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La Célestine/Acte 7

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La Célestine, tragi-comédie de Calixte et Mélibée
Traduction par A. Germond de Lavigne.
Alphonse Lemerre (p. 100-117).


ACTE SEPTIÈME


Argument : Célestine cause avec Parmeno et l’engage à se concilier l’amitié de Sempronio. Parmeno lui rappelle qu’elle lui a promis de lui faire avoir Areusa, qu’il aime beaucoup. Ils vont chez Areusa ; Parmeno y reste pour passer la nuit. Célestine retourne chez elle, frappe à la porte. Élicie vient lui ouvrir et lui reproche de rentrer aussi tard.


CÉLESTINE, PARMENO, AREUSA, ÉLICIE.

Célestine. Parmeno, mon fils, pendant tout ce qui s’est passé, je n’ai pas trouvé le temps de te dire et de te prouver l’amour que je te porte ; et en vérité, en ton absence et jusqu’à ce jour, tous ceux à qui j’ai parlé de toi ne m’en ont entendue dire que du bien. La raison, tu ne l’ignores pas, je te regardais au moins comme mon fils adoptif. Aussi je croyais que tu te conduirais comme si tu l’étais ; et tu m’en récompenses, en ma présence et devant Calixte, en blâmant tout ce que je dis, en chuchotant et en murmurant contre moi. Je ne pensais pas, dès que tu avais paru te rendre à mes conseils, que tu te serais tourné d’un autre côté. Il me semble qu’il te reste encore quelque sotte vanité, car tu parles par fantaisie plutôt que par raison, tu renonces au profit pour contenter ta langue. Écoute-moi donc si tu ne m’as pas écoutée, et pense que je suis vieille ; le bon conseil est le fait des vieillards, le plaisir appartient aux jeunes gens. Je crois que l’âge seul est coupable de ta faute ; j’espère en Dieu que tu seras meilleur pour moi à l’avenir et que tu changeras de conduite avec le temps. Comme on dit : « les habitudes varient comme les cheveux et les goûts, » c’est-à-dire, mon fils, à mesure qu’on vieillit et qu’on voit de nouvelles choses. La jeunesse ne pense qu’au présent, mais l’âge mûr ne néglige ni présent, ni passé, ni avenir.

Si tu t’étais souvenu, mon fils Parmeno, de l’amour que j’avais pour toi, la première demeure que tu eusses choisie en arrivant dans cette ville eût été la mienne ; mais vous autres jeunes gens, vous vous inquiétez peu des vieillards, vous vous dirigez au hasard, vous ne pensez jamais que vous avez ou que vous pouvez avoir besoin d’eux, vous ne songez pas aux infirmités ; vous ne croyez jamais que puisse vous manquer cette brillante fleur de jeunesse. Mais sache donc, ami, que pour des besoins comme ceux-là, c’est un bon refuge qu’une vieille qu’on connaît, une amie, une mère et plus qu’une mère ; une bonne demeure pour bien se reposer quand on est en santé ; un bon hôpital pour se soigner quand on est malade ; une bonne bourse pour le besoin ; une bonne caisse pour garder l’argent dans la prospérité ; un bon feu d’hiver entouré de broches ; un bon ombrage pour l’été ; une bonne taverne pour boire et manger. Que diras-tu à tout cela, petit fou ? Je sais bien que tu es honteux de ce qui t’est échappé ce matin, mais je ne veux de toi rien autre chose ; Dieu ne demande au pécheur que de se repentir et de s’amender.

Vois Sempronio, avec l’aide de Dieu, j’en ai fait un homme : je voudrais que vous fussiez ensemble comme frères, car si tu étais bien avec lui, tu le serais avec ton maître et avec tout le monde. Vois comme il est bien accueilli, diligent, courtisan, serviable, gracieux ; il recherche ton amitié ; votre profit s’accroîtrait si vous vous donniez mutuellement la main. Tu sais qu’il faut que tu aimes si tu veux être aimé : on ne pêche pas des truites sans se mouiller les chausses70 ; Sempronio ne te doit rien ; c’est une simplicité que de ne vouloir pas aimer et espérer être aimé ; c’est une folie que de payer l’amitié avec la haine.

Parmeno. Mère, je te confesse ma seconde faute et je ta prie, en me pardonnant le passé, d’ordonner pour l’avenir ; mais je crois qu’il est impossible d’entretenir amitié avec Sempronio. Il est extravagant, je suis peu patient ; fais des amis avec cela.

Célestine. Mais ce n’était pas là ton défaut.

Parmeno. Sur ma foi ! plus j’ai grandi, plus j’ai perdu ma première patience ; je ne suis plus ce que j’étais, et Sempronio n’a rien qui me convienne.

Célestine. L’ami véritable se fait connaître dans les choses incertaines ; c’est lors de l’adversité qu’on peut le mettre à l’épreuve ; c’est alors qu’il arrive et qu’il visite avec empressement la maison que la fortune prospère a abandonnée. Que te dirai-je, mon fils, des qualités d’un bon ami ? Il n’y a chose plus aimée ni plus rare ; il n’est aucune charge qu’il n’accepte. Sempronio et toi, vous êtes égaux : la parité des habitudes et la similitude des goûts sont le meilleur appui de l’amitié. N’oublie pas, mon fils, que si tu as quelque chose, on te le garde ; sache gagner davantage, tu trouveras plus tard ce que tu as déjà. Béni soit le père qui te l’a laissé ! Je te le donnerai quand tu seras d’un âge plus avancé et convenablement établi.

Parmeno. Mère, que veux-tu dire par établi ?

Célestine. Vivre pour toi, mon fils, ne pas végéter dans les maisons d’autrui, ce que tu feras toujours tant que tu ne sauras pas mettre ton service à profit. C’est à cause du chagrin que j’ai ressenti de te voir aussi mal vêtu, que j’ai demandé aujourd’hui une mante à Calixte, comme tu l’as vu ; non pas pour cette mante, mais pour que ton maître, ayant le tailleur sous la main et te voyant devant lui sans pourpoint, t’en fît aussi le cadeau. Ainsi ce n’est pas seulement pour mon profit (comme j’ai compris que tu le disais), mais aussi pour le tien. Si tu attends les cadeaux de ces galants, ils seront tels en dix années que tu pourras tous les cacher dans ta manche. Jouis de ta jeunesse, ne refuse ni un bon jour ni une bonne nuit, ni bien boire et bien manger quand tu en trouveras l’occasion ; se perde ce qui se perdra. Ne crains pas d’user des biens dont ton maître a hérité ; tires-en profit dans ce monde, nous ne les aurons pas dans l’autre. Ô mon fils Parmeno ! — et je puis bien t’appeler mon fils, moi qui t’ai vu si longtemps à mes côtés, — suis mes conseils, car je te les donne avec le désir sincère de te voir honorablement posé. Oh ! que je serais heureuse si Sempronio et toi étiez plus unis, plus amis et plus frères en tout ! que je serais heureuse si vous veniez ensemble à ma pauvre maison pour me voir, vous reposer et même vous désennuyer avec chacun une fillette !

Parmeno. Fillette, ma mère ?

Célestine. Fillette, en vérité, car moi je suis trop vieille. J’en ai procuré une à Sempronio, et cependant je lui porte moins d’intérêt qu’à toi, je l’aime moins que toi ; tout ce que je te dis, vois-tu, c’est du plus profond de mes entrailles.

Parmeno. Ma bonne mère, je ne te serai point ingrat.

Célestine. Et lors même que tu le serais, je n’en souffrirais pas beaucoup, car j’agis pour l’amour de Dieu, parce que je te vois seul sur une terre étrangère, et aussi par respect pour les ossements de celle qui t’a recommandé à moi ; tu seras homme, tu deviendras raisonnable, sensé, et tu diras : « La vieille Célestine me conseillait bien. »

Parmeno. Je le sens bien maintenant, quoique je sois jeune, et ce que je disais aujourd’hui à mon maître, ce n’était pas pour blâmer ce que tu faisais, mais parce que je voyais qu’il me savait mauvais gré des bons avis que je lui donnais. Pour l’avenir, soyons tous contre lui ; fais des tiennes, je me tairai ; j’ai eu tort de ne pas te croire dès le commencement de cette affaire.

Célestine. Tu broncheras en cela et en bien d’autres choses tant que tu ne suivras pas mes conseils ; ils te viennent d’une amie véritable.

Parmeno. Je tiens aujourd’hui pour bien employé le temps que j’ai passé à te servir, puisque j’ai retiré tant de fruit pour un âge plus avancé. Je prierai Dieu pour l’âme de mon père, qui m’a laissé une telle tutrice, et pour celle de ma mère, qui m’a recommandé à une telle femme.

Célestine. Ne me parle pas d’elle, mon enfant, je t’en conjure, car mes yeux se gonflent de larmes. Trouverai-je en ce monde une pareille amie, une telle compagne, une aide semblable dans mes travaux et mes fatigues ? Qui cachait mes fautes ? qui savait mes secrets ? à qui mon cœur était-il ouvert ? qui donc était tout mon bien et mon repos, si ce n’est ta mère, plus que ma sœur et mon amie ? Oh ! qu’elle était gracieuse ! oh ! qu’elle était leste, propre et forte ! Elle courait à minuit de cimetière en cimetière, cherchant des objets pour notre art, sans plus de peine et de crainte que de jour. Il n’y avait ni chrétien, ni maure, ni juif dont elle ne visitât la fosse : le jour elle allait à la découverte, le soir elle les déterrait. Elle se plaisait à l’obscurité de la nuit, comme toi à la clarté du jour ; elle disait que la nuit était le manteau de tous les pécheurs. Et adroite ! n’avait-elle pas toutes les grâces ? Je vais te dire une chose qui te montrera quelle mère tu as perdue ; je devrais la taire, mais il ne faut rien te cacher ; tout peut passer avec toi. Elle arracha sept dents à un pendu avec des petites pinces à épiler, tandis que moi, je lui ôtais les souliers. Et pour entrer dans un cercle ? mieux que moi et avec plus de courage, et cependant j’avais assez bonne réputation ; mais maintenant, pour mes péchés, j’ai tout perdu, tout oublié avec elle. Que te dirai-je de plus ? Les diables eux-mêmes la craignaient ; ses cris terribles les effrayaient et les rendaient tout tremblants ; aussi elle était connue d’eux comme tu l’es dans ta maison ; ils se culbutaient les uns par-dessus les autres quand elle les appelait : ils n’osaient pas lui dire de mensonges, tant elle avait de puissance sur eux ! Depuis que je l’ai perdue, je ne leur ai pas entendu dire un seul mot de vérité.

Parmeno, à part. Dieu tienne compte à la bonne vieille du plaisir que me font ses paroles et ses louanges !

Célestine. Que dis-tu, Parmeno, mon bien-aimé, mon fils et plus que mon fils ?

Parmeno. Je me demande comment ma mère pouvait avoir cet avantage, puisque les paroles que vous disiez toutes les deux étaient les mêmes.

Célestine. Comment ? cela t’étonne ? Ne connais-tu pas le dicton : « Il y a grande différence de Pierre à Pierre ? » Nous ne possédons pas toutes à un si haut degré cette faculté de ma commère. N’as-tu pas vu dans tous les états de bons et de mauvais ouvriers ? Telle était ta mère (Dieu conserve son âme !), la première de notre métier, connue pour telle et aimée de tout le monde, des cavaliers, des clercs, des hommes mariés, des vieillards, des jeunes gens et des enfants. Et les jeunes filles, les demoiselles ? elles priaient Dieu pour elle comme pour leurs propres parents. Elle avait affaire à tous, à tous elle parlait. Si nous sortions dans la rue, tous ceux que nous rencontrions rappelaient marraine, car elle avait été sage-femme seize ans. Aussi, bien que tu n’aies pas eu connaissance de ses secrets, en raison de ton jeune âge, il est raisonnable que tu les saches aujourd’hui, puisqu’elle n’est plus de ce monde et que tu es homme.

Parmeno. Dis-moi, mère, lorsque la justice te fit arrêter à l’époque où j’habitais chez toi, vous connaissiez-vous beaucoup ?

Célestine. Si nous nous connaissions ! Me dis-tu cela pour rire ? Nous avions fait le coup ensemble, ensemble on nous vit, ensemble on nous prit et on nous fit le procès, ensemble on nous infligea le châtiment ; ce fut là, je crois, la première fois. Mais tu étais bien petit, et je m’épouvante aujourd’hui que tu t’en souviennes ; c’est la chose qu’on se rappelle le moins dans la ville. Il y en a tant qui passent sans qu’on s’en occupe ! Tu verras chaque jour, si tu vas au marché, des gens qui achètent et qui payent.

Parmeno. C’est vrai, mais dans le péché la pire chose est la persévérance. De même que l’homme n’est pas maître d’un premier mouvement, de même il n’est pas maître d’une première faute ; aussi dit-on : « Qui pèche et s’amende à Dieu se recommande. »

Célestine, à part. Pleure pour moi, pauvre fou ! S’agit-il donc de vérités ? Attends un peu, je vais toucher une corde sensible.

Parmeno. Que dis-tu, ma mère ?

Célestine. Je dis, mon fils, que, sans compter ce jour-là, ta mère (Dieu ait son âme !) fut arrêtée quatre fois et une entre autres sous accusation de sorcellerie, parce qu’on la trouva de nuit, avec une lanterne, ramassant de la terre dans un carrefour. On la retint une demi-journée sur une échelle dressée au milieu de la place et avec une espèce de mitre sur la tête71. Mais ce ne fut rien, il faut bien que les hommes souffrent quelque chose dans ce triste monde pour soutenir leur vie et leur honneur. Et vois combien une semblable affaire altéra peu sa raison ! elle ne renonça pas pour cela à son métier et n’en profita que mieux. Ceci répond à ce que tu disais de la persévérance dans le mal. Elle faisait tout avec grâce, et sur Dieu et ma conscience ! bien qu’elle fût sur cette échelle, il semblait, à son assurance et à sa fierté, qu’elle ne faisait pas plus de cas que d’un blanc des curieux qui étaient au-dessous d’elle. Il en est ainsi de tous ceux qui sont, qui valent et qui savent quelque chose, comme elle. Souviens-toi de ce qu’était Virgile, et de tout ce qu’il sut ; tu auras sans doute entendu dire comment il fut suspendu à une tour dans un panier d’osier, à la vue de Rome entière, et cependant il ne cessa pas d’être honoré et il ne perdit pas son nom de Virgile72.

Parmeno. Ce que tu dis est vrai, mais ce ne fut pas par punition.

Célestine. Tais-toi, imbécile, tu ne connais rien aux usages de l’Église. Qu’importe que ce soit de la main de la justice ou d’une autre manière ? Notre curé, que Dieu garde, le savait bien, car lorsqu’il vint la consoler, il lui dit que bienheureux étaient ceux qui supportaient les persécutions de la justice, que le royaume des cieux était pour eux73. Or, vois s’il ne vaut pas mieux souffrir quelque chose en ce monde, afin de jouir de la gloire de l’autre. Il y a plus, en raison des accusations portées contre elle à tort et fort injustement, on la força, à l’aide de faux témoins et de cruelles tortures, à s’avouer ce qu’elle n’était pas ; mais comme elle avait bon courage, et comme le cœur accoutumé à souffrir supporte plus facilement les mauvais traitements, tout cela ne fut rien. Mille fois depuis ce jour je l’entendis dire : « Si mon pied a été brisé, c’est pour mon bien, car je suis mieux connue qu’avant. » En pensant à tout ce que ta bonne mère a souffert ici-bas, nous devons croire que Dieu l’en récompensera bien là-haut, si ce que notre curé a dit est vrai, et cela me console. Sois donc avec moi ce qu’elle était, un ami véritable ; travaille pour être bon et cherche toujours à le paraître ; ce que ton père t’a laissé est en lieu sûr.

Parmeno. Laissons là les morts et les héritages ; parlons des affaires présentes, cela nous vaut mieux que de penser aux choses passées. Tu te souviendras sans doute qu’il n’y a pas longtemps que tu m’as promis de me faire avoir Areusa, quand je te dis au logis que je mourais d’amour pour elle.

Célestine. Si je te l’ai promis, je ne l’ai pas oublié ; ne crois pas que j’aie perdu la mémoire avec les années. J’ai fait échec à ta belle à ce sujet plus de trois fois en ton absence. Je la crois mûre à présent ; dirigeons-nous vers sa maison, elle ne pourra pas éviter le mat. C’est là le moins que je veuille faire pour toi.

Parmeno. Je désespérais déjà de l’obtenir, car jamais elle ne m’a laissé profiter de quelques occasions de lui parler, et comme on dit : « C’est mauvais signe d’amour que fuir et tourner le dos, » cela m’avait ôté toute confiance.

Célestine. Je m’inquiète peu de ce découragement ; tu ne me connaissais pas alors et tu ne savais pas comme aujourd’hui que tu as sous la main une maîtresse passée en semblables affaires. Tu verras tout à l’heure qu’autant tu es nécessaire à ma cause, autant je puis t’être utile auprès de ces femmes, et bonne en matières d’amour. Va doucement, voici sa porte ; entrons sans bruit, afin que ses voisines ne nous entendent pas. Arrête-toi, attends au bas de cet escalier, je vais monter pour voir ce qu’il y a à faire, et peut-être trouverons-nous mieux que ni toi ni moi ne pensons.


Areusa. Qui va là ? qui monte dans ma chambre à pareille heure ?

Célestine. Une femme qui ne te veut pas de mal, qui ne fait pas un pas sans penser à ton profit, qui s’occupe plus souvent de toi que d’elle-même, une femme qui t’aime, toute vieille qu’elle est.

Areusa, à part. Qu’elle aille au diable, cette vieille, qui arrive à cette heure comme un fantôme ! (Haut.) Bonne mère, quel bon motif t’amène si tard ? Déjà je me déshabillais pour me coucher.

Célestine. Avec les poules, ma fille ? Ce n’est pas ainsi que se fera ta fortune. Te promener à pareille heure, passe. Il est autre que toi, celui qui pleure sur ses besoins ; belle vie que la tienne, chacun la voudrait pour soi.

Areusa. Jésus ! je vais me rhabiller, car j’ai froid.

Célestine. Ne le fais pas, sur ma vie ; couche-toi plutôt, de là nous causerons.

Areusa. En conscience, j’en ai grand besoin, je me suis sentie malade aujourd’hui tout le jour, c’est la nécessité plutôt que le vice qui me fait prendre en ce moment mes draps de lit en guise de jupons.

Célestine. Puisque tu n’es pas à ton aise, mets bas ta robe et couche-toi, tu me sembles une sirène. Ah ! comme ta robe sent bon quand tu l’agites ! Tout réussit à celles qui ont de l’audace ; j’ai toujours eu confiance en tes faits et gestes, en ta grâce et en ton esprit. Que tu es fraîche ! Dieu te bénisse ! Quels draps et quelle courte-pointe, quel oreiller, quelle blancheur ! Perle d’or, tu verras si elle t’aime celle qui vient te voir à cette heure ; laisse-moi te regarder tout à mon aise, c’est un bonheur pour moi.

Areusa. Doucement, mère, ne t’approche pas de moi, tu me chatouilles, tu me fais rire, et le rire augmente ma douleur.

Célestine. Quelle douleur, mon amour ? Te moques-tu de moi ?

Areusa. Qu’il m’arrive malheur si je plaisante ; voilà quatre heures que je souffre du mal de mère, il me remonte à la poitrine, il veut m’ôter de ce monde. Je ne suis pas aussi vicieuse que tu le penses.

Célestine. Voyons, dis-moi à quelle place, je tâterai. Je connais ce mal pour mes péchés ; chaque femme au monde a ses entrailles qui la font souffrir.

Areusa. Plus haut, sur l’estomac.

Célestine. Dieu te bénisse et l’archange saint Michel te protége ! Que tu es grasse et fraîche ! Quels seins et quelle gentillesse ! Je te savais belle, parce que j’avais vu ce que tout le monde peut voir ; mais je puis te dire maintenant qu’il n’y a pas dans la ville trois corps comme le tien parmi tous ceux que je connais. Tu ne parais pas avoir quinze ans. Ah ! bienheureux l’homme auquel tu permettras de jouir d’une telle vue ! Pour Dieu ! tu commets un péché en ne faisant pas part de tant de grâces à tous ceux qui t’aiment bien ; Dieu ne te les a pas données pour qu’elles passent inutilement, ainsi que la fraîcheur de ta jeunesse, sous six doubles de toile et d’étoffe. Ne sois pas avare de ce qui t’a coûté si peu ; ne thésaurise pas avec ta gentillesse, elle est de sa nature aussi communicable que l’argent ; ne sois pas comme le chien du jardinier74, et puisque tu ne peux jouir de toi-même, laisses-en jouir qui le peut. Ne crois pas que tu sois au monde pour ne rien faire ; quand elle naît, lui naît aussi ; quand lui, elle. Il n’a été créé en ce monde rien d’inutile, rien qui ne dépendît de la nature. C’est un péché, crois-moi, d’affliger les hommes quand on peut remédier à leurs maux.

Areusa. En vérité, mère, personne ne m’aime en ce moment ; donne-moi un remède pour mon mal, et ne te moque pas de moi.

Célestine. Hélas ! c’est un mal bien commun et nous y sommes toutes sujettes. Je veux bien dire ce que j’ai vu faire à beaucoup de personnes et ce qui me réussit souvent ; mais comme les tempéraments sont différents, de même les remèdes produisent quelquefois des effets tout opposés. Toutes les odeurs fortes sont bonnes, le pouliot, la rue, l’encens, la fumée de plumes de perdrix, de romarin, de musc. Ainsi traitée, la douleur se calme et la mère reprend peu à peu sa place. Il y a quelque chose que je trouvais meilleur que tout cela ; mais je ne veux pas te le dire, puisque tu fais tant la sainte avec moi.

Areusa. Qu’est-ce, mère, je t’en prie ? Tu me vois souffrante, pourquoi me cacher les moyens de guérison ?

Célestine. Va donc, tu me comprends bien, ne fais pas la sotte.

Areusa. Ah ! la fièvre me brûle si je te comprenais ! Mais que veux-tu que je fasse ? Tu sais que mon amant est parti hier pour la guerre avec son capitaine ; puis-je lui faire infidélité ?

Célestine. Vois donc le grand mal et la grande infidélité !

Areusa. En vérité, c’en serait une, car il me donne tout ce dont j’ai besoin ; il m’honore, me soigne et me traite comme si j’étais sa dame.

Célestine. Et malgré tout cela, tant que tu n’enfanteras pas, tu ne cesseras pas de souffrir de ce mal, dont il est peut-être cause. Si tu ne veux pas en croire la douleur, crois la couleur, et tu verras ce qui résulte d’une aussi triste compagnie.

Areusa. Mon malheur l’a voulu ainsi ; mes parents m’ont jeté un sort. Mais laissons cela, car il est tard, et dis-moi quel est le motif de ta venue.

Célestine. Tu sais bien ce que je t’ai dit de Parmeno ; il se plaint à moi de ce que tu ne veux pas le voir, je ne sais pourquoi, car tu n’ignores pas que je l’aime bien et que je le regarde comme mon fils. En vérité, j’agis autrement en ce qui te concerne ; tes voisines elles-mêmes me plaisent, mon cœur se réjouit quand je les vois, parce que je sais qu’elles te parlent.

Areusa. Je t’en suis bien reconnaissante, mère.

Célestine. Je n’en sais rien, je crois aux œuvres, les paroles se vendent pour rien partout où l’on veut ; l’amour ne se paye qu’avec l’amour, et les œuvres avec des œuvres. Tu sais la parenté qui existe entre toi et Élicie, que Sempronio entretient chez moi ? Parmeno et lui sont compagnons, ils servent ce seigneur que tu connais et duquel il pourra te revenir tant de faveurs. Ne me refuse pas ce qui te coûte si peu à faire. Vous êtes parentes, eux sont compagnons ; vois comme tout s’arrange au delà de nos désirs. Il est venu avec moi, décide si tu veux qu’il monte.

Areusa. Ah ! grand Dieu ! s’il nous a entendues…

Célestine. Non, il est resté en bas ; je vais le faire monter, tu le rendras heureux en l’accueillant bien, en lui parlant et en lui faisant bon visage. S’il te plaît, sois à lui et fais-en ton plaisir ; il y gagnera beaucoup sans doute, mais tu n’y perdras rien.

Areusa. Je comprends bien, mère, que ce que tu m’as dit tout à l’heure, ce que tu me dis maintenant, tout cela est dans mon intérêt ; mais comment veux-tu que je fasse ce que tu me conseilles ? Il est quelqu’un à qui je dois compte de tout, comme je t’ai dit, et s’il apprend quelque chose, il me tuera. J’ai des voisines jalouses, elles le diront à l’instant. Je n’ai plus beaucoup à perdre, mais je perdrai toujours plus que je ne gagnerai en me rendant à ton désir.

Célestine. J’ai avisé à ce que tu crains, nous sommes entrés sans bruit.

Areusa. Je ne dis pas cela pour cette nuit, mais pour bien d’autres.

Célestine. Comment, c’est ainsi que tu es ? C’est ainsi que tu agis ? Tu n’auras jamais maison avec grenier75. Tu le crains absent, que ferais-tu s’il était dans la ville ? Heureusement pour moi, je ne renonce jamais à donner conseil aux sots, et il y en a toujours, ce qui ne m’étonne pas ; le monde est grand et le nombre des gens expérimentés est petit. Hélas ! ma fille, si tu voyais le savoir de ta cousine et combien elle a profité de mes conseils et de mon exemple ! Elle est habile et ne s’est pas mal trouvée de mes leçons et de quelques bourrades par-ci par-là. Elle peut en compter un dans son lit, un à la porte et un autre qui soupire pour elle chez lui ; elle s’acquitte avec tous, à tous elle fait bon visage et tous pensent qu’ils sont tendrement chéris ; chacun d’eux est persuadé qu’il est seul, que lui seul est aimé, que lui seul suffit à ce dont elle a besoin. Et tu crains d’en avoir deux ! Crois-tu que les planches de ton lit le découvriront ? Te contentes-tu donc d’un seul morceau ? Tu ne feras pas grandes provisions ; je ne voudrais pas vivre sur tes restes. Jamais un seul ne m’a suffi, je n’ai jamais mis mon affection en un seul. Deux peuvent davantage, quatre encore plus ; plus ils sont, plus ils donnent et plus il y a à choisir. Souris qui n’a qu’un trou n’est pas tranquille ; si on le lui bouche, elle ne sait plus où se cacher du chat76. Vois quel danger menace celui qui n’a qu’un œil. Une âme seule ne chante ni ne pleure ; tu rencontreras rarement dans la rue un moine seul ; il est rare qu’une perdrix vole sans compagne ; un seul mets dégoûte bien vite ; une hirondelle ne fait pas le printemps ; on n’ajoute pas foi à un témoin seul ; qui n’a qu’une robe l’use promptement. Qu’attends-tu, ma fille, de ce nombre un ? Je te citerai de lui plus d’inconvénients que je n’ai d’années sur les épaules. Aies-en donc deux, c’est une agréable compagnie, de même que tu as deux oreilles, deux pieds, deux mains, deux yeux et deux draps sur ton lit, et enfin deux chemises pour changer77. Si tu en veux plus, mieux tu feras, car plus il y a de Maures, plus il y a de profit. L’honneur et pas de bénéfice, ce n’est qu’une bague au doigt, et puisque les deux ne peuvent venir à la fois, accroche le bénéfice et laisse là le reste. Monte, Parmeno, mon fils.

Areusa. Qu’il ne monte pas, la fièvre me tue, je me meurs d’embarras, je ne le connais pas, j’ai honte devant lui.

Célestine. Je suis là pour te l’ôter ; je parlerai pour tous deux, car lui aussi est un autre embarrassé.

Parmeno. Madame, Dieu conserve votre grâce !

Areusa. Gentilhomme, soyez le bienvenu.

Célestine. Approche d’ici, âne ; où vas-tu t’asseoir dans ce coin ? Ne fais pas l’embarrassé ; l’homme honteux, le diable le conduit au château78. Écoutez tous deux ce que j’ai à vous dire : tu sais, Parmeno, mon fils, ce que je t’ai promis, et toi, ma fille, ce que je t’ai demandé : je ne te parle pas de la difficulté que tu as mise à me l’accorder. Je ne veux pas faire de longs discours avec vous, le moment ne le souffre pas. Celui-ci a toujours ressenti peine d’amour pour toi, tu le sais, tu ne veux pas le tuer ; je vois d’avance que tu ne le trouveras pas mauvais pour passer la nuit avec toi.

Areusa. Sur ma vie, mère, qu’il n’en soit pas ainsi ! Jésus ! ne me le demande pas.

Parmeno. Ma mère, pour l’amour de Dieu, que je ne sorte pas d’ici sans bon résultat ; sa vue me fait mourir d’amour ; offre-lui tout ce que mon père t’a laissé pour moi, dis-lui que tu lui donneras tout ce que j’ai. Va, dis-lui, il me semble qu’elle ne veut pas me regarder.

Areusa. Que te dit ce cavalier à l’oreille ? Pense-t-il que je veuille rien faire de ce que tu demandes ?

Célestine. Il dit, ma fille, qu’il se fait une grande joie de ton amitié, parce que tu es une personne honorable, et que tu ne refuseras pas un cadeau, quel qu’il soit. Viens ici, négligent, honteux, je veux voir à quoi tu es bon avant de m’en aller ; allons, chatouille-la dans son lit.

Areusa. Il ne sera pas assez impoli pour venir sans permission dans un lieu défendu.

Célestine. Te voilà dans les politesses et les permissions ? Je n’attends pas plus longtemps ici ; j’ai confiance que tu arriveras au matin sans douleur et lui sans couleur ; c’est un paillard, un jeune coq, voilà la barbe qui lui pousse, et je réponds qu’en trois nuits la crête ne lui tombera pas. Dans mon jeune temps et quand mes dents étaient meilleures, les médecins de mon pays me donnaient de cela à manger.

Areusa. Ah ! seigneur, ne me traitez pas de la sorte, modérez-vous, par courtoisie, ayez égard aux cheveux blancs de cette honorable vieille. Éloignez-vous, je ne suis pas de celles que vous pensez ; je ne suis pas de celles qui vendent publiquement leur corps pour de l’argent. Sur mon âme, je sors d’ici, si vous touchez à ma couverture avant que Célestine soit partie.

Célestine. Qu’est-ce que ceci, Areusa ? Que signifie cet étrange caprice ? Que veulent dire ces nouvelles manières et ce dédain affecté ? Il semble, fille, que je ne sache pas ce que c’est, que je n’aie jamais vu un homme et une femme ensemble, que je n’aie jamais passé par là ni joui de ce dont tu jouis, que j’ignore ce qui se passe, ce qui se dit et ce qui se fait ? Hélas ! qui en a plus entendu que moi ? Mais sache donc que j’ai été jeune et recherchée comme toi, que j’ai eu des amis, que jamais je ne repoussai d’auprès de moi ni vieux ni vieille, que je ne refusai leurs conseils ni en public ni en secret. Sur ma mort, que je dois à Dieu ! j’aimerais mieux un grand soufflet au milieu du visage. À te voir et à t’entendre, il semble que je sois née d’hier. Pour te faire honnête, il faudrait que tu me fisses ignorante et honteuse, il faudrait m’enlever ma vieille habitude et mon expérience, me déprécier dans mon métier afin de t’élever dans le tien. Mais de corsaire à corsaire on ne perd que les barils79. Je fais plus d’éloges de toi quand tu n’es pas là, que tu ne t’estimes en ma présence.

Areusa. Mère, si j’ai commis une faute, pardonne-moi. Approche-toi, et qu’il fasse ce qu’il voudra ; j’aime mieux ta satisfaction que la mienne. Je me crèverais un œil plutôt que de t’offenser.

Célestine. Je ne suis pas offensée, mais je te parle pour l’avenir. Dieu vous garde tous deux ! Je m’en vais seule, car vous m’agacez les nerfs avec vos baisers et vos folâtreries ; j’en ai encore le goût dans les gencives ; je ne l’ai pas perdu avec les dents.

Areusa. Dieu te conduise !

Parmeno. Mère, veux-tu que je t’accompagne ?

Célestine. Ce serait découvrir un saint pour en couvrir un autre. Dieu vous garde ! je suis vieille, je ne crains pas qu’on me fasse violence dans la rue.


Élicie. Le chien aboie. Vient-elle enfin, cette maudite vieille ?

Célestine. Tac, tac, tac.

Élicie. Qui est là ? qui frappe ?

Célestine. Descends m’ouvrir, ma fille.

Élicie. Est-ce ainsi que tu vas ? c’est ton plaisir de courir la nuit. Pourquoi agis-tu de la sorte ? pourquoi fais-tu de si longues absences, mère ? Tu ne penses jamais à revenir à la maison, c’est une habitude prise ; pour contenter une seule personne, tu en mécontentes cent autres. On est venu te demander aujourd’hui de la part du père de cette jeune fiancée que tu conduisis au chanoine80 le jour de Pâques : il veut la marier d’ici à trois jours. Tu lui as promis de la refaire, et il t’attend ; il ne faut pas que le mari s’aperçoive de l’absence de la virginité.

Célestine. Je ne sais pas du tout, mon enfant, de qui tu me parles.

Élicie. Comment ! tu ne t’en souviens pas ? Tu perds la tête, en vérité. Oh ! que ta mémoire est faible ! Mais tu m’as dit cependant, quand tu l’as conduite là-bas, que tu l’avais déjà retouchée sept fois.

Célestine. Ne sois pas surprise, ma fille ; quiconque occupe sa mémoire à plusieurs choses ne peut la fixer à aucune. Mais, dis-moi, reviendra-t-il ?

Élicie. Parbleu ! s’il reviendra ! Il t’a donné un bracelet d’or pour prix de ton travail.

Célestine. Ah ! c’est l’homme au bracelet ? Je sais de qui tu parles. Mais pourquoi n’as-tu pas pris l’appareil et n’as-tu pas commencé à faire quelque chose ? En pareils soins, tu devrais être habile et avoir fait tes preuves ; combien de fois ne m’as-tu pas vue travailler ? Veux-tu donc rester là toute ta vie comme une bête, sans métier ni rente ? Quand tu auras mon âge, tu regretteras l’aisance dont tu jouis maintenant. Oisive jeunesse donne malheureuse vieillesse. Je faisais autrement quand ton aïeule, que Dieu garde ! me montrait ce métier ; au bout d’un an, j’en savais plus qu’elle.

Élicie. Je n’en suis pas surprise ; il arrive souvent, comme on dit, que l’élève en remontre au maître ; cela dépend du plaisir avec lequel on apprend. Aucune science ne profite à celui qui n’y prend pas goût. J’ai ce métier en haine, et toi, tu mourrais pour lui.

Célestine. Peux-tu parler ainsi ! Tu veux une pauvre vieillesse. Penses-tu que tu resteras toujours à mes côtés ?

Élicie. Pour Dieu ! laissons là les choses ennuyeuses ; le temps porte conseil. Pensons au plaisir. Si nous avons de quoi vivre aujourd’hui, ne songeons pas à demain. Celui qui amasse beaucoup meurt tout aussi bien que celui qui vit pauvrement, le docteur comme le pasteur, le pape comme le sacristain, le seigneur comme le serf, le noble comme le vilain, toi, avec ton métier, comme moi, qui n’en ai pas. Nous ne pouvons vivre toujours, jouissons et amusons-nous ; peu de gens arrivent à la vieillesse, et de ceux qui y sont parvenus, aucun n’est mort de faim. Je ne veux en ce monde que le jour et un… mâle81, puis ma part en paradis, car bien que les riches aient plus de facilité à acquérir la gloire que celui qui n’a que peu de chose, il n’y a personne de content, il n’y a personne qui dise : « J’ai trop ; » il n’y a personne qui ne soit bien aise de changer son argent contre mon plaisir. Laissons là ces soucis étrangers et couchons-nous, il est temps. Un bon sommeil sans inquiétude m’engraissera plus que tous les trésors de Venise.



70, page 101. — « On ne prend pas des mouches avec du vinaigre. » (Proverbe français correspondant.)

71, p. 106. — Uno como rocadero pintado. Célestine fait allusion au coroza. (Voir la note 50.)

72, page 107. — On trouve dans le Dictionnaire de Bayle de curieuses recherches sur les actes de sorcellerie attribués à Virgile par un grand nombre d’écrivains anciens. L’un d’eux, Albert de Eib, auteur d’un livre intitulé Marguerite poétique, raconte l’histoire d’une courtisane romaine, « laquelle ayant suspendu Virgile à un étage d’une tour dans une corbeille, il fit éteindre, pour s’en venger, tout le feu qui estoit à Rome, sans qu’il fût possible de le rallumer si l’on ne l’alloit prendre ès parties secrètes de cette moqueuse et ce encore de telle sorte que, ne pouvant se communiquer, chacun estoit tenu de l’aller voir et visiter. »

Un poëte toulousain, Gratian du Pont, cite cette dernière aventure dans un livre imprimé en 1534 et ayant pour titre Controverses du sexe féminin et masculin :

Que dirons-nous du bonhomme Virgile,
Que tu pendis si vrai que l’Évangile
Dans ta corbeille jadis en ta fenestre.
Dont tant marri fut qu’estoit possible estre ?
A lui qui estoit homme de grand honneur
Ne fis-tu pas un très-grand deshonneur ?
Hélas ! si feis, car c’estoit dedans Rome
Que là pendu demeura le pauvre homme,
Par ta cautelle et ta déception,
Un jour qu’on fit grosse procession
Parmy la ville, donc dudit personnage
Qui ne s’en rit ne fut réputé sage.

Beaucoup d’écrivains espagnols ont accueilli cette fable, et je l’ai retrouvée dans un poëme du célèbre Juan Ruiz, archi-prêtre de Hita (commencement du xive siècle), et dans le Corbacho, ó libro de los vicios de las malas mugeres, livre aujourd’hui d’une extrême rareté, fort remarquable, rempli d’anecdotes piquantes et quelque peu scandaleuses, écrit un siècle plus tard et vers l’époque où parut la Célestine, par l’archiprêtre de Talavera, Alonzo Martinez de Toledo. Voici ces deux passages :

Al sabidor Virgilio, como dise en el texto,
Engañó le la dueña, cuando lo colgó en el cesto,
Coidando que lo sobia á su torre for esto.

El Arcipreste de Hita.

Quien vido Virgilio, hombre de tanta acucia é sciencia qual nunca de magica arte ni sciencia otro tal se supo ni se vido ni se falló… que estuvó in Roma colgado de una torre á una ventana en vista de todo el pueblo romano : solo por decir y porfiar que su saber era tan grande que muger en el mundo no le podria engañar ? E aquella que lo engaño presumió contra su presuncion vana como le enganaria… Pues Virgilio sin penitentia no la dejó, que atagar fizo en una hora por arte mágica todo el fuego de Roma, é vinieron á encender á ella todos fuego, que el fuego que el uno encendia no aprovechaha á otro, en tanto que todos vinieron á encendre en su vergonzoso lugar.

El Corbacho (parte I, cap. xviii).

73, page 107. — Beati qui persecutionem patiuntur propter justitiam, quoniam ipsorum est regnum cœlorum.

(Evang. secund. Matthæum, cap. v.)

74, page 110. — Proverbe italien : Fare come il can dell’ ortolano, che non mangia dei cavoli e non ne lascia mangiar altrui. « Faire comme le chien du jardinier, qui ne mange pas de choux et ne veut pas qu’on en mange. » Lucien cite souvent un proverbe grec qui correspond à celui qui précède : « C’est un chien sur de l’orge, etc. » Une comédie de Lope de Vega porte pour titre El Perro del ortelano.

75, page 112. — Expression populaire pour dire : Tu ne t’enrichiras jamais.

76, page 113. — Le proverbe français, plus laconique, dit : « Souris qui n’a qu’un trou est bientôt prise. »

77, page 113. — Un vieux proverbe espagnol dit : Compañia de uno, compañia de ninguno ; compañia de dos, compañia de Dios ; compañia de tres, compania de reyes ; compañia de quatro, compañia del diablo.

78, page 113. — Ancien proverbe qui a servi de sujet à une comédie de Tirso de Molina, intitulée El Vergonzoso en Palacio.

79, page 115. — Régnier a dit aussi :

Corsaires à corsaires,
L’un l’autre s’attaquant, ne font pas leurs affaires.

Mais ce n’est pas le sens donné au proverbe par Célestine : les corsaires s’entendent entre eux et se connaissent mutuellement.

80, page 116. — Lavardin a traduit : au gros commandeur.

81, page 117. — No quiero en este mundo sino dia y vito, y parte en paraiso. Ceci ne se traduit pas et se devine suffisamment.