L’Ombre des jours/Les Plaisirs des jardins

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 83-86).


LES PLAISIRS DES JARDINS


Écoute, au beau jardin, couler à petits bruits
La fontaine où dès l’aube un bras pieux recueille
L’eau qui plaît à la soif de l’herbe et de la feuille
Des petits rosiers tors et des arbres à fruits.

— Viens avec moi ce soir, en doux pèlerinage,
Vers les massifs touffus et les clairs espaliers
Où, par la tige courte et forte, sont liés
Les brugnons éclatants au verdoyant treillage.


Vois ces fleurs où la guêpe heureuse joue et boit,
Respire ces parfums que le vent chaud déplisse,
Touche ces groseillers aux baies rondes et lisses
Où s’enfonce au sommet un petit clou de bois.

L’arôme de l’œillet et de la mirabelle
Fait dans l’air un chemin que suit avidement
Cette guêpe qui vient blesser, en les aimant,
La prune paresseuse et la pêche si belle…

— L’heure est suave et lourde ainsi qu’un fruit mûri,
Le temps vivant s’égoutte au bruit de la fontaine,
La brise, les pistils, les ailes, les antennes,
Mêlent l’insecte ardent aux pétales surpris.

L’arbre sec, où les durs abricots s’éclaboussent
De ruisselant soleil ou bien d’eau quand il pleut,
Retient dans son ombrage et son cercle mielleux
La fileuse araignée et les abeilles rousses.


Sens-tu comme il est vif, sage, divin et beau,
Le fruit gonflé du suc auguste de la terre,
Et sache, comme moi, honorer le mystère
De la chair tendre éclose à l’entour du noyau.

— Et puis, regarde-le, sous ses filets de toiles,
S’éveiller et verdir le merveilleux raisin
En qui dort le plaisir en plus nombreux essaim
Que ne dansent, la nuit, de désirs aux étoiles…