La Chanson d’Ève/Ô mes anges, les ondes

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Société du Mercure de France (p. 173-174).

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Ô mes anges, les Ondes,
Limpides et froids,
Fuites agiles, eaux vagabondes,
Lèvres et rires, ailes et voix,
Que sous mes songes j’entends bruire,
Autour du monde, autour de moi ;

Ô mes anges, les Ondes,
Ô mes anges, les Eaux,
En qui scintille mon image
Parmi les feuilles, les roseaux,
Et les fleurs du rivage ;
En vos pâles frissonnements
Je vous regarde et vous entends ;
Autour de moi vos lèvres chantent.
Je suis votre parole, et vous ma voix fuyante.

Et je viens vers vous et vous dis :
Ô mes anges, les Eaux, ô mes anges, les Ondes,
Rires bleus de mon paradis,
Que je me perde, que je me fonde
En votre calme pureté,
Et qu’en vos fraîcheurs je descende
Comme l’ardeur d’un ciel d’été.

Buvez mes lèvres, comblez mon âme,
Apaisez la soif de mes yeux.
Éteignez-moi des sourdes flammes
Dont m’étreignent mes cheveux.
Que je devienne en vous mon rêve,
Une clarté qui s’achève
En des vagues, en des bruits
De sources sombres dans la nuit ;
Une chose qui glisse et chante,
Nue, et frémissante, et qui fuit,
Et va vers des mers inconnues,
Dans le grand murmure infini.