L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/04

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Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 132-135).


CHAPITRE IV.

QU’IL FAUT MARCHER EN PRÉSENCE DE DIEU DANS LA VÉRITÉ ET L’HUMILITÉ.

1. J.-C. Mon fils, marchez devant moi dans la vérité, et cherchez-moi toujours dans la simplicité de votre cœur.

Celui qui marche devant moi dans la vérité ne craindra nulle attaque ; la vérité le délivrera des calomnies et des séductions des méchants.

Si la vérité vous délivre, vous serez vraiment libre, et peu vous importeront les vains discours des hommes.

2. LE F. Seigneur, il est vrai : qu’il me soit fait, de grâce, selon votre parole. Que votre vérité m’instruise, qu’elle me défende, qu’elle me conserve jusqu’à la fin dans la voie du salut.

Qu’elle me délivre de tout désir mauvais, de toute affection déréglée ; et je marcherai devant vous dans une grande liberté de cœur.

3. J.-C. La vérité, c’est moi : je vous enseignerai ce qui est bon, ce qui m’est agréable.

Rappelez-vous vos péchés avec une grande douleur et un profond regret ; et ne pensez jamais être quelque chose, à cause du bien que vous faites.

Car, dans la vérité, vous n’êtes qu’un pécheur, sujet à beaucoup de passions et engagé dans leurs liens.

De vous-même, vous tendez toujours au néant ; un rien vous ébranle, un rien vous abat, un rien vous trouble et vous décourage.

Qu’avez-vous, dont vous puissiez vous glorifier ? et que de motifs, au contraire, pour vous mépriser vous-même ! car vous êtes beaucoup plus infirme que vous ne sauriez le comprendre.

4. Que rien de ce que vous faites ne vous paraisse donc quelque chose de grand.

Mais plutôt qu’à vos yeux rien ne soit grand, précieux, admirable, élevé, digne d’être estimé, loué, recherché, que ce qui est éternel.

Aimez, par-dessus toutes choses, l’éternelle vérité, et n’ayez jamais que du mépris pour votre extrême bassesse.

N’appréhendez rien tant, ne blâmez et ne fuyez rien tant que vos péchés et vos vices : ils doivent vous affliger plus que toutes les pertes du monde.

Il y en a qui ne marchent pas devant moi avec un cœur sincère ; mais, guidés par une certaine curiosité présomptueuse, ils veulent découvrir mes secrets et pénétrer les profondeurs de Dieu, tandis qu’ils négligent de s’occuper d’eux-mêmes et de leur salut.

Ceux-là tombent souvent, à cause de leur orgueil et de leur curiosité, en de grandes tentations et de grandes fautes, parce que je me sépare d’eux.

5. Craignez les jugements de Dieu : redoutez la colère du Tout-Puissant ; ne scrutez point les œuvres du Très-Haut ; mais sondez vos iniquités, le mal que tant de fois vous avez commis, le bien que vous avez négligé.

Plusieurs mettent toute leur dévotion en des livres, d’autres en des images, d’autres en des signes et des marques extérieures.

Quelques-uns m’ont souvent dans la bouche, mais peu dans le cœur.

Il en est d’autres qui, éclairés et purifiés intérieurement, ne cessent d’aspirer aux biens éternels, ont à dégoût les entretiens de la terre, et ne s’assujettissent qu’à regret aux nécessités de la nature. Ceux-là entendent ce que l’Esprit de vérité dit en eux.

Car il leur apprend à mépriser ce qui passe, à aimer ce qui dure éternellement, à oublier le monde, et à désirer le Ciel, le jour et la nuit.

RÉFLEXION.

Je suis le Dieu tout-puissant : marchez en ma présence, et soyez parfait[1]. Ainsi parlait le Seigneur au Père des croyants, et ce commandement s’adresse avec encore plus de force aux chrétiens, qui ont contemplé, dans le Fils de l’homme, le modèle de toute perfection. Aussi leur est-il dit : Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait[2]. Étonnant précepte qui, relevant notre incompréhensible bassesse, nous apprend ce qu’est l’homme racheté, ce qu’est le chrétien aux yeux de Dieu. Mais comment, faibles créatures, courbées sous le poids de la chair, approcherons-nous cette perfection souveraine, à laquelle il nous est ordonné de tendre sans cesse ? Écoutez Jésus-Christ : Je suis la voie, la vérité et la vie[3]. Il est la voie qui conduit à Dieu, la vérité qui est Dieu même ; il est la vie promise à ceux qui marchent dans la vérité[4], qui font la vérité[5], selon le mot profond de l’Apôtre. Donc, tout en Jésus-Christ et par Jésus-Christ. Unies aux siennes, nos pensées, nos affections, nos œuvres se divinisent : et comme la perfection du ils est perfection même du Père, par notre union avec le Fils, qui commence sur la terre et se consommera dans le ciel, nous devenons parfaits comme le Père est parfait. Ainsi s’accomplit la prière du Christ : Père saint, conservez en votre nom ceux que vous m’avez donnés, afin qu’ils soient un comme nous sommes un ! Sanctifiez-les dans la vérité ; je me sanctifie pour eux moi-même, afin qu’ils soient sanctifiés dans la vérité[6]. Mais cette grande union, qui nous élève jusqu’à participer aux mérites infinis du Rédempteur, ne s’effectue, ne l’oublions pas, qu’en proportion du sacrifice que nous faisons de nous-mêmes. Notre humilité en est la mesure : elle est le fruit du renoncement propre, du détachement, de l’abaissement qui nous anéantit devant Dieu. Là où l’amour corrompu de soi, là où la nature vit encore, l’union avec Jésus-Christ n’est pas complète. Il faut mourir à soi-même, à ses désirs, à ses goûts, à sa volonté, à sa raison aveugle, pour être un avec le Fils, comme il est un avec son père, pour être sanctifié dans la vérité[7]. Heureuse mort, qui nous met en possession de la véritable vie, de Dieu même et de sa sainteté, de sa vérité éternelle !

  1. Gen. xvii, 1.
  2. Matth. v, 48.
  3. Joan. xiv, 6.
  4. III Joan. 4.
  5. Ephes. iv, 15.
  6. Joan. xvii, 11, 17, 19.
  7. II Cor. i, 3.