L’Onanisme (Tissot 1769)/Article 3/Section 10/F

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Les passions.


L’on a vu plus haut l’étroite union de l’ame & du corps ; l’on a compris combien le bien-être de la première influoit sur le second ; l’on a vu les sinistres effets de la tristesse ; ainsi il est presque inutile d’ajouter qu’on ne peut trop éviter toutes les sensations disgracieuses de l’ame, & qu’il est de la dernière conséquence de ne lui en procurer que d’agréables dans toutes les maladies, & sur-tout dans celles qui, comme la consomption dorsale, disposent par elles-mêmes à la tristesse, tristesse qui par un cercle vicieux les augmente considérablement. Mais, & c’est une des difficultés du traitement, souvent les malades se complaisent à ce symptôme de leur mal, & l’on ne peut pas les déterminer à faire des efforts pour le surmonter ; d’ailleurs il ne faut pas se faire illusion, & croire qu’il n’y a qu’à ordonner d’être gai, pour qu’on le devienne ; le rire ne se commande pas plus qu’il ne se défend, & l’on est aussi peu maître de s’empêcher d’être triste, que d’avoir un accès de fièvre, ou une rage de dents. Tout ce qu’on peut exiger des malades, c’est qu’ils se prêtent aux remèdes contre la tristesse, comme ils se prêteroient à d’autres ; ces remèdes sont moins la compagnie dans ce cas (nous avons vu qu’elle leur déplaisoit par des raisons particulières), que la variété des situations. Le changement continuel des objets forme une succession d’idées qui les distrait, & c’est ce qu’il leur faut. Rien n’est plus pernicieux aux personnes qui sont portées à se livrer à une seule idée que le désœuvrement & naction. Rien n’est sur-tout plus pernicieux à nos malades, & ils ne peuvent éviter avec trop de soin l’oisiveté & l’abandon à eux-mêmes. Les exercices champêtres, les travaux de la campagne les distraisent plus puissamment que bien d’autres. M. Lewis veut qu’on ne voie, s’il est possible, que des objets de son sexe ;

Nam non ulla magis vires industria firmat
Quàm venerem & cœci stimulos ayertere amoris.
__________________________Virg.


que les malades ne soient jamais absolument seuls ; qu’on ne les laisse point se livrer à leurs réflexions ; qu’on ne leur permette ni lecture, ni aucune occupation d’esprit ; ce sont autant de causes, dit-il, qui épuisent les esprits, & qui retardent la cure. Je ne penserois pas avec lui qu’on dût absolument leur interdire toute lecture. On doit leur défendre de lire longtemps de suite, ne fût-ce qu’à cause de la foiblesse de leur vue ; on doit leur défendre toute lecture qui demanderait de l’application ; on doit leur interdire sévérement toutes celles qui pourroient rappeller à leur souvenir des idées, à leur imagination des objets, dont il seroit à souhaiter qu’ils perdissent la mémoire ; mais il en est qui, sans fixer beaucoup l’attention, & sans pouvoir rappeller des images dangereuses, les distraisent agréablement, & préviennent les dangers terribles d’un ennui désœuvré.