L’Illustre Maurin/XXXII

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E. Flammarion (p. 281-283).

CHAPITRE XXXII


Une chasse qui n’est pas provençale et que les braconniers Maurin et Pastouré se refusent à faire.

— Un taureau échappé ! Un taureau échappé !

Les arènes restaient à peu près vides. Tout le monde voulait voir comment se comporterait au dehors la bête évadée.

Le taureau en liberté, — échauffé par le mouvement, la colère et l’âpre désir de rester libre, — çà et là chargeait les groupes qui vivement s’abritaient derrière les larges troncs des pins. En un clin d’œil, sept, huit, quinze hommes, — qui étaient-ils ? d’où venaient-ils ? — se trouvèrent armés de fusils et de revolvers et se mirent à la poursuite du taureau…

Et ce fut, à travers les sables, une course folle ; puis, traqué par quelques cavaliers, l’animal revint vers le cirque.

Maurin et Pastouré suivaient des yeux, comme tout le monde, cette chasse lamentable…

— Prends ton cheval, bravadeur ! et cours à la bête ! lui cria quelqu’un.

— Pourquoi faire ? dit Maurin haussant les épaules, je souhaite beaucoup qu’elle se sauve pour de bon !

Arrivée près du cirque, la malheureuse bête reconnut le lieu de son martyre, et épuisée, haletante, du sang dans les yeux et dans les naseaux, du sang sur les flancs, du sang partout, s’arrêta stupéfaite et résignée.

À ce moment on entendit une détonation. De loin, un vaillant imbécile lui avait tiré un coup de revolver. La fine balle inutile érafla l’échine de l’animal. Il eut un frisson comme au toucher d’un taon importun ; on vit luire un nouveau filet de sang qui coula sur sa robe noire. Ce fut tout.

Un second coup retentit, un coup de fusil cette fois ; toute une charge de plombs, préparée pour les canards du golfe, cribla le mufle frémissant qui, troué en écumoire, se mit à pleurer du sang. Le taureau frissonna encore, mais resta immobile, muet ; victime lamentable de la brutalité humaine.

Maurin et Pastouré regardaient cela, d’un air stupide, comme s’ils eussent partagé l’étonnement dédaigneux de la pauvre bête.

— Pas moins, dit Maurin, c’est des sauvages ! mais qu’y pouvons-nous ? Il y a dans la loge d’honneur des maires et des sous-préfets chargés de faire respecter la loi ! je ne peux pourtant pas faire toute leur besogne à moi tout seul !… Et puis, à qui, en ce moment, pourrions-nous bien nous en prendre !…

Les bourreaux du pauvre Empereur n’avaient ni balles ni chevrotines, et voilà que, tour à tour, huit ou dix fusils chargés de menus plombs prirent pour cible, tous à la fois, le taureau martyr. Maintenant un de ses yeux crevés pendait hors de l’orbite. Sa langue sortait de sa bouche baveuse… un coup de feu la perça de trente trous… Il la rentra, mais elle ressortit de sa bouche avec des ruisselets de sang.

De nouveau le taureau, fatigué des hommes, tomba sur ses genoux, puis il chavira et il s’allongea sur le sol en haletant.

Alors, svelte, élégant dans sa veste de pourpre et d’or, un pseudo-Espagnol accourut, s’assit sur la croupe du monstre soi-disant terrible, et, du coup de dague classique, l’acheva. Un frémissement dernier agita cette lourde loque de chair qui avait été une créature, et le taureau expira.

Le public, commentant diversement les incidents de cette chasse hideuse, rentra dans le cirque.

Dignes, les autorités n’avaient pas quitté la loge césarienne.

Tonia non plus n’avait pas abandonné sa place.