ou des méthodes procédant de conceptions divergentes. Comme Paul Tannery et Gaston Milhaud, nous croyons à l’unité de physionomie de la science grecque.

Pareillement, l’étude attentive du mouvement mathématique du xviie siècle nous conduira à abandonner l’opinion — assez répandue — d’après laquelle la création du calcul infinitésimal aurait constitué une révolution scientifique. Il nous apparaîtra que, malgré les différences qui les séparent en tant que philosophes, Descartes et Leibniz, hommes de science, sont mus par des aspirations et des conceptions assez semblables ; ils appartiennent à la même famille mathématique.

Enfin, si nous observons les milieux scientifiques contemporains, où trouvons-nous trace de ces divisions et de ces discordes qui agitent le camp des philosophes spéculant sur les principes de la science ? Interrogeons l’un quelconque des mathématiciens vivants : il nous dira que, si les discussions philosophiques de notre temps ont intéressé le monde savant, elles n’ont jamais fait dévier, ni influencé en aucune manière, le cours de ses conceptions. Partisans de l’arithmétisme, de la logistique ou de l’intuitionisme, se retrouvent aussitôt d’accord lorsqu’il s’agit d’effectuer ou d’interpréter une recherche technique.

Ces exemples suffisent à montrer comment une légère différence de point de vue peut transformer profondément les résultats d’une enquête sur l’histoire des théories scientifiques. La reconstitution historique faite par M. Brunschvicg est non seulement distincte de celle que nous avions en vue dans les pages précédentes, mais elle conduit, sur plusieurs points importants, à des résultats opposés.

Les raisons de cette divergence ne sont peut-être pas difficiles à deviner. N’est-ce point l’inéluctable opposition de la science qui se fait et de la science déjà faite qui, ici encore, se manifeste ? Le savant professionnel aura toujours en vue la première : c’est elle qui remplit sa vie, qui est l’objet continuel de son activité. Le philosophe, au contraire, voulant asseoir un système, sera — quel que soit d’ailleurs son dessein — nécessairement attiré vers ce qu’il y a de solide et d’indiscutable dans les théories scientifiques, c’est-à-dire vers les résultats acquis.

Ne parlons pas ici de Kant et d’Auguste Comte qui, comme le rappelle M. Brunschvicg, ont pris pour point de départ de leurs réflexions une science déjà arriérée, des théories mathématiques déjà dépassées à leur époque. Mais croit-on que les philosophes les mieux instruits du mouvement scientifique de leur temps opèrent avec une méthode très différente ? Sans doute ils savent avec exactitude à quel point est parvenu ce mouvement, mais connaissent-ils suffisamment la tangente qui en détermine la direction ? Et le savant de profession lui-même, lorsqu’il veut philosopher, ne suspend-il pas, pour un temps, le cours de sa pensée, ne fixe-t-il pas provisoirement celle-ci, afin de faire sur elle un effort de réflexion ? De là résulte que, dans la science telle qu’elle apparaît au travers de la philosophie, les valeurs, les traits saillants des différentes théories, ne sont pas les mêmes que dans la science vécue par le savant.

Ce n’est pas que le problème de l’invention et de la création mathématique n’ait été maintes fois et finement étudié. Mais, dans les termes où le pose d’ordinaire le philosophe, ce problème ne paraît pas avoir de lien direct avec la question que nous voulons poser : celle de l’évolution des idées des savants sur la science ; et, d’ailleurs, le problème de l’invention n’a jamais été spécialement considéré — on ne voit pas comment il aurait pu l’être — du point de vue proprement historique. Ainsi M. Brunschvicg laisse de côté l’histoire lorsqu’il conclut ses réflexions personnelles sur les racines de la vérité mathématique en donnant comme fondement à celle-ci l’activité même de l’esprit, le mouvement, l’élan d’une intelligence continuellement en progrès. Nous resterons au contraire, sur le terrain historique et scientifique si, fixant notre regard sur la réalisation de l’œuvre mathématique, nous nous demandons comment et dans quelles conditions les savants des divers âges sont parvenus à orienter les progrès de cette activité intellectuelle dont parle justement M. Brunschvicg.


Ces remarques étaient nécessaires pour bien montrer quels seront le point de vue, les caractères et le domaine propre de l’histoire des sciences, appliquée aux problèmes que nous avons indiqués.

Mais dira-t-on, l’histoire ainsi comprise, la possédons-nous déjà, a-t-elle été écrite en tout ou en partie ? Il ne paraît pas, à vrai dire, qu’aucune tentative ait été faite pour isoler systématiquement les questions qui intéressent cette histoire. Nous trouvons cependant dans les travaux des savants, des historiens et des philosophes suffisamment d’indications pour pouvoir nous rendre compte de ses grandes lignes.

Lorsqu’en effet, faisant volontairement abstraction de toutes les nuances et différences qui nous paraissent secondaires, nous suivons à travers les âges, les conceptions directrices des mathématiciens, nous voyons se dessiner une courbe d’évolution dont la figure générale est extrêmement simple. Trois grandes divisions, seulement, ressortent dans cette vue d’ensemble, trois grandes vagues dont le soulèvement principal se produit aux trois époques les plus marquantes de l’histoire des mathématiques : la grande époque de la science hellénique, la fin du xviie siècle, l’époque contemporaine.

Ainsi nous serons tout d’abord amenés à nous demander quels sont les caractères par où se sont distingués ces trois mouvements de pensée.

En ce qui concerne les deux premières époques il suffira, pour les caractériser d’interpréter des faits historiques connus ; travail qui serait relativement aisé si ces faits ne se trouvaient être trop rares pour la période antique et exceptionnellement abondants pour le xviie siècle, en sorte que, dans un cas, nous sommes obligés de suppléer par des inductions à l’insuffisance des textes, et dans l’autre, d’opérer un choix d’une nature assez délicate.

Quand nous en viendrons, par contre, à la période contemporaine, notre embarras sera plus grand ; car les historiens, ne disposant pas d’un recul suffisant, ne sont pas encore parvenus à définir avec précision et à classer impartialement les multiples courants et les tendances diverses qui agitent et divisent les milieux mathématiques de notre époque.

Mais, si l’histoire des idées scientifiques les plus récentes est, à bien des égards, la plus incertaine, n’est-ce pas, en revanche, celle dont l’étude est susceptible de rendre le plus de services à l’homme de science, si elle peut, comme nous le croyons, l’éclairer sur son propre rôle et l’aider à diriger le cours de ses recherches ?

C’est pourquoi, quelque imparfaite que soit actuellement cette histoire, nous ne devons pas hésiter à formuler, sans plus attendre, les jugements qu’elle nous suggère et à dégager les leçons qu’elle nous paraîtra comporter[7].


  1. Émile Picard, La science moderne et son état actuel, p. 31-32.
  2. É. Picard, loc. cit.
  3. Émile Picard, loc. cit., p. 33 et suiv.
  4. Dans une remarquable étude intitulée La méthode dans la philosophie des mathématiques (F. Alcan, 1911), M. Maximillien Winter préconise l’emploi d’une méthode, appelée par lui « méthode historico-critique », qui est analogue à celle que nous voudrions voir appliquer à l’histoire des sciences.
  5. L’hypoténuse du triangle, dont la longueur est égale à √2.
  6. L. Brunschvicg. Les étapes de la philosophie mathématique, 1912.
  7. Dans un ouvrage intitulé Les Principes de l’Analyse mathématique, exposé historique et critique (2 vol., Hermann éditeur, 1914 et 1919) j’ai cherché à donner un aperçu des principales théories qui constituent les fondements des Mathématiques pures et j’ai groupé et classé ces théories de manière à mettre en évidence les trois phases de la pensée mathématique dont il va être question dans les pages suivantes. Ayant ainsi donné ailleurs une sorte d’illustration technique de la théorie historique que je me propose de soutenir, je me dispenserai cette fois d’entrer dans des longs développements mathématiques. — Quelques parties des chapitres qui forment le présent ouvrage ont déjà figuré dans des articles publiés, de 1902 à 1914, dans la Revue de Métaphysique et de Morale et dans la Rivista di Scienza (Scientia).