La Chasse au lion/04

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J. N. Duquet & Cie, éditeurs (p. 103-107).

CHAPITRE IV

l’hyène

Par une belle matinée du mois d’août 1844, je sortais à cheval du camp de Ghelma, et m’acheminais vers la montagne de la Mahouna, sur l’appel de ses habitants.

Après avoir marché environ une heure, en rêvant aux chances de l’expédition que j’allais entreprendre, j’aperçus, venant vers moi, et sur le sentier que je suivais, un animal à tous crins, d’une physionomie repoussante, et qui semblait boiteux.

C’était une hyène que le jour avait surprise, et qui, honteuse et penaude, regagnait son terrier, clopin-clopant.

J’avais laissé mon fusil entre les mains de l’Arabe qui m’avait été délégué par les siens et était resté en arrière. N’ayant d’autre arme que mon sabre, je le tirai hors du fourreau et chargeai la bête.

Dès qu’elle me vit, elle se jeta en dehors du chemin et disparut sous les broussailles qui le bordaient. Je pus bientôt, sinon la rejoindre, du moins la revoir et la suivre jusqu’au pied d’un rocher où elle disparut.

Après avoir mis pied à terre et attaché mon cheval à un arbre, je m’avançai vers l’ouverture dans laquelle l’hyène était entrée, et je reconnus avec joie que c’était une ancienne carrière, si haute et si large, qu’il ne tenait qu’à moi de l’y suivre, les coudées franches et debout.

Deux minutes après, nous étions en présence, si près l’un de l’autre, que je sentais ses dents mordre la pointe de mon sabre ; mais je ne voyais rien, à cause de la profondeur du trou.

Je me mis à genoux, je fermai les yeux un instant, et, lorsque je les rouvris, je distinguai assez bien la bête pour savoir la frapper. J’eus d’abord quelque peine à retirer de sa gueule la pointe du sabre, qu’elle tenait à garder ; puis quand elle l’eût lâchée, je plongeai la lame on pleine poitrine jusqu’à la garde, tournant la main pour élargir les voies.

Une espèce de grognement sourd fut sa seule réponse, et, lorsque la lame sortit du corps, fumante et nauséabonde, l’animal était mort.

J’allais le prendre par une patte pour essayer de le tirer dehors, lorsque j’entendis un bruit de voix à l’entrée de la carrière ; c’était mon Arabe, accompagné de quelques moissonneurs qui m’avaient vu chargeant l’hyène et mettant pied à terre au pied du rocher.

Lorsqu’il vit la lame de mon sabre rougie du sang de l’animal, mon guide me dit :

— Remercie le ciel, qui m’a fait rester en arrière avec ton fusil, et ne te sers plus jamais de ton sabre à la guerre, parce qu’il te trahirait.

Comme je ne paraissais pas comprendre le sens de ses paroles, il ajouta :

— L’Arabe qui trouve une hyène dans son trou prend une poignée de bouse de vache, et la lui présente en disant : « Viens, que je te fasse belle avec du henné[1]. » L’hyène tend la patte, l’Arabe la saisit, la traîne dehors, puis il la bâillonne et la fait lapider par les femmes et les enfants du douar comme un animal lâche et immonde.

Sans prendre à la lettre ce que me disait mon guide, je compris que j’avais commis une bévue qu’il me faudrait réparer d’une manière éclatante, pour imposer silence aux mauvaises langues dans les tribus.

L’hyène se tient pendant le jour, tantôt dans des ravins très boisés et éloignés des douars, tantôt dans des terriers ou des anfractuosités de rochers.

À la nuit, elle quitte sa demeure pour aller rôder au milieu des cimetières arabes, qui ne sont jamais défendus ni par des murs ni par des fossés ou des haies.

Elle déterre les morts et mange jusqu’aux ossements ; lorsque la faim la pousse par trop et qu’elle n’a rien trouvé ailleurs, elle vient jusque sous les murs des camps et des villes pour y chercher une bête morte ou quelques chairs en putréfaction.

Le seul animal vivant que l’hyène ose attaquer est le chien.

Il est bon de dire que jamais un de ces animaux ne marche seul, On les rencontre toujours deux ensemble. Quand ils veulent manger un chien, ils s’en vont rôder tout exprès autour d’un douar qui se trouve placé dans un pays couvert.

La femelle se poste derrière une broussaille, et le mâle va se faire voir aux chiens, qui le chargent à outrance jusqu’au poste de sa moitié. Celle-ci se montre au moment opportun, pour prendre, étrangler et dévorer, séance tenante, le chien qui s’acharnait le plus sur son époux.

Il arrive quelquefois que les Arabes interviennent et assomment à coups de bâtons les mangeuses de chiens, qui, du reste, ne se livrent à ces exercices que lorsqu’elles jeûnent depuis plusieurs jours.

Je profite de l’occasion pour relever une erreur généralement répandue en Algérie au sujet de cet animal.

Souvent dans les villes et les camps, plus souvent encore au bivouac, la nuit, on entend un cri rauque qui ressemble à celui d’un gros chien enroué, et tout le monde de dire : « Entendez-vous l’hyène ? »

Quant à l’hyène, la peur l’empêche de crier ; mais elle grogne comme le chien lorsqu’elle est au carnage, ou, à l’époque du rut, quand plusieurs mâles se disputent la possession d’une femelle.

Quoique les chiens courants donnent sur la voie de l’hyène avec la même fureur que sur celle du chacal, qu’ils chassent à outrance, je classe cet animal parmi ceux qui se tuent et ne se chassent pas.

Les Arabes disent : Lâche comme une hyène ; et les Arabes ont raison.

  1. Les Arabes ont l’habitude de teindre leurs ongles, ceux de leurs femmes, ainsi que la crinière, la queue, le garrot et les jambes de leurs chevaux avec une teinture rouge qui est le henné.