L’ange de la caverne/01/04
CHAPITRE IV
MYSTÈRE
Il était dix heures moins vingt minutes. Yves Courcel allait partir pour son bureau. Sylvio Desroches n’était pas encore arrivé ; Yves téléphona à son domicile, mais il ne reçut pas de réponse. Sylvio avait-il oublié l’argent dont lui, Yves, était le dépositaire ? Il devait venir chercher cet argent ce matin, afin de le déposer à la banque pourtant. Peut-être Desroches était-il rendu à son bureau ; il allait l’appeler. Yves téléphona donc au bureau de son ami ; c’est le secrétaire de Sylvio qui lui répondit.
« M. Desroches est-il là ? » demanda Yves.
— « C’est M. Courcel qui parle ? » demanda le secrétaire. « Non, M. Courcel, M. Desroches n’est pas encore arrivé au bureau. »
— « Je viens de téléphoner chez lui ; mais je n’ai pu obtenir de réponse, » dit Yves au secrétaire. « Dites à M. Desroches que je l’ai appelé, dites-lui aussi de m’appeler aussitôt possible, n’est-ce pas ? »
— « Certainement, M. Courcel, je n’y manquerai pas, » répondit le secrétaire.
Il y avait surcroît d’ouvrage au bureau ce matin-là et Yves fut tellement occupé tout l’avant-midi qu’il en oublia le téléphone de Sylvio. Ce fut seulement quand midi sonna qu’il se rappela tout à coup qu’il n’avait pas eu d’appel de son ami.
« Germain » — le secrétaire de Sylvio se nommait ainsi — « a oublié de dire à Sylvio de m’appeler » pensa-t-il. « Je vais passer par le bureau ; j’en ai le temps avant déjeuner. »
Le secrétaire était seul dans le bureau privé de Sylvio quand Yves y entra ; il leva la tête et dit :
« M. Desroches n’est pas venu à son bureau ce matin. »
— « Vraiment ! » s’écria Yves. « C’est surprenant, n’est-ce pas, Germain ?… M. Desroches qui vit, littéralement, dans son bureau ! »
— « Et même il y a des documents qui exigent sa signature et… je ne comprends pas… »
— « Je vais appeler de nouveau chez lui, » dit Yves, qui se mit immédiatement au téléphone.
Mais il ne reçut pas de réponse. Il entendait la cloche du téléphone sonner et sonner encore ; mais le « Allô ! » espéré ne vint pas… Alors, il fut pris d’une grande inquiétude… Qu’était-il arrivé ?… Sylvio était un peu souffrant quand il était parti de chez lui, la veille… Serait-il malade ?… Trop malade pour répondre à son téléphone ?…
« Vous ne recevez pas de réponse, M. Courcel ? » demanda le secrétaire, d’une voix inquiète.
— « Non » répondit Yves, en replaçant le récepteur, « et c’est assez singulier… Je vais me rendre chez M. Desroches… Vous feriez bien, peut-être de m’accompagner, Germain, si vous le pouvez. »
Le secrétaire jeta un monceau de papiers dans son pupitre, auquel il donna un tour de clef et prenant son chapeau, il sortit, précédé d’Yves Courcel.
Appelant une voiture, Yves y monta, suivi du secrétaire, après avoir donné au cocher l’adresse du domicile de Sylvio Desroches. Le cocher, flairant un pourboire, fouetta ses chevaux, et, en moins de dix minutes, il déposa ses passagers à l’adresse donnée.
Yves et le secrétaire, arrivés à la porte de la demeure de Sylvio, sonnèrent à plusieurs reprises. Ils ne reçurent pas de réponse, ce à quoi ils s’attendaient, d’ailleurs.
« Vais-je enfoncer la porte, M. Courcel ? » demanda le secrétaire.
— « Non, attendez ! » répondit Yves.
Il retira de la poche de son paletot un trousseau de clefs et en choisit une qu’il mit dans la serrure et la porte s’ouvrit.
Cette clef, Sylvio l’avait donnée à Yves, il y avait déjà plusieurs années :
« Prends cette clef, Courcel » avait-il dit. « Si jamais tu viens me rendre visite et que je sois absent, entre et attends-moi. Tu trouveras toujours de bons cigares, des journaux et des revues, chez moi, pour t’amuser, en attendant mon retour. »
Yves ne s’était jamais servi de cette clef ; mais, dans le moment, il était bien aise de l’avoir en sa possession.
Un grand silence — un de ces silences qui oppressent — régnait dans la demeure de Sylvio Desroches. Yves Courcel et le secrétaire Germain parvinrent d’abord dans l’étude de Sylvio. Tout y était dans l’ordre accoutumé. Sur un pupitre, Yves vit une lettre inachevée de Sylvio à son fils Tanguay. On passa dans la salle à manger, puis dans la chambre à coucher, dont le lit n’avait pas été défait… ou bien, avait été refait.
« M. Courcel, » dit le secrétaire, d’une voix tremblante, en désignant le lit de Sylvio, « pensez-vous que M. Desroches a couché dans ce lit, la nuit dernière ? »
— « Hélas ! je ne sais, » répondit Yves, des larmes dans la voix. « Qu’est-ce que cela signifie ?… Mon Dieu ! Serait-il arrivé malheur à mon ami, à mon frère ? »
« Monsieur reprit le secrétaire, « j’en ai le pressentiment M. Desroches a été assassiné ! »
— « Assassiné ! » s’écria Yves.
— « Oui, monsieur, assassiné ! M. Desroches, quand il a quitté son bureau, hier soir, portait sur lui la somme de 250,000 francs et… »
— « Mais, » répondit Yves… Cependant, il se tut… Devait-il confier au secrétaire ce qui s’était passé la veille ?… Non. Il valait mieux se taire, pour le moment. Le plus pressé c’était de retrouver Sylvio… Qu’était-il devenu ?…
« Allons avertir la police ! » s’écria le secrétaire.
— « Écoutez, Germain, » dit Yves « attendons à demain pour mettre la police dans cette affaire. Si mon ami reste introuvable encore demain, nous irons faire notre déclaration à la police, demain soir. »
— « Mais… monsieur Courcel… » murmura le secrétaire.
— « Voyez-vous, Germain, » reprit Yves, « M. Desroches a peut-être quitté la ville pour un jour ou deux seulement et il serait en lieu de nous en vouloir, si nous faisons du bruit à propos de rien… Attendons… Si, demain soir, il n’a pas reparu, je le répète, nous aurons recours à la police. En attendant, vous et moi, chacun de notre côté, nous allons faire des recherchées… discrètement… Qu’en pensez-vous, Germain ?
— « Vous avez raison, M. Courcel, attendons à demain ! Bien sûr, M. Desroches n’a pas de comptes à rendre à qui que ce soit. Peut-être a-t-il quitté la ville pour affaires personnelles et reviendra-t-il demain soir. »
— « Venez déjeuner avec moi, Germain ; nous allons décider ce que nous devrions faire. »
Yves Courcel et Germain quittèrent le domicile de Sylvio Desroches, après en avoir fermé soigneusement la porte à clef, puis ils se rendirent à un restaurant, où, tout en mangeant, ils prirent des mesures pour retrouver Sylvio Desroches dont la disparition semblait enveloppée de mystère.