La Chanson des quatre fils Aymon/II

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II
Résumé de l’Histoire des Fils Aymon d’après le manuscrit La Vallière


Le poème se décompose naturellement en plusieurs parties que je distingue dans ce résumé, bien que dans les manuscrits, sauf quelques rares exceptions, la narration soit continue d’un bout à l’autre.


I
Beuves d’ Aigremont (Michelant, p. 1-45)[1]

Charles tient sa cour à Paris. Girard de Roussillon et Aymes de Dordonne sont venus, obéissant à l’appel de l’empereur ; mais leurs frères, Doon de Nanteuil et Beuves d’Aigrement, sont restés chez eux. L’empereur se plaint de cette rébellion. Aymes prend la défense de son frère, ce qui exaspère l’empereur qui le chasse de sa cour. Le duc part avec ses vassaux.

Sur le conseil du sage duc Naimes, on décide d’envoyer à Beuves d’Aigremont un messager qui l’invitera à venir rendre hommage à l’empereur. Enguerrand est chargé de cette mission. Charles rappelle comment il a vaincu Doon de Nanteuil et Girard de Roussillon.

Enguerrand et sa suite arrivent à Aigremont dont ils admirent la richesse et la force. Le messager invite le duc à venir à Paris rendre le treü de sa terre, nus pieds et en langes, ajoutant ainsi aux exigences exprimées plus haut. Beuves fait attaquer les « royaus » et tue Enguerrand de sa propre main.

Les compagnons d’Enguerrand rapportent son corps à Paris. Naimes reconforte l’empereur et conseille d’envoyer un second messager qui aura quatre cents chevaliers pour escorte. Personne ne s’offre pour ce voyage périlleux, et sur l’avis de Naimes, on désigne Lohier, fils du roi.

Beuves est averti par un espion. Quand Lohier arrive à Aigremont, le duc est à table, au milieu de ses vassaux qu’il avait convoqués. La duchesse lui recommande de bien accueillir les messagers de Charles qui est son « sire lige » :

En apres Dame Dieu qui tot a a baillier.

Mais Beuves la renvoie à ses affaires :

Laiens a vos puceles, penses de chastoier ;
Penses de soie taindre, ce est vostre mestier.
Li miens mestier si est de l’espee d’acier.

Lohier, en présence du vassal rebelle, lui tient un discours insultant. Il menace Beuves de le tuer, et déjà il tirait l’épée, mais un de ses compagnons la fait rentrer dans le fourreau. Beuves répond avec une égale violence. Lohier lui rappelle ses devoirs de vassal, le meurtre d’Enguerrand, le menace de le traîner à Paris pour l’y faire juger et pendre. Le duc ordonne à ses chevaliers de saisir le messager :

Sa mort a apportée, ja n’aura raençon.

Après un combat acharné auquel prennent par les gens de la « cité », avec leurs haches et massues, les royaux ont le dessous. Lohier attaque Beuves, le renverse ; mais, relevé par ses hommes, le duc le frappe à son tour et le tue. Beuves ordonne aux royaux de quitter sa ville et de porter à l’empereur son vaillant fils Lohier :

Je n’ai d’autre treü que lui doie envoier

Savary lui répond que nul homme ne pourra le sauver de la mort. Les messagers repartent pour France ; sur tout le chemin on partage leur deuil. L’un d’eux prend les devants pour prévenir l’empereur. Celui-ci se désespère, mais Naimes l’encourage à aller à la rencontre des restes de son enfant. Charles pleure sur le corps de Lohier ; tous pleurent comme lui. On lui dit d’ensevelir sans retard Lohier à Saint-Germain-des-Prés, de rassembler son empire et de tirer vengeance du meurtrier. Les funérailles faites, le deuil dure sept jours. Charles mande ses vassaux, envahit et dévaste les terres de Beuves. Celui-ci se hâte de réclamer le secours de ses frères Gérard, Doon et Aymes. Gérard de Roussillon et Doon de Nanteuil viennent camper sous Aigremont. La bataille s’engage entre les deux armées. Galeran de Bouillon, Ogier le Danois, Richard de Normandie ont des combats particuliers avec Beuves et ses frères. Charlemagne et Beuves échangent des coups égaux, mais sont séparés par les fidèles de l’empereur. Richard de Normandie blesse gravement Gérard de Roussillon qui se retire de la mêlée avec ses frères. Charles, sur leur demande, leur accorde une trêve. Gérard dit à ses frères qu’ils ont tort envers l’empereur : « Ja est de nos drois sire. » On doit tâcher de s’accorder avec lui. S’il refuse, « A lui nos combatrons ens el pré verdoiant. »

Fouques, neveu de Gérard, demande au roi de pardonner à Beuves qui lui rendra hommage et ira, s’il le faut, en pèlerinage au Saint-Sépulcre. Sur l’avis de ses barons, Charles pardonne. Le duc Gérard et ses frères, « tot nu piés et en langes », se rendent au camp. Leurs hommes les suivent. Les quatre ducs s’agenouillent devant l’empereur et promettent d’être des vassaux fidèles. Charles les relève et impose pour seule condition qu’à la prochaine Ascension, ils viendront le servir à Paris sa maison, »

Si bien que le verront mi prince et mi baron.

Chacun rentre dans son pays. Mais.....

En France ot .I. linage, cui Dame Dex mal dont,
Ce fu Grif d’Autefueille et son fils Guenelon,
Beranger et Hardré et Hervi de Lion,
Antiaumes li felon, Fouques de Morillon.

C’est la famille des traîtres qui interviendra dans plusieurs circonstances de l’Histoire des Fils Aymon, et qui, dès lors, constituée en une geste distincte, aura un rôle dans tout le développement de l’épopée.

Les félons blâment Charles d’être si bon pour celui qui a tué son fils. Si le roi veut se venger de lui, ils sont prêts à l’aider. Charles finit par céder et promet de les récompenser. Dans le bois de Floridon, ils attendent Beuves. Fouques de Morillon blesse et désarçonne le duc. Grifon d’Autefeuille lui tranche la tête. Des trois cents chevaliers de Beuves, dix seulement survivaient. Ils portent le corps à Aigremont. La duchesse se désespère. On la calme et l’on ensevelit les restes de Beuves. Cependant les traitres sont revenus à Paris. Grifon remet au roi la tête de son ennemi. Charles répond :

Amis, ce dist li rois, ci a molt bel present.

La guerre qui suit ce guet-apens et la réconciliation de Charles et des frères de Beuves ne prennent que treize vers.

II
Les Fils Aymon à la cour. — Mort de Bertolais. — Les Fils Aymon dans les Ardennes (Michelant, p. 45-98)

Aymes de Dordonne a conduit à la cour ses quatre fils : Alard, Renaud, Guichard, Richard. De grandes fêtes étaient données à l’occasion de la Pentecôte. Aymes présente ses fils au roi. Celui-ci baise Renaud sur la bouche et promet de les faire tous quatre chevaliers à la Nativité. Mais la « gente façon » de Renaud lui plaît et tout est réglé pour que la cérémonie ait lieu le lendemain. On les arme et l’on donne à Renaud un cheval merveilleux :

.I. cheval i amainent qui tos estoit faés,
Baiars avoit a non,

Charles leur donne l’accolade ; puis il fait dresser une quintaine. Renaud, à ce jeu, l’emporte sur tous et Charles promet de le faire son sénéchal. Le jour suivant, le roi est servi à table par les Fils Aymon. Après le repas, on se divertit dans la salle, puis on joue aux échecs. Bertolais, neveu du roi, et Renaud jouent ensemble. Une querelle s’élève entre eux. Bertolais insulte Renaud et lui donne un tel soufflet que le sang coule. Renaud va se plaindre au roi qui le rebute : « Malvais garçon, coart avoit Renaud hucié. » Renaud rappelle la mort de son oncle, Beuves d’Aigremont, « de lui vos demant droit, par cel qui nos cria ! » Le roi irrité le frappe de son gant à la figure, « si que li sans vermaus à la terre cola ». Renaud s’en va, rencontre Bertolais, saisit l’échiquier, et d’un coup étend mort le neveu de l’empereur.

Après un combat, brièvement conté en six vers, les Fils Aymon ont pu s’échapper. Ils se rendent à Dordonne. Leur mère leur conseille de se réfugier ailleurs. Ils partent avec des provisions et trois cents chevaliers. Dans l’Ardenne, sur les bords de la Meuse, ils construisent un château, Montessor. Pendant sept ans on les oublie, mais Charles finit par savoir où ils sont. L’armée est réunie à Laon et de là on part pour l’Ardenne. On passe sans accident les Espaus, défilé dangereux, « car fées y conversent », et l’on découvre Montessor. Richard attaque l’armée de Charles et s’empare du convoi. Ogier poursuit vainement Richard. L’empereur jure qu’il châtiera les Fils Aymon. L’armée campe le long de la rivière. Sur le conseil de Naimes, on le charge d’aller avec Ogier réclamer Guichard qui est accusé d’avoir tué Looïs (non plus Lohier), fils de l’empereur. Renaud ne veut rien entendre. Il ordonne une sortie et rencontre son père à qui il reproché d’être avec les ennemis de ses enfants. Après un long combat, les Fils Aymon sont forcés de rentrer dans le château. Charles trouve que le siège dure trop. Hervieus de Lausanne promet de s’emparer de la place et de rendre Renaud prisonnier à l’empereur.

Le traître se présente à Renaud comme un de ses partisan ; mais, la nuit venue, il va baisser le pont-levis et tirer les verrous de la porte. Cent chevaliers entrent dans Montessor. Les Fils Aymon s’aperçoivent de la trahison s’arment à la hâte avec trente chevaliers. Les autres étaient restés dans le bourg, qu’Hervieus et les siens avaient envahi, tuant et brûlant. Les écuyers défendent le souterrain contre Hervieus. Renaud et ses frères les rejoignent. Hervieus et neuf des siens sont pris. Ces derniers sont pendus, et à côté est placée l’enseigne qu’ils portaient. Hervieus est écartelé et les débris de son corps sont réduits en cendres. Charles est très affligé de l’échec honteux de l’entreprise. Mais le château et le bourg ne sont plus habitables, tous les approvisionnements sont détruits. Les Fils Aymon abandonnent Montessor, et, avec six cents chevaliers traversent le camp ennemi. Charles renonce promptement à les poursuivre et campe près de la rivière.

Les Fils Aymon ont passé l’eau, se reposent une nuit et, le lendemain, traversent les Espaus et entrent en Ardenne. Charles donne congé à ses hommes et revient à Paris. Mais le duc Aymes, arrivé à la fontaine d’où ses fils sont partis, entre dans la forêt et rencontre ses fils endormis près d’un rocher. Pris entre l’amour paternel et son devoir envers l’empereur, il les fait défier par deux de ses chevaliers. Renaud lui reproche sa dureté. Aymes répond qu’ils n’ont qu’à combattre ou à se faire ermites. Réduits à cinquante, Renaud et les siens s’enfuient. Le cheval d’Alard est tué. Renaud prend son frère en croupe sur Bayard. Le veneur de Charles, Hermenfroi, est tué. Après une défense héroïque, Renaud et les survivants de sa troupe s’enfuient. Aymes pleure sur sa destinée qui l’oblige à combattre ses enfants. Il emporte à Paris le corps d’Hermenfroi ; mais Charles l’ayant mal accueilli, le duc s’en va à Dordonne.

Les Fils Aymon sont dans l’Ardenne. Il ne leur reste plus que trois compagnons et quatre chevaux pour eux sept. Ils vivent de la chasse ou en pillant les terres voisines. Mais, sans abri, ils éprouvent de grandes souffrances, surtout pendant l’hiver. Le beau temps venu, ils quittent la forêt et partent pour Dordonne. Nul ne les y reconnaît tant ils étaient changés. Leur mère, après leur avoir donné l’hospitalité, aperçoit une cicatrice au front de Renaud, trace d’une blessure qu’il avait eue étant enfant. Elle lui demande s’il est son fils : Renaud éclate en larmes.

La duchesse le voit, ne le va plus dotant,
Plorant, brace levée, va baisier son enfant,
Et puis trestos les autres .C. fois de maintenant.

La duchesse fait monter leurs trois compagnons et un repas leur est servi. Aymes revient de la chasse et demande qui sont ces hommes :

Sire, ce sont ti fil que traveillié as tant
As Espaus, en Ardanne, ou mesaise orent grant.
Herbergié sont anuit, por Deu le roiamant.
Le matin s’en iront par son l’aube aparant.
Ne sai ses verrai mais en trestot mon vivant.

Aymes ne se laisse pas attendrir. Il les a forjurés au roi. Que ne font-ils des prisonniers dont la rançon leur donnera de l’argent ? Renaud répond que ses frères et lui ont ravagé assez de pays, mais que leur père est l’auteur de leur ruine. Aymes s’emporte en reproches déraisonnables. Renaud, irrité, porte la main à son épée, mais Alard le calme et Aymes reconnaît l’excès de sa rigueur. Qu’ils se munissent de tout ce qu’il leur faudra. Par devoir il restera hors de chez lui tant qu’ils y seront. Il les recommande à sa femme et les quitte. La duchesse comble ses fils de soins, les habille richement, leur ouvre ses trésors. Renaud en profite pour réunir des soudoiers. Ils allaient partir quand paraît Maugis. Il a su ses cousins à Dordonne et vient les trouver, emmenant un trésor qu’il a enlevé à Orléans. Maugis accompagne les Fils Aymon. On passe la Loire. À Poitiers, l’on apprend que le roi Ys de Gascogne a besoin d’aide.

III

Les Fils Aymon en Gascogne : guerre contre les Sarrasins ; construction de Montauban ; guerre où Roland se distingue contre les Saines ; course à Paris (Michelant, p 98-135)

Arrivés à Bordeaux, les Fils Aymon offrent leurs services au roi Ys qui était en guerre avec Beges le Sarrasin ; celui-ci lui avait enlevé Toulouse, Montpellier, Avignon, Beaucaire. Ys accepte l’offre des proscrits. Mais Beges est parti de Toulouse et déjà son armée est sous Bordeaux. Après une bataille où Renaud fait Beges prisonnier et Bayard s’empare du destrier du Sarrasin, Ys autorise les Fils Aymon à élever le château de Montauban, puis donne sa sœur Aélis en mariage à Renaud.

Cependant Charlemagne, revenant un jour de Galice où il était allé prier saint Jacques, voit le château de Montauban, en admire la force et apprend tout ce qui s’est passé. Il envoie Ogier demander au roi Ys qu’il lui livre les Fils Aymon. Renaud était avec le roi. Ys répond qu’il est content de Renaud à qui il a donné sa sœur, et de ses frères. Après avoir échangé avec Renaud des paroles vives, Ogier s’en va. Revenu à Paris, Charles songe à repartir pour attaquer Montauban. Mais Roland, un neveu qu’il n’a pas encore vu, se présente à lui. Charles pensait à l’opposer à Renaud, quand un messager lui apprend que les Saines (Saxons) assiègent Cologne. Roland se charge de cette guerre, bat les Saxons et ramène à Charles leur roi Escorfaud prisonnier.

Il manquait à Roland un cheval digne de lui. Naimes conseille d’annoncer une course où le prix sera composé de la couronne du roi, de quatre cents marcs d’or et de cent riches pailes. Renaud sait la nouvelle et veut aller disputer le prix, mais ses frères et Maugis l’accompagnent avec cent chevaliers. On s’arrête sous Montlhéry. Maugis teint Bayard en blanc et donne à Renaud l’apparence d’un garçon de quinze ans. Maugis lie un pied à Bayard pour le forcer à boiter. Il entre avec Renaud dans Paris et tous deux se logent chez un cordonnier qui reconnaît Renaud. Il le dénoncerait sur-le-champ, mais Renaud le tue. Après ce méfait, les deux chevaliers s’enfuient et vont passer la nuit sous le porche de Saint-Martin. Le jour venu, ils prennent part à la course. Renaud, sur Bayard à qui l’on a délié le pied, dépasse tous ses concurrents, prend la couronne, se fait reconnaître de Charles et part sans se laisser toucher par les plaintes du roi qui ne peut se résigner à perdre sa couronne. Les Fils Aymon et Maugis rentrent sans encombre à Montauban.

IV
Charlemagne entre en Gascogne ; trahison du roi Ys (Michelant, p. 136-174)

Après sa victoire en Sessoigne (Saxonia, Saxe) sur Guiteckin (Witikind) et le mariage de Baudouin et de la reine Sebile, l’empereur annonce qu’il va faire la guerre aux Fils Aymon. Doon de Nanteuil objecte qu’il a besoin de repos et que depuis des années une guerre succède à l’autre. Charles répond que si les pères ne veulent pas venir, il emmènera les fils. Un espion apprend à Renaud les projets de l’empereur.

Charlemagne entre en Gascogne. Les défenseurs de Monbendel rendent la place sans combat. Charles envoie Guinemard à Toulouse demander au roi Ys de lui rendre les Fils Aymon. Ys veut d’abord faire pendre le messager. On l’apaise et il demande un délai pour réfléchir.

Le roi de Gascogne réunit son Conseil. Hunnaus de Tailleborc et le vicomte d’Avignon sont d’avis qu’il faut obéir à l’empereur. Le duc de Monbendel juge cet avis déshonorant. Hunnaus revient à la charge. Raimon de Toulouse parle en faveur de Renaud. Antoine invite le roi à se retirer pour que l’on puisse mieux délibérer. Ys sort accompagné du duc de Monbendel et de Raimon. Hunnaus, le vicomte d’Avignon et Antoine, s’entendent pour exiger que les Fils Aymon soient rendus, et le duc de Monbendel étant rentré, ils l’obligent, le couteau sur la gorge, à se rallier à leur décision, qui est communiquée au roi. Ys pleure. Sur le conseil du comte d’Avignon, on conduira les Fils Aymon, vêtus de manteaux écarlates et de pelisses grises, dans la plaine de Vaucouleurs ; ils seront sans armes et montés sur des mulets. Charles les fera prendre par quatre mille hommes. Ys envoie à l’empereur une lettre conforme à la décision du conseil. Quand Charles l’a reçue, il ordonne à Ogier et à Fouques de Morillon d’être au matin à Vaucouleurs : on leur remettra les Fils Aymon. Il fait avertir Ys qu’il accepte sa proposition et qu’il lui adresse les manteaux et les pelisses qui feront reconnaître les Fils Aymon.

Le roi Ys arrive à Montauban et informe Renaud de la paix qu’il a conclue avec Charles. Les Fils Aymon iront à Vaucouleurs où l’empereur se réconciliera avec eux. Renaud proteste, puis se laisse gagner. Alard voudrait emporter ses armes, mais Renaud tient à se réconcilier avec Charles. Il rencontre sa femme

Clarisce la cortoise, au gent cora envoisié,
Qui plus estoit vermeille que rosse de rossier,
Et plus blance d’asses que n’est la nois sor giel ;
Awec li ses enfans que ele ot forment chiers,
Aymonet et Yon qui molt font à prisier.

Quand elle sait les intentions de Renaud, elle le supplie de monter Bayard, d’emmener avec lui Maugis et quatre cents chevaliers. Elle a eu un songe qui l’effraie, mais Renaud n’est pas superstitieux :

Li hom qui croit en songe a bien Deu renoié.

Cependant, comme ses frères insistent, il demande au roi qu’on leur laisse prendre leurs destriers. Ys refuse. Le lendemain matin, après avoir entendu la messe, les Fils Aymon, vêtus de manteaux d’écarlate, sans autre arme que leur épée, montent sur des mulets et partent pour Vaucouleurs. Douze comtes les accompagnent. Ys se désole de sa trahison.

V
Combats à Vaucouleurs : Maugis sauve ses cousins ; rôle d’Ogier ; le roi Ys se réfugie dans une abbaye. — Siège de Montauban. Première partie : Richard, prisonnier, est sauvé grâce à Maugis ; Maugis prisonnier du roi ; Renaud et Roland ; Maugis emporte Charlemagne endormi à Montauban et disparaît (Michelant, p. 175-330)

Les Fils Aymon, tenant dans leurs mains des fleurs de roses, chevauchent joyeux.

Aallars et Guichars commencerent .I. son,
Gasconois fu li dis et limosins li ton,
Et Richars lor bordone bebelement par desos ;
D’une grande huchie entendre les puet on.
Ainc rote ne viele ne nul psalterion
Ne vos pleüst si bien come li troi baron.

Renaud est inquiet et prie Dieu, car il ne sait où il mène ses frères. Alard l’encourage et le fait chanter avec eux.

À chacun des quatre chemins qui partent de Vaucouleurs, mille chevaliers les attendaient. Quand Ogier voit venir ses cousins, il obtient de ses hommes qu’ils se tiennent à l’écart. Une fois dans le val désert, les Fils Aymon s’arrêtent et s’effraient. Ils voudraient revenir à Montauban, mais il est trop tard. Renaud aperçoit les chevaliers de Charlemagne et reconnaît l’enseigne de son ennemi Fouques de Morillon. Ses frères l’accusent de les avoir trahis et veulent le tuer. Mais ce n’est qu’un instant de colère. Renaud demande aux chevaliers d’Ys de se joindre à eux. Comme ils refusent, il tue le comte d’Avignon. Les autres fuient. Les Fils Aymon attendent l’ennemi. Fouques de Morillon blesse Renaud à la cuisse. D’un coup de Froberge, Renaud l’étend mort. Il monte sur le cheval de Fouques, pend l’écu à son col et attaque les Français. Alard est blessé, mais il a conquis un cheval. Les Français les attaquent en foule. Guichard est fait prisonnier. Renaud le dégage, mais Richard est percé d’un coup de lance. L’enfant, d’un coup d’épée tranche en deux son adversaire et le cheval. Les Fils Aymon se réfugient sur la roche Mabon. De là ils se défendront à coup de pierres. Ogier les encourage. Cependant, Gontard, le clerc qui avait lu au roi Ys la lettre de Charles, avertit Maugis de ce qui se passe à Vaucouleurs. Maugis endort les gens de Montauban, éveille ceux qui aiment Renaud, les fait armer et, monté sur Bayard, part avec eux au secours de ses cousins. De la roche Mabon, les Fils Aymon les voient venir. Maugis attaque Ogier, mais Bayard l’emporte vers Renaud. Un combat régulier s’engage. Ogier, après avoir essayé de tenir tête à Renaud, est obligé de quitter la partie. Le roi et Roland critiquent sa conduite équivoque. Peu s’en faut que Roland et lui n’en viennent aux coups. Cependant Maugis a guéri les Fils Aymon de leurs blessures. Tous rentrent à Montauban.

Le roi Ys, quand il apprend le retour de ceux qu’il a trahis, s’empresse de se réfugier dans une abbaye voisine. Roland en est averti par l’espion Pinax. Il part avec Olivier et d’autres et force l’entrée de l’abbaye. On emmène Ys le traître sur un âne, le visage tourné vers la queue. Roland compte le pendre. Mais Ys envoie secrètement ses chevaliers supplier Renaud de l’arracher au supplice. Renaud venait d’arriver à Montauban, où ses frères avaient eu grand’peine à le réconcilier avec sa femme Clarice qu’il confondait dans son ressentiment contre le roi Ys. Surviennent les messagers de celui-ci et Renaud, par un brusque retour, se décide à délivrer son beau-frère. L’armée de Renaud s’est mise en marche. Il la forme en sept échelles. Roland se sépare des siens et défie Renaud. Celui-ci le conjure vainement de l’accorder avec Charles ; Roland n’ose le promettre. Renaud lui propose alors de régler l’affaire à eux deux.

Et por coi en morroient tant chevalier armé ?
Et tante riche terre en chierroit en vilté ?
Tante veve feriens, tant orfenim clamé ?…
Ci a molt grant meschief de bataille campel.
Alons endui ensamble des espees del lés.
Si en ait cil l’onor cui Dex l’a destiné

La bataille s’engageait, mais quand Roland et Renaud vont être aux prises, de part et d’autre l’on s’arrête :

Il n’i a si hardi qui ost lance lever.
Chascuns s’en va as rens de la bataille ester
Por esgarder la joste des meillors bachelers
Qui ainc fussent en France ne el monde trovés.

Roland est renversé parce que son cheval ne peut résister à la poussée de Bayard. Le combat est repris à pied, Froberge contre Durandal. Mais Maugis et les frères de Renaud, Ogier et Olivier, Estout, se mêlent à leur combat, l’entravent si bien que tous deux d’accord partent pour le reprendre ailleurs. Les amis de Roland l’emmènent, tandis que Renaud rencontre et délivre le roi Ys.

Roland et ses compagnons reviennent : Ogier raille Roland sur sa mésaventure. Mais Richard a l’imprudence de provoquer Roland qui le renverse et le fait prisonnier. Les frères de Richard se désespèrent. Maugis promet de le leur rendre. Ils rentrent donc à Montauban. Maugis, déguisé en pèlerin, va à la tente de Charles, le salue, raconte ses voyages et ses peines. On l’accueille avec bonté. Maugis fait des compliments au roi et lui offre la moitié du mérite de son pèlerinage. Il obtient que le roi le serve à son repas. Richard est amené devant Charles qui le frappe d’un bâton. Richard se jette sur lui, tous deux roulent à terre et il faut les séparer. Tout le monde blâme l’empereur. Il annonce à Richard qu’il sera pendu à Montfaucon. Maugis sait ce qu’il désirait savoir, et revient à Montauban. Il renseigne Renaud qui fait armer tout son monde. On se cache en un bois non loin de Montfaucon. Cependant Charles demande successivement à tous les Pairs de se charger de faire pendre Richard. Tous refusent. L’empereur rappelle sa jeunesse, comment il a triomphé des serfs, puis des douze Pairs conjurés pour sa mort. Il châtiera qui refusera de lui obéir. Il appelle Estout qui le raille. Charles lui lance un bâton. Estout sort de la tente et plusieurs le suivent. Charles s’adresse à Richard de Normandie qui lui aussi parent des Fils Aymon, refuse. Naimes conseille au roi d’enfermer Richard dans un cachot, où, mal nourri, il ne tardera pas à mourir. Mais Charles craint quelque tour de Maugis. Ogier, et les Pairs quittent encore la tente du roi. Ogier, Richard de Normandie, Turpin, Huidelon s’arment pour défendre leur cousin, mais Richard les en détourne. Il apprend à Ogier qu’il a vu Maugis dans la tente du roi, ce qui l’a rassuré.

Les barons se réconcilient avec le roi. Un traître, Ripeus de Ribemont, s’offre pour pendre Richard à la condition que les douze Pairs s’engageront à ne lui faire aucun mal. Ogier lui-même finit par donner sa parole. Ripeus emmène le prisonnier qui s’étonne de n’être pas secouru. Il demande à se confesser, puis récite une longue prière. Ripeus allait le pendre, car Renaud et les siens s’étaient endormis. Mais Bayard, le cheval faé, veillait :

Venus est a Renaut ens el brueillet reont
Ou il iert endormis si com traveilliés hom.
Baiars ne pot parler, ne dit ne o ne non ;
Ains hauce le pié destre qu’il ot gros et reont,
Et fiert l’escu Renaut .I. grant cop a bandon.

Renaud, ses frères, Maugis s’éveillent ; on court aux fourches, Ripeus est tué, ses hommes sont pendus. Richard revêt les armes de Ripeus et monte sur son cheval. Ses frères et Maugis l’attendent dans le bois. Il part avec eux pour attaquer les Français. Il se fait reconnaître d’Ogier à qui il conte comment les choses se sont passées. Charlemagne prend Richard pour Ripeus, puis, revenu de son erreur, combat avec lui. Richard sonne Bondin que Renaud lui a confié et l’on vient à son aide. Dans la mêlée, Charles et Renaud se rencontrent, et Renaud en profite pour supplier le roi de s’accorder avec lui, mais Charles exige que Maugis lui soit rendu. L’entente est impossible. Charlemagne attaque Renaud qui le prend entre ses bras et veut l’emporter ; mais Roland force Renaud à lâcher prise. Les deux armées se retirent. Renaud décide de surprendre les Français avec quatre cents chevaliers. D’un coup d’épée Richard tranche la corde qui soutenait la tente du roi et s’empare de l’aigle d’or qui la surmontait, puis part avec son gain. Les Français s’arment. Maugis veut venger son père Beuves : il perce d’un coup de lance la tente de l’empereur ; mais il se voit seul, repart et rencontre Olivier qui le désarçonne et le fait prisonnier. Charlemagne, désespéré, annonce à ses Pairs qu’il leur rend sa couronne : « Renaus soit vostres rois. » Olivier arrange tout en apprenant à Charles que Maugis est prisonnier. Il l’amène à l’empereur.

À Montauban, les Fils Aymon s’étonnent de l’absence de leur cousin. Renaud va dans la campagne et apprend la mésaventure de Maugis. Charlemagne voudrait que son prisonnier fût pendu immédiatement. On obtient qu’il le laisse vivre jusqu’au lendemain. Le captif dîne à côté de l’empereur. On allume trente cierges ; cent chevaliers veilleront ; Maugis est chargé de fers. Il endort tout le monde, y compris l’empereur, se délivre de ses chaînes, enlève leurs épées à Charlemagne et aux douze Pairs, prend la couronne royale, éveille Charles et prend congé de lui. L’empereur éveille à son tour ses barons avec l’herbe ansioine et leur apprend ce que Maugis a fait. Renaud veillait dans un bois. Maugis le rencontre et ils reviennent ensemble à Montauban.

Charlemagne envoie Naimes, Turpin, Ogier et Estout demander à Renaud de rendre ce qui a été pris ; il leur accordera en échange une trêve d’un an. Les comtes sont très bien accueillis, dînent au château, et Renaud rend volontiers la couronne et les épées, mais Richard exige que l’on garde l’aigle d’or. Ogier propose à Renaud de venir traiter avec le roi qui sera sans doute mieux disposé. On part et Renaud attend sous un arbre que l’on prépare Charlemagne à sa visite. Mais déjà celui-ci, averti, a ordonné à Roland et à Olivier de s’emparer de Renaud. C’est donc en prisonnier qu’il paraît devant le roi. Mais ses parents interviennent, on lui rend la liberté, et il part pour Montauban, promettant de revenir soutenir sa loyauté contre Roland. Le lendemain, les deux chevaliers sont aux prises, échangeant des coups terribles. Mais Dieu fit un miracle pour les sauver ; une épaisse nuée les empêche de se voir. Ils arrêtent le combat et Roland suit Renaud à Montauban. Charlemagne irrité fait entourer la place où Naimes, Ogier, Turpin et Estout ont rejoint Roland. Le lendemain, après le repas, Ogier, Naimes et Turpin, sur le conseil et de la part de Roland, vont sommer l’empereur de s’accorder avec les Fils Aymon. Charlemagne les chasse : il lui faut Maugis. Le refus de l’empereur une fois connu, Maugis monte sur Bayard, va à la tente royale, endort les gardes, emporte à Montauban Charlemagne endormi, avertit Renaud, lui fait promettre de ne faire aucun mal à l’empereur, quitte la ville sans prévenir personne et se retire dans un ermitage.


VI
Siège de Montauban. Deuxième partie : Charlemagne est rendu à la liberté ; détresse des assiégés ; Aymes les secourt ; les Fils Aymon quittent Montauban (Michelant, p. 331-361)


Richard voudrait tuer le roi, mais ses frères protestent, et l’on appelle Roland, Ogier, Naimes et Turpin. Roland demande que Maugis éveille le roi, mais Maugis a disparu ; les Fils Aymon en ressentent un grand chagrin. Enfin Charles s’éveille ; Renaud s’agenouille et lui demande la paix. L’empereur exige toujours qu’on lui rende Maugis. Richard s’emporte. Mais Renaud fait reconduire Charles à son camp. Roland, Ogier, Naimes et Turpin l’y rejoignent et se font pardonner leur rébellion. L’empereur donne l’assaut à Montauban, mais il est repoussé et décide d’affamer la place. Bientôt les vivres manquent, et la mortalité augmente au point que les corps sont jetés dans un charnier « sans messe ». Charles fait attaquer la ville par des mangonnaux qui « ruaient » nuit et jour. Sous les pierres, les maisons s’effondrent. La « vitaille » manque de plus en plus. La duchesse voit ses fils dépérir. On se résout à tuer les chevaux. On épargne Bayard. Les souffrances deviennent intolérables. Clarice réclame pour ses enfants. Aymonnet et Yonnet demandent que l’on tue Bayard. Renaud préfère aller supplier son père de lui venir en aide. Le duc l’autorise à prendre tout ce qu’il pourra emporter. Ce secours dure peu. Aymes obtient de ses barons qu’ils emploient leurs trois mangonnaux à lancer des provisions dans la ville. Charles est informé, fait appeler le duc : Aymes déclare qu’il ne peut trahir ses enfants. Le roi lui donne congé, et le vieux duc part avec son barnage.

La famine est extrême à Montauban. Renaud imagine de saigner Bayard, mais le cheval est bientôt épuisé. Un vieil homme apprend à Renaud qu’on peut sortir de la forteresse par un ancien souterrain. On part en laissant sur les murs les enseignes déployées.


VII
Les Fils Aymon à Trémoigne ; Nouveau siège et nouveaux combats ; Richard de Normandie prisonnier des Fils Aymon ; Maugis quitte son ermitage ; son combat avec des voleurs ; il ne fait que passer à Trémoigne. — La paix est conclue (Michelant, p. 361-403)


Au sortir du souterrain, Renaud et les siens se rendent chez un ermite qui leur fait bon accueil. L’on part pour Trémoigne où l’on est reçu avec joie. Charlemagne, après avoir occupé Montauban, apprend où sont les Fils Aymon. Il arrive avec son armée sous les murs de Trémoigne. À la fin d’un combat, Renaud rencontre Richard de Normandie et le fait prisonnier. Il lui annonce qu’il le fera mourir « a viltage », si Charles s’obstine à lui refuser la paix. Mais Richard ne peut « faillir » à Charlemagne. Il passe son temps à jouer aux échecs avec la duchesse. Le siège continue. Le roi Ys meurt de maladie. Cependant Maugis veut revoir ses cousins. Il quitte son ermitage et rencontre des marchands qui ont été dépouillés par des voleurs. Avec sa « potence » de pèlerin, Maugis tue les sept larrons. Les marchands lui apprennent que les Fils Aymon sont à Trémoigne. Il s’y rend, et d’abord Renaud ne peut le reconnaître, tant il est changé. Il raconte à ses cousins comment il s’est fait ermite pour expier ses fautes ; il a l’intention d’aller au Saint-Sépulcre. Il les embrasse et repart. Charlemagne fait demander à Renaud de lui rendre Richard de Normandie, mais continue à réclamer Maugis. Renaud répond qu’il est résolu à pendre Richard de Normandie. Charlemagne s’obstine à continuer la guerre, malgré le mécontentement de ses barons.

Renaud et ses frères décident de pendre Richard de Normandie. On dresse les fourches, Roland et Ogier les voient et s’effraient. Renaud envoie dix sergents prendre Richard de Normandie qui jouait aux échecs avec Yonnet. Richard leur lance à la tête les pièces du jeu, en tue trois et les fait jeter par la fenêtre. Renaud fait armer quinze chevaliers ; on lie Richard, et au pied des fourches Renaud lui offre la vie, s’il consent à « forjurer » le roi. Richard s’y refuse, mais demande que l’on avertisse Charlemagne de sa part et que l’on prie Roland et ses amis d’agir auprès de lui en sa faveur. Le messager s’acquitte de sa mission. Roland et les Pairs supplient le roi de faire la paix et de sauver Richard. Charles est convaincu que Renaud n’osera point le faire pendre et résiste. Le messager repart. Ogier se désespère. Roland va au roi et lui dit qu’il part sans congé. Il engage Ogier à le suivre. Les douze Pairs et leurs hommes se préparent à quitter le camp. On abat les tentes. Renaud s’en aperçoit et s’excuse à Richard que l’on délivre de ses liens. Cependant Charles a fait appeler Roland : il consent à s’accorder avec Renaud. Les Pairs de France reviennent ; l’empereur fixe ses conditions : Renaud ira au Saint-Sépulcre nus pieds et en langes, et on livrera Bayard à l’empereur qui en fera justice. Naimes porte le message : « La pais est otriée, chaüs est li revel. » Renaud remet Bayard à Naimes et jette son enseigne dans le fossé.

Renaud prend un costume misérable, embrasse sa femme et ses fils, confie la duchesse à ses frères, leur recommande de bien servir l’empereur et part pour son pèlerinage. Ses frères et Richard de Normandie vont au camp où Charles les reçoit avec bonté et promet d’adouber chevaliers Aymonnet et Yonnet. Les Fils Aymon sont allés à Montauban. Charles est à Liège, il fait amener Bayard sur le pont de la Meuse. On lie une meule au cou du bon destrier qui est précipité dans le courant. Les barons blâment le roi. Mais Bayard revient sur l’eau, brise de ses pieds la lourde pierre et hennissant monte sur la rive opposée. Il s’enfonce dans la forêt d’Ardenne où parfois il apparaît encore. Le roi renvoie ses barons et rentre à Paris.


VIII
Le pèlerinage de Renaud et de Maugis (Michelant, p. 403.)[2]


Renaud arrive à Constantinople où il rencontre Maugis, pèlerin comme lui. Tous deux partent ensemble pour Jérusalem. Quand ils voient la ville, elle était occupée par les Persans. Le roi Thomas est entre leurs mains. Les princes chrétiens du pays assiègent Jérusalem. Renaud et Maugis se font une logette où ils se reposent. L’amiral de Perse attaque les chrétiens. Le vicomte de Jaffe, le comte de Raimes, Joffroy de Nazareth repoussent les infidèles. Les Sarrasins, en se retirant, renversent la logette de Renaud. Celui-ci prend la fourche qui la soutenait, et abat les païens au passage, pendant que Maugis les crible de pierres[3]. Le comte de Raimes et Joffroy de Nazareth, qui ont vu les exploits des deux chrétiens, leur demandent qui ils sont. Renaud se fait connaître, le comte lui rend hommage, et apprend que les Fils Aymon sont réconciliés avec Charlemagne et que le compagnon de Renaud est Maugis. Renaud accepte provisoirement l’hommage des barons chrétiens. On offre aux pèlerins des présents qu’ils refusent. Toute l’armée chrétienne est en fête. On allume des torches, l’on chante, l’on danse : « Li jugleor viellerent, li harpeor harperent. » Les Turcs sont étonnés de la clarté ; par tout le pays on croit Jérusalem en flammes.

Les chrétiens proposent d’attaquer la ville, mais les Sarrasins font une sortie. Renaud et Maugis s’arment et montent à cheval. Margaris conduit la première échelle des païens[4]. Barbas encourage ses hommes et tue Galeran de Sajette, mais il est repoussé, et Renaud armé d’une poutre poursuit les fuyards, tient la herse levée et appelle les chrétiens à lui. Malgré les cris des Sarrasins, il demeure là l’épée à la main. Ils essayent en vain de faire tomber la herse. Les chrétiens sont dans la place. Barbas jure qu’il fera mourir le roi Thomas. Il le lui annonce. Le roi monte au haut de la tour et dit que Barbas est prêt à partir, si on le permet ; sinon Thomas sera jeté du haut en bas de la tour. Renaud veut que l’on attaque ; mais Barbas prend Thomas par les cheveux et déclare à Renaud qu’il le lui jettera dessus. Enfin on laisse l’amiral partir avec sa « maisnie ». Renaud rend le pouvoir au roi Thomas, accepte quelques présents et repart avec Maugis. Ils s’embarquent à Jaffe et arrivent à Palerme après un mois et demi de mer. À Palerme, les deux chevaliers aident le roi Simon de Pouille à repousser une invasion des Sarrasins et reviennent en France, en passant par Rome, où ils rendent visite à l’Apostoile (au Pape). Après bien des « journées », ils sont à Trémoigne où Alard les reçoit.


IX
Renaud avec les siens ; Mort de Clarice ; mort de Maugis ; duel des fils de Renaud et des fils de Fouques de Morillon.


On était sur le point de rendre les derniers devoirs à la duchesse Clarice qui venait de mourir. Renaud éprouve une grande douleur. On se rend ensuite à Montauban. Maugis part pour son ermitage : « Par nos sont mort mil homme en la terre vaillante ; Por elx devons proier ». Il mourut sept ans plus tard dans sa retraite, après avoir mené une sainte vie. Alard, Guichard, Richard ont pris femme. Renaud élève ses fils. Quand il les voit en âge, il les envoie à la cour. Il leur recommande d’être dignes de lui, de se défier du mauvais lignage et de défendre leur honneur s’il était menacé. Yon et Aymon sont bien accueillis par le roi et par ses barons. Mais Rohart et Constant, fils de Fouques de Morillon, que Renaud avait tué à Vaucouleurs, les insultent et les défient en soutenant que leur père a été victime d’une trahison. Les fils de Renaud sont adoubés chevaliers, et après un long combat dans une île de la Seine, sont vainqueurs. Leur père et ses frères étaient venus les assister de leur présence et surveiller les manœuvres des traîtres.

Robert et Constant une fois pendus et les fils de Renaud guéris de leurs blessures, « quant il furent si sain comme poisson de mer », Charlemagne leur donne femme et grandes terres à gouverner. Mais Renaud veut quitter le monde. Ses frères et ses fils l’accompagnent jusqu’à Chartres. Là, il donne Trémoigne à Aymon et Montauban à Yon. Pour lui, il va consacrer à Dieu les dernières années de sa vie. Aymon part pour Trémoigne, Renaud et les autres vont à Montauban ; mais la nuit venue, il se déguise pauvrement et s’en va après avoir donné un anneau d’or, en souvenir, au portier du château : ses frères et ses fils ne le verront plus en ce monde, il va sauver son âme : « Par moi sont mort mil home, dont ge sui moult dolent ».

Il s’en va. Le matin, le portier explique l’absence du comte.

X
Légende pieuse : La pénitence et la mort de Renaud

Renaud va par les bois, par les chemins et arrive à Cologne. Il adore les Trois Rois à la cathédrale et offre au maître-maçon ses services comme simple manœuvre. Il étonne les ouvriers par sa force extraordinaire, mais à l’heure de la paie Renaud n’accepte qu’un denier, assez pour son pain. Ses compagnons le jalousent et prétendent qu’il leur fait tort. Ils le tuent par derrière, à coups de marteaux, pendant qu’il prend son repas, puis vont jeter le corps dans le Rhin. Le maître s’étonne de ne pas revoir « l’ouvrier de saint Pierre » ; les meurtriers répondent en plaisantant. Mais, par la volonté de Dieu, les poissons ramènent le corps à la surface de l’eau et il rayonne d’une brillante clarté ; trois cierges resplendissaient et l’on entendait les anges chanter. Les hommes et les femmes, l’archevêque et ses clercs s’empressent et contemplent le corps qui est sans doute celui de quelque saint.

Quand les anges eurent achevé leurs chants, les poissons menèrent le corps à la rive. L’archevêque saisit le sac et aussitôt la clarté s’évanouit. Une fois le sac ouvert, on reconnaît l’ouvrier de saint Pierre. Le maître arrache aux coupables l’aveu de leur crime. L’archevêque se borne à les bannir. On porte le corps à l’église, mais après la messe, l’on essaie en vain d’enlever le cercueil du char où il a été posé. Le char se met en mouvement, le clergé le suit. Il s’arrête à la ville de Reoigne où des miracles ont lieu. Le lendemain il continue sa marche jusqu’à Trémoigne, « là où en est l’histoire ».

Dès qu’il approche, les cloches de la ville sonnent d’elles-mêmes. On apprend qu’un saint corps vient de Cologne et que les miracles se multiplient sur son passage. L’archevêque de Trémoigne pressent que c’est le corps de Renaud. Il ira à sa rencontre. Les frères et les fils de Renaud l’accompagnent. Quand on a ouvert la bière et le linceul, tous reconnaissent Renaud et l’archevêque raconte sa mort et les merveilles qui l’ont suivie[5]. Renaud est enterré à l’église de Notre-Dame, où il est encore dans sa « fiertre » :

Sains Renaus est nomez, por Deu soffri torment.

Ses fils vécurent en parfaite amitié, mais ils eurent plus tard une grande guerre contre une mauvaise gent.

  1. Dans toute cette introduction, je renvoie à l’édition Michelant, dont je reproduirai la pagination en marge du texte.
  2. Michelant quitte le ms. La Vallière p. 411, v. 2, et suit dès lors le ms. 775 de la Bibl. nationale.
  3. C’est à ce point que Michelant se sépare du manuscrit résumé ci-dessus.
  4. Matthes (Renout van Montalbaen, p. 110), rencontrant la mort de Margaris dans une version française en prose, qui est conforme au texte La Vallière résumé ici, se demanda si l’auteur du Renout n’a pas été amené à faire mourir Maugis dans un combat sous Jérusalem, par la confusion des abréviations des noms Margaris et Maugis. C’est en effet assez probable, car dans le Renout les noms français sont souvent très altérés.
  5. Lupentius (saint Louvent), abbé de la basilique de Saint-Privat à Javols (Antérieux, d’après Walckenaer), avait été accusé par le comte Innocentius d’avoir médit de Brunehilde. Il s’était justifié devant la reine et revenait, quand Innocentius le fit saisir et maltraiter. On le relâcha néanmoins, et il s’était arrêté sur les bords de l’Aisne, lorsque « son ennemi se précipita de nouveau sur lui et le mit à mort. Sa tête fut tranchée, puis enfermée dans un sac chargé de pierres que l’on jeta dans le fleuve ; le corps, lié à une grosse pierre, y fut également plongé. Quelques jours après, il apparut à des bergers qui retirèrent le corps, et l’on se préparait à lui rendre les derniers devoirs, sans savoir qui il était, car l’on n’avait point retrouvé la tête. Mais survint un aigle qui tira le sac