La Chaîne des dames/Texte entier
MÉMOIRES D’ÉCRIVAINS ET D’ARTISTES
GABRIELLE RÉVAL
LA
CHAÎNE DES DAMES
AVEC CINQ PORTRAITS PAR ANDRÉ FAVORY
PARIS
LES ÉDITIONS G. CRÈS ET
Cle
21, RUE HAUTEFEUILLE, 21 MCMXXIV
5e
édition
LA CHAINE DES DAMES
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AUREL
AUREL
Un jour que je me trouvais chez les peintres, à Montparnasse, parmi des étrangers aux visages longs et tristes, des Polonaises aux regards couleur de mer, l’on vint à parler des auteurs de ce temps et à démolir en un tour de main les plus grandes célébrités.
— Que restera-t-il donc ? demandai-je, ébahie devant ce jeu de massacre.
Une femme se leva qui dit, avec autorité :
— Aurel et Victor Hugo.
J’en restai comme deux ronds de flan.
— Ah ! l’aurélisme ! s’écria un jeune homme qui revenait de Varsovie, quelle chose admirable ! Avez-vous lu la brochure de M. Clouard sur Mme Aurel et les attestations de Faguet, Rémy de Gourmont, Guillaume Apollinaire et tutti quanti ? Y-a-t-il au monde un thème plus dramatique que celui de l’affranchissement de la femme devant l’amour ? Concevez-vous ce qu’il y a d’inouï dans cette antinomie de la grandeur féminine et de la servilité de l’esclave soumise au plaisir du mâle ? Comprenez-vous la sainteté de cette croisade mystique pour la délivrance de sa chair et de son esprit avant l’union ? Mais qu’est-ce que Platon ? qu’est-ce que Nietzsche au prix d’une Aurel, qui crève le ventre de la poupée de son et veut y enfoncer un cœur neuf et magnifique ?
— Mais, affirma une admiratrice enflammée, il n’y a qu’un créateur au monde, entendez-vous, c’est Mme Aurel.
Je me le tins pour dit.
À quelque temps de là, je fus conviée à un banquet littéraire, où se trouvait réunie toute la jeunesse. L’heure des discours arrivée, une dame se leva.
Au même instant, je vis voler par-dessus la table bananes, poires, pommes, croûtons de pain, couverts, assiettes, et au milieu d’un tintamarre affreux j’ouïs des voix qui criaient :
— Au-rel ! Au-rel ! Au-rel !
Je me penchai vers mon voisin.
— Ils chantent, mais ils se trompent d’air !
Et à mon tour, croyant être dans le ton, je fredonnai :
C’est Aurel, Aurel, Aurel,
C’est Aurel qu’il nous faut !
— Diable non, répliqua ce convive déchaîné, en brandissant une carafe, nous ne voulons point qu’on nous moralise quand nous sommes en joie, ni qu’on apprenne à nos petites amies qu’il faut philosopher avant de faire un enfant !
— Quoi, c’est donc cela l’aurélisme ?
— Parbleu ! Lisez le Couple, Pour en finir avec l’amant, la Semaine d’amour, les Jeux de la flamme, autant de sermons de carême ! Je vous demande un peu s’il est nécessaire de compliquer une chose aussi simple que de faire l’amour avec celle qu’on aime, et que l’on fait aussi naturellement que M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir !
— Qu’allez-vous dire, arrêtez, monsieur.
Mon voisin sourit, calmé. Il reposa sa carafe sur la nappe, et se tournant vers moi :
— N’ayez pas peur, les mercuriales d’Aurel sont faites en un langage châtié et choisi. Elle parle, non comme le serpent, mais comme l’Arbre de la science du bien et du mal, lorsque Adam et Eve sont vêtus de leur seule innocence.
Je poussai un soupir. N’allai-je pas imaginer que les analyses d’Aurel évoquaient Daphnis et Chloé ou bien la Leçon d’amour dans un parc.
Sur ce, le comité d’honneur s’étant retiré, on entendit mourir le même cri sur les lèvres de la jeunesse :
— Au-rel! Au-rel ! Au-rel !
Ah ! que le son du cor est triste au fond des bois !
{{***})
Je serais restée sur cette impression singulière de voir un auteur immortalisé par les uns et vilipendé par les autres si dans le même temps je n’avais reçu la visite d’un mien parent qui venait de sa province pour assister au jeudi de Mme Aurel.
Je lui trouvai la mine déconfite d’un Rubempré qui a manqué le coche.
— Que vous est-il donc arrivé ? demandai-je au fils de Perpignan.
— Ne m’en parlez pas, j’arrive de chez Mme Aurel.
— Quoi ! vous aurait-on mal reçu ?
— Non point, mais ce que j’ai vu et entendu me prouve que je n’ai plus qu’à rentrer chez moi et à y planter mes choux !
— Ouais ! mon enfant, la leçon vaut bien un voyage.
— Vous en parlez à votre aise ? Je n’étais pas venu pour ça ! L’autre dimanche, ayant reçu à Perpignan une invitation à moi adressée.
— Comme tout le monde en reçoit, dis-je.
— Je n’en savais rien, moi ; on m’invitait au fond de ma province à venir entendre jeudi, dans le salon de Mme Aurel, une causerie de M. Mouillard sur le jeune poète des Griottes, tombé au champ d’honneur. La convocation portait en outre une heure de bavardage et une heure de conversation générale. Je me dis, cela doit être sublime et charmant ; et puis, voilà bien mon affaire, je n’ai point de relations dans le monde des lettres c’est l’occasion de m’en faire, car, si j’en crois les journaux, c’est le salon de Mme Aurel qui lance les Jeunes et sauve les Oubliés. On doit rencontrer chez elle tous les grands écrivains, les femmes célèbres, les directeurs de revues et de journaux, sans compter les éditeurs. Maman, qu’en penses-tu ? Ma mère pensa comme moi ; elle ajouta même :
— Une invitation comme celle-là ne tombe pas du ciel. C’est un grand honneur que cette dame te fait là ; assurément elle a lu tes vers et te trouve du talent.
Je me poussai du col et ne doutai plus des intentions que l’on avait sur moi.
— Je pars, j’arrive, continue mon jeune homme, le temps de me faire beau et me voici rue du Printemps. Ah ! si dans ma joie d’être reçu par une femme aussi connue j’avais oublié le numéro de son hôtel, la foule m’eût enseigné le chemin. On faisait queue à sa porte, on se poussait, se bousculait sans charité aucune.
Le cœur ivre d’orgueil je franchis le seuil à mon tour. On me présente le livre d’or ! Je signe. Vous devinez avec qu’elle ivresse j’écrivis à la suite de tant d’illustres signatures : Eugène Cornu, de Perpignan.
D’un coup d’œil rapide je parcourus la feuille, mais sans y trouver les grands noms qui allaient encadrer le mien.
— Dépêchez-vous donc, monsieur, fit derrière moi une voix irritée, je n’ai pas le temps d’attendre, on va me chiper ma place !
Je me retournai et vis une nabote qui portait ceinture écarlate avec une aumônière pendant, sauf votre respect, jusqu’à cet endroit qui est, dit-on, le siège de toutes nos folies ! Je lui tendis la plume avec un grand salut, qu’elle ne me rendit pas, et je la vis monter quatre à quatre l’escalier des salles de réception.
Je la suivis, non sans jeter un regard à droite, à gauche, et, par une porte entrebâillée, j’aperçus une table servie magnifiquement : petits fours et sandwichs, brioches et babas, tartelettes et choux à la crème, sans compter une multitude de bouteilles, verres, tasses et gobelets, qui me laissèrent à penser que Mme Aurel faisait bien les choses.
Dans le même temps, quelqu’un tira la porte sur cette royale collation, donna un tour et mit la clef dans sa poche.
— Tiens, pensai-je, c’est une précaution contre les bolchevistes ! Il y en a donc partout, à présent ?
Une poussée de la foule qui se ruait dans l’escalier me jeta au milieu d’un beau salon, aux trois quarts plein de messieurs âgés et de dames encore jeunes qui babillaient à cœur-joie. Personne ne fit attention à moi, et comme une barricade d’invités fermait le passage, j’eus le regret de ne pouvoir mettre
mes hommages aux pieds de la reine de— Monsieur, lui dis-je tout bas, pouvez-vous me renseigner ; j’arrive de loin.
— Ça se voit, grogna mon interlocuteur.
— Dites-moi donc, repris-je sans m’offenser, quelles sont les personnalités célèbres qui nous entourent ?
— Je m’en f…, répondit cet homme sincère, je suis ici pour le buffet !
Je ne pus réprimer un mouvement de surprise et de réprobation ; mais lui :
— Je ne comprends rien à leur charabia, mais on est nourri ! Et puis vous savez, moi qui vous parle, j’suis pas un type ingrat !
Afin de me le prouver, mon homme retourna le chapeau qu’il tenait posé
sur ses genoux et je vis sur les bords,— Hein, ça te la coupe, me dit-il, soudain familier, c’est de la publicité, ou je ne m’y connais pas.
Je marchai de surprise en surprise, sur la foi des Cours d’amour et des récits de l’Hôtel de Rambouillet, je n’imaginais pas que le salon de la Reine des Précieuses pût ressembler au métro et y recevoir des baladins.
À ces mots je crus devoir interrompre mon naïf garçon.
— C’était peut-être un raté. Ne savez-vous pas que les ratés font la gloire des uns et la mort des autres ?
Mais, pressé de décharger son cœur, le jeune poète de Perpignan poursuivit le récit de cette inoubliable visite. — Enfin, une dame resta seule, debout, devant ses invités. Aussitôt je la Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/30 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/31 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/32 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/33
— Cet article n’ayant pas été du goût de Mme Aurel, l’Éclair reçut et publia une protestation. J’offre avec plaisir ce curieux document à la méditation du lecteur.
« Mon cher Éclair,
« Je n’ai pas à remercier Mme Réval de la bonne copie que je lui ai fournie.
« Mais à vous, si parfait toujours pour mon œuvre, je dois le redressement de quelques folichonneries échappées à sa plume. La fantaisie ne vaut que d’être adéquate au sujet dont on sourit, et trois fois au moins cette dame s’égare et tombe un peu trop à côté des us de ma maison pour que je la laisse ainsi dans une posture assez indigne de son esprit professant.
« L’invention de son homme-sandwich serait plaisante s’il s’agissait d’une autre que de moi. Mais voilà : ni mes Saisons de la mort, ni Rodin devant la femme, parus depuis mes jeudis de poètes, n’ont même été cités chez moi. Je mets ma coquetterie à laisser ignorer aux badauds fervents ou mondains mon œuvre méditée. Pas de plus fine volupté que d’entendre un innocent me dire Vous écrivez, madame ?
« À mon œuvre dévouée seule, à mon œuvre sociale, je les invite, ne me sentant pas le droit de les en exempter ! C’est là que j’ai besoin de tous pour mes sœurs brimées, dégradées par la conception méphytique de l’homme.
« Elles subissent encore l’improbation d’État.
« L’État infériorise de vive force la Française aux yeux de l’étranger en lui refusant la dignité politique et le pouvoir de travailler en hâte à la Constitution… absente de ce peuple.
« Vous savez trop que nous n’avons pas de Constitution ; sans les femmes au pouvoir nous resterons invertébrés, et — c’est un goût — j’ai horreur des mollusques.
« Mme Réval, qui n’a visiblement ouvert ni mon livre le Couple ni la Semaine d’amour, se pousse jusqu’à me trouver « obscure et désordonnée avec quelques morceaux étincelants » !! On l’a dit de Chateaubriand, c’est donc trop dire, et j’ai un faible, celui de l’exactitude.
« Je me contente de chercher l’atmosphère, les conditions, les mœurs et le climat favorable à l’évolution de la personnalité. Parce que j’invente tout — et l’outil et ma méthode de composition — « Aurel est claire pour ceux qui ont des yeux. Les autres disent qu’elle est obscure ».
« Aurel a créé des livres que personne n’avait rêvés avant elle. » (La corbeille de roses, par J. de Bonnefon.) « La composition du livre d’Aurel est extrêmement serrée, rien ne s’en peut intervertir. » (Camille Mauclair, page 33 de la brochure Aurel, par Clouard.) Parce que je rénove tout, il ne faudrait tout de même pas regarder mon effort en gros, comme regarde un bœuf !
« Il faut s’approcher, madame, pour lire. Il faut regarder autre chose que le titre. Vous avez fait vos classes.
« Je voudrais vous épargner la méprise de répéter avec les ignorants : Obscurité, à qui cherche à vous douer d’une lueur de plus. Et puis, croyez-moi, l’instant vient où il faut savoir changer de cliché.
« Il ne faudrait tout de même pas écheveler la fantaisie, ni s’arrêter et buter dans l’observation jusqu’à traiter mes disciplines de désordre sous prétexte que je demande et que j’apporte une règle de plus.
« Je veux renouveler la conscience du couple et non pas seulement la conscience amoureuse.
« Parce que je tends à nous rendre la mise en ordre de l’âme tandis que l’homme a mis l’esprit en ordre, parce que je cherche les lois de la logique féminine pour soutenir la logique virile, il ne faudrait peut-être pas continuer à me traiter en bon brouillon illuminé sous peine de se charger d’un comique un peu lourd au regard des gens qui lisent de près.
« Je vous redis, cher Éclair, ma vive estime en solidarité pour votre précision habituelle .
COLETTE
COLETTE
Il y a bien du merveilleux dans l’histoire de Colette ; son destin participe d’un conte fée. Elle fut quasiment en son enfance notre petit chaperon rouge, et le chaperon rouge est aujourd’hui reine et maîtresse dans le royaume des lettres !
Donc, il y avait une fois, dans un village bourguignon, une petite fille qui aimait beaucoup les bois. Un jour, quittant sa maison, qui s’appelait la maison de Claudine, son panier au bras — avec le pot de beurre et le quignon de pain — elle s’en alla seulette et se prit à rêver sur la mousse.
A peine était-elle entrée en sa songerie qu’elle vit venir toutes les bêtes de la forêt, grandes et petites ; chacune lui parlait en son langage, qui était amical et franc. Par miracle, la petite fille comprit tout ce que racontaient les hôtes du bocage, et elle prit tant de goût à les entendre qu’elle en oublia les gens du village. Quand elles eurent fini de parler et la petite d’écouter, parut une autre bête, une bête mystérieuse qui ne dit rien, mais la regarda avec ses grands yeux et lui montra ses grandes dents. — Voyons ce qu’elle me dira, pensa la petite curieuse, qui suivit la grande bête jusqu’au fond du bois, et là le loup la mangea. Triste histoire du petit Chaperon rouge. — C’est dommage, dirent les fées, que nous laissions perdre une enfant comme ça ! Rendons-lui la vie, mais punissons sévèrement sa curiosité. Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/45 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/46 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/47 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/48 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/49 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/51 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/52 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/53 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/54 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/55 sert qu’à exprimer les désirs, les plaisirs, les rages d’un peuple de démons. J’enrage de voir une femme éloquente par instinct n’être, après tout, que l’avocat du diable !
— Voilà justement pourquoi elle est grande, répondis-je à ce critique sévère, pourquoi elle est originale, pourquoi elle nous plaît, c’est parce que Colette est l’avocat du diable. Non du Diable qui fuit le bénitier, mais du grand Diable qui est partout dans la nature, et qui ressemble au grand Pan comme à un frère. Allons, allons, ne vous bouchez pas les oreilles pudiquement ; écoutez-la ! Comme sa voix est pathétique et
belle !…Mme ALPHONSE DAUDET
Mme ALPHONSE DAUDET
On ne décore pas une femme à l’ancienneté !
C’est pourtant ce qui vient d’arriver à Mme Alphonse Daudet, la veuve du grand romancier auquel Paris fit autrefois des funérailles nationales.
Elle reçoit le ruban rouge, à l’âge où d’autres sont en passe de devenir commandeur !
Ô Justice ! Tandis que notre « consœur » la charmante Mme Z…, recevait dans la fleur de son âge, on ne sait trop pourquoi, le ruban rouge qu’elle porte en deux traits sur la poitrine, « comme une rature », dit une méchante langue, Mme Daudet, poète et moraliste, épouse d’Alphonse, mère de Léon, le fougueux pamphlétaire, de Lucien, ce dandy qui fut la parure du Salon de l’Impératrice ; mère d’Edmée, qui inspira des vers si tendres à l’auteur de ses jours, Mme Daudet, l’une des personnalités les plus en vue du monde des lettres, dans le rang, marquait le pas ! Dieu soit loué, l’oubli est réparé. Comme François Coppée serait content !
Il y a bien des années de ça, je rencontrai l’auteur de la Bonne souffrance devant le tombeau de Napoléon.
Que venait-il faire là, et qu’est-ce que j’y venais faire moi-même ? C’était un dimanche, il y avait quelques troupiers errants. Le poète s’attristait de voir si peu de monde autour des mânes du petit Caporal.
Tout à coup, il me dit :
— Vous faites bien partie de ce comité de la Vie Heureuse, qui distribue chaque année un prix de cinq mille francs ?
D’un signe, j’affirmai qu’il ne se trompait pas.
Le visage de Coppée aussitôt s’éclaira.
— Vous avez parmi vous une femme remarquable ! Quel charme, quelle distinction, quel agrément ! Pas l’ombre de méchanceté ou de perfidie et rien d’un bas-bleu ! Ah quel plaisir de converser avec un esprit qui est resté fidèle à la tradition, à la bonne, la seule, la vraie, à la tradition de notre mère la sainte Église et à celle de nos rois !
— C’est Mme Daudet ! m’écriai-je.
— Vous l’avez nommée, dit-il d’un air rayonnant. N’est-ce pas que c’est une femme unique ?
— J’en conviens volontiers.
— Alors, vous pensez comme elle ?
— Pas du tout.
— Est-ce possible, vous donneriez dans le travers du féminisme ? Ah ! mon amie (c’est la seule fois de ma vie que Coppée m’ait nommée ainsi), croyez-moi, pour sauver la France, il nous faut des milliers de Françaises qui vivent, pensent, écrivent comme Mme Daudet !
La France est sauvée, pensai-je, car il y a des milliers et des milliers de femmes qui vivent et qui pensent comme Mme Daudet, — mais toutes ne savent pas si bien écrire qu’elle, — car les vertus qui jettent notre vieux poète dans un tel ravissement sont des vertus éminemment françaises : Dévouement, Travail, Persévérance, Finesse, Soumission conjugale !
La vie entière de Mme Daudet est l’illustration de ces vertus de chez nous. Elle fut la compagne intelligente et zélée d’un grand écrivain qui avait,
besoin, comme tout artiste, d’une affection fidèle et clairvoyante. Avant de Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/63 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/64 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/65 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/66 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/67 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/68 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/69D’un flot presque invisible à force d’être pur,
Que j’ai dû mon regard vers les heures lointaines
À travers le chagrin de ce monde peu sûr !
À ces volumes de poésie où le vers se presse, facile, nombreux et charmant, il sied d’ajouter un livre exquis dédié à Odile, sa petite-fille. Mme Daudet s’y révèle peintre de l’enfance et de l’intimité. Des articles parus dans les grandes revues, qui décèlent un sens très vif de l’observation directe, comme ce voyage en Angleterre, si amusant. Mais je ne parlerai pas du Journal pendant la guerre, parce qu’on ne taillade pas le monstre, en mois ni saisons lorsqu’on attend, impuissante, mais loin du danger, le destin de nos armes.
Et si vous me dites : « Pour tant d’années vécues, le bagage est léger ! », je vous répondrai, avec mon bon maître, ami lecteur, qu’il y a des choses qui se
pèsent à la balance et d’autres à la bascule !Lucie DELARUE-MARDRUS
LUCIE DELARUE-MARDRUS
Il se peut que Lucie Delarue-Mardrus aille un jour faire des conférences en Amérique. Je lui conseille, à ce moment-là, de souffler à son manager :
— Ne dites pas aux Américains que je suis une femme célèbre en mon pays, mais dites-leur que, de toutes les poétesses, je suis celle qu’on a le plus photographiée !
Cette simple déclaration, qui n’a rien à voir avec le talent, lui assurerait à l’avance des salles combles, car je me suis laissé dire qu’en Amérique, pour frapper la curiosité du public, il faut mettre le signe + devant quelque chose. Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/74 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/75 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/76 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/77 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/78 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/79 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/80 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/81 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/82 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/83 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/84 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/85 prochain, son impatience amoureuse et aussi le tourment de ses nuits solitaires !
Après des siècles, le trésor de Bayeux s’enrichit de broderies nouvelles. Reprenant la tâche de la reine Mathilde, une artiste d’aujourd’hui poursuit le vivant récit, son aiguille pique et pique la soie neuve sur la vieille toile des ancêtres. Mais ce ne sont plus combats d’hommes d’armes pour la conquête d’outre-mer qu’elle retrace avec orgueil et mélancolie, mais jeux charmants de l’amour ingénu, drames de la vie, songes et terreurs, rêves et enchantements de la Geste enfantine.
De la reine Mathilde nous ne savons rien, si ce n’est que le temps lui durait d’être sans époux !
De la reine Lucie, sa fille spirituelle, nous savons qu’elle est belle, qu’elle est bonne, douce et laborieuse, et prend son plaisir, sous les pommiers en fleurs, à sourire aux enfants, et, comme une mère, à leur tendre les bras.
MYRIAM HARRY
MYRIAM HARRY
— Lorsque j’étais petite, raconte en riant Mme Myriam Harry, j’aimais les beaux mots, et je répétais sans cesse ceux qui avaient charmé mon oreille. C’est ainsi qu’un jour, ayant entendu un mot qui me semblait admirable, je m’en allai, guillerette, sous les palmiers, chantant à tue-tête : « Syphilis !… Syphilis !… Sy… ! »
Ah ! quelle enfant c’était là !
Ce n’est pas, généralement, par ce mot secret et redoutable que les petites filles, chez nous, commencent à réciter les litanies de Vénus. Mais, de mot en mot, épelés dans notre langue, qui n’était pas la sienne, la Petite fille de Jérusalem arriva très vite au verbe aimer, et le moins qu’on puisse dire, c’est que le plus beau mot de la langue française bondit de tous côtés et en tous sens des œuvres charmantes de Mme Myriam Harry.
Il bondit avec la prestesse et la folie d’une bille lancée par un adroit bilboquet, tantôt sous le ciel brûlant de l’Afrique, près des jets d’eau, des terrasses et des divans indiscrets du harem ; dans les vergers de Palestine ; au bord des fleuves de la mer de Chine, sur les routes des caravanes, au milieu des flocons de neige qui couvrent les sapins de la Germanie, sous le ciel gris et rose du pays de France.
À ce jeu du bilboquet, on ne gagne pas à tout coup, mais à tout coup on admire la bille, la jolie bille, avec ses enluminures hardies qui toutes représentent le plaisir et l’amour. Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/91 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/92 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/93 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/94 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/95 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/96 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/97 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/98 des mots, est bien un écrivain de chez nous.
Du haut des tours de Jérusalem, où je la vois se pencher sur la plaine et regarder qui avance du côté de Sion — Émir ou soldat — du haut de ces tours, où la brise du Liban gonfle ses voiles gris et caresse comme un doux emblème les deux petites mandarines qui sont sa parure d’épousée, Myriam Harry paraît être le fantôme de la sensualité de l’Orient dressé sur les ruines, non pour gémir, comme Esther, ni pour venger, comme Judith, mais pour moduler le nouveau cantique des Amants, qui s’élèvera de la ville sainte et, par sa bouche, fera frémir les reins et les cœurs !
LOUISE HERVIEU
LOUISE HERVIEU
Quel est, à votre avis, l’oiseau qu’il faudrait prendre pour le blason de Louise Hervieu ?
Est-ce le corbeau qui plane sur les charniers, parle à l’oreille de Baudelaire et d’Edgar Poë, ces maîtres de l’artiste ?
Est-ce le cygne noir, percé d’une flèche, qui promène sa blessure empoisonnée sur un lac triste et pourissant ?
De l’oiseau prophétique, Hervieu n’a point la cruauté, même quand elle s’attaque à la charogne du poète, mais de l’oiseau en manteau de deuil, elle a la force, la grâce, la langueur et la mélancolie. Sa fantaisie d’artiste erre parmi les Lédas amoureuses qui lui livrent, sans pudeur, le mystère de leurs désirs charnels, de leurs luxurieuses folies. Son œil attentif garde impitoyable le souvenir de ces beautés que fatiguent l’amour et la débauche. Mais cet œil, épris de vérité, n’est pas le prisonnier de ces images du vice et du péché, il se repaît au sortir de cette vie secrète, de l’innocence de l’enfant, de la naïveté, de ses jeux, du charme de son intimité. Louise Hervieu est par le cœur une mère spirituelle, qui couvre de sa tendresse des enfants imaginaires, et c’est par son tempérament d’artiste la visionnaire des gouges qui peuplent l’œuvre de Baudelaire.
Si le poète avait connu celle qui décora les Fleurs du mal de si magnifiques illustrations, il l’aurait nommée : « Mon enfant, ma sœur », car la femme qui a répondu à l’Invitation au voyage que Baudelaire lui envoyait post mortem, c’est bien Louise Hervieu, et désormais leurs noms seront inséparables.
Cette jeune femme qui débuta un peu avant la guerre n’était connue que d’un cénacle d’artistes très enthousiastes de son talent. Elle se révéla, et d’un seul coup atteignit la célébrité, lorsqu’elle exposa chez Bernheim les dessins qu’elle avait faits pour décorer les Fleurs du mal.
Que connaissait-on d’elle auparavant ?
Un Missel consacré à la Vierge, un missel fleuri comme son âme de douceur, de résignation, de foi et d’amour mystique, car c’est une âme brûlante d’amour que la sienne, et la première effusion était une effusion religieuse, qui fut suivie bientôt d’une effusion de tendresse sage et douce dont l’enfant était l’objet. Le beau Livre de Geneviève, écrit et décoré par l’artiste, enseigne à une fillette l’art de voir et de connaître ingénuement les merveilles du monde qui l’entoure.
Mais la force d’Hervieu, bridée dans ces deux livres de foi et d’enseignement, se déchaîna dans le livre du péché, qui excita la curiosité, l’admiration et les critiques les plus violentes ! Le jour où s’ouvrit l’exposition des dessins qui illustraient une édition nouvelle des Fleurs du mal, ce fut un cri : — C’est une fille de Rops ! — C’est l’enfer bourgeois ! — C’est tout Baudelaire. Les uns tournaient la tête, offusqués ! Les autres clignaient les paupières, fort mal à l’aise au milieu de ces nus qui s’offraient à eux avec une vérité choquante. Et ceux qui ont le respect de la moralité allèrent jusqu’à demander qu’on retirât de la vitrine l’image luxurieuse qui faisait « tiquer » le passant! — Je suis pas immorale, protestait Hervieu avec douceur, je suis immodeste ! Je suis née comme ça ! Ce n’est pas la provocation, ni le sacrilège, ni le blasphème de l’amour qu’il faut chercher dans ces images qui dégagent une telle luxure, mais la vie dans sa cruelle vérité. Les femmes nues que dessine Hervieu ne sont pas chastes comme les beautés parfaites. Elles sont imparfaites ; elles se dévoilent et offrent avec la plus naturelle impudeur des seins gonflés de désir, des ventres qui ont connu la houle du plaisir, des hanches en berceau, des cuisses lourdes et frémissantes. Ce sont là les figures innombrables du péché de la chair qui hantaient les songes du poète catholique. Pour troubler le pécheur, ces fantômes luxurieux envoyés par l’enfer n’ont besoin ni de bas ni de jarretières, elles ont un voile qui flotte derrière elles comme un manteau royal, comme le nuage qui entoure l’épousée, ou bien leur corps, sortant de la nuit, reçoit un attrait et une beauté du décor qui l’entoure. La chambre d’amour se pare d’une armoire merveilleuse sortie des mains d’un artisan de la Renaissance ; le lit à colonnes fut un lit de roi, et sur la cheminée devant laquelle se dresse la Tentatrice, la Pécheresse, la Démone, — comme vous voudrez — voici le buste de marbre d’un Dieu, la garniture de bronze où flamboyent les lumières, le balcon de fer forgé où Elles viennent respirer la fraîcheur d’un beau soir. Ce décor bourgeois, que l’on reproche à Louise Hervieu comme une faute de goût, ne crée-t-il pas autour de ses Démones l’atmosphère des poèmes de Baudelaire. C’est la chambre d’amour qu’illuminent ces corps brûlants des Tentatrices. Debout orgueilleusement ; couchées ; nouées aux colonnes du lit ; accrochées au cou de l’homme qu’elles jugulent, elles sont d’une vérité si terribles dans leurs désirs charnels ou leur épuisement, que l’on se demande par quel secret une femme a pu épouser à ce point l’esprit baudelairien, que tout son œuvre en ait reçu une nouvelle vie.
Cette vision poignante et sensuelle, c’est Félix Fénéon qui l’a provoquée en révélant à Louise Hervieu ce grand livre du péché de la délectation morose. C’est lui qui lui demanda d’orner l’œuvre de Baudelaire : les Fleurs du mal, d’abord, le Spleen de Paris, ensuite, de dessins suggérés par le texte. L’artiste résistait, soit ignorance, soit timidité. Il insista. Elle n’osait signer son traité.
J’ai la terreur d'une signature,
je suis, dit-elle, comme la paysanne de mon pays (Hervieu est Normande) qui croit qu’elle signe sa condamnation. Fénéon insista. Il connaissait mieux qu’elle ce génie qui allait se révéler souPage:Reval - La Chaine des dames.pdf/110 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/111 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/112 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/113 avec délices l’odeur des roses et de la glycine, comme le Bon Jardinier dont elle a dit les innocents plaisirs. Pleine de sagesse elle murmure doucement sa petite prière aux choses bonnes et éternelles. Or tandis qu’elle songeait, passa près d’elle un beau monsieur en habit vert, qui fut bien étonné d’ouïr langage si pur. Prenant une couronne qui n’était point de lauriers, mais de roses, il la posa doucement sur son front torturé !…
C’est ainsi qu’en l’an de grâce 1923, Louise Hervieu, coupable d’exciter la luxure dans le cœur des hommes par son œuvre, reçut de l’Académie française, en récompense de cette jolie prière dans un jardin, le prix Fabien, qui est, comme chacun sait, le plus recherché des prix de vertu !
GÉRARD D’HOUVILLE
GÉRARD D’HOUVILLE
À Grenade, dans les jardins merveilleux du Généralife, il y a un buisson de myrte qui est un buisson enchanté. Chaque nuit, lorsqu’il fait de la lune, ses branches s’écartent, une jeune sultane s’en échappe qui court au bord des fontaines, dans les bosquets de lauriers-roses, au pied des noirs cyprès, surprendre les jeux ou le sommeil des amants. À l’aurore elle s’en revient, les branches de l’odorant buisson se referment sur la belle, qui rêve à sa poétique ronde de nuit.
Ollé ! Cette jolie sultane du clair de Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/118 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/119 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/120 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/121 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/122 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/123 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/124 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/125 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/126 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/127 longue robe verte, couleur de la forêt, brodée de roses et de lauriers d’argent. L’un de ces petits pages sera nu, comme il sied à l’Enfant-Amour, mais son carquois sera plein de flèches et il y aura écrit à l’entour cette devise, la plus belle des Humains : « J’ayme à jamais ». L’autre page sera un négrillon empanaché de plumes d’autruche et vêtu d’un galant habit de velours et de brocatelle, — comme il figure dans le portrait de Mme de Montespan ; sa main d’ébène agitera une banderole d’azur, afin que chacun puisse lire au passage la devise de Marie, qui est la triomphante devise de Gérard : « Je charme tout ».
JEANNE LANDRE
JEANNE LANDRE
Le cortège roulait comme un torrent de la place Blanche vers les boulevards, et tout Montmartre endormi rententissait d’un seul cri poussé par mille bouches prêtes à baiser et à mordre : « Échalote ! Échalote ! Échalote !… »
Mlle Échalote elle-même, débraillée comme une rombière, jambes de-ci, jambes de-là, se laissait emporter vers Paris, à cheval sur les épaules du Petit Vieux bien rigolo. Ses amants, ses amis étaient tous là, les Embêtés du dimanche, les clients du Cocarasse et du Moulin de la Galette, les habitués du Lapin Agile, qui pinçaient la guitare du père Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/132 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/133 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/134 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/135 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/136 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/137 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/138 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/139 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/140 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/141 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/142 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/143 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/144 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/145 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/146 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/147 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/148 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/149 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/150 Page:Reval - La Chaine des dames.pdf/151 Page:Reval - 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« Voilà ma bonne, ce que je ferais si j’étais la riche, la célèbre, la puissante M’ame Simone, qui reçoit ce soir Tout-Paris dans sa loge. Et je me réjouirais plus d’un petit bouquet de quatre sous apporté par un jeune homme inconnu, que de ce pompeux convoi de fleurs ! Car la gloire… c’est le petit bouquet de quatre sous… »
— À bon entendeur, salut, répondis-je de plus en plus surprise, car, laissant le ton familier et le vert langage, la petite vieille s’élevait en son parler, et semblait donner commandement à la Muse. Me direz-vous à qui j’ai l’honneur de parler ?
— Mais… à la Poussière, à l’antique et noble Poussière d’un théâtre de Paris.
Disant cela, ma petite vieille se détacha de terre, et comme le rideau se levait, elle s’envola au vent de la scène et partit dans les frises comme un flocon
de poussière.
MARCELLE TINAYRE
Marcelle Tinayre naquit un jour que Vénus errait sur la terre avec les Jeux et les Ris ! Comme elle criait en son berceau et trépignait ainsi que les nouveau-nés ont coutume de le faire, des ombres illustres, poursuivies par les regrets d’amour, se détachèrent du divin cortège et la vinrent bercer.
La première, qui était grande et forte, portait sur ses cheveux noirs le turban du grand Turc. Elle secoua rudement le poupon et dit d’une voix éclatante :
— Tais-toi ! garde tes pleurs et ta force pour l’Amour, sans lequel tu ne seras rien. Apprends de lui le plaisir, l’art et l’éloquence et, s’il t’échappe, poursuis-le jusqu’au cap Misène, où tu rencontreras Corinne, qui t’attend.
Une autre plus douce en ses façons, cajola l’enfant, qui la regardait sans la voir. Elle portait sur sa tête blanche coqueluchon de dentelle ; affiquets brodés sur sa robe de soie puce. Son haleine embaumait la bergamote.
— Do, l’enfant do ! Garde tes gémissements pour l’Amour ; tu en feras de belles chansons, qui te rendront célèbre parmi les hommes. Lis ma Chatte blanche et mes fictions : apprends de moi comment l’on console les cœurs qu’Amour a blessés.
À peine avait-elle dit qu’une ravissante personne s’approcha du berceau et dorlota l’enfant. Ses beaux cheveux blonds tombaient en longues boucles sur sa gorge de neige, et sa robe d’organdi s’étalait autour d’une crinoline. Un air de distinction, mêlé aux feux de la volupté, donnait à son visage un attrait enchanteur.
— Il n’est qu’aimer pour plaire, chuchota la coquette, suis-moi en tes écrits et enseigne avec esprit, comme je le fis dans mes chroniques de la Presse, par quels dons de nature, par quels artifices un cœur se donne, se garde et se reprend !
Mais la belle des belles, qui portait une robe de cour, et montrait généreusement ce sein qui était semblable à la rose nouvelle, se saisit de l’enfant et, au lieu de le bercer et le baisoter, le souleva dans les airs et le tendit vers l’autel où le dieu bande son arc.
— Apprends qu’en ce monde, dit-elle, nul bien n’égale la Volupté, il la faut savoir goûter en toute indépendance de corps et d’esprit. Sache que les hommes jouissent de mille libertés que les femmes ne goûtent pas. C’est pourquoi je me suis faite homme et le proclame parce que je suis philosophe et que je suis Ninon.
Et comme elle reposait l’enfant en son berceau, après cette exhortation hardie, survint une dame du bel air qui baisa le nouveau-né sur la bouche et se contenta de mêler son souffle avec le sien. Or, en ce souffle passa tout l’esprit du grand siècle, il n’en faut pas douter, puisqu’en partant cette dame illustre laissa sur le berceau la plume d’or qui avait signé la Princesse de Clèves !
Staël ! d’Aulnoy ! Girardin ! Ninon ! La Fayette, berceuses de rêve, c’est vous qui avez mis le mot divin sur ses lèvres et, formant sa pensée, son goût et ses inclinations, avez commandé à celle qui n’avait pas vingt ans de se lever entre toutes les femmes pour célébrer l’amour et son tourment !
Du diable si quelqu’un se doutait de cette prédestination ! Marcelle Tinayre grandit comme toutes les jeunes filles françaises qui aiment le travail et l’étude. Elle conquit sa peau d’âne en un temps où les jeunes demoiselles n’osaient se lancer dans les études qu’exige le bachot. Pour échapper à Sèvres, qui la guettait, et à cet avenir d’universitaire qui lui semblait dépourvu de tout charme, elle se maria, épousant le graveur dont elle a rendu le nom célèbre. Le temps d’être mère une, deux, trois fois ; d’organiser le ménage d’artistes ; de coudre layette et vêtements, comme une jeune femme courageuse et modeste, qui sait le prix de l’argent, et voilà que la grâce se manifeste et qu’il devient visible aux yeux de tous, même des siens, que c’est bien là une affaire de prédestination. Il lui a suffi de « piquer l’étrangère » pour que naquit son premier roman, suivi de plusieurs autres : l’Amour qui pleure, la Rançon, l’Oiseau d’orage, Avant l’Amour, Hellé.
Marcelle Tinayre est emportée par la force qui va diriger toute sa vie, comme un fleuve magnifique. Elle écrit, elle écrit sans se décourager du mauvais sort, des obstacles qu’elle rencontre, des refus qui ajournent la publication. Qu’importe un retard, elle arrivera, elle en est sûre, et cet optimisme bienfaisant illumine des années de jeunesse qui sont des années de labeur, car la lutte est dure à qui veut vivre de sa plume.
Ses romans solidement construits et pris directement dans la vie qui l’entoure révèlent, aux environs de 1900, un talent tout moderne, mais respectueux de la tradition classique, une sensibilité frémissante, une curiosité de tout ce qui s’exerce librement comme le voulait Ninon de Lanclos, la première et la plus exquise des féministes !
Son intelligence, vive et claire, s’attaqua aux problèmes du jour. Il n’en est pas de plus prenant que celui de l’affranchissement moral et social de la femme. Un grand combat se livre de toutes parts pour renverser les préjugés qui interdisent à une femme bien née de s’instruire, de penser et de vivre avec la liberté d’un homme.
À ce point de vue, les premiers romans de Marcelle Tinayre ont servi la grande cause du féminisme ; elle est entrée dans la lutte, comme la jeune amazone Perseis, défendant le bouclier d’Alexandre ; plus heureuse que son héroïne, elle a gardé la vie en gagnant la victoire. Il faut donc considérer ces premiers romans comme autant de documents sur cette période de l’émancipation des femmes, et comme des œuvres déjà parfaites par la beauté de la forme, la souplesse du langage, et sa pureté, qui est celle du grand siècle.
Ceux mêmes qui repoussent le féminisme avec horreur, parce qu’ils l’imaginent sous les traits d’une femme à barbe, se laissent séduire par la justesse de cet esprit dont la virilité se cache sous la grâce. L’originalité du talent de Marcelle Tinayre est dans cette alliance qui lui valut de prendre place tout de suite parmi les femmes célèbres, à côté de ces romancières bien différentes. d’elle : la tendre et douloureuse Jeanne Marni, la fougueuse Georges de Peyrebrune, l’imaginative Daniel Lesueur, la savante Jean Bertheroy. Sa Rebelle lui gagnait tous les cœurs, la Maison du Péché lui gagna tous les suffrages, ceux des philosophes croyants ou libertins, ceux des esprits de combat, qui s’étonnèrent que d’une main si sûre et si expérimentée une femme pût conduire la lutte dramatique qui est engagée dans un cœur où règne une austère janséniste, que va renverser l’épicurien, apportant avec lui la volupté et ses délices.
Ce roman reste l’œuvre maîtresse de Marcelle Tinayre, parce qu’il est le plus riche en philosophie, en méditation, en expérience, et puisqu’il est entendu qu’on est la femme d’un seul livre, elle est et restera l’auteur de la Maison du Péché.
Il lui advint à ce propos une folle histoire, qui montre à quel point les femmes qui divaguent attachent de prix aux lauriers de la Muse. Au moment où tout Paris admirait cette œuvre méditée longtemps et peut-être vécue, un cri s’éleva de la mer d’Italie :
— Au voleur ! On m’a pris mon livre ! Une jeune fille jure par le dieu des chrétiens que c’est elle l’auteur de la Maison du Péché, elle forge une histoire, elle invoque sa réputation de poétesse qui s’étend sur le rivage de la Spezzia ; elle s’échauffe, montre aux passants qui viennent de France des lettres louangeuses de nos plus grands écrivains ? Là-bas, un doute plane sur cette maternité de l’œuvre ? On a beau dire aux partisans de la demoiselle qu’ils sont dans l’erreur, qu’une enfant de dix-huit ans n’est versée ni dans la philosophie ni dans l’amour, au point d’écrire un roman si brûlant de passion. Elle ne s’en dédit pas ! Tant de beaux livres qui ont suivi la Maison du Péché prouvent enfin aux Italiens que le reste n’est que mensonge. Mais ce mensonge ne sera pas le dernier. Ne s’est-il pas trouvé un jour sur mon chemin une demoiselle qui n’était pas de la Spezzia, mais de Saintes, pour réclamer, à cor et à cri l’un de mes livres, la Bachelière, dont elle revendiquait la maternité. Qu’est-ce que prouve ce double incident ? Que dans certains cas pathologiques, les femmes qui se croyaient jadis reines de France, ou pape, ou démon, et le proclamaient dans leur folie, se contentent aujourd’hui de se dire les auteurs d’un livre, quand il a du succès.
En ce temps-là, Marcelle Tinayre, qui n’avait pas encore trente ans, était une jeune femme, petite, simple, mince, agile, et rieuse. Sa voix était pleine de douceur, ses grands yeux noirs, dans le silence, se voilaient de brume ; ils étincelaient de malice quand la conversation s’animait ; elle avait un teint de fleur des champs, de beaux cheveux noirs souples et vivants, une bouche éclatante, que le sourire sauvait de la mélancolie. À cause de sa grâce indolente et de sa vivacité subite, on la comparait à Joséphine de Beauharnais durant qu’elle était heureuse ! Le bonheur a beaucoup embelli Marcelle Tinayre, et Mme Marguerite Durand, qui l’eut à la Fronde pour collaboratrice, en même temps que Judith Cladel, Harlor, Andrée Viollis, Louise Debor, Myriam Harry, pourrait l’en féliciter autant que d’avoir poursuivi sans arrêt sa glorieuse carrière, mais regretter, pourtant, qu’une femme d’esprit, pour une boutade de gosse à la Poulbot, perdît l’espoir de voir le ruban rouge fleurir son corsage. Baste, il lui restera le collier de perles… qu’elle préféra !
L’effort de Marcelle Tinayre en vingt-cinq ans de carrière a été magnifique. Elle a promené son inspiration en Italie, et nous avons eu la Douceur de vivre ; en Grèce, et nous avons eu Perséphone, après avoir eu les Notes d’une voyageuse en Turquie, lorsqu’elle visita Constantinople et Andrinople. De ses promenades en France, Corrèze, Provence, elle nous laissa l’Ombre de l’amour, la Vie amoureuse de François Barbazange. À l’heure où les Françaises donnaient à la patrie, d’un cœur ardent et déchiré, leurs époux, leurs frères, leurs amants, leurs fils, Marcelle Tinayre écrivait son chant du Départ : La Veillée des armes. Elle nota, en articles qui ne sont pas réunis en volume, ses impressions sur la vie guerrière à Salonique ; n’avait-elle pas risqué le torpillage du bateau-hôpital qui l’emmenait vers l’Orient, toute brûlante d’ardeur patriotique, de curiosité et de passion.
Sa dernière œuvre : le Bouclier d’Alexandre, venant après Perséphone, indique une évolution sensible du talent de Marcelle Tinayre, qui aborde le merveilleux, non pas comme Gérard d’Houville retrouvant Merlin l’Enchanteur, non pas comme telle autre qui cherche les traces de Mélusine, mais comme une jeune Grecque du temps de Platon qui revivrait les âges héroïques où le Centaure protégea l’Amazone « tueuse d’hommes ».
Voici donc Marcelle Tinayre engagée sur la route des héros et des demi-dieux. Il ne lui reste qu’un pas à faire — tout au plus un pont à traverser, qui est le pont des Arts — pour être devant les Immortels !
Allons, messieurs de l’Académie française, un bon mouvement. Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. Ouvrez, de par Dieu ! Ouvrez, c’est une femme ! Mais la Renommée vous crie : « Qu’importe, place au talent ! »
TABLE DES MATIÈRES
{{table|titre=GEORGES GRAPPE. — Vie de J.-H. Fragonard, 8 phototypies
Rue Hautefeuille, 21 - PARIS (VI°)
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