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La Chambre tapissée

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La Chambre tapissée
Traduction par Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret.
Furne et Cie, Charles Gosselin (21p. 253-256).

LA CHAMBRE TAPISSÉE,
ou
LA DAME EN SAC.


INTRODUCTION.


Ceci est une autre petite histoire tirée du Keepsake de 1828. Elle me fut racontée il y a quelques années par feu miss Anna Seward, qui joignait à d’autres talents qui la rendaient une convive très-agréable dans une maison de campagne, celui de raconter des histoires de cette espèce en produisant un effet beaucoup plus grand qu’on ne pourrait le croire d’après le style de ses ouvrages écrits.

Il y a des moments et des dispositions d’esprit où l’on n’est pas fâché d’écouter de pareilles choses, et j’ai vu quelques-uns de mes compatriotes, aussi recommandables par leur esprit que par leur bon sens, en raconter avec plaisir.

Août 1831.




L’histoire suivante est écrite dans le même style dont on se servit pour la raconter à l’auteur, autant que sa mémoire peut le garantir. Par conséquent, l’auteur ne mérite d’être loué ou blâmé que du bon ou mauvais goût dont il a fait preuve en choisissant ses matériaux, car il a évité soigneusement de mêler quelque ornement à la simphcité du récit.

On doit admettre en même temps que les histoires appartenant à la classe particuhère de celles qui ont le merveilleux pour objet, ont un bien plus grand pouvoir sur l’esprit quand elles sont racontées, que lorsqu’elles sont confiées à l’impression. Le volume parcouru à l’éclat de la lumière du jour, quoique contenant les mêmes incidents, cause une émotion beaucoup moins forte que celle qui est produite par la voix du narrateur, au coin du feu de la veillée, lorsqu’il détaille avec minutie les incidents qui augmentent l’authenticité de sa légende, et lorsque le son de sa voix s’affaiblit avec mystère au moment d’une catastrophe terrible ou merveilleuse. Ce fut avec de tels avantages que celui qui rapporte l’histoire suivante l’entendit raconter, il y a plus de vingt ans, par la célèbre miss Seward de Lichtfield, qui à ses nombreux talents joignait, à un degré remarquable, le pouvoir de charmer dans la conversation. Ce conte doit nécessairement perdre, dans la nouvelle forme sous laquelle il est présenté, tout l’intérêt qu’il empruntait de la voix flexible et des traits expressifs de l’habile narratrice. Cependant, lue à haute voix devant un auditoire suffisamment crédule, à la lueur douteuse du crépuscule du soir ou dans la solitude d’un appartement mal éclairé, l’anecdote suivante pourrait encore paraître une bonne histoire de revenant.

Miss Seward affirma toujours qu’elle l’avait puisée dans une source authentique, quoiqu’elle supprimât les noms des deux personnes qui jouent les rôles principaux. Je ne profiterai pas moi-même de quelques détails que j’ai reçus depuis, concernant les localités ; mais je conserverai la description générale telle qu’elle fut faite primitivement. Par la même raison, je n’ajouterai ni ne retrancherai rien à la narration, mais je raconterai, comme je l’ai entendu raconter, un événement surnaturel.




Vers la fin de la guerre d’Amérique, lorsque les officiers de l’armée de lord Cornwallis, qui capitula à York-Town, et tous ceux qui avaient été faits prisonniers pendant cette lutte impolitique et malheureuse, retournaient dans leur patrie pour raconter leurs aventures et se reposer de leurs fatigues, il y avait parmi eux un officier général auquel miss Seward donne le nom de Brown, mais simplement, comme je le compris, pour éviter la difficulté d’introduire un personnage sans nom dans une narration. C’était un officier de mérite aussi bien qu’un gentilhomme distingué par sa naissance et son éducation.

Quelques affaires conduisirent le général Brown à voyager dans les comtés de l’ouest. Un matin, en arrivant à un relais, il se trouva dans les environs d’une petite ville qui présentait une vue d’une beauté et d’un caractère tout à fait anglais.

La petite ville et son église gothique, dont la tour attestait la dévotion des siècles reculés, était située au milieu de pâturages et de champs de blé de peu d’étendue, mais entourés de haies et d’antiques et grands arbres. On y voyait peu de signes d’innovations modernes. Les environs ne présentaient point la solitude des ruines ni le mouvement qu’occasionnent des réparations. Les maisons étaient vieilles, mais en bon état, et la jolie petite rivière qui murmurait en coulant librement à gauche de la ville, n’était ni retenue par des écluses ni bordée par un chemin de halage.

Sur une éminence, environ à un mille de la ville du côté du sud, on apercevait, au milieu de vénérables chênes et d’épais taillis, les tours d’un château aussi vieux que les guerres d’York et de Lancastre, mais qui paraissait avoir éprouvé de grands changements sous le règne d’Elisabeth et de son successeur. Ce n’était pas un bâtiment considérable, mais toutes les commodités qu’il procurait autrefois devaient encore, on pouvait le supposer, être trouvées dans ses murs ; du moins telle était l’opinion que le général Brown venait de concevoir en voyant la fumée s’élever rapidement des vieilles cheminées sculptées. Les murs du parc bordaient le grand chemin pendant deux ou trois cents verges, et les différentes parties boisées que l’œil pouvait apercevoir semblaient être pourvues de gibier. D’autres points de vue présentaient alternativement, tantôt la façade du vieux château, et tantôt une partie des différentes tours ; le premier, riche dans toutes les bizarreries de l’architecture d’Elisabeth, tandis que l’aspect simple et solide des autres parties du bâtiment semblaient prouver qu’elles avaient été construites plutôt comme moyen de défense que par ostentation féodale.

Enchanté de ce qu’il pouvait apercevoir du château à travers les bois et les clairières dont cette ancienne forteresse était entourée, notre voyageur militaire résolut de s’informer si le bâtiment ne valait pas la peine d’être vu de plus près, et s’il contenait quelques portraits de famille ou autres objets de curiosité dignes de la visite d’un étranger. Il quitta donc les environs du parc, et traversant une rue propre et bien pavée, s’arrêta devant une auberge qui paraissait assez fréquentée.

Avant de demander des chevaux pour continuer son voyage, le général Brown fit quelques questions touchant le propriétaire du château qui avait captivé son admiration. Sa surprise égala sa joie en entendant nommer un gentilhomme que nous appellerons lord Woodville. Quel bonheur ! la plupart des souvenirs de Brown à l’école et au collège étaient unis à l’idée du jeune Woodville. Quelques nouvelles questions lui apprirent que c’était bien le même que le possesseur de ce beau domaine. Il avait été élevé à la pairie par la mort de son père, et, ainsi que le général l’apprit par le maître de l’auberge, le deuil étant fini, le jeune pair prenait possession de l’héritage paternel dans le mois le plus gai de l’automne, accompagné d’une société d’amis choisis qui venaient jouir avec lui des plaisirs de la chasse dans un pays fertile en gibier.

Ces nouvelles étaient délicieuses pour notre voyageur. Frank Woodville avait été le compagnon des jeux de Richard Brown à Eton, son ami intime au collège de Christ-Church ; leurs plaisirs et leurs travaux avaient été les mêmes, et le cœur du brave soldat jouissait de voir son ancien ami en possession d’une résidence charmante et d’un domaine, comme l’aubergiste l’en assura avec un signe de tête et en clignant des yeux, d’un domaine capable d’ajouter à sa dignité. Il n’y avait rien de plus naturel que le général suspendît un voyage qui n’était pas pressé, pour rendre une visite à son ancien ami, dans des circonstances aussi favorables.

Les nouveaux chevaux eurent donc seulement la tâche de conduire le général, dans sa voiture de voyage, au château de Woodville. Un portier reçut l’officier à une loge en même temps moderne et gothique, bâtie dans ce dernier style pour correspondre avec le château. Le portier sonna afin d’annoncer une visite. Apparemment le son de la cloche arrêta le départ de la société, qui était sur le point de se séparer pour jouir des divers amusements d’une matinée de château, car, en entrant dans la cour, Brown vit plusieurs jeunes gens qui se promenaient en habit de chasse, regardant et critiquant des chiens que des gardiens tenaient prêts pour leur amusement. Au moment où Brown descendit de voiture, le jeune lord vint à la porte du vestibule, et pendant un instant arrêta ses regards sur l’étranger, car il ne reconnaissait point un visage que la guerre, les fatigues et les blessures avaient considérablement altéré. Mais cette méprise cessa aussitôt que Brown eut fait entendre sa voix, et la reconnaissance qui s’ensuivit fut celle de deux amis qui avaient passé ensemble les jours heureux de leur enfance et de leur première jeunesse.

— Si j’avais pu former un désir, mon cher Brown, dit lord Woodville, c’eût été de vous posséder ici dans une semblable occasion, que mes amis sont assez bons pour célébrer comme un jour de fête. Ne pensez pas que vous ayez été oublié pendant les années de votre absence ; je vous ai suivi à travers vos dangers, vos triomphes, vos malheurs, et j’ai été heureux de voir que, dans la