La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/Laisse 14

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XIV

Li Emperere out sa raisun fenie. L’Empereur a fini son discours.
Li quens Rollanz, ki ne l’ otriet mie, Le comte Roland, qui ne l’approuve point,
195 En piez se drecet, si li vint cuntredire. Se lève, et, debout, parle contre son oncle :
Il dist al Rei : « Ja mar crerez Marsilie. « Croire Marsile, ce serait folie, dit-il au Roi.
« Set anz ad pleins qu’ en Espaigne venimes ;
« Il y a sept grandes années que nous sommes entrés en Espagne.
« Jo vus cunquis e Noples e Commibles, « Je vous ai conquis Commible et Nobles ;
« Pris ai Valterne e la terre de Pine, « J’ai pris Valtierra et la terre de Pine,
200 « E Balaguet e Tuele e Sezilie : « Avec Balaguer, Tudela et Sebilie.
« Li reis Marsilies i fist mult que traïtres :
« Mais, quant au roi Marsile, il s’est toujours conduit en traître.
« De ses païens il vus enveiat quinze : « Jadis il vous envoya quinze de ses païens,
« Cascuns porteit une branche d’olive ; « Portant chacun une branche d’olivier,
« Nuncerent vus cez paroles méismes. « Et qui vous tinrent exactement le même langage.
205 « A voz Franceis un cunseill en presistes, « Vous prîtes aussi le conseil de vos Français,
« Loèrent vus alques de legerie. « Qui furent assez fous pour être de votre avis.
« Dous de voz cuntes al païen tramesistes, « Alors vous envoyâtes au Roi deux de vos comtes :
« L’uns fut Basanz e li altre Basilies ; « L’un était Basan, l’autre Basile.
« Les chefs en prist ès puis desuz Haltoïe.
« Que fit Marsile ? Il leur coupa la tête, là-bas, dans les montagnes au-dessous d’Haltoïe.
210 « Faites la guere cum vus l’avez enprise, « Faites, faites la guerre, comme vous l’avez entreprise ;
« En Sarraguce menez vostre ost banie, « Conduisez sur Saragosse votre armée ;
« Metez le siège à tute vostre vie, « Mettez-y le siége, dût-il durer toute votre vie ;
« Si vengez cels que li fels fist ocire. » Aoi. « Et vengez ceux que Marsile le félon a fait mourir. »


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Vers 193.Empereres. O.

Vers 194.Li quens Rollanz ki ne l’otriet mie. Nous diviserons la « Légende de Roland » en trois parties : I. Sa naissance et ses enfances. II. Sa vie et ses exploits jusqu’à la trahison de Ganelon. III. Sa mort à Roncevaux.

I. Naissance et enfances de Roland. Roland, dans notre légende épique (et rien ne la justifie dans l’histoire), est partout représenté comme le neveu de Charlemagne. Sa mère reçoit, dans la plupart de nos poëmes, le nom de Gille ou Gillain. Si c’est un souvenir historique de Gisèle, sœur de Charles, ce souvenir est faux : car Gisèle fut toute sa vie religieuse à Chelles. La mère de Roland s’appelle Berte dans le Charlemagne de Venise et Bacquehert dans Acquin. Ce dernier poëme est le seul où son père soit nommé « Tiori » : partout ailleurs on le nomme Mile ou Milon d’Angers, ou d’Anglant, ou d’Aiglante. ═ Une légende fort répandue, et tout à fait antichrétienne, prétend que Roland naquit de l’inceste de Charlemagne avec sa sœur Gille. C’est ce que racontent : 1° La Karlamagnus Saga (xiiie s., 1re branche, 36) ; 2° le roman de Tristan de Nanteuil (xive s.) ; 3° la version en prose de Berte aus grans piés (xve s.) ; 4° la « Chronique de Weihenstephan » (l’original est du xive s., le ms. du xve). ═ D’autres documents ne parlent plus vaguement que d’un « péché très-grave commis par l’Empereur, et qu’il aurait omis à dessein dans sa confession à saint Gilles ». Un parchemin miraculeux descendit du ciel, et Gilles y vit écrit le péché de Charles. Celui-ci fut forcé d’avouer sa faute, et... maria sa sœur avec Milon d’Angers. Roland naquit sept ans après. Ainsi s’expriment : 1° la « Légende latine de saint Gilles ». (Acta sanctorum Septembris, I, 302-303 ; mais elle ne peut, en réalité, s’appliquer qu’à Charles Martel.) 2° Adam de Saint-Victor (xiie s., Prose : Promat pia vox cantoris) ; et les deux proses : Quantum decet et Sicut passer. (Mone, Hymni latini medii œvi, III, 265-167.) 3° L’office de Charlemagne composé en 1165. 4° La Kaisercronik (xiie s.). 5° Le Ruolandes Liet du curé Conrad (milieu du xiie s.). 6° Le roman de Huon de Bordeaux (fin du xiie s., aux vers 10,217 et ss.). 7° Le Carolinus de Gilles de Paris, poëme composé pour l’éducation du jeune Louis, fils de Philippe-Auguste. 8° La Chronique de Philippe Mouskes. 9° La Légende dorée. ═ Par bonheur, d’autres textes font naître Roland d’une mère moins illégitime. Ce sont : 1° La Chanson de Roland (qui ne contient du moins aucune allusion à la naissance adultérine de notre héros). 2° Le Charlemagne de Venise (xiie s. ; analysé par M. Guessard, Bibl. de l’École des Chartes, XVIII, 402), qui en fait seulement un bâtard.... La sœur de Charles (Berte) s’éprend ici d’un sénéchal nommé Milon, et, persécutée par son frère, accouche de Roland au milieu d’un bois, près d’Imola. (V. aussi l’Innamoramento di Milone d’Anglante e di Berta. Milan, 1529.) 3° Le roman des quatre fils Aymon (xiiie s.) et 4° le Charlemagne de Girart d’Amiens (commencement du xive s.) croient à la naissance très-légitime et très-pure de Roland. ═ Telles sont les trois grandes traditions, les trois grands courants de l’opinion ou plutôt de la légende que nous avons pu constater dans les documents du moyen âge. (V. nos Épopées françaises, II, 57-60.) ═ Sur les premières années de Roland, nous n’avons d’autre témoignage légendaire que le Charlemagne de Venise.... Le bâtard de Berte et du sénéchal Milon grandit dans la misère et l’abandon. Un jour, l’enfant rencontre la grande armée de Charlemagne qui revient de délivrer Rome. Roland se précipite dans le palais de Sutri qu’habite l’Empereur ; il y est accueilli, et réjouit bientôt toute la cour par son appétit et son esprit. Naimes, le sage conseiller, soupçonne que le petit bachelier doit être de bonne race ; on suit l’enfant et l’on découvre la pauvre Berte avec Milon. Charles veut les frapper ; mais Roland ne craint pas de les défendre, et fait jaillir le sang des ongles de l’Empereur. « Ce sera le faucon de la chrétienté, » s’écrie Charles, qui est déjà très-fier de son neveu. C’est alors que Berte et Milon se marient ; c’est alors aussi que commencent les véritables « Enfances » de notre Héros. ═ Ces Enfances ont donné lieu à plusieurs récits, non-seulement différents, mais contradictoires. Il nous faut encore ici montrer les divers courants de la Légende. 1° Enfances de Roland, d’après le roman d’Aspremont (premières années du xiiie siècle)... Charles, défié par Balant, ambassadeur d’Agolant, réunit toutes les forces de son empire et se dirige vers les Alpes. La grande armée passe à Laon. Or c’est là qu’on a enfermé le petit Roland (« Rollandin ») avec d’autres enfants de noble race, Gui, Hatton, Berenger et Estoult. Mais ces enfants ont déjà le courage des hommes, et ne peuvent supporter l’idée de se voir ainsi éloignés du théâtre de la guerre. Sur la proposition de Roland, ils essaient de corrompre leur « portier ». Celui-ci demeurant incorruptible, ils l’assomment et s’éloignent. Trop fiers pour aller à pied, ils volent des chevaux aux bons Bretons du roi Salomon, et n’ont point trop de peine à se faire pardonner tant d’escapades. Bref, ils sont admis dans les rangs de l’armée : ils iront, eux aussi, à Aspremont. (V. ce poëme, édition Guessard, pp. 13-16.) Le récit de cette guerre est interminable : nous l’abrégerons. Il nous importe uniquement de savoir que Roland en devient bientôt le héros, avec le jeune Yaumont, fils d’Agolant. Celui-ci, auquel le trouvère prête d’ailleurs les qualités les plus françaises et les plus chrétiennes, est sur le point de triompher de Charlemagne et de le tuer en un combat singulier qui va décider de toute la guerre, lorsque Roland accourt comme un lion et frappe Yaumont d’un coup mortel. Or Yaumont avait une épée admirable nommée Durendal : elle appartiendra désormais à Roland, ainsi que le bon cheval Veillantif. (B. N. ms. Lavall., p. 123, f° 41 v°-55 v°.) Et nous les retrouverons l’un et l’autre dans le vieux poëme dont nous donnons ici une nouvelle édition. ═ 2° La Chanson de Roland ne donne aucun détail sur les enfances du héros. Mais elle nous fournit sur Durendal une légende qui ne ressemble en rien à celle d’Aspremont. Suivant la plus ancienne de nos Chansons, c’est aux vallons de Maurienne qu’un ange apparut à l’empereur Charles et lui commanda de donner cette épée surnaturelle à un vaillant capitaine... (Vers 2318-2321.) ═ 3° Et la Karlamagnus Saga (xiiie s.) ajoute que Durendal était l’œuvre du fameux Galant et qu’elle avait été donnée à Charles, par Malakin d’Ivin, comme rançon de son frère Abraham. Elle fixe d’ailleurs une date à ce passage des vallées de la Maurienne par Charles et par l’armée française. « Ce fut, dit-elle, quand l’Empereur alla en Italie rétablir la paix entre les Romains et les Lombards. » (V. la Bibl. de l’Éc. des Chartes, XXV, 101.) ═ 4° Les débuts de Roland, dans Girars de Viane, sont tout charmants. Il accompagne son oncle au fameux siége de Vienne. Or c’est sous les murs de cette ville qu’un jour il aperçoit pour la première fois la sœur d’Olivier, la belle Aude, et se prend pour elle d’un violent amour. C’est là qu’il s’illustre par ses premiers exploits ; c’est là qu’il veut brutalement enlever Aude, et en est empêché par Olivier (Girars de Viane, éd. P. Tarbé, pp. 90-92.) ; c’est là enfin que les deux partis désarment, pour confier leur querelle à Olivier d’une part, et à Roland de l’autre. (Ibid., pp. 92-186.) On connaît les vicissitudes de ce combat, dont Aude est la spectatrice et dont elle doit être le prix. Roland et Olivier, ne pouvant se vaincre, tombent aux bras l’un de l’autre et se jurent une éternelle amitié. (Ibid., pp. 133-156.) ═ 5° Tout autre est le récit de Renaus de Montauban... (xiiie s.) Les quatre fils Aymon se sont enfermés dans le château de Montauban ; Charles les y assiége en vain, et, comme toujours, le vieux duc Naimes conseille au Roi de faire la paix, lorsque arrive un valet suivi de trente damoiseaux. Il éclate de jeunesse et de beauté : « Je m’appelle Roland, dit-il, et suis fils de votre sœur. — Tue-moi Renaud, » lui répond l’Empereur. Roland, sans plus attendre, se jette sur les Saisnes, qui viennent de se révolter, et en triomphe aisément. C’est alors qu’il revient près de son oncle, et que, dans cette grande lutte contre les fils d’Aymon, il apporte au Roi le précieux secours de sa jeunesse et de son courage. Son duel avec Renaud est des plus touchants. Renaud, qui n’a jamais eu le cœur d’un rebelle, le supplie de le réconcilier avec Charles, et va jusqu’à se mettre aux genoux de Roland qui pleure. (Édition Michelant, p. 230, v. 2 et ss.) Aussi notre héros se refuse-t-il plus tard à tuer de sa main le frère de Renaud, Richard, qui est devenu le prisonnier de Charles : « Suis-je donc l’Antechrist, pour manquer ainsi à ma parole ? Malheur à qui pendra Richard ! » (Ibid., pp. 261-267.) Et il dit encore : « Je ne veux plus m’appeler Roland, mais Richard, et je serai l’ami des fils d’Aymon. » Comme on le voit, rien n’est ici plus beau que le rôle du neveu de Charles : il efface celui de l’Empereur. ═ 6° C’est à Vannes que Girart d’Amiens, dans son Charlemagne (commencement du xive siècle), place les débuts de Roland. L’enfant se jette en furie sur les veneurs de son oncle, qui ne le connaît pas encore. On l’amène devant l’Empereur : nouvelles brutalités. Charles le reconnaît à ce signe, et tout finit bien... (B. N. 778, f° 110-112.) ═ 7° Les Reali di Francia (vers 1350) ne font, dans leur Aspromonte, que reproduire notre poëme en le défigurant et en lui donnant une suite où Girart de Fraite tient la première place. ═ 8° La Karlamagnus Saga, déjà citée, soude entre elles la Chronique de Turpin et Aspremont. ═ 9° Une Chronique manuscrite (B. N. anc. 103075), citée par F. Michel, et qui est sans doute la « Chronique saintongeaise », dont M. G. Paris a souvent tiré parti, donne une version qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. C’est à « Rolant de Loubara », comte ou duc de Bretagne, que Pépin, avant de mourir, confie son fils Magniez ; c’est à lui qu’il recommande de le faire couronner, etc. ═ On ne rencontre ailleurs rien de particulier sur l’enfance de Roland, et nous avons épuisé tout ce que nous avions à en dire.

II. Vie et exploits de Roland jusqu’à la trahison de Ganelon. Le père de Roland était mort durant l’expédition de Charles dans la Petite-Bretagne. (Acquin, poëme de la fin du xiie s., B. N. 2233, f° 18, r° et v°.) Roland fut tout naturellement un de ceux qui accompagnèrent le grand Empereur dans son ridicule voyage à Constantinople. Tout au moins s’y conduisit-il plus noblement que son ami Olivier. Lorsque les douze Pairs se livrent à leurs vantardises, son gab est le moins odieux : « Je soufflerai sur la ville et produirai une tempête. » (Voyage de Charlemagne, poëme du xiie s., vers 472-485.) ═ Dans Jean de Lanson, Roland prend part à cette singulière ambassade en Calabre, qui est égayée par les enchantements et les plaisanteries de Basin de Gênes. Son épée, sa Durendal, est, comme celles de tous les Pairs, volée par le traître Alori. (Bibl. de l’Arsenal, 186, f° 121.) Pour se venger, Roland consent à une assez misérable comédie : il contrefait le mort, on l’enferme dans une bière, et il pénètre ainsi dans le château de Lanson, dont les Français parviennent à s’emparer. (B. N. 2495, f° 4-5.) Les aventures de Roland, dans le reste de ce pauvre poëme, se confondent avec celles des douze Pairs. ═ Dans Otinel, son rôle est plus beau. Il lutte avec le géant païen. (Otinel, poëme du xiiie s., v. 211-659.) Une colombe sépare les deux combattants, et, désarmé par ce miracle, Otinel se convertit. ═ Dans le Karl Meinet (xive s.), « Ospinel » meurt, terrassé et converti par Olivier ; mais sa fiancée Magdalie, qui est la propre fille du roi Marsile, se prend ensuite à aimer Roland, qui lui rend trop aisément son amour. Olivier sépare les deux amoureux, et rappelle Roland au souvenir de sa sœur Aude. (Ad. Keller, et G. Paris, Histoire poétique de Charlemagne, 489-491.) ═ Dans la Chronique de Jacques d’Acqui, Roland a pour sœur Bélissende, et il la donne en mariage à « Ottonnel », qu’il a vaincu et converti. Mais, dans je ne sais quel combat, le neveu de Charlemagne, ne reconnaissant pas Ottonnel, le frappe d’un coup mortel. (G. Paris, l. L, 505-506.) ═ C’est dans l’Entrée en Espagne (xiiie-xive siècle) que la place de Roland devient tout à fait la première : Roland suit son oncle dans cette expédition, qui doit pour lui se terminer à Roncevaux. C’est lui qui, après les onze autres Pairs, lutte contre le géant Ferragus. (Ms. français de Venise, xxi, f° 17-32.) Ce combat est plus long que tous les autres, et les adversaires y luttent autant de la langue que de l’épée, théologiens autant que soldats. Ferragus s’entêtant dans son paganisme, Roland le tue. (Ibid., f° 32-79.) Une grande bataille s’engage sous les murs de Pampelune, et Roland y prend part. Dans la mêlée brille le courage du jeune Isoré, fils du roi Malceris : Isoré est fait prisonnier, mais ne consent à se rendre qu’à Roland. (Ibid., f° 10-105.) Charles, cependant, veut faire mourir son prisonnier, contrairement à la parole donnée : Roland le défend énergiquement, et, de colère, se retire sous sa tente. Isoré est sauvé. (Ibid., f° 106-125.) Une nouvelle bataille commence, plus terrible que toutes les autres ; Roland est placé à l’arrière-garde ; (Ibid., f° 123-162.) C’est durant cette bataille que le neveu de Charles, au lieu de secourir l’Empereur en détresse, abandonne le champ de bataille et va s’emparer de la ville de Nobles, que les païens ont laissée sans défense. (Ibid., f° 162-213.) Lorsque Roland revient au camp, il est fort mal accueilli par son oncle, qui même le condamne à mort ; mais aucun des Pairs ne veut exécuter la sentence. L’Empereur alors frappe son neveu au visage, et Roland, indigné de cet affront, quitte le camp français pour n’y plus revenir de longtemps. C’est en vain que les Pairs adressent à l’Empereur les plus rudes remontrances et les pires injures. Lorsque Charles se repent de sa violence et envoie chercher son neveu, on ne peut plus le retrouver. Il est déjà trop loin. (Ibid., f° 213-221.) Où est Roland ? Il se dirige du côté de la mer, et s’embarque sans savoir où il va. Bref, il arrive... à la Mecque, près du roi de Perse. (Ibid., f° 221-232.) Or ce roi est en ce moment menacé par un voisin redoutable, le vieux Malquidant, qui lui a demandé sa fille en mariage. Mais la jeune Diones se refuse obstinément à épouser ce vieillard. Roland, qui d’ailleurs ne se fait pas connaître, s’écrie que rien ne révolte plus la loi de Dieu qu’un mariage forcé, et qu’il saura bien empêcher celui-là. Il lutte avec le messager de Malquidant, Pelias, et ne tarde pas à être vainqueur. C’est seulement au moment de le tuer qu’il lui crie : « Je suis Roland. » Mais il demeure encore inconnu à tous les autres. (Ibid., f° 232-254.) Cette victoire le met en lumière. Il devient l’ami du jeune Samson, fils du roi, et, s’il n’eût pas tant aimé la belle Aude, eût volontiers répondu à l’amour de Diones. Mais, d’ailleurs, il a de quoi s’occuper. Il s’est mis en tête de réformer tout ce pays et de lui donner une « administration à la française ». C’est à quoi il s’occupe longuement. Il fait mieux : il convertit toute la maison du soudan, et le roi lui-même. (Ibid., f° 254-271.) Mais il ne pense qu’à revoir Charles, Olivier et les barons français. On lui offre en vain le commandement d’une armée destinée à conquérir tout l’Orient. Il s’empresse de faire son pèlerinage au Saint Sépulcre, et s’embarque pour l’Espagne avec Samson et deux autres compagnons. (Ibid., fo 271-275.) Ils débarquent. Après vingt aventures, — et notamment après qu’un ermite lui a prédit sa mort au bout de sept années, — le neveu de Charlemagne arrive enfin au camp français et tombe dans les bras de Charles et d’Olivier. (Ibid., fo 275-302.) ═ Le siége de Pampelune continue. Celui qui défend la ville contre les Français, c’est encore cet ancien adversaire de Roland, c’est Isoré avec son père Malceris. Dans le poëme consacré à cette résistance, dans la Prise de Pampelune (premier quart du xive siècle), Roland ne joue réellement qu’un rôle secondaire. Cependant, lorsqu’une lutte sanglante éclate dans le camp français entre les Allemands et les Lombards, c’est Roland qui sépare les combattants, c’est Roland qui les réconcilie. (Vers 1-425.) Il est encore un de ceux qui refusent d’admettre Malceris dans le corps des douze Pairs. (405-561.) Puis il s’efface, et Isoré prend le premier rang, que son père Malceris lui dispute. (561-1199.) Charles, sur le point de périr, est sauvé par les Lombards. (1199-1963.) Altumajor est vaincu ; Logroño et Estella tombent au pouvoir des Français. (1830-2474.) À Marsile, dernier adversaire de Charlemagne, on envoie tour à tour deux ambassades, et Marsile fait tour à tour massacrer les ambassadeurs : d’abord Basan et Basile ; puis le bon chevalier Guron. (2597-3850.) Cette fois la paix devient tout à fait impossible et la guerre implacable. Les Français triomphent décidément de Malceris, et emportent Tolède, Cordoue, Charion, Saint-Fagon, Masele et Lion. (3851-5773.) Roland prend part à ces triomphes, comme au siége d’Astorga, et il ne reste plus devant ce vainqueur que Saragosse à prendre. (5773-6113.) C’est ce que constatent les premiers vers de la Chanson de Roland. ═ Il est à peine utile de signaler la place qu’occupe notre héros dans le roman de Gui de Bourgogne, œuvre toute littéraire et qui ne renferme aucun élément traditionnel. (xiiie siècle.) Nos lecteurs savent déjà comment les jeunes chevaliers de France vinrent rejoindre en Espagne leurs pères absents depuis vingt-sept années. (Vers 1-391.) Gui de Bourgogne était à leur tête, et nous avons ailleurs raconté ses victoires à Carsaude (392-709), à Montorgueil et à Montesclair (1621-3091), à la Tour d’Augorie (3184-3413) et à Maudrane. (3414-3717.) Le jeune vainqueur brise la résistance des païens, triomphe surtout d’Huidelon et, tout couvert de gloire, rejoint enfin l’armée de Charlemagne. (3925-4024.) Ce Gui, ce nouveau venu, est, comme on le voit, un véritable rival pour Roland, dont il fait pâlir la vieille gloire. Aussi tous deux se disputent-ils l’honneur d’avoir conquis Luiserne : Dieu met fin à cette lutte en engloutissant la ville. On part pour Roncevaux. (4137-4301) ═ Nous n’avons pas à revenir sur le rôle que joue le neveu de Charles dans notre Chanson de Roland. Il en est le centre, l’âme, la vie. La Trilogie dont se compose le vieux poëme lui est presque uniquement consacrée : dans la première partie, il est trahi ; dans la seconde, il meurt ; dans la troisième, il est vengé. Son importance survit à sa mort, et jusqu’au dernier vers de la Chanson il en est le héros. Nous avons énuméré ailleurs les variantes et les modifications principales de la légende en ce qui touche l’expédition d’Espagne et la mort de Roland... D’après la « Chronique de Turpin » (1109-1119), Roland, avant de mourir, tue de sa main le roi Marsile. D’après ce même document, Roland était âgé de quarante-deux ans au moment de sa mort. Une vision miraculeuse apprend à Turpin cette mort du neveu de Charlemagne, dont Baudouin et Thierry ont d’ailleurs été les heureux témoins. (Cap. xxi-xxv.) ═ La « Chronique saintongeaise » (commencement du xiiie siècle), est le seul texte où il soit parlé d’un combat entre Roland et le roi de Libye, qui aurait précédé l’entrée en Espagne. (G. Paris, Histoire poétique de Charlemagne, p. 262.) ═ La Karlamagnus Saga (xiiie siècle), dans une de ses branches (la première, 51, 52), raconte la prise de Nobles et la mort du roi Fouré, que Roland tue malgré la défense de Charles. Le héros cherche en vain à effacer toute trace de ce sang injustement versé : Charles découvre le crime, et frappe son neveu au visage. ═ Un autre récit plus simple de la prise de Nobles se trouve dans la cinquième branche de la Saga... Roland se refuse à désespérer de la victoire, et ne veut pas abandonner le siége de Nobles. Son oncle combat cette résolution et va jusqu’à le frapper... ═ La Chronica Hispaniæ de Rodrigue de Tolède (✝ 1247), et la Cronica general d’Alfonse X (seconde moitié du xiiie siècle), nous montrent Roland succombant à Roncevaux sous le double effort des Sarrazins commandés par Marsile et des Espagnols conduits par Bernard del Carpio. ═ D’après les Chroniques de Saint-Denis, Roland assiége Grenoble (!), lorsqu’il apprend que son oncle est cerné en Dalmatie par les Vandres, les Saisnes et les Frisons. Pour lui permettre de voler au secours de l’Empereur, Dieu fait miraculeusement tomber les murs de la ville assiégée. ═ Une romance espagnole (Études religieuses des PP. jésuites, viii, p. 401) nous fait assister aux derniers moments de Roland, qui meurt de douleur à la seule vue de Charlemagne abandonné et triste. ═ D’autres Romances essaient d’étouffer la gloire chrétienne de Roland sous la gloire souillée de Bernard del Carpio. (Primavera, i, 26-47.) ═ Il ne nous reste plus qu’à renvoyer le lecteur à notre Notice sur Charlemagne : nous y sommes entré dans les plus minutieux détails sur les dernières pages de la légende de Roland. Ajoutons seulement que les monuments figurés ont célébré, tout autant que nos vieux poëmes, la gloire du neveu de Charlemagne. Nous plaçons ici, sous les yeux de nos lecteurs, les deux statues d’Olivier et de Roland qui décorent le portail de la cathédrale de Vérone (ces deux dessins sont dus à M. Jules Quicherat), et un médaillon du « Vitrail de Charlemagne » à la cathédrale de Chartres (derniers moments de Roland qui fend le rocher avec sa Durendal)...

Vers 197.Set anz pleins. O. La correction set anz ad pleins est de G. et Mu. d’après le texte de Versailles : Bien a set ans.

Vers 198.Vos. O. V. la note du vers 17. ═ Nobles. O. V. la note du v. 1775. ═ On lit dans Venise VII : « Pris avons Nobles et Morinde saisie, — Tote Valterne et Prince la garnie. » Et, dans Versailles : « Pris avons Nobles et Merinde saisie ; — Tote Vauterne est prise, la garnie. »

Vers 199.Valterne, c’est Valtierra. ═ « La terre de Pine, dit Gaston Paris, doit se laisser trouver dans les environs de Tudela et de Valtierra. » Je le pense comme lui ; mais telle n’est pas l’hypothèse de M. P. Raimond : « Je proposerais, dit-il, le Château-Pignon ou Pinon, dans la commune de Saint-Michel, canton de Saint-Jean-Pied-de-Port, tout près de Roncevaux. On disait en 1521 (Établissements du Béarn, c. 680, f° 154) : Lo castet do Pinhoo. » (Mémoire manuscrit de M. P. Raimond.)

Vers 200.Balagued. O. C’est Balaguer en Catalogne. V. la note du v. 63. ═ Tuele. C’est Tudela, en Navarre, sur les confins de l’Aragon, de la Navarre et de la Castille. Ce fut longtemps un véritable repaire de brigands. ═ Sezilie. Nous avons traduit Sebilie, d’après la Karlamagnus Saga, qui donne Sibilia. M. G. Paris (l. I, p. 174) fait remarquer avec raison qu’il ne peut guère être ici question de Séville.

Vers 201.Marsilie ; traïtre. O. À cause du cas sujet, nous avons imprimé Marsilies, traïtres. Ces vers prouvent l’existence de Chansons antérieures à la nôtre. (Cf. la Prise de Pampelune.)

Vers 202.De ses paien veiat quinze. O. De ses paien veiat quinze (milies). Mi. De ses paien(s) (en)veiat quinze (milies). G. Nous avons adopté la correction de Müller.

Vers 203.Chascuns. O. On trouve dans le ms. d’Oxford les deux formes cascuns, cascun (51, 2502, 2559, 3631) et chascuns, chascun (390, 203, 1,013). Nous avons adopté la plus étymologique. ═ Portout. O. La diphtongaison ou se trouve dans certains textes romans à l’imparfait de l’indicatif, mais non dans le dialecte que parlait l’auteur ou le scribe de notre Chanson. Nous avons rétabli la diphtongaison ei, qui est particulière à notre scribe et à son dialecte.

Vers 204.Vos. O. V. la note du v. 17. ═ Meïsme. O. À cause du cas régime pluriel, il faut meïsmes.

Vers 207.Dous de voz cuntes à l’ paien tramesistes... Le récit de l’ambassade de Basan et Basile se trouve dans la Prise de Pampelune, poëme du commencement du xive siècle, vers 2597-2704. (V. l’édition de Mussafia, Altfranzösische Gedichte aus




venezianischen Handschriften, Wien, 1864, pp. 72-75. — Cf. l’analyse détaillée de ce poëme et les modifications de la légende dans nos Épopées françaises, II, 366-376.)

Vers 208.Basan. O. À cause du cas sujet, nous pensons (?) qu’il faut Basanz. ═ Altres. O. Pour les noms latins tels qu’imperator et alter, v. la note du v. 1.

Vers 209.Chef. O. Erreur évidente. ═ Haltilie. O. Cf. le v. 491.

Vers 210.Guer. O. ═ Vos. O.

Vers 212.Sege. O. On ne trouve qu’une seule fois ce mot sans l’i parasite, et c’est ici. Partout ailleurs il reçoit cet i (71, 435, 1135, siége ; 478, siet ; 3706, sied).

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