La Calotte renversée

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LA CALOTTE

RENVERSÉE

PAR L’AUTEUR

DE JE M’EN FOUTS

LA

CALOTTE RENVERSÉE



Enfin, la voilà donc à tous les diables, cette foutue calotte ! Oh ! c’est dommage, oui, en vérité, c’est grand dommage. Elle était si luisante ! ça parait si bien une tête. Oui, mais quelles têtes ? C’étaient des têtes de débaucheurs de filles et de femmes, de mauvais payeurs, de grugeurs publics et particuliers, de, de, de, de, etc.

Ainsi parlait un grenadier luron de la gance, plus d’une fois supplanté par plus d’un calotin. Arrive une de ces gaillardes de la rue St-Honoré, de la rue Fromenteau et de la rue Brise-Miche ; je crois que c’était plutôt de la rue Trousse-Vache, peut-être de la rue Tire-Boudin ; mais ça ne fait rien à l’affaire. Cette bougresse-là avait une trogne de tous les mille diables ; elle entend prononcer le mot calotin. Qu’appelles-tu, mâtin de chien ? Sais-tu qu’un calotin te vaut bien ? Bougre, as-tu jamais de ta vie fait autant de bien qu’un calotin ? Voilà tout à l’heure trois ans dix mois et un jour que je suis arrivée de mon pays ; Dieu sait dans quelle misère j’étais en arrivant. Je ne savais faire œuvre de mes dix doigts. Eh bien, je rencontre au coin d’une rue, ah ! la bonne rue ! je m’en souviendrai longtemps ! je rencontre, comme je te dis, un calotin, je lui fis chit, chit (on m’avait dit que c’était le mot du guet), il vient ; il monte chez moi. Fallait voir quel chez moi ! une sacrée paillasse à terre, quelques foutus lambeaux d’un haillon de jupe, un pot de chambre cassé et recassé, une chaise où ton chien n’aurait pas foutu son cul ; en honneur de Dieu, c’était tout mon bataclan. N’étais-je pas bien campée avec tout ça ? Eh bien ! l’homme de Dieu prend pitié de moi. Je n’ai pas la peine de lui dire que je n’ai rien, il le voit bien. Il s’attendrit ; non, je me trompe, il s’endurcit. Oui, il s’endurcit. Ça te surprend, mâtin ! Parions, bougre, que tu ne t’endurcirais pas comme ça. Il s’endurcit donc. Mais j’aime bien mieux cet endurcissement-là que tous ces attendrissements des freluquets. Allons, me dit-il, compte sur moi, ma fille, prends courage. Tel que tu me vois, je suis brave ; foutre ! ne pleure pas. Je pleurais encore dans ce temps-là. C’est l’usage des filles de province…

Tout à coup je prends du cœur à ces paroles pénétrantes. Me voilà tout aussi ferme que lui. Nous faisons tous deux assaut de fermeté. Le bougre ne lâchait pas le pied, ni moi non plus. Ah ! comme nous avions cœur à l’ouvrage !

Après quelques moments d’entretien, et bien autre chose, il songe brusquement à je ne sais quel devoir de son état qui l’appelait.

Il avait tiré sa montre : Adieu, me dit-il, tu seras cause que je manquerai mon devoir. Je veux le retenir. Non, foutre ! laisse-moi donc. Et le voilà parti.

J’étais toute novice, je ne savais pas encore l’usage de mes camarades. Ah ! plût à Dieu que je ne l’eusse jamais su ! Tu sais que ces bougresses là demandent des étrennes, car c’est pour elles tous les jours la bonne année. Donne-moi donc un ruban, un bonnet, etc.

Il y avait sur ma cheminée un morceau de miroir grand comme la main. Je vas le prendre pour rajuster ma coiffure. Tu ne croirais pas ce que je trouvai sur ma cheminée. Devine, jean-foutre ! Tu n’y es pas ? Eh bien ! mâtin de chien, c’était un double louis. ! Pourtant ça venait d’un calotin.

Le lendemain je le revois dès le matin, et tous les jours, pendant plus d’un an, il m’a visitée. Ah ! dame, je prospérais, j’allais un train de poste. Rien ne m’était cher. J’étais dans mes meubles. Et des meubles ! je m’en vante. Une garde-robe. Ta garce, mâtin, n’en a eu de sa vie une pareille. Le pauvre diable meurt. Avec lui j’ai tout perdu. Ce qui me fâche, c’est que j’ai bien quelque chose à me reprocher au sujet de sa mort. C’était un jean-foutre comme toi qui m’avait poivrée. Le malheureux, je le poivrai aussi.

Il m’avait laissé quelqu’argent en mourant, et c’est un jean-foutre comme toi qui me le mangea. Depuis ce temps, je suis à la merci du chaland. Oh ! j’ai mangé mon pain blanc le premier. Après cela, oses-tu, foutu couillon, dire du mal des calotins ?

— Oui, foutre ! j’en dirai. C’est un foutu calotin qui m’a le premier coupé l’herbe sous le pied : c’est à lui, sacredieu ! que je dois le désespoir de m’être engagé pour avoir perdu la plus charmante fille du monde. Et tu veux que je dise du bien des calotins ! Sacredieu ! j’ai fait bien des garnisons, je n’en ai pas encore vu une seule dont les officiers et mes camarades ne fussent mécontents, à cause des foutus calotins. Ces bougres-là enlèvent tout le gibier. Aussi les voilà foutus, après avoir tant foutu, on va se foutre d’eux.

— Comment ça, mâtin de chien ?

— Comment ! C’est que l’Assemblée Nationale vient de les dépouiller nuds comme la main ; ils n’auront plus que les yeux pour pleurer, plus d’abbayes, plus de prieurés, plus de ces gros bénéfices ; une pension, une simple pension. À la gamelle, sacredieu ! à la gamelle, ces gueux-là.

— C’en est fait. Espérons qu’au moins il tombera quelque chose de tout ce bien-là dans notre écuelle.

La pauvre fille n’y tenait plus. Elle s’était évanouie. Elle allait rendre l’âme. Un calotin passe : c’était J. F. Maury, député, ma foi, de notre grande Assemblée. On l’appelle au secours de cette misérable ; il était dans sa voiture ; il baisse la glace de la portière. On est édifié de l’entendre s’informer, s’attendrir sur le sort de la pauvre fille. Mais on lui demande quelques sous pour… pour son enterrement, car elle venait de mourir.

Bon soir, dit le saint abbé, tel que vous me voyez, je n’aurai pas demain de quoi nourrir mes chevaux. Autrefois, vous m’avez vu une calotte luisante ; ce matin il m’en fallait une autre, je n’ai pu me la donner, je n’en ai plus : toutes les calottes sont barbouillées, renversées.

Ô rage, ô désespoir, ô calotte ma mie,
N’as-tu donc tant brillé que pour cette infamie ?

Vous avez tant crié contre la calotte, pauvres badauds, que les méchants l’ont renversée. Aussi il vous en cuira. Patience ! Et il part aussitôt, et la foule court après lui. On l’accable d’outrages. Ah ! J. F. Maury, avec tes 800 formes ! Quoi ! tu n’as pas le cœur de soulager un malheureux ! Eh ! ne te restera-t-il pas encore trop pour tes péchés ?

Dans le moment passe ce boiteux, espèce d’évêque d’Autun, dont on est engoué. On s’adresse à lui ; même insolence. Mes amis, j’en suis au désespoir, la calotte est renversée, c’est-à-dire la bourse est vide. — Qu’appelles-tu, mes amis ? Va chercher ailleurs des amis, te voilà démasqué. Oh ! nous savons ta ruse. Tu as vu que le vent ne soufflait plus du côté de la calotte, tu l’as abandonnée, dans l’espérance de tirer bon parti des benêts de patriotes. Mais c’en est fait, la calotte est renversée, tout est fini, le règne des calotins est passé. Adieu, paniers, adieu, vendanges sont faites.

Le luron aurait, je crois, continué jusqu’à demain : Camarades, dit-il aux assistants, savez-vous ce que veut dire calotte renversée ? Cela signifie vendanges éparpillées, chacun aura sa part. — Bravo ! bravo ! et chacun fait chorus et chacun l’entraîne pour lui offrir le bon jus de la vendange. Ils boivent tous à la santé de la patrie, qui va refleurir aux dépens des calotins et des profits de la calotte renversée.

La suite à l’ordinaire prochain.


De l’imprimerie de JEAN-BART