La Chanson d’Ève/Suis-moi, suis-moi

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Société du Mercure de France (p. 59-65).

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« Suis-moi, suis-moi,
Suis ma voix, Ève blanche !
Par le bois enchanté,
De branche en branche,
Je vole et chante dans la clarté.

Je te suis, bel oiseau de mon âme,
Bel oiseau d’or, je te suis, je te suis !
Je te suivrais au bout du monde,
Ô bel oiseau de paradis !

« Suis-moi, suis-moi,
Suis ma voix, Ève blonde,
Et suis mes ailes !
Par le bois enchanté je chante, je vole,
Je vole et je chante devant toi. »


Je veux te suivre où tu m’appelles,
Ô rayon vivant !
L’âme humaine, aussi, a des ailes
Si impatientes de tous les espaces,
Et des chansons
Si folles de tous les horizons !

« Elle est lointaine,
La région où je te mène ;
Il est lointain,
Le beau pays de l’éternel demain. »

Ah ! qu’importe, oiseau d’or, chante encore !
Il semble que j’entende, quand tu chantes,
Mon âme entière qui m’attire.
Je suis venue avant l’aurore
Pour te suivre, ô voix puissante,
À travers les bois et les landes,
Et toute la terre, oiseau d’amour.


« Ni mon nom n’est amour,
Ni beauté, ni puissance.

Je suis l’enfance du monde,
Et tout ce qui commence ;
Tout ce qui va vers un but clair,
Avec des yeux clairs.
Tout ce qui monte et qui s’élève,
Et qui aspire
À atteindre son rêve,
Sa propre fleur dans la lumière.

Je suis le désir, je suis l’espoir,
Aux souffles qui chantent,
Et le départ au matin d’or,
Sur les vagues dansantes.

Suis-moi, suis-moi,
Suis ma voix, fille humaine,
C’est le bonheur où je te mène. »


Je te suis, comme ton ombre légère
Vole après toi sur les fleurs de la terre.
Mais pourquoi
Es-tu toujours plus loin que moi ?
Pourquoi es-tu toujours en fuite,
Comme ce beau pays qui te ressemble ?
Petite flamme, allons ensemble,
Tu voles trop vite
Pour mon âme.
Puisque la route est longue encore,
Pose-toi un instant, dis, sur cette branche,
Petit oiseau du paradis,
Je voudrais te mieux voir,
Et que mes frêles doigts te touchent,
Petit oiseau blanc, couleur du temps,
Petit oiseau d’or, aux pattes d’argent.

« Je ne me pose pas.
Jamais ne se pose le Désir qui vole
Dans les ombrages d’ici-bas.
Il chante et veille,

Et ni les bosquets du sommeil,
Ni la nuit et ses rêts d’étoiles
N’arrêtent ses ailes. »

Ne puis-je au moins cueillir
Cette fleur du chemin,
Si pâle et si belle,
Si triste de mourir
Penchée dans la poussière ?
Elle s’est comme moi, tout un jour, approchée
De la lumière,
Sans pouvoir y atteindre.
Je voudrais l’y porter avec moi dans mes mains.

« Ne t’attarde pas en vain
Aux fleurs passagères ;
N’incline pas ton cœur vers la poussière,
N’écoute pas
La parole qui attire en bas.
Tout le ciel glorieux tressaille
D’autres chansons et d’autres ailes ;

Tout l’espace azuré s’enivre
De soleil ;
C’est dans les airs qu’il faut me suivre. »

Ah ! bel oiseau, hélas ! je suis lasse
Et mon cœur est las.
Tu as des ailes que les espaces
Ne fatiguent pas,
Bel oiseau de mon âme !
Toujours ailleurs est ton bonheur,
Toujours tes horizons s’effacent !
Je veux m’asseoir ici,
Ce soir, à cette place,
Entre ces fleurs ;
L’heure y est belle aussi,
Et c’est toujours le paradis…

« Suis-moi, suis-moi,
Suis mes ailes et suis ma voix.
Par mes forêts et mes vallées,

Par mes solitudes profondes,
Je t’ai enchantée !
Tu me suivras au bout du monde. »