La Chanson des quatre fils Aymon/I

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Anonyme
Texte établi par Ferdinand CastetsCoulet (p. 1-16).

I
caractères du poème et nécessité d’une nouvelle édition


« Ce poème est l’histoire de Renaud de Montauban et de ses frères, des quatre fils d’Aymon persécutés par Charlemagne..... c’est le récit d’une vie héroïque[1]. » Ainsi s’exprime Taine, après avoir parcouru l’édition donnée en 1862, par M. Michelant[2], sous le titre de « Renaus de Montauban », dans la Bibliothèque de l’Association littéraire de Stuttgart. J’ai cru pouvoir reprendre le titre traditionnel de la célèbre légende, ce qui aura d’ailleurs l’avantage d’empêcher de confondre l’édition de Michelant et la mienne.

Deux caractères ont surtout retenu l’attention de Taine : la violence des passions et la loyauté féodale qui en est le frein. Renaud est poursuivi par son seigneur et il faut bien qu’il se défende, mais à chaque occasion il est prêt à se soumettre. Il lui rendra son château et Bayard, le destrier qui est unique au monde ; il ira au Saint-Sépulcre, « sans chauce et sans sollers ». Quand il tient Charlemagne en son pouvoir et qu’il ne peut le fléchir, il a hâte de lui rendre la liberté : « Vos estes mes drois sires..... Ja ne vos desdirai por nul homme vivant ».

Mais il est d’autres éléments d’intérêt encore dans cette œuvre qui est restée populaire, après avoir été traduite dans la plupart des langues de l’Europe, après avoir été la source d’un nombre infini d’imitations directes ou indirectes. À côté du vaillant Renaud qui les domine tous, sont d’autres personnages, d’abord ses frères, Alard, l’aîné, plus sage et prudent, le courageux Guichard, et Richard le menor, l’ardent et impétueux chevalier ; leur mère, la duchesse Aïe, la noble et digne châtelaine, leur père, Aymes, le vieux duc, toujours se débattant entre sa fidélité au roi et son affection pour ses enfants ; puis c’est le roi Ys de Bordeaux, qui après avoir donné sa sœur en mariage à Renaud, trahira les Fils Aymon : on plaint le malheureux prince qui n’ose résister à la volonté de Charlemagne.

Aux moments critiques apparaît Maugis d’Aigremont, l’enchanteur, qui n’est jamais à court d’inventions quand il s’agit de sauver ses cousins et de tourmenter l’empereur. Les deux fils de Renaud et d’Aélis, Aymonnet et Yonnet, complètent l’héroïque famille. Et l’on aurait tort d’oublier Bayard, le cheval faé, infatigable, fidèle, intelligent.

Autour de Charlemagne sont les illustres barons, Roland et Olivier, Naimes et Ogier, l’archevêque Turpin, Estous, Richard de Normandie, chacun avec le caractère que l’épopée lui a donné. Mais derrière les paladins loyaux, on discerne la famille méchante de Ganelon, la race des traîtres qui suggèrent au roi les décisions cruelles et s’offrent sans scrupule pour en assurer l’exécution, descendant jusqu’au métier de bourreaux. Tout le personnel de nos Chansons de geste prend part plus ou moins à l’action. Nulle épopée n’est plus large, plus vraie, plus riche en situations dramatiques.

Dans ce tableau de la vie féodale, Taine a noté des traces de brutalité : « l’idée raisonnable de l’utile ou du juste n’avait qu’une faible prise sur les hommes ; à chaque instant, l’explosion des instincts farouches venait déchirer le tissu régulier dans lequel toute société tend à s’enfermer ».

Il faut distinguer. Les personnages de Beuves d’Aigremont et de Charlemagne représentent, on en aura plus loin l’explication, une période vraiment primitive et farouche. Mais ces deux personnages font exception au milieu de l’élite chevaleresque et courtoise. Sans doute, quand ces âmes fortes croient leur honneur blessé ou leur droit violé, elles s’abandonnent à leur passion, mais l’origine de leur colère est dans un sentiment raisonnable et juste. Dans l’immense narration, bien rares sont les moments où Renaud perd la maîtrise de lui-même, et ces moments sont courts. Il suffit que le roi Ys réclame sa protection, pour qu’il oublie l’odieuse trahison dont il a été victime et qu’il vole au secours de son beau-frère, tout indigne qu’il est de sa fidélité. Ces hommes du Moyen Âge faisaient bon marché de leur vie et de celles des autres. Ils sont prompts à dégainer les épées fameuses, Durandal, Joyeuse, Courtaine, Floberge, pour soutenir leur droit ou leur parole. En cela, ils obéissent à une certaine conception de la morale qui nous paraît contestable, mais qui n’a rien de mesquin ou de vil ; leurs allures, Taine a raison de le dire, dérangeraient le bel ordre de la société moderne ; mais tenons compte de la différence des siècles. Ces chevaliers d’une trempe héroïque, toujours prêts à aller sur le pré, professent un idéal très digne d’une race saine et vaillante, car en temps normal ils sont fidèles à leur suzerain, loyaux et courtois envers tous, respectueux de la femme et des faibles. La Chanson de Roland mérite toute notre admiration. Mais par la variété et la complexité des sentiments, les Fils Aymon rendent plus complètement ce que fut l’âme française au Moyen-Âge. Ils sont, à cet égard, le document le plus précieux de notre ancienne littérature. Je ne sais rien de plus attachant que les hésitations d’Ogier aux prises avec les exigences de son devoir envers le roi et son affection pour ses cousins. Dans ce conflit d’obligations, un cas de conscience est posé et, comme il doit arriver souvent dans la réalité, demeure sans solution. Ogier en sort blâmé par les uns, approuvé par les autres, la conscience mal rassurée.

L’édition du Renaus de Montauban donnée par Michelant était devenue extrêmement rare. Conçue d’abord pour être la reproduction du manuscrit que l’on juge le plus ancien, elle s’en sépare, sans raison suffisante, vers la fin du poème. J’y avais relevé des erreurs de lecture, des oublis, des corrections faites au texte sans indication qui en avertît. Sur le conseil de l’illustre romanisant dont nous ne saurions trop regretter la perte, de Gaston Paris, je me suis décidé à établir une édition nouvelle, d’après le manuscrit qui a servi de base à Michelant, en m’aidant d’autres manuscrits qu’il n’avait pas, semble-t-il, étudiés de très près ou qu’il ne connaissait pas. En comparant les deux éditions, on jugera peut-être tout d’abord que la différence est petite, et l’on ne se rendra point compte de tout le travail de collation et de copies auquel j’ai dû me livrer avant de posséder passablement le sujet. Il s’agit d’un texte de dix-huit mille vers, et comme on ne peut détenir indéfiniment un manuscrit, j’ai préféré procéder en faisant des extraits d’étendue considérable. Je doute qu’en suivant une méthode plus courte et moins laborieuse, je fusse arrivé à me faire une idée juste du caractère relatif des versions. À cet égard, je suis obligé de le dire, les indications de Michelant étaient toutes inexactes et incomplètes : elles m’ont souvent trompé et d’autres avec moi. On l’appréciera quand j’en viendrai à la description des manuscrits que j’ai utilisés. Je me bornerai ici à mentionner un passage où j’ai pu combler une lacune assez considérable que Michelant n’avait pas soupçonnée et sur laquelle j’aurais passé également, si je n’avais moi-même copié les textes.

On se rappelle le titre du célèbre chapitre : Comment Maugis, condamné à mort, se sauva, emporta la couronne et l’épée de Charlemagne et les épées des douze Pairs de France et retourna à Montauban. Déjà Richard avait enlevé l’aigle d’or de la tente de Charlemagne, et on l’avait placé bien en vue sur le rempart. L’empereur désolé envoie Naimes, Estons, Ogier et Turpin réclamer ce qui lui a été pris. Maugis les engage à passer la nuit à Montauban, préside à la préparation du repas et marque les places à la table où se trouvent réunis Renaud, ses frères, la duchesse et les messagers de Charles. On rendrait tout volontiers à l’empereur, mais Richard obtient que l’on garde l’aigle d’or. Ogier demande à Renaud de les accompagner dans l’espoir que Charles, touché de son procédé, se réconciliera avec lui. Alard viendra avec son frère. La duchesse (ici Clarice) embrasse Ogier et recommande son « seigneur » à la loyauté des chevaliers. On part. Ogier et Naimes, qui se défient de la dureté du roi, veulent obtenir de lui une « sûreté » avant de lui présenter Renaud. Celui-ci et Alard les attendront « sous un pin ramé ». Mais Pinabel a espionné les barons. Il court avertir Charles qui ordonne à Roland et à Olivier d’aller s’emparer de Renaud. Cependant Naimes et Ogier sont dans la tente du roi et disent ce qu’ils ont obtenu. Charles leur déclare qu’il fera saisir et brûler Renaud, mais les barons protestent. Ici, dans l’édition Michelant (p. 317, v. 6), Roland, dont la présence soudaine est inexplicable, maintient que Renaud est son prisonnier. Olivier réclame, car Renaud lui a rendu service et il ne peut l’oublier. Naimes conseille de conduire Renaud dans la tente du roi ; l’on verra ce que celui-ci compte faire. Pour lui, il résistera à toute trahison.

On ne voit point comment les barons peuvent revenir avec Renaud, puisqu’il n’est point dit quand il a été fait prisonnier. Or il eût suffi de jeter un coup d’œil sur le passage correspondant de la Bibliothèque Bleue, édition d’Épinal. Voici ce que l’on y trouve : Quand Olivier fut sur Balançon, il arriva comme par hasard et vit Regnault qui était à pied, n’ayant pu monter sur Bayard (altération légère du texte). Regnault, voyant cela, se retourna vers l’archevêque Turpin et Estou et leur dit : Vassaux, je crois que vous m’avez trahi, je ne l’eusse jamais pensé, c’est mal agir. Sire, dit l’archevêque Turpin, je vous jure sur ma foi que nous ne savons rien de cela ; je vous promets que nous vous défendrons de toute notre force. Regnaut dit ensuite à Olivier : C’est maintenant que vous devez me rendre la courtoisie que je vous ai faite, lorsque mon cousin Maugis vous abattit aux plaines de Vaucouleurs ; vous savez qu’une courtoisie en demande une autre ; car, quand vous fûtes à terre, je vous rendis votre cheval et vous aidai à monter. Sire, dit Olivier, il est vrai ; je vous assure que je suis bien fâché de vous avoir trouvé ici et de ne pouvoir vous défendre. Cependant arriva Roland qui était venu après Olivier pour lui aider à prendre Regnault et son frère. Quant il fut arrivé auprès, il commença à crier : Regnault, vous êtes pris. Dès qu’il eut dit cela, il vint vers Oger qui l’avait suivi à grande course et qui lui dit : Certainement, Roland, sur ma foi, vous ne ferez aucun mal à Regnault, etc.

Si l’on eût regardé à cette version populaire, l’on eût remarqué qu’il y a une lacune dans le manuscrit. Pour ma part, j’en avais été averti autrement. Au manuscrit dont Michelant s’est servi, deux points placés en face d’un interligne et répondant à un manque de suite dans le récit, avaient attiré mon attention. Plus tard en copiant d’autres manuscrits, j’ai rencontré la partie de texte qui correspond à cette lacune. Mais si Michelant eût copié lui-même le texte qu’il imprimait, il eût été arrêté comme moi par les deux points, et il eût cherché dans le manuscrit 775 dont il use souvent, le complément de texte nécessaire. J’ai été, je l’avoue, très heureux de pouvoir rétablir la suite du récit à un endroit où la question d’honneur est posée dans des conditions toutes particulières. À partir du moment où Maugis a transporté Charlemagne à Montauban, la valeur de la narration s’affaiblit peu à peu, mais tout ce qui précède est précieux.

Voici, d’après le manuscrit 775, le passage qui manque au manuscrit La Vallière. Les crochets carrés marquent les deux points où la lacune commence et finit[3] :

Mich. p. 316E Diex ! chou dist Ogiers, si povre loiauté !
v° 37Sire, che dist dus Naymes, ja mar en parlerez.

Ne me faitez pas honte ne Ogier le membré,
Estout le fil Œudon ne Turpin l’ordené,
5.Car vous averiez tost le bien a mal tourné.
[Nous sauverons Renaut qui l’avons amené.
Ne sai ore, dist Karllez, com vous li aideres.
Et Ogiers et dus Naymes s’en issirent des trez
Et ont dit a Karllon, oiant tout le barné :
10.Nous vous rendrons l’ommage que vous avons porté.
A ichele parole sont arriere tourné,
Et ont oï lez contez qui se sont escrié,
Rollant et Olivier qui ont Renaut trouvé.
Quant Ogiers l’entendi, a poi n’est forsenez.
15.Ahi, Naymes, [fait] il, Renaut traï m’avez.
Lors s’en tourne poignant envers l’arbre ramé.
Olivier de Viane a Renaut apelé,
Rollant et Olivier qui ont Renaut trouvé ;
Si forment l’ont souspris que il ne pot monter.
20.Traï m’avez, Estout ! che dist Renaus li ber.
Sire, che dist Estous, vous ditez verité,
Mais ja ne vous faurrai tant com puisse durer.
Olivier, dist Renaus, or vous doit ramembrer
Du grant don que vous fis desous Dordonne es prés,
25.Quant m’alastez gaitier a .ii. c. ferarmez
Et Maugis vous avoit du cheval craventé,
Quant je issi la hors a .iiii. m. armez.
Vo cheval vous rendi quant vous fis remonter,
Et vous rendi vo perte volontiers et de gré.
30.Sire, dist Oliviers, par le foi que doi Dé,
Je sui moult tres dolans que chi vous ai trouvé,
Mais il n’a si fier homme en la crestienté
Se il mal vous faisoit, ne m’en deüst peser.
Atant es vous Rollant qui li a escrié :
35.Renaus, li fiex Aimon, or aves trop alé.
Par mon chief, dist Ogiers, vous ne le toucheres.]
Laissies ester Renaut, vous ne le toucheres.
Entre moi et duc Nayme l’avons chi amené.

Par foi, chou dist Rollans, mai garans li serez.
40. Sire, chou dist Ogiers, ja mar en parlerez ;
Qui assaurra Renaut, nous le vaurrons tenser.

Un an avant l’édition Michelant avait paru le Roman des Quatre Fils Aymon, princes des Ardennes (Reims, 1861). M. Tarbé y donnait le texte du manuscrit La Vallière jusqu’à la construction de Montauban, un peu plus de quatre mille vers. Le choix du texte était bon, et malgré des inexactitudes nombreuses, malgré les mots ou les lignes en blanc, l’on pouvait déjà se rendre compte de la valeur du poème. L’on a relevé dans l’introduction des idées étranges et des preuves d’incompétence, par exemple l’Anzeiger de Mone devenant M. Onzeiger, mais il faut reconnaître que certaines indications sur la diffusion des Fils Aymon étaient alors une nouveauté en France et que peut-être la publication de M. Tarbé a décidé M. Michelant à donner, avec une tout autre compétence, le texte complet.

M. Zwick, dans une intéressante thèse de doctorat « sur la Langue du Renaut de Montauban » (ueber die Sprache des Renaut von Montauban, 54 p., Halle, 1884) a examiné de près l’édition de Michelant (p. 7-9). Plusieurs de ses critiques sont fondées, et il en eût marqué d’autres, s’il eût été mieux renseigné sur les manuscrits. En un point, il me paraît passer à côté du but. Le tort de Michelant a été de feuilleter superficiellement les manuscrits qu’il avait à sa disposition et de ne point regarder d’assez près à son texte en certains endroits. Je n’ai garde de me livrer à une sorte de recherche jalouse des défauts de son édition qui a rendu service à la science et qui représente en fait un travail considérable. S’il n’a pas multiplié les variantes, je ne saurais l’en blâmer, car ç’aurait été abuser de la patience du typographe. Quel intérêt aurait-on à montrer que les leçons de A, B, C, M, P, V, ne valent pas la leçon de L que l’on imprime ? Nos trouvères ont une provision de formules, et d’avance on est sûr de les retrouver toutes employées sans choix réel. Quel avantage y aurait-il à dresser l’interminable liste de différences qui n’ont aucune valeur ni au point de vue littéraire ni au point de vue grammatical ? Éditer dix-huit mille vers est en soi une grosse entreprise : l’essentiel me paraît de reproduire fidèlement le manuscrit que l’on croit le meilleur et d’y toucher le moins possible, car ce manuscrit, avec ses imperfections, est un document d’une époque particulière. À vouloir l’améliorer, dans l’intention d’en établir une édition critique, on court grand risque de l’altérer. Toutes les fois que je m’écarte du texte de mon manuscrit, j’en avertis le lecteur en lui soumettant les différentes leçons du passage en cause. Parfois, je donne, au bas des pages, une version autre que celle que j’ai suivie, afin que l’on puisse profiter dans quelque mesure des recherches auxquelles je me suis livré sur les manuscrits.

L’on ne saurait songer à attribuer à un auteur particulier une œuvre telle que les Fils Aymon où l’on sent si clairement le travail de nombreuses générations de trouvères. Mais la question est autre quand on considère les versions qui nous sont parvenues comme étant des remaniements ; le nom de l’auteur d’une de ces versions aurait pu être conservé. La seule indication que l’on possède à cet égard est due à Fauchet qui, dans son Recueil de la langue et poésie françoise, ryme et romans, plus les noms et sommaire des œuvres de CXXVII poètes françois vivans avant l’an MCCC, s’exprime ainsi : « De Huon de Villeneuve. Ie croy que les romans de Regnaut de Montauban, Doon de Nantueil, Garnier de Nantueil et Aie d’Avignon, Guiot de Nantueil et Garnier son fils, sont tous d’un même poëte. Premièrement parce que c’est une suitte de contes et que ie les ay veus cousus l’un après l’autre. Car il fault confesser que le livre ne vint iamais entre mes mains : et encores le feuillet des commencemens de chacun livre (pour ce que les lettres estoyent dorées et enluminées) ayant esté deschirez. Toutefois en l’un qui estoit demi rompu, ie trouvay le nom du trouvère :

Seignor, soiez en pes tuit a. . . . . . .
Que la vertus del ciel soit en vous demorée,
Gardez qu’il n’i ait noise ne tabor ne criée.
Il est ensine coustume en la vostre contrée,
Quant uns chanterres vient entre gent honorée,
Et il a endroit soi sa vielle atrempée,
Ja tant n’aura mantel ne cotte desramée

Que sa premiere laisse ne soit bien escoutée ;
Puis font chanter avant, se de riens lor agrée,
Ou tout sans vilenie puet recoillir s’estrée.
Je vos en dirai d’une qui molt est honorée,
El royaume de France n’a nulle si loée,
Huon de Villeneuve l’a molt estroit gardée.
N’en volt prendre cheval ne la mule afeutrée,
Peliçon vair ne gris, mantel, chape forrée,
Ne de buens parisis une grant henepée.
Or en ait il maus grez, qu’ele li est emblée. »

M. Matthes, en examinant ces vers (Renout van Montalbaen, p, XX), jugeait que Huon de Villeneuve y était désigné non comme l’auteur, mais comme le propriétaire du poème dont ils formaient l’introduction. G. Paris pensait au contraire qu’ils rappellent d’une manière frappante d’autres passages où il est expressément question de l’auteur d’un poème. Il remarquait d’ailleurs qu’il s’agit d’une Chanson de geste inconnue[4]. J’ajouterai que les poèmes énumérés par Faucher constituent une liste de même famille que celle des romans réunis dans le manuscrit H. 247 de Montpellier et dont plusieurs semblent écrits ou ont été retouchés en vue de former un cycle homogène de Doon de Mayence et de ses descendants. Huon de Villeneuve serait-il l’auteur de ces retouches ? Dans cette hypothèse, le texte des Fils Aymon que contient le manuscrit de Montpellier, lui devrait peut-être quelque chose de son état actuel[5].

J’allongerais à l’excès la liste des variantes si j’y notais les différences de mon texte et de celui de la première édition. Pour montrer une fois pour toutes dans quelle mesure Michelant s’écarte du manuscrit La Vallière, je relèverai rapidement un certain nombre de vers comme exemples. La liste entière, même pour les parties ainsi revues, serait interminable. Michelant, en règle générale, n’avertit ni des changements qu’il fait au texte ni des vers qu’il y supprime ou qu’il y introduit. À cet égard, ses notes sont insuffisantes, et mêlées d’inexactitudes. J’imprimerai donc entre crochets carrés tout ce qui ne sera pas du texte La Vallière. Cette marqueterie[6] peut étonner l’œil, mais elle garantit la sincérité de l’édition, car à ces signes répond nécessairement une note donnant la leçon corrigée ou remplacée ; d’autre part on jugera sans doute qu’il n’y a rien à noter, quand je reproduis le texte tel qu’il est et non tel qu’il a été mal lu ou modifié sans raison.

Dans la liste qui suit, le premier chiffre désigne la page et le second le vers dans l’édition Michelant. La première leçon est celle du manuscrit La Vallière, la seconde est celle que Michelant a imprimée.

2.23. . . . . . . . dist — Sire, ce a dist. On ne peut lire que dist. En corrigeant d’après B qui a « Sire, chou a dit », il fallait écrire dit ou bien « Sire, ce [li] dist. » 25. aidier — aider. 31. Flamenc — Flament. 3. 1. li — le. 19. en ot — en a. 4.9 et 10. . . trement le feres, ...niere ja n’en seres blasmés, complètement effacés, ont été écrits à nouveau d’après le ms. B, sans que rien en avertisse. 12. trametes — trametres. 16. garnis — armés. 5.1. sabonoi — sablonoiz. 27-32 : la fin de ces vers est effacée. 6.23. puissons — puissions. 7.9. sa — la. 13. Jor — jour. 29. fel — tel. 8.38. rejehis — reichis. 9.5. volsisse — vossise. 21. jou — çou. 10, 12 que — ke. 14. voirs — voir. 32. savom — savon. 20. Effacez dire. 12.30. rosingneus (en toutes lettres) — rosigneus. 13.7. contes — comtes. 13. cortoisse — cortoise. 17. liges sires — sires liges. 34. Se — Si. 14.10. Keuite — Keute. 11. Jor — Jour. 15-17. le — la. 16.16. Natevité — Nativeté. 17.7. entant — entent. 18.32. Jor — Jour. 34. Jor — Jour. 20.5. sanz — sans. 7. garendir — garantir. 21 11. tans — caus. 25.21. faudron — faudrons. 26.19. a pié — a piés. 30.1, oirre — eirre. 22. li — le. 27. li — le. 31.27. vive — une. 37.26. Deu — Dex. 39.6. baisa — laisa. 31. seront — serons. 40.2. gens — gent. 16. le — li. 35. agait — agaist. 42.20. nus, mit par — nos, mult part. 44.16. chastel — chatel. 23. dient — dirent. 32. pis — vis. Il ne peut être question du visage, puisque la tête de Beuves a été séparée du corps par les traîtres et portée à Charlemagne. 49.21. tans — tant. 27. espiez — espiés. 50.38. en fait — i fait. 52.34. Por — Par. 54.36. imprimer doi[n]t. 56.27. prissier — proissier. 37. verreillier — verroillier. 57.31. prissier — proissier. 35. for — fort. 58.25. fis — fil. 59.26. pendre — prendre. 60.13 et 38. iert — est. 61.26. un espi — une espi. 63.15 (et ailleurs), cuit — cuie. 65. Entre les vers 6 et 7, M. a passé le vers ; Que il ne li valut le pris d’un estanpois. 65.13. iert — est. 66.32. s’en entrent — entrerent. 70.21 soie — scie. 71.25. li cris — les cris. 72.12. li fils — le fils. 74.3. essilliés — essiliés. 10. aprestres — aprestés. 30. richeces — richetés. 75. Alemens — Alemans. 20.76.1. Li jors — Li jor. 4. chier — cher. 27. A.C. mile dïables — A[.V.] C. mile diables. 77.7. desous — desos. 12. Seignor — Seigneur. 18. le — la. 33. Names — Naimes. 35. otrier — otroier. 79.4. Haymes — Naimes. 8. je les voi — je les vois. 80.11. Il l’en [a] apelé : correction non mentionnée. 35, toutes — totes. 81.27. Quant se fu — Quant ce fu. 18. larris — laris. 28. Ermenfroi — Hermenfroi. Après le v. 34, M. a omis : Il en [a] apelé ses freres les hardis. 84.21. viols — viels. 86.9. noir — noirs. 24. chevalier — chevaliers. 25. Guion — Guions. 87.7. par — por. 12. nus hon — nus homs. 26. qui — que. 33. Ki — qui. 90.2. lait — lais. 32. poïst — poït. 92.5. vait — va. 94.3. vost — vot. 33. vostre — votre. 34. as ses — a ses. 95.33. vostre — votre. 96.18, preu — prou. 97.3. la — le. 4. vit — voit. 97,16. Aymers — Aymes. 36. ert — est. 98.2. est — ert. 15. Damedeux — Dame Dex. 99.8. ere — est. 27. danjons — donjons. 100.4. ço — ce. 12. iert — ert. 23. ferrés — serrés. 36. soiens — soient. 101.8. sié — fié. 14. serai — seres. 21. as — a, 26. irom — irons. 35. acellent — aceillent. 102.10 desbusierent — desbucierent. 14. mainie priviée — maisnie privée. 15. a la lance amorée — a icele encontrée. 17, tiulée — triulée. 25. Tolosant — Tolosan. 31. le — li. 103.10. tote — tot. 30. querant — querrant. 104.6. Baiges — Beges. 14. vait — voit. 35. esporons — esperons. 105.6. s’est — s’ert. 30. Reignaus — Reigniaus. 108.10. volentier — volentiers. 14. certé — cierté. 34. Se — Si. 38. Geronde — Gironde. 5. fraise — fraisce. 9. servit — servi. 38. oraille — oreille. 111.3. castiel — chastiel. 6. grant — grans. 27. mervelloz — merveillos. 114.13. maise — messe. 115. molt est bien mariés — mult en est bien mariés. 117.4. repondre — respondre. 6. Je retint — Je retins. 8. celeron — celeroi. 12. mautelent — mautalent. 27. perre — piere. 29. mosteront — monstreront. 38. tot — tos. 118.3. le François — les François. 10. caront — cairont. 14. S’enterra en Gascone — S’entrera en Gascogne. 26. eraument — erraument. 27. cevauça — cevauce. 29. inelement — isnelement. 31. perelinage — pelerinage. 119.10. Widelon — Huidelon. 23. si — li. 120.16. li Saine — li Saisne. 19. secors — socors. 121.2 vinrent — vindrent. 9. chascune — chacuns. 26. Tante roide hante fraite — Tant roide hante fraite. 31. houchié — huchié. 122.22. li païen — li païens. 32. aparmain — après main. 123.33. vaintre — vaincre. 29. aparmain — après main. 35. s’il n’est — s’il est. 127.15. es le vos figuré — ainsi l’a figuré. 18. chascun — chascuns. 24.32. Embedui — Ambedui, 128.2. Qui — Quel. 129.28. Widelon — Huidelon. 31. que il n’i at — que il n’i ait. 34. clochier — clochant. 37. vaintrois — vaincrois. 130.7. auron — aurons. 15 et 18. Baiart — Baiars. 24. alion — alions. 27. roeamant — roiamant. 30. vait — va. 31. l’esconduit — le conduit. 131.24. li puist — le puist. 132.7. men — mon. 33. entientre… la — encientre… li. 133.1. iron — irons. 6. senetrier — senestrier. 7. cascun — cascuns. 9. socoront — socorront. 20. flor — flors. 26. oitre — outre. 28 bon — bons. 37. sont — sunt. 134.6. molt — mult 9. volu — volsu. 26. molt — mult. 28. escilliés — essilliés. 35. l’ors — l’or. 135.1. Gascogne — Gascoigne. 2. pendus — pendus ; balliés — bailliés. 7. du[e]l — d[e]ul. 8. savon que Raignaus — saves que Reignaus. 11. poise tos vallant — proise tos vaillant. 16. Gascogne — Gascoigne. 18. vo païs — vos païs. 136.1. Segnors — Seignors. 26. conquisce — conquise. 137.22. cenus — cenu. 139.20. Tant tost — Tantost. 140.2. a il pris — il a pris 141.30 Blavie — Blaive. 144.22. del lor — de lor. 33. ens si — ens et si. 145.32. tels — tes. 148.20. Reingnaus — Reingniaus. 150.3. Rispeus — Rispers. 14. destrers — destriers. 15. rendronr — endrons. 20. Uidelons — Huidelons. 21. delivré — delivrés. 151.7. feste — faiste. 152.16. reprist — resprit. 153.16. En çou. — Encor. 154.8. miols — miels. 25. Com vos le — Comme le. 30. rent — rens. 155.3. deves — doves. 8. Norment — Normant. 156.31. querre — requerre. 159.24. espoeris — espoentis. 162.24. [Que] mant au roi Yon (dissyllabe) — Que je mant au roi Yon. 164.6. Vaucolors — Waucolors. 10. dist — dit. 165.6. atenir — astenir. 166.27. amaine — amene. 167.20. cor — cors. 168.10. respondre — repondre. 169.4. icetui — icestui. 173.9. Firent faire — Et firent faire. 174.6. chançons — chançon. 176.13. Jes — les. 178.11. at — ait. 180.38. a tiesmoing — a Tresmoing. 183.33.34. vaintre — vaincre. 37. Par. respont — Por. repont. 184.34. peor — poor. 185.13. la lance Fouque — la lance Fouques. 186.33. despartis — departis. 188.37. cosins Fonque — cosins Fouques. 190.27. foit — foi. 35. cuit — cuie. 192. 16. cuit — cuie. 18. par — por. 206.22. assemblerent — s’assemblerent. 30. Feres — Freré. 207.11. Fouque — Fouques. 38. Se n’i avoie garde. — Se m’avoie gardé. 212.32. ensiant que ja preu n’i — encient que ja prou ni. 226.13. Que rois Yus i tremis[t] — Que rois Yons a tramis. 217.15. enconterra — encontrera. 34. pama — pasma. 234.31. raves — raures. 237.27. Oedon — Odon. 28. Yudelons — Ydelons. 31. porrons — porions. 238.20. Cil i fierent grans cos — Cil fierent a grans cos. 32. cos — cors. 239.2. lor — leur. 13. grainde — grande. 241.12. conrois — convois. 245.20. et — el. 21. Jut — Just. 247.12. messagiers — mesagiers. 31. Hui main — Hui mais. 248.27. tel dolor — del dolor. 35. Et se — Et si. 251.30. mal comme — mal si comme. 31. Tos mes — Tot mes. 253.4. cler — clair. 255.18. fusmes — fuimes. 262. après v. 17, un vers omis. 282.12. tost — tos. 25. lait corre a abandon — laisse corre a bandon. 296.12. deduiré — deduirai. 297.10. rent — rant. 23. prameton — prometons. 29. croitrai — croistrai. 30, aparmain — après main. 299.9. a toudis — a tous dis. 301.6. li — le. 303.17. li — le. 37. Estoit — S’estoit. 304.5. serra — sera. 11. gantes — gances. 15, desirré — desiré. 18. osse — ose. 30. eschas — echas. 32. viellier — veiller. 33. cccc — ccc. 34. vielleront — veilleront. 305.17. desertés — disertés. 306.8. contreval par le tré — tout contreval le tré. 16. li fu — si fu. 21. Olivier (régime) — Oliviers. 24. ert — est. 307.1. dis — di. 308.13. est cele part tornés — cele part est tornés. 24. Jou — Je. 309.24. ou — ù. 29. covint — convint. 310.18. Après ce vers, M. a omis deux vers nécessaires pour la suite du récit : Lors l’ont fait amont metre et molt bien seeler Que François l’ont veü des loges et des trés. 311.27. Panses — penses. 313.24. asserres — asseres. 25. orrendroit — orendroit. 26.28. serront — seront. 315.1. sens — sans. 12. pansé — penses. 15. Names (en toutes lettres) — Naimes. 20. Estous li — Estout li. 34. dist K. — dist li rois. 316.6. lor — les. 34. Jei — Je. 317.13. Amistié — amisté. 15. prisons — prison. 21. plait — plaist. 318.14. Or faites, dist — Or faistes, dit. 27. Aves en vos asses ? — aves vos en asses ? 37. Et jei — Et je. 319.8. sos — soz. 19. fusmes — fumes. 21. Que fist donques Ogiers ? — Que fist donc Ogiers ? La note de M. est à supprimer. 25. fusmes — fumes. 320.5 biens — bien. 31. vaintre — vaincre. 34. hautement commença — commença hautement. 321.26. neelé — noelé. 325.25. Guichars — Richars. 323.15. commant — comment. 32. pansons — pensons. 324.33. plege — pleg. 326.32. Por — par. 327.4. assis — asis. 328.2. alisienz — alisies. 6. vos — nos. 27. nostre — vostre. 329.1. crueté — ireté. 329.3. Michelant se trompe en disant qu’il emprunte à B. ce vers qui est en entier au ms L. Il eût mieux valu noter que le ms L. donnant deux fois le vers : Et je irai Karlon ainz mienuit enbler, il fallait le supprimer après v. 11 et le maintenir après v. 16, car Maugis ne peut révéler devant les barons de Charles son projet d’enlever l’empereur. Dès lors il était inutile d’emprunter à B. le vers 18. 30. sol — seul. 354.11. s’an tornerent — s’atornerent. 362. Après v. 24, M. avait passé quatre vers qu’il cite en note.

Vers omis après 364.30 ; 365.4 ; 370.25 ; 378.22 ; 390.27 ; mais p. 387, entre 3 et 4, quatre vers de suite sont supprimés sans aucun avertissement. Le texte peut paraître altéré, mais aurait dû au moins être mentionné en note. Il s’agit d’une insomnie de Charles :

El portel l’enfermerent, la chiere ot molt amere.
Molt li fu bien avis qu’an perçast d’un tarere

Son cuer et sa coraille, ge dot que nel compere.
Par son lit se rooille et de chief en chief erre.


  1. Nouveaux Essais de Critique et d’Histoire, p. 155. Cet article avait paru dans le Journal des Débats, 30 décembre 1863.
  2. Le volume de Michelant comprend d’abord 457 pages de texte (vers numérotés par page, en tout 17 278), puis en langue allemande, le résumé du poème (p. 458-502), des considérations sur l’épopée française au Moyen Âge, sur le lieu de l’action dans les Fils Aymon, sur la légende de saint Renaud ; une description des manuscrits (mêlée d’inexactitudes), des remarques sur la manière dont le texte a été reproduit (p. 503-519) ; des notes au texte (p. 520-537), un erratum (p. 538-539). — Au cours de cette étude, j’aurai à citer les auteurs dont j’ai dû consulter les travaux ; je me borne ici à rappeler l’article de P. Paris dans le tome XXII (p. 667 sq.) de l’Histoire littéraire et à mentionner celui que M. Léo Jordan vient de faire paraître sur les Fils Aymon dans les Romanische Vorschungen de Vollmœller, oct. 1905, p. 1-198. Ce travail restera utile par l’abondance de la documentation, quelle que soit la destinée définitive de certaines des idées de l’auteur. La coïncidence des dates de nos recherches m’a empêché de mettre à profit, autant qu’il eût été souhaitable, l’article de M. Jordan.
  3. J’ai repris d’un peu plus haut et continué un peu plus loin. Au v. 15 le ms. a font. Les différences avec les autres manuscrits ne sont pas importantes. Au v. 24, par Dordonne, il faut entendre la rivière. L’Arsenal donne « Balençon es gues » qui paraît la vraie leçon.
  4. Romania IV, p. 471-472.
  5. Pour le cycle de Doon de Mayence et la parenté de Maugis, v. Revue des Langues romanes, 1886, t. XXX, p. 61-67, ou dans mes Recherches sur les Rapports des Chansons de geste et de l’Épopée chevaleresque italienne, p. 78-84.
  6. J’ai déjà employé ce mot dans Maugis d’Aigremont (p. 317). Encadré comme il l’était, je ne prévoyais point qu’il pût prêter à équivoque. Quant au choix entre différentes leçons, je persiste à croire qu’il est dicté en partie par un ensemble de conditions que les hommes de science appellent l’équation personnelle. Nul n’échappe complètement à cette loi. Mais on doit soumettre au lecteur les leçons que l’on écarte. C’est ce que j’ai déjà fait dans les notes du Maugis.