L’Or du Rhin (trad. Ernst)/Scène première

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Traduction par un livret français d’Alfred Ernst.
Éditions Schott (p. 5-18).
Scène première.




Au fond du Rhin.

Crépuscule verdâtre, qui s’éclaircit vers le haut de la scène et s’assombrit vers la région inférieure. Toute la hauteur de la scène est emplie par les eaux du fleuve, dont le courant, sans arrêt, va de la droite vers la gauche. Vers les profondeurs, les flots semblent se dissoudre en un brouillard liquide, toujours de moins en moins dense, de telle sorte que tout au fond, sur une hauteur à peu près égale à celle de la taille humaine à partir du sol, l’espace parait complètement libre d’ondes, qui coulent et passent comme des nuages au-dessus de ce fond ténébreux. Des récifs escarpés surgissent partout des profondeurs et entourent ainsi la scène ; le sol, dans toute son étendue, est un chaos de blocs de rochers, de façon à ne présenter aucune surface entièrement plane et à s’ouvrir de tous côtés sur des crevasses encore plus profondes.

Autour d’un récif qui occupe le milieu de la scène et dresse sa pointe élancée jusque vers les ondes supérieures plus denses et pénétrées d’une plus claire lueur crépusculaire, une des Filles du Rhin nage et décrit des circuits gracieux.

Woglinde.
––––––––––Weia ! Waga !
––––––––––Vogue, ma vague,
––––––––––vogue et te verse !
––––––––––Wagalaweia !
––––––Wallala weiala weia !
La voix de Wellgunde
(venant d’en haut).
––––––Woglinde, veilles-tu seule ?
Woglinde.
––––––Si Wellgunde vient, je suis deux !
Wellgunde.
(plongeant des flots supérieurs vers le récif).
––––––Fais voir si tu veilles.
(Elle essaye d’attraper Woglinde.)
Woglinde.
(qui lui échappe en nageant).
––––––Certe en lieu sûr !
(Elles se poursuivent en se lutinant et cherchent à s’attraper.)
La voix de Flosshilde.

(venant d’en haut).

––––––––––Heiala weia !
––––––––––Sœurs vagabondes !
Wellgunde.
––––––––––Flosshilde, viens !
––––––––––Woglinde fuit :
–––––––aide à saisir la glissante !
Flosshilde.

(qui plonge plus bas et passe entre les deux joueuses).

––––––––––C’est mal garder
––––––––––l’Or endormi ;[1]
––––––––––sur son repos
––––––––––veillez de plus près,
–––––––ou maints regrets vous viendront !

Avec des cris joyeux, les deux sœurs se séparent vivement. Flosshilde essaye d’attraper tantôt l’une, tantôt l’autre ; elles lui échappent, et finalement se réunissent pour donner ensemble la chasse à Flosshilde ; folâtrant et riant, elles vont ainsi, rapides, glissant comme des poissons de récif en récif.

Pendant ce temps, sorti d’une crevasse ténébreuse et grimpant sur un rocher, Alberich a surgi de l’abime. Il s’arrête, encore environné d’obscurité, et, contemplant les jeux des Ondines, il y prend un plaisir croissant.

Alberich.
––––––––––Hé hé ! Les Nixes !
––––––––––Vous si mignonnes,
––––––––––peuple envié !
––––––––––Du Nibelheim noir,
––––––––––j’irais bien vers vous,
––––––––si vers moi vous veniez !

(Les Ondines interrompent leurs jeux lorsqu’elles entendent la voix d’Alberich.)

Woglinde.
––––––––––Hei ! qui est là ?
Wellgunde.
––––––––––C’est sombre et ça parle.
Flosshilde.
––––––––––Vois qui nous épie ! (Elles s’enfoncent davantage et reconnaissent le Nibelung.)
Woglinde et Wellgunde.
––––––––––Fi ! l’horrible !
Flosshilde

(remontant rapidement).

––––––––––Vite vers l’Or !
––––––––––Le Père craint
––––––––––pareil ennemi.

(Les deux autres la suivent, et toutes trois se rassemblent promptement autour du récif central.)

Alberich.
––––––––––Vous, dans l’onde !
Les trois Filles du Rhin.
––––––––––Que cherches-tu, monstre ?
Alberich.
––––––––––Est-ce gêner
–––––––vos jeux qu’admirer leur joie ?
––––––––––Plus bas dans l’abîme,
––––––––––le Niblung
–––––––se plairait et jouerait avec vous !
Woglinde.
––––––––––Il veut nous rejoindre ?
Wellgunde.
––––––––––Est-ce un railleur ?
Alberich.
––––––––––Combien brillant
––––––––––votre éclat reluit !
––––––––––Qu’il serait bon
–––––––d’en serrer quelqu’une en mes bras,
–––––––si son vol m’approchait !
Flosshilde.
––––––––––Je ris de ma peur ;
––––––––––le monstre nous aime !

(Elles rient.)

Wellgunde.
––––––––––Le drôle lascif !
Woglinde.
––––––––––Qu’il nous connaisse !

(Elle descend, se laissant glisser sur la pointe du rocher au pied duquel Alberich est arrivé.)

Alberich.
––––––––––Elle glisse vers moi.
Woglinde.
––––––––––Approche à présent !
Alberich.

(il escalade la cime du rocher avec une agilité de Kobold, mais pourtant en étant obligé de s’arrêter plusieurs fois.)

––––––––––Roc gluant
––––––––––de glaise glissante !
––––––––––Combien je glisse !
––––––––––Des mains et des pieds
––––––––––je ne puis m’accrocher
––––––––––à ce sol qui m’échappe !

(Il éternue.)

––––––––––L’eau m’inonde
––––––––––les narines :
––––––––––ô toux maudite !
Woglinde.

(riant).

––––––––––Bruit qui sied
––––––––––à mon fier galant !
Alberich.
––––––––––Sois toute à moi,
––––––––––ô femme enfantine !

(Il cherche à l’étreindre.)

Woglinde.

(échappant à son étreinte).

––––––––––Si tu me veux,
––––––––––viens donc jusqu’ici !

(Elle a atteint un autre récif. Ses sœurs rient.)

Alberich.

(se grattant la tête).

––––––––––Hélas ! tu t’enfuis ?
––––––––––Viens encore !
––––––––––Vois ma peine
––––––––––à te suivre en ton vol.
Woglinde.

(glisse jusqu’à un troisième rocher, situé plus bas).

––––––––––Viens vers le fond :
––––––––––bien sûr tu m’attrapes !
Alberich.

(descendant en toute hâte).

––––––––––J’y veux donc descendre !
Woglinde

(montant rapidement sur un roc élevé qui se trouve de côté).

––––––––––Ensuite remonte !

(Toutes les Ondines se mettent à rire.)

Alberich.
––––––––––Comment me saisir
––––––––––du sot poisson ?
––––––––––Tremble, menteuse !

(Il veut grimper en hâte vers elle.)

Wellgunde.

(elle s’est laissée glisser sur un écueil placé de l’autre côté à une plus grande profondeur).

––––––––––Heia ! Beau Gnome !
––––––––––Dis, m’entends -tu ?
Alberich

(se retournant).

––––––––––C’est toi qui m’appelles ?
Wellgunde.
––––––––––Ma voix te prévient :
––––––––––vers moi va plutôt,
––––––––––Woglinde est fausse !
Alberich

(qui se hâte, parmi les rocs jonchant le fond, vers Wellgunde).

––––––––––Tu vaux bien mieux
––––––––––que cette sauvage,
––––––––––qui, moins brillante,
––––––––––échappe et glisse. —
––––––––––Mais plonge un peu,
––––––––––si tu me veux plaire !
Wellgunde.

(descendant encore un peu vers lui).

––––––––––Te suis-je assez près ?
Alberich.
––––––––––Non pas encor !
––––––––––D’un bras aimable
––––––––––viens m’enlacer,
––––––––––que je caresse
––––––––––ta nuque avenante,
––––––––––pressant contre moi
–––––––la douceur de ton sein qui soupire !
Wellgunde.
––––––––––Puisque d’amour
––––––––––tu rêves l’ivresse,
––––––––––fais voir, bel Albe,
––––––––––quel est ton aspect ?
––––––––––Fi, le monstre
––––––––––au visage velu !
––––––––––Gnome noir
––––––––––et de soufre imprégné !
––––––––––Cherche une belle,
––––––––––à qui tu plaises !
Alberich.

(cherchant à la retenir de force).

––––––––––Que je plaise ou déplaise,
––––––––––du moins je te tiens !
Wellgunde.

(remontant rapidement vers le récif central).

–––––––Tiens fort, sans quoi je m’enfuis !

(Toutes les trois se mettent à rire.)

Alberich

(l’invectivant de loin en sa colère).

––––––––––Fausse enfant !
–––––––Froid et traître poisson !
––––––––––Si je ne brille
––––––––––et saute à ta guise,
––––––––––lisse et leste, —
–––––––hé ! va plaire aux anguilles,
–––––––si ma peau te répugne !
Flosshilde.
––––––––––Que grondes-tu ?
––––––––––Gnome attristé ?
––––––––––Pour deux tu brûlas :
––––––––––prends la troisième,
––––––––––doux accueil
–––––––va consoler ton cœur !
Alberich.
––––––––––Tendre voix
––––––––––qui me ravit ! —
––––––––––Quel grand bonheur
––––––––––d’en trouver trois !
–––––––Sur trois je peux plaire à quelqu’une
–––––––mais d’une autant dire aucune ! —
––––––––––Dois-je te croire,
––––––––––descends jusqu’à moi !
Flosshilde.

(plongeant plus bas vers Alberich).

––––––––––Vous fûtes folles,
––––––––––sœurs aveugles,
–––––––qui niez sa beauté !
Alberich.

(s’approchant d’elle en toute hâte).

––––––––––Vilaines et folles
––––––––––je les déclare,
–––––––puisque ta grâce me rit !
Flosshilde.

(le câlinant).

––––––––––O chante encor
––––––––––ton chant si doux ;
–––––––son charme enchante mes sens !
Alberich.

(confiant, et la caressant).

––––––––––Mon cœur bat
––––––––––et brûle tremblant,
–––––––à de si tendres éloges.
Flosshilde.

(le repoussant un peu avec douceur)

––––––––––Combien ta grâce
––––––––––égaie mes yeux !
––––––––––à ton clair sourire
––––––––––mon cœur se plaît !

(Elle l’attire tendrement contre elle.)

––––––––––Homme adoré !
Alberich.
––––––––––Fille charmante !
Flosshilde.
––––––––––Si tu m’aimais !
Alberich.
––––––––––Si je t’ai toute !
Flosshilde.

(l’entourant complètement de ses bras).

––––––––––Ton regard aiguisé,
––––––––––et ta barbe rebelle,
–––––––le voir, la saisir à jamais !
––––––––––Les piquants de ta tête
––––––––––aux crins hérissés,
–––––––qu’ils flottent sur Flosshild’ sans cesse !
––––––––––Tes aspects de crapaud,
––––––––––et tes cris croassants,
–––––––je veux, muette d’amour,
–––––––seuls, les voir, les entendre !

(Woglinde et Wellgunde, plongeant plus bas, se sont rapprochées d’eux, et elles poussent maintenant un bruyant éclat de rire.)

Alberich.

(effrayé, et sursautant des bras de Flosshilde).

–––––––Cœurs méchants, vous raillez !
Flosshilde.

(s’arrachant soudain à son étreinte).

–––––––Ainsi doit finir la chanson !
(Elle fend l’onde vers les hauteurs, d’un élan rapide, avec ses deux sœurs, et se met à rire avec elles.)
Alberich.

(avec des cris déchirants).

––––––––––Las ! hélas !
––––––––––Malheur ! Malheur !
––––––––––Cette autre, si tendre,
––––––––––me trompe à son tour ? —
––––––––––O filles fausses,
–––––––race brillante et traîtresse !
––––––––––Sont-ce vos jeux,
–––––––perfides nageuses des flots ?
Les Trois Filles du Rhin.
–––––––Wallala ! Lalaleia ! Lalei !
–––––––Heia ! Heia ! Haha !
––––––––––Fi, le pauvre Albe !
––––––––––Folle est ta rage !
–––––––Suis l’avis qu’on te donne !
––––––––––Pourquoi, inquiet,
––––––––––n’attaches-tu point
–––––––la fille qui te plaît ?
––––––––––Sûrs et constants
––––––––––sont nos cœurs
–––––––pour tout galant qui nous tient —
––––––––––Saute après nous,
––––––––––et cesse tes cris !
–––––––Notre fuite est lente en ces flots !

(Elles se séparent en nageant, et S’élancent en tous sens, tantôt descendant, tantôt s’élevant, pour exciter Alberich à leur donner la chasse.)

Alberich.
––––––––––Comme en mon corps
––––––––––un feu dévorant
––––––––––s’allume et brûle !
––––––––––Rage, amour,
––––––––––flamme ardente
––––––––––prend tout mon être ! —
–––––––Vous qui riez, menteuses,
–––––––mon désir vous poursuit,
–––––––et l’une au moins sera prise ! Avec des efforts désespérés il se met en chasse : il escalade les rocs avec une effrayante agilité, bondissant de récif en récif, essayant de saisir les Filles, tantôt l’une, tantôt l’autre ; mais elles lui échappent toujours, jetant des éclats de rire moqueurs ; il chancelle, se rue dans les profondeurs, grimpe de nouveau en toute hâte sur les rochers élevés, — jusqu’à ce qu’il perde finalement patience : écumant de rage, il s’arrête, et menace les Ondines de son poing fermé.
Alberich.

(presque hors de lui).

––––––––––Qu’une me tombe en main !

Il reste ainsi, en proie à une rage muette, le regard levé vers les hauteurs, où, pendant tout ce qui suit, ce regard va se trouver sans cesse attiré et comme enchaîné.

D’en haut, à travers les ondes, une clarté de plus en plus vive a pénétré ; cette clarté allume maintenant, en un point élevé du récif central, un éclat d’or rayonnant et éblouissant : une magique lumière d’or s’irradie de ce point dans l’étendue des eaux.

Woglinde.
––––––––––Sœurs, l’aube !
–––––––L’éveilleuse sourit dans l’abîme.
Wellgunde.
––––––––––Par les vertes eaux
–––––––son rire salue le Dormeur.
Flosshilde.
––––––––––Vite elle l’embrasse
––––––––––pour qu’il s’éveille.
Wellgunde.
––––––––––Vois, il vibre
––––––––––d’un vif rayon.
Woglinde.
––––––––––Dans la vague au loin
–––––––luit son astre éclatant.
Toutes trois.

(ensemble, et nageant, gracieuses, autour du récif).

––––––––––Heiaïaheia !
––––––––––Heiaïaheia !
–––––––Wallalallalala leiaïahei !
––––––––––Rheingold ![2]
––––––––––Rheingold ! [3]
––––––––––Joie et clarté,
–––––––tu brilles et ris si beau !
––––––––––Gloire de feu
–––––––s’enflamme en ta couche sacrée !
––––––––––Heiaïahei !
––––––––––Heiaïaheia !
––––––––––Veille, ami,
––––––––––veille, gai !
––––––––––Rondes d’ivresse
––––––––––rient devant toi :
––––––––––fleuve de feu,
––––––––––flamme des flots,
––––––––––tout flue et flamboie
––––––––––et chante et se plonge
–––––––en l’éclat et la joie de ton lit !
––––––––––Rheingold ![4]
––––––––––Rheingold ! [5]
––––––––––Heiaïaheia !
–––––––Wallalaleia iahei !
Alberich.

(dont les yeux, puissamment fascinés par l’éclat, demeurent hagards et fixés sur l’Or).

––––––––––Quel est, ô Filles,
–––––––l’éclat qui luit là-bas ?
Les trois Filles du Rhin.

(ensenble d’abord, puis parlant alternativement et reprenant ensuite toutes trois).

–––––––Pauvre ignorant, d’où sors-tu,
–––––––que du Rheingold[6] tu ne sais rien ? —
––––––––––Le Gnome ignore
––––––––––cet œil des ondes,
–––––––cet Or qui veille ou dort ? —
––––––––––la sublime étoile
––––––––––éclose en l’abîme,
–––––––perçant les flots de ses feux ? —
––––––––––Vois nos fêtes,
––––––––––nos jeux dans sa flamme !
––––––––––Si tu veux
––––––––––t’y baigner et vivre,
–––––––viens vite et nage avec nous !
(Elles rient.)
Alberich.
––––––––––Tout cet Or ne sert
––––––––––qu’à vos jeux de nageuses ?
––––––––––Pour moi ce n’est guère !
Woglinde.
––––––––––Il n’eût raillé
––––––––––l’Or radieux,
–––––––s’il en savait les merveilles !
Wellgunde.
––––––––––Du monde tout
––––––––––l’héritage est promis,
––––––––––à qui du Rheingold[7]
––––––––––forge l’Anneau,
–––––––qui force et pouvoir lui vaudra.
Flosshilde.
––––––––––Le Père ordonne
––––––––––que sans relâche
––––––––––l’on surveille
––––––––––le pur trésor,
–––––––pour qu’un traître aux flots ne l’enlève :
–––––––donc paix, bavardes sans fin !
Wellgunde.
––––––––––O sœur prudente,
––––––––––pourquoi nous gronder ?
––––––––––Sais-tu donc pas
––––––––––qui seul de tous
–––––––pourrait forger cet Or ?
Woglinde.
––––––––––Seul qui d’Amour
––––––––––la loi renie,
––––––––––seul qui d’Amour
––––––––––la joie bannit,
–––––––lui seul contraint par un charme
–––––––l’Anneau à naître de l’Or.
Wellgunde.
––––––––––Aussi nous sommes
––––––––––sans nul souci :
–––––––car tous les êtres aiment ;
–––––––nul ne renie la tendresse.
Woglinde.
––––––––––Surtout celui-ci,
––––––––––cet Albe lascif :
––––––––––d’amour ardent
––––––––––il va mourir !
Flosshilde.
––––––––––Je n’ai plus peur,
––––––––––l’ayant vu de près :
––––––––––son amour brûlant
––––––––––m’a presque enflammée.
Wellgunde.
––––––––––Du soufre en feu
––––––––––dans le flux des flots :
––––––––––sa rage amoureuse
––––––––––siffle au loin !
Toutes trois.

(ensemble).

–––––––Wallalalleia ! Lahei !
––––––––––Albe suave,
––––––––––ris à ton tour !
––––––––––Dans cet Or en flamme
––––––––––tu brilles si beau !
–––––––Oh ! viens vite, et ris avec nous !

(Elles rient.)

Alberich.

(qui, les yeux toujours fixés, hagards, sur l’Or, a bien su écouter le rapide bavardage des trois sœurs).

––––––––––Du monde tout
–––––––l’héritage m’arrive par toi ?
––––––––––Perdant la tendresse,
–––––––j’aurais cependant le plaisir ?

(D’une voix terriblement éclatante.)

––––––––––Ha ! riez donc !
–––––––Le Nibelung vient vers vos jeux !

Plein de rage, il bondit vers le récif central, et l’escalade, grimpant vers la cime avec une rapidité sauvage. Les Filles s’amusent à jeter des cris aigus et se séparent brusquement, et d’un élan s’élèvent dans diverses directions.

Les Trois Filles du Rhin.
–––––––Heia ! Heia ! Heiahahei !
––––––––––Gare à vous !
––––––––––le Gnome rugit !
––––––––––sous ses bonds les eaux
––––––––––ont rejailli :
–––––––l’Amour le rend insensé !

(Elles rient, dans la folie de leur excessive confiance.)

Alberich.

(sur la pointe du récif, étendant la main vers l’Or).

––––––––––Sans peur encor ?
––––––––––Riez aux ténèbres,
––––––––––filles des flots !
–––––––Ce feu, moi, je l’éteins ;
–––––––j’arrache au rocher cet Or,
–––––––forgeant ma vengeance en l’Anneau :
––––––––––car l’onde l’entend —
–––––––tel, j’abjure l’Amour !

Avec une épouvantable puissance, il arrache l’Or au récif, et précipitamment se rue avec lui aux profondeurs de l’abîme, où il disparaît rapidement. D’épaisses ténèbres nocturnes envahissent soudain tout le fleuve. Les Filles plongent éperdûment vers les profondeurs, à la poursuite du larron.

Les Filles du Rhin.
––––––––––Sus à ce traître !
––––––––––L’Or, sauvez l’Or !
––––––––––Aide ! Aide !
––––––––––Las ! Las !

Les eaux semblent descendre avec elles aux profondeurs : tout en dessous, au lointain, éclate le rire moqueur et brutal d’Alberich. — Les récifs disparaissent au plus épais des ténèbres ; du haut en bas, toute la scène est emplie d’un grand mouvement d’ondes noires, qui, pendant quelque temps, paraissent continuer à descendre.



  1. Var. : Sur l’Or qui dort
    .mal vous veillez :
  2. Var. : Or pur !
  3. Var. : Or pur !
  4. Var. : Or pur !
  5. Var. : Or pur !
  6. Var. : que de l’Or pur
  7. Var. : à qui de l’Or pur