L’expiatrice/21

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Éditions Édouard Garand (p. 48-52).

XXI


L’âpre bise de janvier souffle, par habitude, sur la maison résignée. Le vent est nord-est, « un vent qui est terrible au Canada », remarquaient déjà les premiers habitants de la Colonie ; il s’apaisera vers la fin de l’après-midi, selon son habitude encore et alors la maison pourra conserver un peu de chaleur. Mme Deslandes tient gorgés de charbon le poêle de la cuisine aussi bien que la fournaise du passage, mais le défaut de cette maison c’est, on dirait, d’être trop mince. Dès qu’il est un peu vif, l’air la traverse comme il passerait à travers une toile. Si bien que, du matin au soir, pour peu qu’elle prolonge son immobilité, Paule grelotte. Elle ne peut pourtant remuer toujours et, déjà, elle paie par assez de fatigue les mouvements indispensables. À tout prix, elle veut se garder des forces pour la messe du matin et la visite de l’après-midi au Saint-Sacrement. Sans ces deux soleils, comment supporterait-elle les longues journées de souffrance et d’ennui ?…

Parfois, il est vrai, une lettre survient de la ville ou même de St Antoine et perce, de sa petite lueur d’étoile, le voile sombre de son horizon ; mais si les scintillantes étoiles réjouissent les yeux, le privilège de réchauffer les cœurs leur a été refusé et, à l’égard de Paule, il en est ainsi des messages brefs ou longs, inattendus ou longuement désirés que la poste lui transmet.

Hier soir encore un billet est arrivé de la Pension : en avertissant l’orpheline qu’un nouveau dépôt vient d’être fait en son nom, à la banque, on l’exhorte à ne point se priver ; qu’elle consulte le médecin ; qu’elle se passe des fantaisies ; qu’elle distribue des cadeaux ; tout est d’avance approuvé. Pourvu qu’elle ramène à bien sa santé, on n’en demande pas davantage. Quant à lui suggérer encore de revenir à la ville, on y a évidemment renoncé après les refus consécutifs de cet été.

Tout cela est fort bien, mais la malheureuse enfant lit entre les lignes et ces aumônes la brûlent. Ce qui la retient de les rejeter à la face de ses insolentes bienfaitrices c’est l’unique souci de ne point attenter à ses jours. Laissée à elle-même, elle mourrait bien sûr. Car, dans l’état d’affaiblissement où l’a laissée sa dernière grippe, elle se trouve moins que jamais en état de pourvoir à son existence.

La visiteuse qui a causé tout l’après-midi avec Mme Deslandes s’éloigne afin que la bonne dame puisse commencer les apprêts du souper. Le nord-est s’est apaisé et la maison s’enténèbre : il passe sûrement cinq heures. Volontiers, Paule se laisserait gagner à rester ici, dans sa berceuse profonde et tout près de la tortue ; mais sa santé, aussi bien que les besoins de son âme, exigent qu’elle accomplisse cet effort de s’habiller et de sortir.

C’est elle-même qui a fixé, pour sa quotidienne visite au Saint-Sacrement, cette heure tardive de l’après-midi afin que la trop prévenante Mme Deslandes n’ait pas l’idée de l’accompagner. Car Paule est devenue sauvage comme le fut son père après sa sortie du bagne. Les lettres l’attirent encore mais son prochain lui pèse et l’irrite et la femme autrefois excellemment chère et dont on lui a fait une dévouée compagne, c’est une lèpre à sa vie. Paule l’évite autant qu’elle peut ; elle dépense le meilleur de ses forces à la supporter ; mais il vient des moments, le soir surtout quand son sang s’enfièvre, où elle a peur de ne pouvoir résister à la tentation de lui sauter à la gorge et de lui nouer ses doigts autour du cou pour la faire taire, enfin, pour la faire taire ! !

Cependant, la jeune fille a pénétré dans la garde-robe qui, à cette extrémité, clôt le passage et après s’être enveloppée de lainages et de fourrures, courageusement elle se met en route. Dehors, le froid est moins dur qu’elle ne craignait et, en quelques minutes, la voici parvenue au but de sa course : l’église. Agenouillée dans l’un des premiers bancs, elle y prie bien. Elle n’a plus, pour ainsi dire, conscience de ce qui l’entoure, tout occupée qu’elle est à puiser du secours avec cette voracité des faibles qui entrevoient l’abîme.

Sensiblement réconfortée aujourd’hui comme les autres jours, elle s’en revient à pas lents, humant l’air vif et contente que le vent soit tombé. Dès le seuil, des odeurs de cuisson la saisissent tandis qu’un grésillement se fait entendre du fond de la cuisine.

Bien qu’elle ait allégé sa démarche, Mme Deslandes l’a entendue ou peut-être devinée, et la voici qui apparaît à l’entrée de la garde-robe, une fourchette à la main et ses yeux pâles brillant de tout leur éclat.

— Vous arrivez de l’église, Melle Paule ? s’assure-t-elle en essayant d’y voir dans cette garde-robe où la jeune fille s’est plongée.

— Oui, Mme Deslandes.

— Vous n’avez rien vu d’insolite ? rien entendu ?

— Mais non, rien.

— C’est que le petit me raconte une chose ! Lui aussi est entré à l’église ; juste le temps de faire une génuflexion et de se signer et il me dit que, dans le dernier banc à droite, il a aperçu un homme qui pleurait à sanglots, la tête dans ses mains…

— Voilà qui est étrange, remarqua seulement Paule.

Mme Deslandes en sera pour ses frais.

Le petit, c’est un garçonnet du village qui couche à la maison afin de rassurer la peureuse compagne de Paule. Comme récompense, on lui donne ses repas du matin et du soir et, avec cet instinct éveillé de l’enfance, il a immédiatement compris que le moyen de plaire à la dame c’était de lui rapporter, autant qu’il en trouverait, de potins et de nouvelles à sensation. Son succès de ce soir le grandit dans sa propre estime car, un étranger qui pleure dans une église de campagne, n’est-ce pas le champ ouvert à toutes les suppositions imaginables et inimaginables ?…

Mal encouragée par Paule, Mme Deslandes se rabat sur le petit et la cuisine s’emplit de sa voix heureuse et questionnante.

— Si vous voulez approcher, Mlle Paule, tout est prêt.

La jeune fille obéit sans se faire prier. Les repas ont d’ailleurs cela de bon qu’ils font courir du chaud dans ses veines.

— Une belle soupe à l’orge, Mlle Paule, annonce Mme Deslandes en déposant l’assiette fumante sur la table. Voilà qui va vous ravigoter une petite canadienne…

Ô surprise charmante, l’enfant a souri !

— Vous êtes bonne, Mme Deslandes, prononce-t-elle.

La soirée s’acheva sans autre incident. Mais au milieu de la nuit, lorsque Paule s’éveilla, tout en nage parce que dans ses craintes de petite frileuse elle s’était couverte de façon déraisonnable en se mettant au lit, elle ne reconnut pas ses impressions coutumiers. En fait, est-ce que depuis la veille quelque chose de désespéré et de très doux ne mitigeait pas l’amertume ordinaire de ses sentiments ? Quoi donc, au juste ?… Ah ! oui, c’est cet étonnant rapport de l’enfant qui l’a tant troublée : un homme qui avait pleuré dans l’église peut-être et probablement à l’heure où elle s’y trouvait…

Si malgré sa défense formelle déjà vieille d’un an, d’ailleurs, il allait, demain, se présenter à la maison ?… Force lui serait bien de le recevoir, à cause de Mme Deslandes qui n’est au courant de rien. Alors, tout serait oublié. Elle ne se souviendrait plus d’avoir souffert. Incapable de supporter plus longtemps la séparation, il s’était donc rendu jusqu’ici et lui, un homme, il avait pleuré !

Hier encore, Paule hésitait à attribuer la personnalité d’Édouard à ce mystérieux désolé mais voici que dans les ténèbres et le calme de cette nuit, en colloque suprême avec le problème, la conviction l’étreint toute. Peut-être que, pour se conformer malgré tout à ses ordres, il repartira sans avoir essayé de l’atteindre ; s’il vient, c’est d’ailleurs aussi fermement qu’elle lui renouvellera l’expression de sa volonté. Mais savoir qu’il s’est aventuré ici pour elle, lui son maître, son père par l’affection protectrice, lui son unique ami — car ce serait une injure de lui comparer le frère de Marthe, un jeune homme aux entraînements faciles et que, depuis de longues semaines, elle a chassé de son souvenir — lui, commettant la folie de se rapprocher d’elle par simple besoin du cœur, elle n’aura jamais payé assez cher ce présent du ciel. Non, de pareilles coupes de joie ne s’épuisent pas !

Toutefois, Édouard ne se présenta point à la maison, le lendemain, et personne, dans le village, ne parla d’un étranger qui serait entré dans l’église, vers les cinq heures.

Les jours passèrent et sur le visage amaigri de Paule la détresse se burinait en traits plus profonds.

Un matin qu’il lui en coûta davantage de quitter son lit, elle décida tout d’un coup de renoncer à la messe du matin ; mais ce sacrifice joint à la constatation de son impuissance amenèrent les larmes à ses yeux. Elle enfouit sa tête dans l’oreiller et y sanglota. Quand donc arrivera-t-il ce beau printemps qui doit la ressusciter, comme l’an passé, à St Antoine ?…

À partir de ce jour, elle en prit plus à son aise et même, les fins d’après-midi, quand elle se jugeait trop bien, près de la tortue, elle sortait simplement son chapelet qu’elle égrenait assise. Puis, les mains jointes et les yeux baissés, elle s’abîmait en la présence de Celui qui remplit le ciel et la terre.

Cette détente de son énergie lui valut un mieux sensible que Mme Deslandes releva et nota avec enthousiasme dans ses lettres à Melle Dufresne. L’excellente femme eut même la faiblesse de s’en exagérer la durée et c’est ainsi qu’on arriva au dernier mois de l’hiver.

Certain dimanche du commencement de ce mois, Paule s’éveilla à l’heure désirable, mais son corps paresseux lui sembla plus lourd qu’à l’ordinaire tandis que son esprit resté, au contraire, d’une étonnante activité commençait de lui présenter des scènes bizarres : elle revit des attitudes, analysa des impressions ; elle scruta des vies qu’ensuite elle comparait à d’autres ; elle crut entendre exprimer des idées, des théories…

Et soudain, avec la rapidité d’un cyclone dévastateur, un vent d’incrédulité secoua, de fond en comble, sa conscience. En un clin d’œil, il eut fait table rase de ses croyances les plus lointaines. Elle eut l’impression d’un toit qui s’enlevait de dessus sa tête, laissant le ciel immuablement bleu et serein ; de murailles qui s’abattaient, découvrant sur une étendue illimitée l’horizon. Une paix étrange la baigna de son eau morte.

Abaissant ses paupières elle feignit alors de dormir et laissa Mme Deslandes partir seule pour l’église.

Comme la porte se refermait sur elle avec un bruit que la bonne dame ménageait à dessein, cette paix qui avait saisi Paule se fit plus dense encore pendant que son esprit raisonnait toujours avec une vélocité qui tenait du prodige.

Comment avait-elle pu croire si longtemps ?… Il n’y a rien, après cette vie. La terre c’est la terre et nous en sommes tous sortis, du premier au dernier. Son père converti deux fois, d’abord pour plaire à son épouse, ensuite au moment où « son physique enfin dompté par la maladie, il n’était plus le même », Édouard renégat en pleine maturité de corps et d’esprit, ses fanatiques cousines elles-mêmes, enfin tous ceux qu’elle a connus, vraiment, apportent en faveur de son opinion, leur témoignage divers. Il n’y a rien de l’autre côté, ainsi qu’on a coutume de dire, et la mort c’est la mort comme la terre c’est la terre. La mort n’est rien d’autre que la raisonnable fin de tout, l’abîme, le néant. Et soudain, Paule se demande si elle n’en approche pas ?…

Alors, au simple évoqué de ce grand repos qu’elle aurait dû bénir, elle épuisée et qui avait souffert, un vertige la saisit. C’en est déjà fait de sa tranquillité de ne plus croire et les tempes moites, elle s’interroge pour savoir si cette paix horrible qui la tient n’est pas déjà le commencement de l’anéantissement sacrilège. Les affreux éclairs jaunes passent devant ses yeux ; ses oreilles bourdonnent du bruit des cloches ; et elle s’évanouit.

Lorsqu’elle revint à elle, elle était toujours seule dans la maison et la paix cruelle qui la guettait, la saisit à nouveau. C’était cela la mort : l’anéantissement. Une épouvante froide la baigna encore de sueur mais elle ne perdit plus le sentiment. La faiblesse la clouait au lit ; c’est en vain qu’elle aurait appelé ; et, en jetant autour d’elle un regard de détresse, elle ne reconnut rien qui eût quelque âme sinon le gros réveil apporté du Foyer. Paule riva son regard au cadran d’émail et morne, tout à la fois affolée et rigide, elle attendit.

Ce fut Mme Deslandes qui rompit le charme mauvais. Elle apportait à la jeune fille les commentaires recueillis à la porte de l’église ; elle lui disait combien il y avait eu de tablées de communion ; quelle avait été, en général, la tenue de l’assistance, sa quantité etc. Paule l’écouta, un petit sourire de pitié aux lèvres. Oui, oui, elle les voyait les nommés « fidèles » se précipitant à l’assaut de la Sainte Table, s’épiant les uns les autres et ne perdant pas, surtout, un seul geste du prêtre qu’on sait faillible comme tout homme.

D’une voix faible, qu’elle eût voulu arrogante, elle déclara qu’elle pourrait fort bien se lever, en y mettant un peu d’énergie, mais qu’elle avait décidé de ne point assister à la grand’messe.

— Vous n’êtes pas obligée, assura Mme Deslandes en s’éloignant, vous n’êtes sûrement pas obligée. Moi non plus, ajouta-t-elle, je n’irai pas. Je resterai avec vous.

Ce court entretien avait épuisé Paule qui, sitôt seule, s’endormit. Elle s’éveilla quelques minutes plus tard, lorsque Mme Deslandes rentra en portant à deux mains un plateau fumant. Le regard froid et sombre que lui jeta la jeune fille saisit sa compagne qui ne lui en dit pas moins, de son ton le plus engageant :

— Vous allez déjeuner dans votre lit, Melle Paule. Tenez, je vais d’abord encanter vos oreillers…

Mais Paule détourna la tête en assurant qu’elle préférait ne rien prendre.

— Comment ? En voilà une fantaisie… Et moi qui me suis donné tant de peine pour réussir ce bouillon à la reine. Je suis bien sûre, d’ailleurs, que vous en redemanderiez,


Sur le quai…

si seulement vous consentiez à y tremper vos lèvres.

Cependant, la pauvre femme perdit son temps à insister et elle dut s’en retourner avec le plateau odorant.

Paule songeait toujours à la mort et à l’éternité vide. Si elle avait refusé de déjeuner, ce n’était pas tant faute d’appétit que parce qu’il valait mieux, jugeait-elle, aider la nature et en finir vite. À tout prendre, la mort totale valait mieux que la vie entremêlée et toujours menaçante.

Elle refusa de même, sans explication, de dîner puis de souper.

— Cela va mal, se dit sa gardienne. Je me demande si ce n’est pas la tête qui se perd ?… Quoi qu’il en soit j’écris ce soir à Mlle Dufresne et demain cet abruti de docteur sera ici ou il aura affaire à moi !

Bourrelée d’inquiétude, elle s’éveilla au milieu de la nuit et, passant un kimono de flanelle d’un mauve changé, au pas étouffé de ses pantoufles, elle se rendit à la chambre voisine.

Paule non plus ne dormait pas : elle songeait. Et cette apparition imprévue de sa compagne en tenue de nuit la troubla si horriblement qu’elle se dressa sur sa couche en poussant un cri terrible.

— Mais non, petite, mais non ! Il ne faut pas avoir peur de Mme Deslandes. Vous savez bien, Mme Deslandes du Foyer !… Là, calmez-vous, enfant. Je venais m’assurer que vous reposiez bien. Avez-vous soif ? Désirez-vous quelque chose ? Qu’est-ce que je pourrais faire pour vous être agréable ? Dites-le à Mme Deslandes…

Paule tremblait comme la feuille. Ses dents s’entrechoquaient et la perturbation fut telle, dans son organisme, que la vraie mort n’aurait pas été plus violente. Enfin et par bonheur une crise de larmes la terrassa.

— Je ne m’en irai plus, lui promit Mme Deslandes extrêmement marrie de ce qui arrivait. Je vais m’asseoir tout contre votre lit : de cette façon, si vous vous éveillez encore, vous me reconnaîtrez, n’est-ce pas ? Vous n’aurez plus peur de moi qui suis si peu dangereuse ?…

Elle continua de lui parler, multipliant les apaisantes paroles, jusqu’à ce que la jeune fille se rendormît. À son tour, elle s’assoupit sur sa chaise et lorsqu’elle se réveilla, en sursaut, ce fut pour voir les grands yeux de Paule fixés sur elle. Le visage de Paule lui parut reposé, tranquille et, en même temps rayonnant, comme après une communion fervente. C’était si singulier que, redoutant quelqu’illusion, elle regarda de plus près, en plissant les paupières. Mais un sourire divin entrouvrit les lèvres de la malade qui murmura, d’une voix qui n’était guère qu’un souffle :

— J’ai compris.

Croyant qu’il s’agissait d’elle, Mme Deslandes répéta :

— Vous avez compris, chère petite ?… Alors, je ne vous effrayerai plus jamais ?

Ce n’était pas cela, mais Paule en garda le secret pour elle. Elle venait de pénétrer le pourquoi de sa vie. Sa vocation, c’était de mourir jeune, en plein renoncement. Auparavant, ç’avait été de vivre très privée, comme une sorte de paria, puis de côtoyer ce qu’on appelle le bonheur de ce monde, afin de souffrir ensuite avec plus de fruit. Elle n’avait jamais été mauvaise ; tout le mal c’est son père qui l’a commis. Elle n’avait pas, non plus, douté de nos saintes Vérités, bien que son imagination malade eût enfanté un monstrueux cauchemar. Jusqu’à la fin, elle restait la brebis fidèle et souffrante du maître des vies, de Celui qui est.

La nuit s’acheva paisiblement. Mais au matin, après une dernière somnolence, Paule reprit tout à coup son air sombre. Une morne désespérance se lisait sur toute sa figure et, en particulier, dans ses grands yeux d’azur noir qui, perdus d’angoisse, bougeaient par moment.

Mme Deslandes griffonna quelques mots sur un papier puis, allant au petit qui dormait encore :

— Vite, lui dit-elle en le secouant, chausse tes bottes de sept lieues et cours chez M. le curé lui dire qu’il vienne au plus tôt parce que notre petite malade se meurt. Tu te rendras ensuite au magasin et tu leur diras qu’ils téléphonent, à Luceville, ce qu’il y a d’écrit sur ce papier.

C’est le docteur qu’elle faisait aussi prévenir.

— Et comme je te dis, prends tes jambes à ton cou !

Terrifié, l’enfant faisait merveille.

La pauvre femme voyait soudain à fond la vérité et, quand Paule eût été sa fille selon la chair, elle n’eût certes pas souffert davantage. Sans interruption, les larmes coulaient de ses yeux et, en se tordant les mains, elle voyageait de la chambre de la petite à la porte d’entrée, pour voir si le secours n’arrivait point.

Rigide, les traits durcis, Paule n’avait seulement pas l’air d’entendre ce que lui disait la pauvre femme et nul artiste n’eût pu sculpter dans le marbre une plus terrifiante statue du désespoir.

Enfin, à travers le vitrage de la porte, une ombre se dessine, toute secourable : c’est le prêtre. Mme Deslandes se porte immédiatement à sa rencontre et, en le précédant vers la chambre :

— C’est urgent M. le curé, jette-t-elle.

Puis, à la mourante, avec une force soudaine de conviction dans la voix :

— C’est, dit-elle, le bon Dieu qui vient à vous et peut-être qu’il voudra vous emporter avec Lui, au ciel. N’est-ce pas que vous voulez bien le recevoir et demander l’absolution, à son ministre ?

Paule tourne péniblement sa tête vers l’arrivant et l’effort amène à son front une pâleur plus grande. Dans ses yeux à demi chavirés passe une indicible souffrance.

— Je ne sais pas, murmure-t-elle. Je ne sais plus… Je veux bien faire.

Et, sous la main levée du prêtre qui l’absolvait en hâte, elle mourut.