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L’Inceste royal/11

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Éditions Prima (Collection gauloise ; no 29p. 55-59).

xi

Un complot à la cour


On pense que Séraphine n’était pas femme à différer sa vengeance.

Néanmoins, elle voulait avant tout confondre ceux qu’elle n’appelait plus, lorsqu’elle était seule avec son époux, que « les imposteurs ». Elle réfléchit durant plusieurs jours à la façon dont elle s’y prendrait pour arriver à ses fins. Et elle conçut un projet audacieux qui consistait à s’introduire dans la chambre de la reine Yolande, une nuit, et de guetter le moment où les époux royaux seraient seuls pour les surprendre et les obliger à avouer.

Alors, le reste du plan arrêté par la princesse serait facile à exécuter. Elle exigerait, contre son silence, l’abdication du pseudo Benoni XIV, qui se retirerait avec la fausse reine Yolande et reconnaîtrait pour souverain le duc de Boulimie. Il entrait même dans le programme de Séraphine, qui allait beaucoup plus loin, d’obtenir de son père qu’il abdiquât lui aussi, afin de la reconnaître comme reine, faute d’héritiers mâles avec Arnaud comme prince consort.

— Oh ! disait-elle à celui-ci. Crois-tu que je serais bien vengée… Ces misérables seraient obligés de me prêter hommage… et de s’humilier devant moi !… Quelle revanche !…

Et je suis encore trop généreuse en leur permettant de continuer à vivre ensemble, même loin de la capitale, dans une retraite que je leur assignerai… Non, le châtiment ne serait pas suffisant… Je ferai mieux que cela… Je ferai enfermer cette princesse Églantine au couvent des Puritaines, mais en ordonnant de la traiter avec la plus extrême rigueur, et nous enverrons le bel Hector faire pénitence, de son côté, dans un couvent de moines, à moins, puisqu’il aime tant jouer le rôle de femme, que nous l’emprisonnions, lui aussi, avec des nonnes… Ne crois-tu pas que sa maîtresse en mourrait de jalousie, car enfin avec les nonnes, on ne sait jamais ce qu’il peut arriver !…

Arnaud, lui, était plutôt enclin à la générosité. Cela se conçoit, il n’avait aucune haine contre le fils du sénéchal et il gardait une grande gratitude, au roi de lui avoir permis d’épouser la fille du duc de Boulimie.

Cependant, il était bien d’avis que les usurpateurs devaient céder la place aux légitimes héritiers de la couronne. Et c’est pourquoi il secondait les desseins de la princesse sa femme. Celle-ci, d’ailleurs, ne pensait plus qu’aux moyens d’exécuter son audacieux programme, et elle attendit l’occasion de pénétrer, comme elle en avait l’intention, dans la chambre de la reine.

Cette occasion ne vint qu’au bout de quelques jours, un soir qu’il y avait fête au Palais et grand bal de cour. Séraphine sut habilement se retirer, sous prétexte d’un malaise subit, avant les souverains. Elle gagna rapidement les appartements royaux, et, toutes les dames de la cour étant auprès de la reine, put facilement se glisser dans la chambre de celle-ci.

— Me voici dans la place ! dit-elle. Il s’agit maintenant de bien me cacher.

Elle ne trouva pas meilleure cachette que le dessous du lit et elle s’y glissa sans souci de chiffonner sa robe de cour. Elle n’y était pas fort à son aise, mais cela lui importait peu ; elle pensait :

— Se morfondre quelque temps sous un lit est léger inconvénient, lorsqu’il s’agit de gagner une couronne.

Et elle ajoutait, se voyant déjà reine de Sigourie :

— Bientôt ce lit sera le mien, et au lieu de me coucher dessous, je me coucherai dedans, tandis que le traître Hector n’aura qu’une couche de moine. Cela le changera de ces draps de linge fin dans lesquels il m’a odieusement trompée tandis que je subissais pour lui mon martyre au couvent des Puritaines.

C’était là grande exagération car nous n’ignorons pas que la belle Séraphine n’avait enduré aucun martyr durant son séjour parmi les nonnes sur lesquelles veillait l’amie du colonel des hallebardiers de la garde. Mais il fallait bien qu’elle se posât en victime, même à ses propres yeux, pour justifier son attitude présente.

Elle eut tout le temps de penser à sa vengeance, car ce fut au bout de deux heures seulement que la reine Yolande regagna ses appartements.

Séraphine assista alors à la transformation de la jeune souveraine, qui se dépouilla de sa robe et de ses vêtements féminins pour revêtir comme chaque soir ses habits d’homme. Malgré qu’elle s’y attendît, la fille du duc de Boulimie n’assista pas sans étonnement à ce spectacle, et lorsqu’elle revit apparaître à ses yeux le jeune Hector, elle ne put s’empêcher de murmurer :

— Ah ! le misérable ! Je ne sais ce qui me retient de lui sauter à la gorge !

Elle n’en fut que plus affermie dans ses projets.

Elle attendait que le roi vînt retrouver sa prétendue épouse, et elle était fort curieuse de voir de près celle qu’elle avait toujours considérée comme un jeune prince.

À sa grande surprise, Hector restait seul ; il ouvrit enfin la porte secrète, ce qui acheva de confondre Séraphine dont le cœur, malgré tout, faisait de grands bonds dans sa petite poitrine, ce qui soulevait ses jolis seins par saccades. Mais


C’est un crime de lèse-majesté (page 58).
aucun homme n’était là pour le voir. Et la princesse pensait à toute autre chose qu’à l’amour.

Hector avait laissé la porte ouverte derrière lui ; il n’avait aucune raison de se méfier, car personne ne se fût permis de venir troubler le repos de la reine. Séraphine attendit un moment pour s’engager sur les pas de son ancien amant, et celui-ci ne se doutait pas, lorsqu’il souleva la tenture donnant dans la pièce où, ainsi que chaque soir, l’attendait Églantine, que deux yeux indiscrets allaient assister à leur entretien amoureux.

Les nuits des époux royaux se ressemblaient, sans qu’ils en éprouvassent le moindre ennui. Bien au contraire, ils trouvaient chaque soir un plaisir nouveau à se revoir sous leur véritable aspect, et ils étaient aussi amoureux qu’au premier jour.

— Viens vite, mon Hector, disait Églantine, viens vite car nous avons, ce soir, avec cette fête et ce bal, perdu un temps précieux pour nous, puisqu’il a été pris à nos heures d’amour…

On se doute qu’Hector avait autant de hâte que la princesse-roi de regagner le temps perdu, et ils furent bientôt couchés tous deux, et sitôt couchés, commencèrent à échanger des baisers…

« Églantine chérie, disait le fils du sénéchal, je t’aime chaque jour davantage.

— C’est comme moi, mon Hector, » répondait la princesse…

Mais à ce moment, une ombre se dressa au pied du lit ou plutôt, non pas une ombre, mais une femme animée du plus grand courroux, en proie à la plus vive agitation, qui s’écria :

— Oh ! C’est infâme !… C’est un crime de lèse-majesté !…

Séraphine avait préparé son effet et c’était intentionnellement qu’elle répétait mot pour mot la phrase qu’avait prononcée Benoni-Églantine le jour où elle avait surpris ensemble Hector et la fille du duc de Boulimie.

Hector se dressa sur son séant.

Une lumière brûlait toujours à la tête du lit. Il la prit pour éclairer le visage de celle qui venait troubler ainsi l’intimité des souverains.

Mais Séraphine ne se cacha pas ; elle s’avança, au contraire, et tendant une torchère à son ancien amant :

— Éclairez-nous donc mieux, messire. Il nous faut de la lumière pour ce que nous avons à nous dire tous les trois !…

— Séraphine ! s’écria Églantine… Comment êtes-vous ici ?

— Cela importe peu ! J’y suis, et c’est le principal… Ah ! Vous ne vous attendiez pas à ma visite !… Mais vous devez comprendre à présent que votre secret est découvert…

Hector répondit aussitôt :

— Vous avez été trop curieuse, madame… Il y a des secrets qu’on ne découvre qu’au péril de sa vie !

— Oh ! oh !… Vraiment ! Heureusement, je ne suis pas seule à le savoir, et mon mari, qui n’ignore pas où je suis, attend que je reparaisse sans que nul ait touché un cheveu de ma tête ?… Et mon mari n’est pas, lui, de ceux qui abandonnent leur dame dans un vilain couvent…

— Soit ! dit Églantine… Vous sortirez d’ici sans être inquiétée. Mais après ?…

— Après ?… Gente dame, qui vous faites passer pour un homme, et avez usurpé une couronne…

— Ne raillez pas, dit Hector… Homme ou femme, madame est votre souveraine…

— Ma souveraine… vraiment… cela est fort plaisant !… Croyez-vous que je vais m’incliner devant celle qui, depuis vingt ans, usurpe le trône qui revient à mon père, lequel est le véritable roi Népomucène VIII, et sera demain proclamé comme tel !…

Si encore à cette supercherie vous n’ajoutiez pas l’odieux d’un crime qu’aucun châtiment ne sera trop sévère pour expier !…

Mais je ne peux contenir mon indignation en voyant dans la même couche, échanger des paroles d’amour, le frère et la sœur !…

Et Séraphine se montra sans pitié ; elle dit tout ce que lui avait appris Arnaud, et elle posa ses conditions à l’abdication de Benoni XIV. Toutefois, elle fut assez habile pour ne pas parler de ses projets d’enfermer les coupables chacun dans un couvent, et leur promit qu’on les laisserait vivre ensemble dans un château éloigné, s’ils voulaient continuer à se regarder comme mari et femme, malgré leur parenté.

Églantine et Hector étaient atterrés.

— Si ce que dit Séraphine est vrai, dit la reine, nous sommes maudits. Mais je ne peux croire que ma mère ait laissé s’accomplir pareil sacrilège… je ne peux croire que cela soit vrai, car la nature aurait parlé en nous et nous eût empêché de nous aimer d’amour !

— Ce serait trop épouvantable ! répondait Hector… Séraphine, vous avez été abusée sur ce point !

— Allez donc le demander à la reine Radegonde, puisque vous en doutez. Mais quoi qu’il en soit, je compte que dès demain vous remettrez le pouvoir à celui qui est le seul et légitime héritier du trône !…

Séraphine se retira. Les deux époux royaux la laissèrent partir… et lorsqu’ils se retrouvèrent seuls, ils mêlèrent leurs larmes.

Églantine sanglotait, blottie sur la poitrine d’Hector… Et tout doucement, elle lui dit :

— Ô Hector, c’est effrayant à penser, mais quand même tu serais mon frère, je ne peux m’empêcher de t’aimer d’amour !…

— Hélas ! Moi non plus, chère Églantine !…

Je ne regretterai pas la couronne, vois-tu, mais je mourrai si je dois renoncer à toi !

— Mon aimée, nous ne renoncerons pas l’un à l’autre, quoi qu’il arrive !…

Et ils acceptèrent l’inceste plutôt que de supporter l’idée d’une séparation qui leur serait trop cruelle à l’un et à l’autre.