La Caricature en Angleterre/02

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LA
CARICATURE EN ANGLETERRE

II.[1]
LA SOCIÉTÉ SOUS GEORGES III


I

On connaît maintenant Rowlandson et Gillray : c’est à eux de nous faire connaître la société au milieu de laquelle ils ont vécu.

Cette société possédait un chef nominal qui avait la prétention d’être un chef effectif, c’est-à-dire de donner des ordres et des exemples, d’être obéi et imité. Y réussit-il ? Pouvait-il y réussir ? La caricature nous l’apprendra, car jamais prince n’a été, au même degré que George III, justiciable de la caricature. Ou, mieux, il était lui-même une vivante caricature. De gros yeux sérieux, étonnés, interrogateurs ; l’air pompeux et bonhomme d’un magister d’autrefois. Ses bras et ses jambes allaient à l’aventure ; les différentes parties de son corps, au lieu de se concerter pour l’action commune, semblaient ne pas se connaître. Il marchait, à la manière des clowns, le torse projeté en avant, serrant les genoux et écartant les pieds. S’il se penchait pour ramasser un gant, dans cet effort, il laissait tomber sa canne et, en voulant ressaisir sa canne, perdait son chapeau. Pas un mouvement qui ne trahît son incurable gaucherie. Sa parole était, comme sa marche, inégale, confuse, à la fois lente et précipitée ; il se coupait la parole à lui-même par des Hein ! Comment ! (What ! What ! ) dont l’effet comique était, paraît-il, irrésistible.

Il avait été élevé durement par sa mère, la princesse de Galles. Un jour que le petit duc de Gloucester, frère du futur roi d’Angleterre, rêvait dans un coin d’un air sombre, la princesse lui demanda à quoi il pensait ; le petit garçon répondit : « Je pense que, quand je serai grand, si j’ai des enfans, je tacherai qu’ils ne soient pas aussi malheureux que nous l’avons été avec vous. » Tandis que les jeunes princes s’évadaient par-dessus les murs, faisaient, à quinze ans, la cour aux laitières et aux femmes de chambre, George acceptait religieusement le dogme de l’autorité. Il réalisait parfaitement ce type bien connu des professeurs, le studieux inintelligent, qui apprend sans comprendre. Il aimait la peinture, la musique, le théâtre. On jouait beaucoup la comédie à Leicester House : George prenait sa part dans ce divertissement, mais à sa façon. Son bonheur était de déclamer les vers sonores et vides du Caton d’Addison. Quant à Shakspeare, c’était « de la drogue (sad stuff) » — « On le pense, disait-il plus tard à miss Burney, mais on n’ose pas eu convenir. » Il était tout petit lorsque le vieux Hamdel, le voyant intéressé par son jeu, lui dit : « Quand vous serez roi, vous prendrez soin de ma musique, n’est-ce pas ? » L’enfant n’oublia jamais ce mot, s’en fit un devoir de conscience, une religion artistique qu’il observa jusqu’au bout. Un des plus beaux jours de sa vie fut celui où il chanta avec Mozart pour accompagnateur.

Sur le trône, il « encouragea » les artistes et les écrivains, distribua quelques pensions et beaucoup de conseils. Il dédaignait Reynolds, mais il protégeait West qui faisait du grand art avec de petits moyens, qui était bon chrétien et honnête homme. Il lui indiquait des sujets classiques : « Faites-moi un Regulus, » et il lui lisait une page de Tite-Live pour l’exciter à la besogne. Il donna audience au docteur Johnson. « Sa Majesté me posa, dit le docteur, une foule de questions qui m’embarrassaient fort. Heureusement, Elle répondit à toutes. » Notez cette curiosité étourdie et maladroite qui soulève à la fois vingt problèmes dont elle ignore les difficultés et dont elle croit entrevoir les solutions avant ceux qui ont qualité pour les découvrir : George III est là tout entier.

Ce pauvre homme se mit en tête de restaurer la prérogative royale, de ressusciter à son profit l’absolutisme des Stuarts, sinon celui des Tudors, de mettre la Révolution de 1688 dans sa poche. On verra, au chapitre de la caricature politique, ce qu’il advint de cette tentative, obstinément poursuivie pendant vingt-cinq ans et qui coûta cher au pays. Cette comédie politique eut une conclusion auprès de laquelle palissent les dénouemens les plus ingénieux et les plus hardis que Scribe ou Sardou aient jamais inventés. La bataille gagnée — et Dieu sait à quel prix ! — il se trouva qu’au lieu de rétablir l’autorité royale on avait fondé à jamais l’omnipotence ministérielle, simplement parce que le roi était un sot et le ministre un homme de génie. En sorte que la Révolution de 1688, loin de se trouver détruite ou compromise, devint complète et irrévocable.

Certes, cela est amusant pour quiconque aime à voir de petits hommes aux prises avec de grandes tâches ; mais où la bouffonnerie dépasse tout, c’est lorsque George III se considère comme le rival, l’adversaire direct de Napoléon. À Weymouth, après avoir pris son bain sous les yeux de quelques centaines de paysans attentifs, au son d’un orchestre qui le suivait dans une cabine roulante, il se risquait, sur son yacht, à un ou deux milles de la côte. Si l’on signalait un navire suspect, il lui poussait des velléités guerrières. « Ah ! s’il avait pu rencontrer ce Buonaparte, se mesurer avec lui, lui donner une bonne leçon ! » Gillray, dans un dessin dont il ne comprenait certainement pas lui-même tout le comique, a représenté George III, dans un costume quasi militaire !, observant à travers une lorgnette son ennemi qui se tient debout, de l’autre côté de la Manche, sur la falaise française. Le cou tendu, les narines ouvertes, les joues gonflées par son souffle qu’il retient, il a l’air d’un entomologiste qui étudie un insecte au microscope. C’est Perrichon devant le Mont-Blanc ; un George III géant, un Napoléon pygmée !

Si la politique de George III appelait toutes les railleries de la caricature comme toutes les sévérités de l’histoire, l’homme privé, chez lui, avait droit à certains égards qu’il n’a pas obtenus. Sa vie fut sans tache. De vagues et timides rêves d’amour avaient traversé son cerveau d’adolescent. Le pur et innocent profil d’une petite quakeresse, entrevu à travers la vitrine d’une boutique dans Long Acre, une coquette et rieuse fille, folâtrant avec un chien sur les pelouses de Holland Park, occupent un temps son imagination, mais il ne permet pas de grandir à ces amours de fantaisie. On lui montre le portrait d’une princesse allemande et son parti est pris. Il va chercher à Douvres sa fiancée. Lorsque le grand dadais aperçoit cette naine qui n’atteint pas à son épaule, il a un moment de désarroi et, presque, de retraite. Mais le sort en est jeté. Sa parole est donnée et son cœur suivra sa parole. Il aimera quand même celle qui sera la mère de ses enfans. En effet, elle sera mère dix-sept fois. Entre ces deux êtres qui, physiquement, semblent si mal accouplés, des affinités morales se révèlent et l’unisson s’établit entre leurs vertueux ridicules et leurs respectables manies. Tous deux sont infatués de royauté. La reine, — tout en affectant la plus profonde déférence envers le roi, dont elle avait de bonne heure, pénétré la nullité, — se mêle de politique et travaille, en dessous, à la grande œuvre, au relèvement de l’autorité monarchique. Comme son mari, elle veut une stricte étiquette dans une stricte simplicité. Comme lui, elle a le culte de la règle, la subit la première, l’impose autour d’elle, l’incarne en quelque sorte. Sa conception du devoir royal est étroite, puérile, parfois absurde, mais toujours claire, et elle l’accomplit sans en rien omettre, sans y rien changer. Levée à six heures, couchée à minuit ; audiences, toilettes, repas, elle exécute, l’une après l’autre, toutes les fonctions de sa journée royale avec la régularité d’un mouvement d’horlogerie. Malheur à qui est en retard et tant pis pour qui se plaint ! Sévère disait qu’un empereur doit « mourir debout. » Il en parlait bien à son aise. Pour les souverains et pour ceux qui les entourent, la difficulté est non pas de mourir mais de vivre debout. C’est à quoi la reine Charlotte employait toute son énergie, lin jour, l’une de ses dames d’honneur, à bout de forces, demandait grâce, implorait la faveur de s’asseoir. « Est-ce que je m’asseois ? » dit sèchement la reine. Elle trouvait du temps pour lire les livres qu’une de ses femmes de chambre, habile à ce genre de négociations, achetait au rabais chez les bouquinistes. « On trouve là des occasions admirables, » dit-elle à miss Burney le premier jour qu’elle la vit. Elle réservait aussi des heures au commérage intime, à des railleries très acérées dont ses sujets faisaient les frais. Mais de tout cela rien ne perçait en public, et ses lettres ne la trahissaient point. Elle écrivait à une de ses confidentes : « J’aurai de bonnes histoires à vous conter quand je vous verrai. » Elle était prudente, mais non poltronne. Certain jour elle brava l’émeute, regarda le peuple en face. C’était en 1810. Une foule furieuse se ruait autour de sa voiture, vomissant des grossièretés. Elle fit baisser la glace, montra sa vieille petite figure ridée. « Il y a cinquante ans que je suis reine, dit-elle : on ne s’était jamais permis encore de m’insulter. »

Tel est ce couple royal que Gillray a poursuivi, pendant quinze ans, de ses moqueries.

Il en est beaucoup d’injustes ; quelques-unes sont basses et indécentes. N’exhumons pas celles-là. Celles qui portent le mieux sont aussi les plus gaies et les moins amères. Elles sont relatives aux habitudes simples et parcimonieuses du roi et de la reine. Tantôt George III nous apparaît comme un dilettante qui écoute avec ravissement la plus délicieuse des musiques, et cette musique est produite par des sacs déçus qu’on fait tinter à ses oreilles. Tantôt c’est M. King, fabricant de boutons : allusion à l’une de ses occupations favorites. Plus souvent encore nous voyons le « fermier George » vaquant à ses rustiques travaux. On lui donnait ce surnom depuis certain jour où, dans le discours du trône, alors que la guerre d’Amérique troublait tous les esprits, il avait longuement entretenu le Parlement de ses inquiétudes… au sujet de la maladie des bêtes à cornes. Donc voici le fermier George, vêtu en paysan, coiffé d’un mauvais chapeau de paille. Il donne à manger aux cochons, pendant que Charlotte, la fermière, nourrit les poulets et qu’un des gardes, en uniforme, déterre des navets et des carottes avec la pointe de son sabre.

Le Repas frugal, lorsqu’on y jette d’abord les yeux, n’a rien d’une satire, moins encore d’une caricature. Quand on y regarde de près, on s’aperçoit que l’auteur, portant à son dernier degré de perfection et, peut-être, jusqu’à l’excès la méthode de son maître Hogarth, a mis de la moquerie dans les moindres détails. Le roi et la reine dînent avec des œufs et de la salade qu’on leur sert dans de la vaisselle d’or. Les précautions les plus minutieuses ont été prises pour protéger contre les taches de graisse non seulement les manches et le jabot du monarque, mais le tapis de la salle, les bras et le dossier des fauteuils. Dans ce dessin comme dans tous ceux où Gillray introduit George III, tout chandelier est muni d’un brûle-tout (save all) qui permet de consumer la bougie jusqu’au dernier atome. Les tableaux accrochés aux panneaux, les livres placés sur le secrétaire, les menus objets qui encombrent la cheminée, les sujets de la pendule, des candélabres, des chenets du garde-feu, tout chante ironiquement l’éloge de l’économie, tout nous rappelle que nous sommes chez Harpagon. Un autre dessin nous fait assister au déjeuner du matin. Les jeunes princesses sont réunies autour de la table et la reine s’efforce de leur inculquer ses austères principes. Elle préconise le thé sans sucre et appelle à son secours deux auxiliaires imprévus, la philanthropie et la gourmandise : « Voyons, mes chères petites, toutes les fois que vous jetez un morceau de sucre dans votre tusse, est-ce que vous ne songez pas à ces pauvres nègres qui se donnent tant de mal pour faire pousser la plante qui le produit ? D’ailleurs, c’est très bon, le thé sans sucre ! — C’est-à-dire, appuie le roi, que c’est tout bonnement exquis ! » Et, voulant joindre l’exemple au précepte, il avale l’amer breuvage avec un sourire d’extase qui se change en une horrible grimace et qui est une des trouvailles de Gillray.

Le dessin est charmant : les jeunes princesses l’égayent et l’embellissent de leur grâce, encore à demi enfantine. Gillray les a traitées avec une complaisance évidente. Peut-être savait-il qu’il avait eu elles des admiratrices secrètes, presque des complices, et que ses gravures, passant de main en main, provoquaient des tous rires étouffés dans ce petit monde innocent et malicieux, comprimé par une discipline sévère et d’autant plus prompt aux soudaines gaietés. On en chuchotait, le soir, dans les petits coins, avant d’aller se coucher ; on y songeait encore le lendemain, lorsque, à travers les corridors glacés, glissant comme des fantômes dans l’ombre grise d’un matin d’hiver, les pauvres filles se hâtaient vers la chapelle, mourant de peur d’être en retard et riant, de leur peur comme des folles. Cette cour de Windsor et de Kew, sous la lourde et pédante autorité de Mme de Schwellenbergh, suggère l’idée d’une pension de province. On n’est pas absolument malheureux dans ces lieux-là, mais il faut en sortir. Une des filles de George III, la princesse royale, quitta sa famille pour aller régner en Wurtemberg ; les autres restèrent au logis, dans ce triste logis que la folie du roi rendit encore, plus triste et d’où la vie se retira chaque jour à mesure que le pouvoir passa en d’autres mains. La princesse Elisabeth devint une manière de philosophe et fut mariée tardivement à un brave homme de margrave qui fuma sa pipe et fit du bien. La princesse Sophia épousa en secret Lun des écuyers de son père. La princesse Amélie cultiva l’art et la poésie. C’était la dernière, la bien-aimée. Le roi lui passait tout quand elle était enfant, même de le mettre à la porte lorsqu’elle voulait jouer toute seule avec son amie, miss Burney, « Va-t’en, papa ! » criait-elle, et, docile, il s’en allait. J’ai dit qu’elle se consola avec l’art et la poésie. Mais ces dangereux consolateurs ouvrent l’âme à d’autres émotions. Elle s’éprit d’un bel officier, le général Fitzroy, qui fut son mari morganatique. Elle mourut jeune et la disparition de sa fille adorée amena la submersion définitive de cette pauvre raison vacillante qui se débattait depuis trente ans contre la folie. Et voici la vivante caricature qui est devenue tragique. Le vieux roi, vêtu d’une robe de chambre rouge, ses longs cheveux blancs déroulés sur ses épaules, s’approche d’un orgue. Il est aveugle, mais ses vieilles mains tremblantes et maladroites cherchent, en tâtonnant, sur les touches un motif de Hamdel. « Quand j’étais roi, dit-il, quand je vivais, c’était mon air favori. » Cet air éveille en lui des pensées graves et religieuses. Il tombe à genoux et la reine le trouve priant tout haut pour lui-même, pour ses enfans, pour son peuple.


II

Sortez de cet intérieur austère, qui semble une oasis morale au milieu de la corruption, et toutes les passions font rage. On est saisi de ce contraste comme au sortir d’un lieu abrité, lorsqu’on est assailli par la sauvage brutalité des vents du dehors, ou encore, comme on s’étonne de trouver une foire hurlante, aux portes même d’un temple silencieux. Les scandales commencent dans la famille même du roi où le caricaturiste trouve à symboliser tous les péchés capitaux. C’est une sœur de George III, cette reine de Danemark, dont la mémorable aventure avec Struensee défraye encore l’imagination des dramaturges. Le démon de l’adultère poursuit les femmes de cette maison de Brunswick. Sans remonter jusqu’à Sophie Dorothée qui paya une heure d’amour par trente-six ans de pénitence et de captivité, je compte, de 1765 à 1790, quatre princesses de Brunswick dont la vie est un malsain et douloureux roman. Pour l’une d’elles — c’est la propre nièce de George III — Je dénouement reste une énigme effrayante. Infiniment plus vulgaire, la destinée des frères et des fils de George III n’est pas plus édifiante. Le duc d’York, à la recherche des plaisirs cosmopolites, meurt à Monaco avant trente ans. Gloucester épouse de la main gauche lady Waldegrave et la trompe indignement. Cumberland, après une foule d’intrigues, se marie également au-dessous de son rang. Il avait reçu le titre à la mort de son oncle, Cumberland-le-boucher. Le premier Cumberland était un mauvais soldat (ses états de service se composent de trois défaites et d’une capitulation), mais c’était un soldat. Le second n’est qu’un viveur aux goûts ignobles, lâche, malfaisant et jaloux. Pour se venger d’avoir été exclu de la cour, lui et l’intrigante dont il avait fait sa femme, il se donne pour tâche de corrompre l’héritier du trône, et sa digne compagne laide dans cette mission. Il lui apprend à boire ; elle lui apprend à jouer. Ne lui donna-t-elle pas encore d’autres leçons ?

A seize ans, George, prince de Galles, est délicieux à voir. Une forêt de cheveux blonds soyeux encadre un suave et idéal visage qu’éclairent deux yeux tendres, ardens, lumineux. Il a le charme du jeune homme et celui de la jeune fille ; c’est la plus parfaite incarnation du Chérubin de Beaumarchais. On raconte qu’il est tombé amoureux de Mary-Ann-Robinson qui joue à Drury-Lane le rôle de Perdita, dans un des plus fameux drames de Shakspeare. Lord Maldon se charge de toutes les démarches nécessaires, s’entend avec le mari, car il y a un mari. Rendez-vous nocturne, promenade sur la Tamise. Toute 1 Angleterre s’intéresse aux amours de Florizel et de Perdita, à ces amours que Shakspeare inspire et protège. Elle apprend avec transport que ses deux favoris, le prince et l’actrice, sont dans les bras l’un de l’autre. La colère du roi et de la reine n’ajoute qu’un trait de plus à cette adorable aventure.

Cet adolescent exquis, vers lequel se précipitaient tous les cœurs, était un misérable sans âme et sans cervelle, qui passa sa vie à trahir les hommes et les femmes, les affections et les principes. Thackeray nous assure qu’on ne peut rien dire de lui parce qu’il n’a rien fait et n’a rien été. Pour le drôle insigne qui fut George IV, ce serait vraiment s’en tirer à bon compte. D’abord il n’est pas exact de dire qu’il n’a rien fait. Il a inventé un cirage pour les souliers qui est, peut-être, encore dans le commerce. D’ailleurs on est « quelque chose » quand on est parjure, escroc, faussaire et bigame. Or, le « premier gentilhomme de l’Europe » (comme il se faisait ou se laissait appeler) a été tout cela. Trois fois la nation a payé ses dettes et trois fois il a acheté cette faveur, après l’avoir mendiée, soit par des mensonges étayés de documens forgés, soit par des sermens qu’il n’a pas tenus.

Et pourtant Thackeray a raison. Les innombrables mauvaises actions de George IV ne nous livrent pas le secret de sa personnalité. Elle nous échappe si bien qu’on en vient à se demander s’il a été vraiment quelqu’un, et si ses vices étaient à lui. On ne lui avait appris que des gestes. Son gouverneur, Lord Harcourt, le harcelait de phrases comme celles-ci : « Monseigneur, tenez-vous droit ! Monseigneur, les pieds en dehors, je vous en supplie ! » D’opinions politiques, il n’en eut jamais. Tout petit garçon, pour faire enrager son père qui l’avait grondé, il scandalisait les échos de Windsor en répétant le cri de la canaille londonienne : « Vive Wilkest Vive le n° 45 ! » Ainsi tout le long de sa vie. Libéral par dépit et par haine, il alla plus loin dans le torysme que le plus entêté et le plus obtus des squires de village, quand son intérêt le voulait ainsi. Ses passions sont, comme ses opinions, des accidens. Sa sensation du moment s’appelle successivement Mary-Ann Robinson, Mrs Filzherbert, Caroline de Brunswick, Lady Jersey ; elle porte mille autres noms et souvent elle n’a pas de nom. Quand il mourut, on trouva une prodigieuse garde-robe : uniformes militaires, habits de chasse, habits de gala, déguisemens de toute sorte que sa vanité de cabotin royal s’épuisait à inventer. Toute son âme était dans cette défroque. Il n’avait fait que jouer des rôles et ne laissait derrière lui que des costumes[2].

Bunbury et Rowlandson l’ont ménagé, parce qu’ils appartenaient, à des degrés différens, à ce monde du plaisir élégant dont il était le modèle et l’idole. Gillray est moins indulgent. Il nous le montre jouant le rôle de Charles Surface dans la scène des portraits à l’enchère, l’une des plus originales de la spirituelle comédie de Sheridan, The School for Scandal, alors dans toute la nouveauté et l’éclat de son succès. Assisté de son âme damnée, le colonel Hanger, qui s’improvise commissaire-priseur, il vend au plus offrant et dernier enchérisseur les toiles qui représentent ses ancêtres et tous les membres de la famille royale. On sait quel est le trait qui rachète et sauve Charles Surface : pris d’un bon sentiment, il refuse de vendre le portrait de son oncle et le vieillard, présenta la scène sous un déguisement, lui pardonne tout le reste pour ce seul mouvement. Rien de tel chez le prince de Galles. « Une fois, deux fois, trois fois !… Personne ne dit mol ?… Adjugé, le fermier George ! » Et il laisse, sans l’ombre d’un remords, emporter l’image de son père.

Le caricaturiste trouve moyen d’enchérir encore. Lorsque le prince, pour attendrir le Parlement, vend chevaux et voitures, renvoie ses domestiques, quille son palais pour se loger en garni, joue, en un mot, la comédie de la pauvreté, Gillray nous conduit dans un taudis où nous voyons Mrs Fitzherbert raccommodant les culottes du prince, tandis que, du bout de son pied, celui-ci met en mouvement un berceau à bascule où dort un marmot. Le souper s’apprête. Voici le fidèle Hanger, encore plus râpé que son maître, qui rapporte du cabaret voisin un tout petit pot de bière. Les époux surveillent du regard une tête de veau qui cuit devant la cheminée et dans laquelle il est impossible de ne pas reconnaître le roi George. On commence par mettre son père ; à l’encan ; on finit par le mettre à la broche. C’est d’une gaîté un peu féroce, mais il n’y a plus aucune gaité dans un dessin qui date de 1799 et qui représente le prince endormi et rêvant. La façon dont il s’est lourdement laissé tomber en travers de son lit indique assez que nous assistons à ce sommeil bestial qui termine les nuits de débauche. Et le rêve est un cauchemar. Cumberland, le corrupteur de sa jeunesse, lui apparaît ; il s’est échappé des enfers pour venir lui annoncer sa, fin prochaine, juste châtiment de ses folies. Le prince survécut trente ans à cette prophétie.

Les amours du duc de Sussex avec une chanteuse, Mrs Billington, le faux ménage du duc de Clarence, plus tard Guillaume IV, avec une autre actrice célèbre, Mrs Jordan, fournissent un thème à la caricature qui s’en égaie, mais ne s’en indigne pas. Sussex est aussi agréable de sa personne que son frère, le prince de Galles. A Rome, où il séjourne longtemps, on le surnomme le bel Anglais et Louise de Stolberg, l’éternelle amoureuse, est bien près de donner un Brunswick pour rival au dernier des Stuarts. Quant à Clarence, il a les mœurs et le langage d’un marin : c’est assez pour le rendre populaire ; auprès des classes inférieures. Gillray, qui a une partialité évidente pour lui, le meurtre dans sa pseudo-famille, faisant jouer ses enfans à la façon d’un bon père qui est, en même temps, un joyeux camarade. La scène n’a rien de déplaisant, mais elle prend un sens étrange et douloureux lorsqu’on la rapproche d’une autre scène qui servit d’épilogue à l’idylle bourgeoise du prince et de la comédienne. Celle-là, personne ne l’a dessinée, mais nous en savons assez pour la deviner.

C’est en 1816. Dans une humble chambre garnie, à Saint-Cloud, une femme est seule ; elle attend des lettres qui ne viennent pas. Touché de sa détresse, le propriétaire lui offre de l’argent : elle refuse. Dans la petite chambre sombre et mal meublée, les heures se traînent, mornes, désolées, implacables. Couchée sur un sofa, cette femme pleure. Qui se douterait qu’elle a fait rire deux générations ! Sa vie est tout entière dans l’attente du courrier. Chaque jour, nouvelle déception. Une dernière fois le logeur se rend à la poste. La pauvre martyre se soulève, interroge du regard. « Rien, Madame ! » et elle meurt. Cette femme est Mrs Jordan et l’homme qui la tue par son silence est le duc de Clarence. Quand il sera roi, il paiera sa dette de-cœur en commandant au sculpteur Chantrey une statue de sa maîtresse qui se dresse, riante et gracieuse, au-dessus de sa tombe abandonnée dans le cimetière de Montretout.

De tous les fils du roi, celui qui a donné le plus d’ouvrage aux caricaturistes, c’est le duc d’York. Colonel à seize ans, il était général à dix-huit. N’attribuez pas à des mérites exceptionnels ou à des- actions d’éclat cet avancement extraordinaire. Il avait bien été évêque dès le berceau en sa qualité d’héritier du trône électoral de Hanovre[3]. Il était le fils favori de George III et l’on ne voit rien en lui qui justifie cette prédilection, si ce n’est que ses vices, au moins dans la forme, digéraient de ceux de son frère aîné, le prince de Galles. On lui donna à commander des armées ; de revers en revers, il s’éleva au grade de généralissime. Vers 1805, il avait pour maîtresse une créature appelée Mrs Clarke, à laquelle il témoignait une confiance sans bornes et qu’il accablait de protestations écrites de sa tendresse dans les termes les plus ridicules. Puis, l’amour passé, il congédia sa maîtresse avec une mesquine pension qu’il n’eut même pas la probité de payer régulièrement. Elle se plaignit, puis se fâcha : ou la menaça dédaigneusement du fouet et du pilori. Alors elle se redressa et attaqua en face son ancien amant. Il lui avait dit un jour, au temps où il ne savait rien lui refuser : « Etant ma favorite, vous avez dans ce pays-ci plus de pouvoir que la Reine. » C’était vrai et elle en donna des preuves. L’enquête ouverte devant le Parlement fit voir qu’elle avait vendu les grades de l’armée anglaise ; qu’ensuite, agrandissant le cercle de ses affaires comme les commerçans qui réussissent, elle avait vendu de tout, même de hautes fonctions ecclésiastiques, même le droit de prêcher à la cour. Chaque jour, le fleuve de boue allait s’élargissant, menaçait de submerger tout ce qui, en Angleterre, avait un nom ou une autorité. Et chaque jour aussi, pendant ces mois de mars, d’avril et de mai 1809, la caricature était sur la brèche, jouant le rôle que le journalisme n’était pas encore en état de jouer. C’est Rowlandson, cette fois, qui tient la tête. De cette époque date la curieuse série intitulée A delicate investigation. Nous y voyons l’aventurière dans sa gloire, entourée à son lever par les officiers de l’armée et les dignitaires de l’Eglise qui mendient ses grâces et déposent à ses pieds des sacs d’or. Le duc, sa victime et son complice, apparaît auprès d’elle, tantôt affublé de son uniforme militaire, tantôt fagoté en évoque, quelquefois dans un costume amphibie qui rappelle notre vieille chanson populaire sur l’abbé de Clermont qui conduisit nos troupes à la défaite pendant la guerre de Sept Ans :


Moitié plumet, moitié rabat
Aussi propre à l’un comme à l’autre…


Mrs Clarke, costumée en Dalila, coupe prestement la cadenette du héros endormi et fait signe, de loin, aux ennemis de l’Angleterre qu’ils peuvent s’approcher sans risque. Beaucoup de ces dessins sont plaisans et quelques-uns sont très amers ; mais aucun ne peut rendre l’ineffaçable ignominie de ces scènes de la commission d’enquête où une créature du ruisseau déjoua et bafoua ceux qui essayaient de l’intimider et qui, en l’interrogeant, ne songeaient qu’à la faire taire. Dans ce duel entre le Parlement et Mrs Clarke, c’est le Parlement qui eut le dessous. Quand la honte du duc d’York fut parfaitement établie, une majorité de quatre-vingt-deux voix prononça solennellement son innocence. Dans une dernière caricature, Rowlandson montra tous les acteurs de la farce venant, près de la rampe, saluer le public. Mrs Clarke, en uniforme de général, prononçait le couplet final terminé par ces mots : « Messieurs, puisque vous avez pardonné à l’évêque, vous devez être indulgens aussi pour son clerc (clerk) ». Ce détestable à peu près sur le nom de l’héroïne était alors sur toutes les lèvres, et ce fut toute la moralité de cette affaire où personne ne fit son devoir. Le duc d’York avait démissionné afin de prévenir une destitution ; l’orage passé, on lui rendit la haute situation qu’il méritait si peu et dont il avait si bassement abusé. Mrs Clarke ayant rédigé ses Mémoires, on les lui acheta moyennant une somme de 7 000 livres une fois payées, plus une pension annuelle de 400 livres pour elle et de 200 livres pour chacune de ses filles. L’imprimeur qui avait spéculé sur cette tentative de chantage, fut grassement indemnisé. On avait promis de réformer la scandaleuse organisation militaire qui rendait possible une telle prostitution de l’autorité : soixante ans se passèrent avant que la réforme eût lieu et, sans l’énergie dictatoriale qu’un Gladstone mettait au service du progrès, peut-être l’attendrions-nous encore. Ainsi finit cette triste histoire, triste, surtout, par son immoral dénouement, par l’apaisement, par l’amnistie, par le pardon impardonnable dont une société tout entière couvrit le crime et les coupables, prenant par là, devant l’histoire, une part de complicité dans l’infamie. Le souvenir de ces hontes d’antan devrait rendre l’Angleterre infiniment circonspecte lorsque, du haut de sa vertu, elle est tentée de jeter le blâme à d’autres nations qui ont eu le malheur de pécher.

Le duc d’York avait épousé une nièce de Frédéric II qui n’était ni laide ni sotte et que les caricaturistes ont traitée avec un certain respect. On célébrait son joli pied et son amusant petit museau. Elle se montra très raide sur les distances sociales. Non par austérité, j’imagine, mais par orgueil, elle refusa d’avoir rien à faire avec cet étrange pêle-mêle d’épouses morganatiques et de maîtresses légitimes ou quasi légitimes, presque mariées, demi-princesses et demi-courtisanes. Que fit-elle lors de l’affaire Clarke ? Probablement elle haussa les épaules. Voici la dernière lettre qu’elle écrivit avant de mourir à lord Lauderdale : « Mon cher ami, je fais mes paquets, car je vais partir prochainement. Soyez persuadé des sentimens que vous porte votre affectionnée amie. » Dans son laconisme presque dédaigneux, dans sa stoïque sécheresse, ce billet est plus que l’adieu d’une femme qui va mourir : c’est l’adieu d’un siècle qui finit.


III

Entre l’exemple donné par George III et celui qui vient de ses frères et de ses fils, la société anglaise a vite fait son choix : elle préfère le vice brutal à la vertu mesquine. Ses leaders ne sont plus, comme dans l’âge précédent, de voluptueux raffinés, élevés à l’école de la France, mais des excentriques qui mêlent à un reste de gallomanie des passions exclusivement anglaises. C’est une génération de joueurs et de petits maîtres, mais c’est surtout une génération de chasseurs, de buveurs, de boxeurs et de cochers. C’est lord Sandwich, le roi des drôles, qui a été plusieurs fois premier lord de l’Amirauté et qui se promène dans Bond Street, donnant aux petites bouquetières un louis pour une rose. C’est le marquis de Queensberry, surnommé le vieux Q., qui, posté à la fenêtre du coin, entre Piccadilly et Green Park, une lorgnette d’opéra à la main, dévisage toutes les jolies femmes qui vont au Parc ou qui en reviennent. C’est George Sellwyn, le mondain imperturbable, qui, à soixante ans, se découvre un cœur et se consume dans une tendresse énigmatique pour une Italienne de quatorze ans. C’est Tom Onslow, ou, comme on l’appelle d’ordinaire, Tom Tandem, fier d’avoir inventé une nouvelle manière d’atteler et capable de se brûler la cervelle s’il avait jamais le malheur d’accrocher. C’est lord Barrymore qui se grise avec ses palefreniers et se fait accompagner dans ses courses nocturnes d’un savant professeur de savate et de coups de poing. C’est son frère Skeffington — plus familièrement Skeffy — une délicieuse petite poupée vivante, vêtue de satin rose et bleu tendre, comme un berger de Watteau. Cet homme qu’on rencontre, au plus épais des foules ou dans les lieux suspects, habillé en jockey ou en clergyman, c’est le duc de Norfolk, le porteur du plus vieux titre anglais. Le diable seul sait dans quelles boues il le traîne, ce titre ! Quand il est ivre-mort, ses valets en profitent pour le laver. Il fait une pension à ses anciennes maîtresses ; quand elles viennent toucher leur trimestre chez son banquier, il est là, caché derrière un rideau ; il se paie leur tête et mêle au cruel divertissement un grain de philosophie. Eheu, Posthume, fugaces… Une grimace mélancolique à la pensée des années qui s’envolent et du terme qui s’approche : je ne crois pas que les âmes de ce temps-là puissent monter plus haut. On soupire, on bâille deux ou trois fois, puis on recommence à cultiver, à surnourrir, à caresser la bête humaine. Si bien qu’il reste un trop-plein d’indulgence et de tendresse à dépenser sur les autres animaux, compagnons de nos sports et prolongement de notre propre existence, sur le chien de chasse et sur le cheval de course.

La politique et la religion ont leurs excentriques. Lord George Gordon, jeune homme à l’air ingénu, à la voix douce et lente, met Londres en feu au cri de : A bas les Papistes ! Lord Stanhope, beau-frère de Pitt, vient à la Chambre des Pairs armé de textes de l’Écriture qui prouvent clairement que la monarchie est abominable à Dieu. C’est un niveleur ; il prêche l’égalité entre toutes les classes et entre tous les individus. Sa fille, Lady Rachel, s’étant enfuie avec un garçon apothicaire, l’apôtre de l’égalité entre en fureur et ne veut rien entendre[4]. Sir Francis Burdett choisit l’émeute pour son sport favori. Il rêve de marcher, comme Saint Hurugues, à la tête d’une populace en délire et de prendre un palais d’assaut. Laissez-lui le temps de vieillir et ce sportsman de l’émeute finira dans la peau d’un réactionnaire endurci.

Mêmes variétés parmi les femmes. Nous ayons-les centauresses, les joueuses, les politiqueuses. En regard de Skeffington, l’homme-fille, placez la femme-garçon, Lady Salisbury. Elle va partout en habit de cheval, le fouet à la main, escortée de ses lévriers favoris dont l’aboiement vaut pour elle la plus délicieuse musique. Nous ferons tout à l’heure plus ample connaissance avec trois grandes dames que le peuple appelle les filles du Pharaon. Quant au bataillon des politiqueuses, il a pour chef Georgiana, duchesse de Devonshire, qui achète avec un baiser le vote d’un boucher ou d’un marchand de légumes, sans que son profil de Junon y perde rien de son impassible dignité. Beaucoup, enfin, se contentent d’être jolies, de s’amuser et de plaire. Faire la conquête d’un mari est le seul but de la vie pour une jeune fille. Miss Gunnings, afin de s’en assurer un, fabrique, avec la complicité de sa mère, une lettre fausse. Mais ce jeu est dangereux. Les autres usent et abusent des moyens que la nature a mis à leur disposition et poussent jusqu’à leur dernier excès des modes qui ne pèchent point par la modestie. Oui sait si plus d’une n’a pas remercié en secret le caricaturiste dont l’indiscrétion faisait une réclame à sa beauté ?

Tout considéré, je crois bien que l’un des plus grands plaisirs pour les hommes et les femmes de ce temps était de s’habiller. C’est surtout la caricature qui nous donnera, — si nous faisons la part de l’exagération, — l’histoire du vêtement pendant cette époque mémorable qui voit finir le dernier macaroni et apparaître le premier des dandies. Un changement radical s’opère et il aurait, comme tous les changemens, sa raison historique et philosophique s’il correspondait à une transformation profonde dans les mœurs et dans les idées, comme on est d’abord porté à l’imaginer.

En deux mots, le costume des femmes paraît tendre vers la vérité, celui des hommes vers l’égalité et la simplicité. Au début, chacun indique son rang, sa fortune, sa profession par la manière dont il est habillé. Le grand seigneur est chamarré de broderies, chaussé de soie, cravaté de dentelles ; il porte l’épée en verrouil. Le légiste est vêtu de noir ; le médecin se reconnaît à la coiffure et à la forme de sa canne. Que je voie seulement votre jabot, votre perruque, rien que la boucle de vos souliers et je saurai qui vous êtes. Dès 1810, toutes les fractions de la société paraissent confondues dans l’unité de l’habit et du chapeau ; si bien que le même article de toilette pourra, désormais, passer d’une classe à une autre et finir sur les épaules d’un ouvrier du port après avoir fait ses débuts à Almack’s sur le dos d’un aristocrate. Pour les femmes, vous devez croire qu’elles reviennent à la nature. L’échafaudage des hautes coiffures pour lesquelles il eût fallu, à en croire les caricaturistes, percer le dessus des carrosses et des chaises à porteurs, le rouge, les mouches et la poudre, le panier, puis les robes flottantes, qui leur succèdent et qui font de la taille féminine un mythe, une énigme ; tout cela, autant de mensonges. Un principe nouveau s’établit. La robe est faite pour montrer la femme, non pour la cacher. Mais cette confession n’est pas toujours sincère ; le mensonge reprend vite ses droits, et pour mille raisons, dont quelques-unes sont fort bonnes. La morale, la vanité, l’intérêt des artistes qui embellissent la femme remettront les fictions à la mode.

Quant aux hommes, ils suivent, par habitude, les variations du costume que Paris leur envoie, malgré la guerre, malgré la haine que leur inspirent toutes les choses françaises et qui va sans cesse croissant. Il y a cent ans, la culotte et le pantalon étaient pour les Français des signes de ralliement, comme la cocarde blanche et la cocarde tricolore. Pour les Anglais, ce n’étaient qu’une culotte et un pantalon. Entre 1780 et 1810, ils ont changé de costume ; ils n’ont pas changé d’âme.

Sur le chapitre de l’évolution des modes, la caricature abonde en moqueries, et ces moqueries n’ont eu qu’à vieillir pour devenir des documens. D’abord, c’est Henry Bunbury qui nous présente le parfait macaroni. Horace Walpole qui a vu éclore le macaroni, attribue la genèse de cette espèce nouvelle à la conquête du Bengale et à l’enrichissement fabuleux de quelques individus qui en fut la conséquence. C’était, à l’en croire, un effort de génie pour mettre la dépense à la hauteur des bénéfices. Il s’agissait d’élargir les fenêtres anglaises pour jeter plus commodément son or dans la rue. Cela se peut, mais le mot de macaroni suggère une idée différente. En somme, c’est une forme de l’exotisme qui sévit périodiquement en Angleterre, mais qui n’est qu’une maladie de peau. Comme les macaronis prétendaient avoir des mœurs, des goûts, des vices à part, ils voulaient aussi se distinguer du commun des hommes par leur costume. L’un d’eux m’apparaît dans une gravure de l’Universal Magazine. Il a l’air sérieux, important, qui convient à un pontife de la mode Un énorme paquet de cheveux noués en bourse sur la nuque ; un tricorne microscopique planté sur le sommet du crâne. Gilet brodé à fleurs, culottes rayées, bas chinés : le tout collant comme un maillot de danseuse. Cette toilette a pour complément une canne pareille à celle d’un suisse de cathédrale.

Les macaronis firent un bruit énorme et disputèrent aux femmes pendant quelques années le glorieux privilège d’occuper les caricaturistes. Puis ils disparurent et de nouveaux objets accaparèrent l’attention. En première ligne les parapluies et les ballons qui eurent des fortunes très différentes. Lorsqu’un honnête excentrique promena pour la première fois, au bout d’une tige de bois ou de fer ce petit toit d’étoffe colorée qui protégeait sa tête contre les intempéries du climat anglais, on le hua et on lui jeta de la boue. Sui eum non receperunt. Personne ne devina la place que ce petit meuble allait prendre dans la vie anglaise. En revanche, les aérostats excitaient un véritable délire. On en parlait tant que le docteur Johnson, — peut-être un peu jaloux de ces étranges rivaux, — n’osait plus dîner en ville. Les gens les plus sérieux allaient partout, un ballon à la main, de même que, trente ans plus tôt, on les aurait vus manœuvrant les ficelles de leur pantin. Mais la fièvre des ballons passa, tandis que le parapluie devint une sorte de symbole national. Pour dater cette double invention, nous avons, dans les caricatures, la femme-parapluie et la femme-ballon. C’est le « bouffant » qui justifie ces plaisanteries. En effet, aux hanches artificielles s’était substituée une protubérance postérieure, également postiche. A combien d’usages pouvait servir ce bienheureux bouffant ! En cas d’orage, une mère en fait un abri pour sa famille. Gonflez-le d’hydrogène et il vous enlèvera dans les airs. Bourrez-le de tabac, cachez-y deux ou trois bouteilles d’eau-de-vie et vous défiez la malice des rats de cave. Au besoin la femme peut s’échapper de son vêtement qui ne tient pas à sa personne et laisser une enveloppe vide aux mains de l’huissier qui veut la saisir. C’est, du moins, ce que veulent nous persuader d’ingénieuses caricatures : Un corps sans âme et Une âme sans corps.

Nous sommes en 1790, le troupeau des Zèbres défile devant nous. Il en est de mâles et de femelles, car les deux sexes adoptent à la fois les étoiles rayées. Encore une mode française ! La rue Saint-Honoré continue à envoyer aux élégantes de Bond Street et de Piccadilly la fameuse poupée, habillée à la dernière mode de Paris et qui fait autorité dans le monde entier. En 1797, les dessins de Rowlandson et de Gillray nous offrent des contrefaçons absolument ressemblantes du muscadin et de la muscadine. Vous reconnaissez l’habit à longue queue et à larges revers, les oreilles de chien, la cadenette, l’ample cravate qui noie le menton dans des flots de mousseline. Et vous reconnaissez aussi cette jupe courte, étroite, d’étoffe transparente, cette chevelure follement embroussaillée qui rejette en tous sens ses mèches désordonnées. Est-ce la Tallien qui part pour le bal des victimes ? Non, c’est Lady Georgina Gordon : elle se rend aux jardins de Kensington armée en guerre pour prendre d’assaut le cœur du duc de Bedford qui, outre ses quartiers de noblesse, possède plusieurs quartiers de Londres. Et les jupes vont se raccourcissant, s’atténuant, se collant au corps, ne laissant plus rien à faire à l’imagination ; on se demande, avec inquiétude, si elles ne vont pas disparaître tout à fuit, lorsque le terrible hiver qui termine le siècle vient rappeler à ces belles filles qui l’oubliaient que la décence, sous certains climats, n’est pas seulement une vertu, mais une nécessité. Le joyeux Gillray célèbre le retour des manchons et des fourrures avec cette légende qui parodie agréablement le style lapidaire : Ce que n’avait pu faire la morale, Borée l’accomplit.

Le chapitre des chapeaux, écrit au jour le jour, sous forme graphique, par d’innombrables dessinateurs, est un des plus variés. D’abord on voit expirer la calèche et le cabriolet, sortes de capotes qu’une femme, grâce à un long fil, était maîtresse d’abaisser quand il lui plaisait, afin de l’opposer, comme un rempart, à de trop vives curiosités. Puis, sur la tête des élégantes se montre un incompréhensible amas de tiges jaunâtres, quelque chose comme un toit de chaume ou une guirlande d’épis. C’est le chapeau de paille qui veut venir au monde et qui essaie différentes formes. Il naît enfin et il a pour rival le turban surmonté d’un bouquet de plumes. Le chapeau de paille est provoquant, familier et coquet ; le turban est solennel, presque tragique. Il régnera autant que Napoléon et prolongera son existence sur quelques crânes privilégiés qui bravent le ridicule. Le chapeau de paille semble éternel.

Presque en même temps que lui a surgi le chapeau moderne à haute forme. Sa brusque apparition a l’air de défier les lois de révolution et le vieil axiome Natura non facit saltus. Serait-ce un produit spontané de l’imagination révolutionnaire qui le crée de toutes pièces pour servir de symbole à la démocratie : laid, maussade, encombrant, égalitaire et fragile ? Cette explication accorde trop de génie à nos chapeliers de l’an III ou de l’an IV. Elle est, d’ailleurs, inutile.

Abaissez les bords du tricorne ; puis, relevez la calotte en substituant au cône le cylindre, son proche parent, et au feutre mat le poil lisse et miroitant du castor. Décrétez, au nom de la République une et indivisible, que le vague et la mollesse des formes, caractéristiques des institutions de l’ancien régime, seront remplacés par cette sévérité de lignes, toute géométrique, particulière à nos constitutions républicaines, et rien ne manque plus au tuyau de poêle, expression parfaite de la fusion ou, si l’on veut, de la confusion des classes. Aussitôt créé, ce chapeau fait ce que Bonaparte a vainement tenté : il envahit l’Angleterre et la conquiert ; mais là, il perd sa signification. Ce n’est plus un symbole, ce n’est qu’une coiffure.

Le dandy apparaît avec les premières années du XIXe siècle, et il a déjà quelques-uns des caractères de ce siècle qui devait être le siècle des parvenus. En cela il diffère profondément du macaroni qui est un pur dilettante, avec un grain de folie. Le macaronisme trouve en lui-même sa propre satisfaction, tandis que le dandysme est un moyen de se distinguer, de sortir de la foule. Le macaroni a une fortune à dépenser, le dandy une fortune à conquérir. Regardez-le dans ce grenier où nous conduit le caricaturiste. Tout ce qui l’entoure crie la misère : lui-même, dans un négligé sordide, presque nu, est occupé à cirer ses bottes ou à repasser son jabot. Vous reconnaissez toutes les pièces du bel attirail sous lequel il ira, dans une heure, se promener au Parc et essaiera d’attirer l’attention d’une héritière. Y a-t-il progrès, du macaroni au dandy ? Je ne le crois pas. En passant du premier au second, la vanité masculine tombe du ridicule à la fraude. L’homme qui se pare n’est qu’un sot ; celui qui fait de son élégance une doctrine et de sa beauté une profession est un drôle.


IV

Dans cette société comme dans la nôtre, l’un et l’autre étaient des exceptions. La grande majorité se contentait de suivre les modes et cherchait ailleurs ses jouissances. Que faisaient les gens qui ne faisaient rien ? Voici la journée d’un homme du monde d’après une caricature gravée par Rowlandson, mais dont le dessin primitif et la légende appartiennent à Woodward :

« Fait de drôles de rêves. Toujours comme ça quand je dîne avec sir Richard. Je ne boirai plus de son vin. Levé à une heure ; habillé à trois heures et demie. Une heure de promenade avec le cheval que j’ai acheté dernièrement. Charmante bête. Je la vendrai, il n’y a rien de tel que la variété. Dîné à six heures avec sir Richard. Très gai ; fait des mots, me rappelle plus. Fait enrager un clergyman ; bu trois bouteilles. Entré au théâtre en flânant. Qu’est-ce qu’on jouait ? Tragédie, comédies ? Sais pas au juste, vu seulement le dernier acte. Siddons splendide. Kemble couci-couça. Etait-ce bien Kemble ? Pris un fiacre ; descendu à Saint James Street. Fait une petite partie avec les amis. Déveine infernale. Perdu tout mon argent. »

Et voici le journal de la femme du monde :

« Rêvé du capitaine. Décidément il est très bel homme. Compté ma bourse de jeu. Perdu beaucoup. Jouerai plus jamais avec la douairière. Déjeuné à deux heures ; dîné à sept chez Lady Rackett. Le capitaine y était. Plus gentil que jamais. A l’Opéra. Un monde fou. Le capitaine était dans notre loge. Mon ci-devant mari dans la loge en face. Un peu gênant, mais bah ! Ces choses-là se voient. Passé au rout de Lady Squander : on s’écrasait, positivement. J’ai joué, j’étais en veine. Raflé cent livres à Lady L… et cinquante au baron. Rentrée à cinq heures ; réfléchi pendant une demi-heure. Résolu de me ranger et de donner ma démission de la Société du Pique-Nique. »

Une chose frappe tout d’abord : cette « journée » du mondain et de la mondaine n’est qu’une soirée. S’il restait quelques minutes après cette mirifique toilette qui prenait deux heures et demie à l’un et cinq heures à l’autre, peut-être allait-on les passer sur le trottoir de Bond Street. Rien ne nous paraît plus commun et moins attrayant qu’un trottoir. Il faudrait avoir vécu dans des temps qui en avaient été privés et qui virent apparaître le premier trottoir pour comprendre la révolution accomplie dans les mœurs et l’extase avec laquelle les contemporains s’y prêtèrent. Pouvoir s’arrêter, causer, regarder dans la rue ! Pendant quelques années, le trottoir de Bond Street fut pour les Londoniens ce qu’avait été l’église de Saint-Paul sous les premiers Stuarts, ce qu’est, de nos jours, Rotten Row.

Mais on ne commençait vraiment à vivre qu’à l’heure du dîner.

Le dîner ! moment intéressant et solennel pour nos grand-pères comme aussi, j’en ai peur, pour leurs petits-fils ! C’était le temps des Grimod de la Reynière et des Brillat-Savarin. Mais le Français a toujours mêlé la sociabilité et la vanité à la gastronomie. Il a la prétention de dire des choses exquises en mangeant des choses délicieuses. Le véritable gourmet ne serait-il pas celui qui mange seul et ne veut aucun témoin à ses émotions, à ses méditations ? Comme l’amoureux, il veut la solitude du tête-à-tête et, comme le religieux, le silence de la cellule. Point d’autre confident qu’un vieux valet, qui sourit respectueusement à son bonheur et le comprend d’autant mieux que, tout à l’heure, à l’office, il finira les plats. Ce drame gastronomique du dîner, qui a, comme les autres drames, ses préparations, ses phases, sa péripétie et son dénouement, Rowlandson l’a déroulé devant nous avec la puissance et la sobriété d’un maître. Comme Hogarth, avec son crayon, racontait l’histoire d’une âme, il a raconté l’histoire d’une digestion. Le drame a trois actes : avant, pendant, après. C’est la même figure, les mêmes traits que nous voyons successivement s’allonger, se contracter, s’épanouir. D’abord l’attente inquiète, presque douloureuse, éclairée pourtant par le rayonnement du plaisir espéré. Puis le sérieux, l’attention exclusive et profonde, l’absorption de l’être dans l’auguste fonction qui s’accomplit. On comprend la vérité de cette parole : « L’homme ordinaire se nourrit, seul le gourmand dîne. » Ensuite vient le recueillement, l’extase, le Nirvana. Renversé en arrière, la paupière mi-close, entouré de visions heureuses qui flottent dans l’atmosphère encore chargée de subtils parfums, le dîneur repasse ses sensations, dîne une seconde fois par la pensée. C’est l’heure de la poésie, l’heure de l’idéal. C’est aussi l’heure des suprêmes indulgences, et le valet, muet jusque-là, a pris la parole, sans doute pour demander quelque faveur. Est-ce qu’un homme qui a dîné de cette façon-là peut refuser quelque chose à son serviteur ?

Si l’on s’isole quelquefois pour mieux manger, on se rapproche d’ordinaire pour mieux boire. Rowlandson s’est complu à nous montrer ce qui se passe dans la salle à manger quand on a enlevé les plats et laissé seulement sur la table les verres et les bouteilles. De quoi parle-t-on, si l’on peut encore parler ? Il n’y a que deux sujets : la chasse et la politique. Dans le salon, les femmes se morfondent. Elles ont épuisé la pauvre provision des médisances et des cancans de la semaine : les mariages, les divorces, les enlèvemens. Pas plus que leurs maris, elles ne savent causer. Un domestique vient glisser deux mots à l’oreille du maître : « Madame fait dire à monsieur que le café est servi, » et le maître répond à cette sommation en disant tout haut : « Allons, messieurs, encore une bouteille ! »

On a vu par le journal des deux mondains, mâle et femelle, quelle place tient le jeu dans l’existence des deux sexes. Heureux quand le jeu ne conduit pas à la tricherie ! Ce fut le cas de ces trois femmes de qualité qu’on nommait les filles du Pharaon : Lady Archer, Lady Buckinghamshire et Lady Mountjoy. Elles tenaient chez elles une sorte de tripot où elles attiraient les novices pour les dévaliser. Lord Kenyon, le Chief Justice, un jour qu’il condamnait des femmes de basse classe reconnues coupables du même délit, fit une allusion sévère ; aux grandes dames qui bravaient la loi : « Elles se croient, dit-il, au-dessus de la justice, mais elles se trompent. Qu’où me les amène et, quel que soit leur rang, je les enverrai au pilori. » On les amena devant Lord Keuyon, mais il n’eut pas le courage d’exécuter sa menace et se borna à infliger une amende aux filles du Pharaon. C’est Gillray qui se chargea de les mettre au pilori. Grâce à lui, elles y sont encore ; elles y seront toujours. Lady Archer est longue et efflanquée, Lady Buckinghamshire épaisse et courte ; l’une se courbe, pour passer à travers l’ignoble trou son bec d’oiseau de proie, l’autre se hisse sur ses pointes pour y introduire son plat et impudent museau de truie. Dans cette circonstance, c’est le caricaturiste qui fut le vrai justicier.

Le mondain et la mondaine passent une partie de leur soirée au théâtre. Mais il y a bien des manières d’aller au théâtre. Toutes ces manières, Rowlandson les connaît et nous les fait connaître. Un premier dessin, plein de vie, de fantaisie et de mouvement, représente le couloir des premières, à Covent-Garden. Ce couloir ressemble fort à ces « promenades » qui tendent à se multiplier dans nos salles modernes et que le théâtre a empruntées au Music-Hall. C’est là que se réunissaient tous ceux et toutes celles qui ne venaient pas au spectacle pour la pièce. Des mondaines, des femmes galantes ; des fats qui vont de groupe en groupe ; des provinciaux ébahis ; des étrangers qu’on dévisage, mais qui ne s’en doutent pas parce qu’ils sont eux-mêmes occupés à dévisager tout le monde ; un vieil amiral, qui, solidement, planté sur sa jambe de bois, regarde, avec des yeux gourmands, défiler les beautés à la mode ; des bouquetières qui se chargent des négociations les plus délicates et aplanissent pour les timides les premières difficultés de l’amour.

Puis quatre dessins, délicieux de finesse et de grâce, nous montrent le public aristocratique des loges, depuis l’ingénue de quinze ans qui vient pour la première fois de sa vie au théâtre avec son chaperon et qui ouvre des yeux tout ronds, dévorans, insatiables, extatiques, jusqu’aux élégantes qui sont venues exhiber d’adorables chapeaux, dernier effort du génie des modistes parisiennes. Dans les Spectateurs de la tragédie et les Spectateurs de la comédie, nous faisons connaissance avec un troisième public, le vrai, celui-là. Il occupe en force le parterre et regarde avec mépris les flâneurs du Lounge, avec méfiance les aristocrates des logos. Ce sont les playgoers attitrés, une sorte de corporation particulière qui discute les pièces, les acteurs, maintient les traditions, se révolte si l’on change un geste, une intonation, la place ou l’emploi d’un accessoire. Si un directeur malavisé veut augmenter le prix de l’entrée ou supprimer le billet à moitié prix qui permet de voir la fin du spectacle, les playgoers se lèvent comme un seul homme. Les Anglais ne seraient pas plus unanimes à défendre la Magna Charta ou le Bill of Rights, John Kemble en fit l’expérience. C’était un snob : le mot n’existait pas encore, mais le type, on le sait, est de tous les temps. Non seulement il avait voulu rançonner le parterre, mais il avait flatté le public aristocratique en lui ménageant une entrée à part, un couloir fermé et en annexant à chaque loge un salon où les grandes dames pourraient, comme dans les théâtres italiens, offrir à leurs amis un sorbet ou une tasse de thé. Trois mois durant l’émeute fut en permanence à Covent-Garden : émeute régulière, organisée, qui obéissait à des chefs, recevait des mots d’ordre, imprimait des circulaires, tenait des meetings et parlementait avec son ennemi après lui avoir jeté ses propres banquettes à la tête. Finalement, ce fut l’acteur qui dut céder.

C’est la caricature qui nous raconte, au jour le jour, les péripéties de cette tempête dans un verre d’eau. Quelques années auparavant, elle avait noté les incidens relatifs à la fameuse fraude d’Ireland qui offrit une fausse pièce de Shakspeare a la dévote admiration des amateurs. Il fallut vingt ans pour dévoiler le mensonge de Mac Pherson : une soirée suffit pour démasquer l’auteur de Vortigern. C’est encore la caricature qui a fixé pour nous la lamentable histoire de Master Betty, le Roscius-enfant comme on l’appelait : un génie à huit ans ; à vingt, terne et insignifiante médiocrité. Enfin c’est toujours la caricature qui se charge de chroniquer les derniers jours du règne de Sheridan à Drury Lane. Je retrouve, en guise de légende, au bas d’un dessin, ce bout de dialogue qui n’a, probablement, jamais été prononcé, mais qui n’en est pas moins un document, car il reflète la joyeuse impertinence de l’époque. Tom Sheridan, impudent et besogneux comme son père, lui demande de l’argent. — De l’argent ! de l’argent ! Que diable, monsieur, quand on a besoin d’argent, on arrête une diligence. — C’est ce que j’ai fait. Mais il n’y avait dedans que des acteurs de Drury Lane et vous savez que leur directeur ne les paye pas. »

L’Opéra italien conservait sa vogue en 1802, puisque la Femme du monde y trouvait « un monde fou. » Mais le ballet avait encore plus de succès. Les dernières années du XVIIIe siècle avaient vu une grande révolution. Certaine danseuse française, nommée Mlle Rose, avait introduit le maillot couleur de chair sur la scène anglaise en raccompagnant de nouveautés chorégraphiques que Vestris, le « dieu de la danse, » eût désavouées au nom de l’art et qui tirent jeter les hauts cris aux moralistes. Le banc des évêques s’émut ; le Parlement retentit de leurs plaintes où le patriotisme joignait ses argumens à ceux de la vertu. La France, disait-on, désespérant d’envahir John Bull, cherchait à le corrompre. Gillray montra les évêques jouant le rôle d’habilleuses et fabriquant avec leurs surplis, pour Mlle Rose et ses camarades, des jupes assez longues pour sauvegarder la pudeur.

Sans vouloir flatter l’hypocrisie britannique dans une de ses prétentions les plus chères, l’historien des mœurs a le devoir de reconnaître que lorsqu’un nouveau vice s’établit en Angleterre, lorsqu’une forme nouvelle de la débauche y apparaît, on découvre invariablement la greffe exotique. C’est un aventurier zuricois, nommé Heidegger qui avait introduit les bals masqués à Londres ; ce fut une artiste étrangère, Mme Cornélys, qui les y ramena après quinze ou vingt ans d’interruption. Au moment du tremblement de terre de Lisbonne, Londres s’était cru menacé du même sort en punition de ses péchés. « Nous expions l’horrible licence des bals masqués, » criaient les prédicateurs populaires. On les écouta et, pendant longtemps, les fêtes de ce genre furent rayées de la liste des plaisirs permis. Quand on essaya d’y revenir et de donner encore des bals masqués, les plaisans appelaient cela « donner un tremblement de terre. » Mme Cornélys trouva le prétexte voulu, elle inventa le bal de charité et l’on sait si ce moyen de gagner le ciel en risquant l’enfer a fait fortune. « Il s’agissait, disait-elle, de procurer du charbon aux pauvres pendant l’hiver. » De nouveau on se déguisa. L’un représentait l’influence de la Cour et marchait suivi de la Ruine publique. Un autre, blanc de farine et noir de suie, était meunier d’un côté et ramoneur de l’autre. Un troisième était vêtu d’un maillot et d’une feuille de figuier : Adam dans le Paradis terrestre. Un quatrième, en cadavre, se promenait à travers la fête, enveloppé de son suaire et portant son cercueil sous le bras. Vivantes caricatures qui nous révèlent, une fois de plus, le goût des contrastes violens et des excentricités lugubres.

Chez Mme Cornélys, on s’amusait entre gens du même monde ; la souscription était payée d’avance pour toute la saison, d’est sur le même principe qu’on ouvrit le Panthéon, au coin de Regent Street et d’Oxford Street. Avec sa colonnade circulaire, sa coupole d’où descendaient d’éblouissantes girandoles, cette salle, que le feu devait consumer quelques années plus tard, parut une merveille aux contemporains. Toute la noblesse, — les ducs de la famille royale en tête, — s’empressa de souscrire. On avait prétendu réserver le Panthéon aux femmes de qualité, mais, dès le premier soir, la consigne fut forcée et personne ne s’en plaignit. Un dessin du temps montre la bacchanale déchaînée autour de la grande rotonde au moment, où toutes les ivresses atteignent à la fois leur paroxysme. Quant à ce qui se passait dans les galeries supérieures, réservées à la conversation et aux soupers, lisez les journaux du temps et, dans leurs récits, vous verrez, à travers leur fausse indignation, percer leur cynique amusement. Théâtre, restaurant, salle de bal, Vauxhall a, de plus, toutes sortes d’exhibitions accessoires et, de jeux plus ou moins puérils. Toutes les classes y sont confondues comme tous les plaisirs y sont réunis. Les bals par abonnement d’Almack’s et les sociétés de pique-nique, — fondées, en apparence, pour organiser des représentations d’amateurs, — ne s’ouvrent qu’aux privilégiés du rang et de la fortune. Les femmes y cherchent un champ favorable à leurs intrigues, le demi-secret qui assure l’impunité à leurs fautes. Les hommes trouvent plus de saveur au plaisir qu’on partage avec la canaille. En même temps que l’amour du cheval et la passion du jeu, c’est ce besoin de compagnonnage avec des êtres inférieurs qui fait le succès des courses et qui attire les hautes classes à Newmarket. Qu’il est bon de passer la nuit entre un jockey et un boxeur, les coudes sur la table, devant un verre toujours vide et toujours plein !

Newmarket n’est pas le seul centre d’attraction qui fasse quitter la ville aux gens du monde. Le prince de Galles et ses amis ont découvert sur la côte méridionale un petit village de pêcheurs, appelé Brighthermstone. Là, on est à l’abri des censeurs et, en se plongeant dans la nier, on refait sa provision de force pour les excès de la saison prochaine. Seulement, Brighthermstone, c’est un nom qui n’en finit pas : au diable Brighthermstone ! Si on disait, tout simplement, Brighton ? Une ville d’élégance et de plaisir s’improvise donc, qui portera ce nom. On y construira ce fameux Pavillon, qui sera aussi une des merveilles du temps.

La vie de Bath est toute différente. Le New guide to Bath, publié en 1798, nous montre la ville d’eaux dans toute sa gloire. Les dessins de Rowlandson sont escortés de petits vers dus à la plume de Christopher Anstey. Ces vers sont peu poétiques, mais ils sont lestes et malins. Grâce à eux, nous pouvons suivre la journée du baigneur depuis le lever matinal jusqu’au coucher tardif ; la course vers la Pump-room où l’on se rencontre dans d’étranges toilettes ; les révérences, les menus propos, le flirt alternant avec la médisance ; les parties de campagne, la comédie, la danse, le souper. Puis, à travers l’obscurité, le vent et la pluie, — les hommes attachant leurs chapeaux avec un mouchoir noué sous le menton, les femmes retroussant leurs jupes par-dessus leurs têtes, — tout ce beau monde s’enfuit et disparaît. Chemin faisant, on nous présente les célébrités du lieu, depuis l’homme d’esprit dont les mots font, en un instant, le tour de la Pump-room et le « beau » dont on copie le costume et les allures jusqu’au cuisinier de génie, Master Gill, dont deux mille estomacs reconnaissais chantent tous les soirs les louanges.

Mais Bath appartenait au siècle qui allait finir : c’était une institution d’ancien régime toute en souvenirs qui se changeront bientôt en regrets. Si vous voulez voir l’Angleterre nouvelle de 1800, vous la trouverez plutôt dans les sables de Margate, où, jour et nuit, la fête brutale de tous les sens est en permanence ; sur les routes où des millionnaires s’amusent à conduire des diligences ; dans les tea-gardens, où des hommes et des femmes en cheveux gris jouent à des jeux d’enfans ; à ces rendez-vous de chasse (meets) où vous rencontrerez, bottés et éperonnés à quatre heures du matin, ces mondains languissans qui pouvaient à grand’peine sortir de leur lit à midi. C’est un monde criard, querelleur et jovial, une génération aux muscles de fer, insatiable de bruit, de « plein air, » d’action physique, qui aime la bataille sous toutes ses formes, le duel aussi bien que la boxe, et qui invente tous les jours des sports nouveaux sans oublier un seul des anciens.

On cherche où sont les plaisirs de l’esprit. Ces gens ne lisent-ils point ? Pardon : ils lisent des romans à faire pleurer ou à faire peur, Evelina, les Mystères du château d’Udolphe. Quoi encore ? Les épigrammes de Peter Pindar, les chansons populaires, bachiques, patriotiques de Dibdin ou du capitaine Morris. Le grand poète du temps est un paysan écossais. Il improvise des chants sublimes en poussant sa charrue et en regardant la vapeur matinale qui monte des sillons. Mais qui connaît, à Londres, le nom de Burns ? Un autre poète s’est installé dans une maisonnette, au pays des Lacs, seul avec la nature qui a pour lui des confidences et des émotions incomprises du reste des hommes. Mais qui songe à lire les vers de Wordsworth ?

Dans une petite rue de Soho, à l’enseigne de la Tête de Turc, se sont réunis longtemps quelques hommes de lettres ; mais, dans cette Académie anglaise, on fume et on boit plus qu’on ne cause et, quand on discute, on se dispute. Chez Reynolds, des convives de choix écoutent Burke qui disserte sur la politique, l’histoire et l’esthétique. À ces soupers on mange médiocrement et l’on bâille quelquefois. Il existe à Londres deux ou trois bureaux d’esprit. C’est là que le « bas-bleu » est venu au monde. Si Rowlandson, Bunbury, Woodward, Nixon et leurs compères nous y conduisaient, nous verrions le vieux Johnson, infirme, disgracié, presque repoussant de laideur et de malpropreté, trônant au milieu de jolies femmes qui reçoivent presque à genoux ses complimens ou ses boutades. Mais les caricaturistes ne nous conduisent pas dans ces maisons lettrées par l’excellente raison qu’ils n’y fréquentent point. Çà et là, par échappées, apparaissent dans leurs œuvres l’Eglise, les Universités, le journalisme, c’est-à-dire les pouvoirs, anciens ou nouveaux, dont c’est le devoir et la mission de répandre autour d’eux la lumière ou de proposer l’exemple. On se rappelle peut-être la « congrégation endormie, » que nous a montrée Hogarth. Elle ne s’est pas réveillée, apparemment, puisque Rowlandson recommence le même sujet. Ses clergymen, lorsqu’ils sont jeunes, s’offrent à nous avec une élégante au bras ; ils semblent aussi vains et aussi frivoles que nos « petits abbés. » Vieux, ils se confinent dans un tête-à-tête silencieux avec la bouteille de Porto. L’un d’eux vient d’être arraché, presque de force, par son sacristain à ce doux farniente pour enterrer l’enfant d’un de ses paroissiens. Près de la fosse ouverte, furieux, la perruque de travers, il bégaie d’une langue épaissie, les paroles du service et semble prêt à jeter le livre au nez des parens.

Trois ou quatre étudians, — est-ce à Oxford ou à Cambridge ? La scène pourrait être aussi bien placée aux bords du Gara qu’à ceux de l’Isis, — sont occupés à faire entrer une fille par la fenêtre dans les chambres du collège. Il est vrai que le Proctor les guette, mais soyez sûrs qu’ils recommenceront à la première occasion. D’ailleurs, les dignitaires de l’Université ne valent pas mieux. Voici un vice-chancelier qui lutine une fruitière et l’entraîne chez lui. Quant aux journalistes, nous en surprenons deux, qui cumulent avec cette fonction le caractère sacré, dans la plus mauvaise compagnie où il soit possible de se galvauder. Ils ne s’y sont point fourvoyés par exception ou par méprise : visiblement, ils sont là dans leur élément. L’un d’eux, Bate Darley, est un pugiliste distingué ; l’autre est habillé en Écossais et l’on fait cercle autour de lui pour le voir danser des réels. Le premier dirige le Morning Post et le second est rédacteur en chef du Morning Chronicle. Que serait-ce si nous jetions un regard sur le caractère et la vie du major Topham, qui était embusqué dans le World comme dans une tour, d’où il insultait et rançonnait les passans ?

Au premier abord, cela étonne un peu. Il semble difficile, par exemple, d’identifier telle feuille aujourd’hui puissante et respectée avec un clergyman ivrogne et bretteur, dont la physionomie ne dit rien qui vaille et dont on nous raconte pis que pendre. Mais ce premier étonnement passe dès qu’on lit les journaux du temps. Qu’y trouvons-nous ? De pédantes dissertations qui ne sont, souvent, que la réimpression d’articles oubliés ; les cancans du jour, le duel d’hier, l’enlèvement d’avant-hier, le tout méchamment, lâchement conté avec des initiales transparentes ; une ou deux épigrammes prétentieuses, la critique des livres nouveaux en trois adjectifs, impertinens ou louangeurs, suivant que l’auteur est l’ennemi ou l’ami du journal ; une poignée de fausses nouvelles et quelques réclames galantes à peine déguisées. Lorsque le journal n’est qu’un instrument de vengeance, de corruption et de chantage, le journaliste ne peut être qu’un goujat.

La caricature a-t-elle calomnié la société anglaise du commencement de ce siècle ? Je ne le pense pas.

Elle a exagéré par l’expression les ridicules, les incohérences et les vices de cette société : c’est la loi même de son art qui l’y obligeait. Mais, si elle a exagéré, elle n’a rien inventé. C’est une médisante, une indiscrète et une impertinente, non une menteuse. Au fond, elle est très vraie. Rectifiez sa déposition à l’aide des autres témoignages historiques et vous lui rendrez toute la valeur d’un document. L’impression d’ensemble, d’abord un peu confuse, finit par se préciser. C’est celle d’une vitalité débordante et mal réglée, d’une force qui, ne sachant que faire d’elle-même, se prodigue et se gaspille. Des signes d’enfance mêlés à des signes de décadence. Comment expliquer cela, sinon en disant que cette jeunesse vigoureuse, capable de tout, même du bien, a eu pour précepteur un vieux libertin. Ce vieux libertin, c’est le XVIIIe siècle, le nôtre, moins la philosophie et moins la révolution, c’est-à-dire quelque chose d’infiniment frivole et méprisable. Ce spectacle n’a rien de rassurant. Où va cette société sur laquelle le savoir et l’intelligence n’exercent point leur légitime autorité, où le plaisir est la loi unique, où les vieillards ne sont tolérés qu’à la condition d’être plus tous que les jeunes gens, où les maris et les femmes se perdent de vue à peine mariés, où la mère est la camarade de sa fille en attendant qu’elle en soit la rivale, où le père bourru gourmande les folies de son fils jusqu’au moment où le récit d’une bonne farce lui fait ouvrir sa bourse et où tous deux achèvent la réconciliation en se grisant de compagnie ?

Quand Rowlandson nous mène à la foire de Saint-Barthélémy ou dans les bouges de Saint-Gilles, nous voyons que le peuple ne vaut pas mieux que l’aristocratie. Bien plus : il y a sympathie, ressemblance, communauté de plaisirs. Le fait s’est déjà présenté et se présentera encore dans l’histoire des mœurs. Il existe une affinité entre la canaille d’en haut et la canaille d’en bas. C’est l’écume et la lie : l’une surnage, l’autre tombe au fond, l’essence nutritive est entre les deux. Que faisait, en Angleterre, la classe moyenne ? De même que l’histoire ne dit rien des peuples heureux, la caricature ne s’occupe pas des classes moyennes. C’est, pour Rowlandson, Gillray et leurs joyeux camarades, une terra incognito, Une fois, Rowlandson s’y est risqué. Il nous a montré Peler Plum qui a un intérêt dans les docks de Wapping et dans le marché aux bœufs de Smithfield, ronflant auprès de sa moitié qui dort comme lui ; entre eux, une bouteille de Porto et un bol de punch vides ; devant le garde-feu un caniche ventru, endormi comme ses maîtres, pendant que, derrière le dos de sa mère, miss Plum se laisse courtiser par un amoureux très entreprenant. Ce n’est là qu’un regard jeté en passant sur un intérieur bourgeois, et ce n’est pas assez, vraiment, pour juger la classe à laquelle appartient Peter Plum. Cette classe haïssait l’art et la beauté ; la science même lui était suspecte à moins qu’elle ne lui mit dans les mains un instrument de pouvoir et de fortune. Son esprit était étroit, hargneux, jaloux, ses mœurs ennuyeuses, sa religion purement littérale, vide de sympathie, dénuée d’idéal, plus juive que chrétienne. Pourtant elle avait ses vertus, des vertus agissantes et efficaces : elle était énergique, laborieuse et pure. Rowlandson avait tort : ces gens-là ne dormaient pas. Ils priaient et travaillaient. Spectateurs silencieux et moroses des folies des hautes classes, ils ramassaient leurs forces et attendaient leur jour, qui ne devait plus tarder. Ils avaient déjà fait deux révolutions, l’une politique et l’autre religieuse ; ils allaient accomplir une révolution économique et industrielle qui, comme la nôtre, a ébranlé le monde entier et qui dure encore.

Cette grande crise, — dont les conséquences morales et sociales, impossibles à prévoir pour le caricaturiste qui en fut la victime, sont aisées à déduire pour l’historien, — aurait à jamais fait disparaître l’ascendant de la vieille aristocratie territoriale si elle ne s’était convertie juste à temps pour conserver une part de ce domaine où, longtemps, elle avait régné seule. Qui la sauva ? Ce fut la guerre. C’est dans la guerre que celle société jeta son énergie, la purifia, la régénéra, la tourna au bien et au grand. Dans certaines familles, on s’inquiète de l’avenir d’un garçon qu’on ne peut ni discipliner, ni occuper, ni satisfaire et qui trouble toute la maison, en attendant qu’il la ruine. « Que ferons-nous de ce sacripant ? — Faites-en un héros ! » Tel fut le dénouement de la crise pour la société anglaise. Sans la guerre, qu’eût été Wellington ? Un politicien de village. Et Nelson ? Un écervelé, mené en laisse par des courtisanes. Ce qu’ils furent, nous ne le savons que trop. Leur histoire morale est celle de toute une classe, de toute une génération. Il devrait y avoir, dans le vestibule du Carlton Club, une statue de Napoléon avec cette inscription : « Au sauveur de l’aristocratie anglaise. »


AUGUSTIN FILON.

  1. Voyez la Revue du 15 août.
  2. Depuis que ces lignes ont été écrites, j’ai appris que George IV se plaisait à jouer la comédie ; qu’il avait pris des leçons de plusieurs acteurs, notamment du vieux Matthews, qu’il imitait eu perfection.
  3. L’héritier présomptif, en Hanovre, portait, le titre d’évêque d’Osnabrück.
  4. Une autre fille de lord Stanhope, lady Hester, épousa un cheikh syrien et passa le reste de sa vie dans une résidence orientale où Lamartine alla lui rendre visite. On l’appelait la reine de Palmyre.