La Chasse au lion/06

La bibliothèque libre.
J. N. Duquet & Cie, éditeurs (p. 123-128).

CHAPITRE VI

le chacal et le renard


le chacal

Le chacal est, comme l’hyène, plutôt du genre des omnivores que de celui des carnivores dans lequel il a été classé. Il vit aux dépens du jardinier, auquel il dévore ses fruits et ses légumes, et aux dépens des pasteurs, dont il est après le lion le plus grand ennemi.

Dans les mauvais jours, il se rejette sur les racines, les vers et l’argile, ou bien il fouille les débris et les immondices autour des habitations. Les Arabes disent : Rusé comme un chacal. En effet cet animal, qui tient le milieu entre le loup et le renard, est, comme ceux-ci, un rusé coquin.

Il passe des journées entières blotti derrière une broussaille, pour attendre, près d’une source, une compagnie de perdreaux. Il profite du moment où les chiens du douar, fatigués d’avoir veillé et crié toute la nuit, se sont endormis, pour leur passer sur le corps et entrer sous une tente, où il prend soit un agneau, soit une poule.

Dans la montagne, il suit les troupeaux de moutons, et leur fait éprouver des pertes sensibles. La nuit, il chasse le lièvre et le paon en compagnie de ses camarades, qui se postent, pendant qu’il suit la voie en criant.

Non content des bénéfices que peuvent lui procurer ses diverses branches de son industrie privée, le chacal, qui pullule en Algérie, et surtout dans la province de Constantine, s’est associé à l’hyène, aux maraudeurs et aux lions. Il va sans dire que ce ne sont pas ceux-ci qui retirent le plus grand profit de l’intervention de ce parasite ; car c’est surtout avec les lions et les maraudeurs que le chacal mène une vie de sybarite sans se donner beaucoup de peine.

Voici comment les choses se passent.

Partout où il y a des populations arabes, il y a des maraudeurs. Ce sont des jeunes gens qui ont bon pied, bon œil, bon courage, et qui s’en vont, par les nuits les plus noires, tantôt quatre, tantôt dix, prendre dans les troupeaux de leurs voisins quelques bêtes à cornes ou autres ; ce qu’ils appellent faire une promenade de nuit.

Le chacal, ayant rencontré une fois pareille bandé ramenant bœufs et moutons, se mit à les suivre.

Bientôt le chef des maraudeurs fit remarquer aux siens qu’ils avaient fort mal dîné, et qu’un mouton de plus ou de moins n’était pas grand’chose quand il n’en coûtait pas davantage.

Chacun fut de son avis, et, en un instant, la bête fut égorgée, dépouillée, embrochée à un arbre coupé à cet effet, devant un feu qui aurait fait rôtir un bœuf.

Le chacal se réjouit fort des préparatifs du festin, tout en pensant à part lui que, malgré ce feu d’enfer, le mouton serait bien long à cuire, et que, pour sa part, il se contenterait bien de l’intérieur et des débris si on lui permettait de les prendre.

Comme on ne faisait pas attention à lui il voulut parler ; mais une grêle de pierres lui fit comprendre qui n’était pas invité et l’obligea à se tenir à l’écart.

Après que la bande noire se fut repue et misé en route avec son butin, le chacal quitta son poste d’observation et trouva des restes très-appétissants et cil quantité suffisante pour lui et ses compagnons de fortune, qui arrivèrent au premier appel.

Ces messieurs se trouvèrent si bien de cette rencontre inespérée, que, depuis ce jour-là, les maraudeurs sont toujours suivis par un de leurs pareils qui ne les perd jamais de vue, et qui, de temps en temps, pousse un cri particulier (une espèce d’aboiement sec et rauque), afin que ses camarades ne s’égarent point et arrivent au moment opportun.

C’est par les mêmes raisons que le chacal suit le lion et l’hyène en criant ainsi. De là l’erreur généralement répandue sur le cri du chacal qui suit soit des maraudeurs, soit un lion, soit une hyène, et que l’on attribue à cette dernière.

Comme les Arabes s’abstiennent de voyager la nuit, surtout à pied, et que le chacal, lorsqu’il rencontre un ou plusieurs hommes, croit toujours avoir affaire à des voleurs, il m’est arrivé souvent d’être suivi, une nuit entière, par un de ces animaux, marchant quand je marchais, s’arrêtant quand je m’arrêtais, et criant, comme je l’ai dit plus haut, quelquefois à vingt pas de moi.

Dans les contrées fréquentées par le lion, les Arabes appellent le chacal qui crie de la sorte : baouêgh, et, lorsqu’ils l’entendent, ils allument des feux ou tirent des coups de fusil pour engager le lion ou les maraudeurs à passer chez le voisin.

La baouêgh m’est d’un grand secours quand je chasse un lion qui ne rugit pas. Grâce à lui, il m’est arrivé souvent, sans quitter un col ou une crête qui dominait le pays, de suivre la nuit la marche du lion, de juger les douars qu’il n’avait fait que menacer, celui qui avait payé son tribut, et enfin de connaître sa rentrée du matin.

Dans les pays de plaines et découverts, le chacal se retire pendant le jour dans des rochers ou des terriers. Partout où il y a des bois ou seulement des broussailles, il se tient dehors.

Les Arabes chassent le chacal au lévrier le soir, lorsqu’il sert de bonne heure, le matin à sa rentrée et pendant le jour, en le traquant pour le faire passer d’un bois dans un autre et en découplant les lévriers au débucher.

Quoique le chacal ne soit pas vif, cette chasse ne laisse pas que d’être amusante, parce qu’il se défend avec courage et que beaucoup de lévriers le craignent autant que le sanglier.

Je conseillerais aux Européens qui ont deux ou trois couples de chiens courants et qui chassent pour chasser, de les mettre dans la voie du chacal, qu’ils goûtent de préférence à toute autre. C’est un courre d’autant plus agréable que l’animal prend de grands partis, qu’on ne tombe jamais en défaut et qu’il tient deux ou trois heures avant d’être forcé. Il est important, avant d’attaquer, de faire boucher les terriers, comme cela se pratique en France pour le renard.

le renard

Le renard africain est moitié plus petit que celui d’Europe. Il habite les plaines découvertes, où il se creuse des terriers vastes et profonds, contre les berges des ruisseaux et dans les silos qui ont été abandonnés par les Arabes.

Cet animal n’est point nuisible comme chez nous, car c’est à peine, s’il ose voler une poule de loin en loin. Il vit exclusivement du produit de sa chasse, c’est-à-dire de petits oiseaux, de gerboises, de lézards et des serpents.

Les Arabes le chassent au lévrier, le matin, à la pointe du jour, lorsqu’il s’est attardé dans la plaine. C’est une chasse sans intérêt, et je crois que, pour les Européens qui aiment la chasse au furet, il serait plus agréable de se servir de chiens terriers, qui rempliraient ici pour le renard le même office que remplit chez nous le furet pour le lapin.