L’Indienne/28

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Ch. Vimont (p. 213-216).



CHAPITRE XXVIII.


L’Indienne rapporta le récit de Bess à Julien, qui, prenant des informations exactes, apprit que l’histoire de Dolly était vraie. Anna ne savait que faire, étant contente du service de cette fille, ayant pitié d’elle, mais portée, en la voyant, à des idées qui rendaient sa vie encore plus triste. Soit que Bess eût dit quelques mots qui éclairèrent Dolly, soit le changement de sa maîtresse, Dolly parut triste ; ses yeux montrèrent qu’elle avait pleuré ; Anna s’en affligea, et Bess elle-même vint la prier d’oublier cette histoire et de garder Dolly à son service ; car ses impressions de haine et de pitié étaient également vives. L’Indienne, troublée, pensait à demander à Dolly son secret, quoique repoussée par la froideur, lorsque cette fille entra chez elle d’un air respectueux, sans être appelée, et lui dit qu’une famille russe arrivée de France, et qui allait repartir pour la Russie, cherchait une femme de charge pour l’emmener. Dolly avait été avertie par une de ses amies. Si madame Warwick voulait la garder, elle ne désirait nulle autre place ; mais si Madame avait de nouvelles intentions, elle la priait de l’en avertir. Anna dit qu’elle prendrait des informations sur cette place ; Dolly répondit d’un ton soumis, mais ferme, que les informations étaient favorables, et qu’elle en était sûre. L’Indienne s’en convainquit en effet : la place était bonne ; Dolly devait avoir peu de rapports avec les maîtres. On ne prit pas d’informations près d’Anna, qui laissa partir Dolly en lui faisant les présens qu’avait mérités son service exact, et en lui disant de la rechercher si elle se trouvait jamais dans l’embarras.

Cet incident ne fit que rendre plus complet, pour l’Indienne, un ennui qui revint avec des nuances nouvelles ; car l’ennui, avec un fonds semblable, a sa variété : elle eut des vertiges ; elle se crut malade ; elle n’osait plus sortir dans la rue, craignant de tomber étourdie ; elle se retraçait les maux, les maladies du genre humain ; les secrets de la nature, l’idée de la vie, de la mort, commencèrent à lui causer de la terreur ; elle s’éveillait quelquefois au milieu de la nuit dans d’étranges impressions, frappée de ce sort épouvantable d’une espèce qui ne sait d’où elle vient, où elle va, qui n’a prise sur rien, dont l’individualité n’est que d’un jour, qui n’est pas plus maîtresse d’elle-même que de l’air qu’elle respire sans l’apercevoir, et dont la création seule est un supplice inconcevable si elle y pense.